Notes
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[1]
Titre du film français d’Agnès Obadia et Jean-Julien Chervier, 2001.
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Ken Park (2003) de Larry Clarke, qui figure des relations sexuelles entre adolescents, est interdit en France aux moins de 16 ans. Le bien nommé Sweet Sixteen (2002), de Ken Loach, a été quant à lui interdit en Angleterre aux moins de 18 ans…
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[3]
On peut visionner à ce sujet la série des American Pie ou son décalque français, Sexy Boys.
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[4]
Dans sa forme, le film épouse alors les pensées de son héroïne et se transforme en dessin animé psychédélique digne du Yellow Submarine des Beatles !
1Délicat sujet que celui de la sexualité adolescente au cinéma. Abordée frontalement, elle donne paradoxalement matière à des films souvent interdits aux adolescents [2] ou, si ce n’est pas le cas, à des films où les adolescents sont joués par des acteurs d’une vingtaine d’années. Dans ces films (le plus souvent) comiques [3], toute situation sexuelle est stigmatisée par une honte mortifiante. Le comique a alors fonction d’exorciser les peurs des jeunes à qui sont destinés ces films.
2Le film dont il est question dans cet article se situe dans une autre démarche. Il s’agit d’un film singulier, unique dans le paysage cinématographique français, nécessairement hors norme, riche et débordant, réalisé par deux cinéastes qui ont mis en commun leurs envies respectives de faire une œuvre concernant le bouleversement désirant chez la jeune fille pour l’une, et chez le garçon pour l’autre.
3Du poil sous les roses, réalisé en 2001 par Agnès Obadia et Jean-Julien Chervier, nous propose deux portraits d’adolescents réunis autour de l’urgence des questions soulevées par l’émergence pubertaire : d’un côté Roudoudou, presque quinze ans, amoureuse d’un homme de trente ans, qui voudrait avoir une grosse poitrine, comme celle de sa mère. De l’autre, Romain, dévoré par une sexualité qui fait feu de tout bois, qui se demande si sa mère et celle de son meilleur copain, Francis, sont homosexuelles. Ils cherchent tous deux à les sauver en couchant avec elles.
4Ce que nous propose donc ce film, c’est une description réaliste et précieuse de l’adolescence au moment de l’émergence pubertaire et avant la reconstitution des défenses psychiques, moment probablement mythique mais parfaitement décrit, dans un maëlstrom difficile à synthétiser, à l’image des bouleversements de cet âge. C’est donc un grand écart psychique entre positions infantiles héritées de la latence d’une part, et prise en compte de l’Autre sexe d’autre part, que devront accomplir les deux protagonistes.
5Ce trajet nous est annoncé dès le générique d’ouverture. Dans des couleurs acidulées et avec un graphisme enfantin, différents objets sont représentés, d’abord rattachés à un univers infantile (ballon, vache…) pour devenir plus scientifiques, biologiques (microscope, spermatozoïde) et finir par des dessins d’hommes et de femmes qui se mélangent, figurant une bisexualité floue et inquiétante. Le film parvient néanmoins à nous faire rire de la perte de repères adolescente, et ce, toujours au rythme lancinant de pulsions massives qui ne laissent au sujet que peu de répit et le condamnent à la fuite en avant ou à des expérimentations de la limite. Roudoudou et Romain semblent brutalement largués au milieu du carrefour adolescent, encore revêtus du duvet des désirs infantiles, mais anxieux et désireux de le couper pour entrer dans le monde des « poilus ».
6Un lieu va marquer symboliquement, réellement et imaginairement, le début du parcours subjectif : c’est la salle de bains. Lieu sensoriel, d’exploration du corps, de l’autre, Romain y découvre les poils pubiens de sa mère, utilisés d’abord comme moustache de substitution puis comme poils à coller sur des photos d’autres femmes, à l’emplacement du vagin. C’est une tentative de fétiche et un ressort incestueux qui propulse Romain dans le courant agité du désir maternel, qu’il imagine louvoyer entre les rives de l’hétérosexualité et de l’homosexualité. Le désir de l’adulte apparaît incertain et (se) nourrit (de) celui de l’adolescent dans une spirale où le fantasme du suicide vient régulièrement stopper la course folle du désir et des fantasmes… et le récit, ultime résistance de Romain contre « cette histoire racontée par un fou et qui ne signifie rien ».
7Roudoudou découvre quant à elle dans la salle de bains un miroir peu flatteur qui ne réalise qu’à moitié le vœu d’avoir des seins gros comme ceux de sa mère. Le sein unique la désigne comme mutante et l’entraîne dans l’anormalité d’un désir englué dans le carcan œdipien, soit qu’elle se prend d’amour pour un homme de trente ans, soit qu’elle s’identifie à sa meilleure copine « formée », qui est aussi la petite amie de son frère. Si Roudoudou a ses entrées dans le discours sexuel, c’est avec les fantasmes (pervers polymorphes) d’une enfant. D’ailleurs, les questions que lui pose une équipe de télévision sur sa sexualité mettent en lumière ce décalage mais initient aussi un questionnement intérieur et au monde sur le rapport entre désir, amour et sexe. Les réponses, « psys », médicales, ne sont pas vraiment acceptables… Celle d’un vieil homme qui trompe sa femme opacifie encore le mystère. Enfin, les questions aux parents butent sur des tabous (le désir dans le couple parental), que la mise à nu de toute la famille dans la salle de bains, lieu de l’interrogatoire, ne fait que pointer jusqu’au malaise. Suivant une autre voie que Romain, l’ultime recours est pour elle l’espace du rêve où rébus et bizarreries des figurations sont légitimés par le mystère du sens [4].
8C’est ensuite dans le jeu entre les regards et les images que va se déployer le film et, dans son dénouement, accompagner ses protagonistes vers la mise en sommeil du réel pubertaire. Le regard, actif, phallique, épistémophilique, cinématographique, adolescent va être pour Romain et Roudoudou la passerelle vers la vérité. Romain va d’abord essayer de mettre de côté la pulsion par un recours scientifique, intellectualisant, au regard : il examine au plus près poils et sperme, pour mettre intellectuellement et imaginairement à distance la monstruosité pulsionnelle… qui fait retour via les affiches pornographiques que l’on distingue en arrière-plan, plaquées derrière Romain alors qu’il tente de faire le premier pas vers l’Autre sexe. Elles invitent à appeler la « mère de ton copain » pour une relation sexuelle au téléphone. C’est d’ailleurs cette femme qu’il s’empressera d’appeler, plutôt que d’aller plus loin dans la relation avec la jeune fille.
9Roudoudou, quant à elle, vampirise du regard son amie, cherchant les 7 différences entre elle et une fille « formée » et initiée (suppose-t-elle) à la sexualité. Elle se cache, dissimule son désir derrière un livre puis une caméra (miroir de la caméra de télévision) pour tenter de saisir le cours du désir dans le monde. La caméra est aussi la caméra de surveillance qui prouve la culpabilité du vol de soutien-gorge par l’amie de Roudoudou. Or, c’est cet événement qui la précipite sous le feu des questions de journalistes réalisant un reportage sur la sexualité des jeunes, alors que son amie est retenue par le vigile. La caméra de Roudoudou lui permet, à l’opposé des caméras réifiantes évoquées, de mettre en mots les questions (auprès du médecin, du vieil homme ou de ses parents) en ayant l’illusion de se dégager de l’emprise spéculaire de l’autre. Mais le regard peut être pris au piège de l’image et de l’autre regard : lors d’une fête chez son amant fantasmé de trente ans, Roudoudou se retrouve enfermée entre la télévision qui diffuse son témoignage, le désir qu’elle imagine dans le regard des adultes qui assistent à cela et les voix qui montent pour lui intimer de se mettre « à poil ». Elle doit alors se mettre à nu, mais elle capture l’œil de l’autre en se donnant en spectacle. L’actualisation de ses désirs œdipiens dans cette scène saturée de regard et la confrontation au réel sexuel devant lequel l’autre aussi est démuni lui permettent d’apprivoiser le désir œdipien pour relancer le jeu avec l’Autre du film, Romain. L’objet parental incestueux a enfin cédé la place au pair.
10La rencontre des chairs et des personnages se déroulera d’abord comme un jeu d’exploration infantile pour se poursuivre, peut-être, hors champ. Laissons le dernier mot à Romain adressant ce poème à Roudoudou : « Sans vraiment te connaître, je peux t’affirmer que je t’aime car tu es très sensuelle et tu dégages une chaleur folle. Ton cul et ta chatte me plaisent. J’aimerais te brouter, te faire des fist-fuckings. Ma bite est à toi ».
Mots-clés éditeurs : cinéma, sexuation, pubertaire
Date de mise en ligne : 07/02/2008
https://doi.org/10.3917/ado.062.0935Notes
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[1]
Titre du film français d’Agnès Obadia et Jean-Julien Chervier, 2001.
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Ken Park (2003) de Larry Clarke, qui figure des relations sexuelles entre adolescents, est interdit en France aux moins de 16 ans. Le bien nommé Sweet Sixteen (2002), de Ken Loach, a été quant à lui interdit en Angleterre aux moins de 18 ans…
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[3]
On peut visionner à ce sujet la série des American Pie ou son décalque français, Sexy Boys.
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Dans sa forme, le film épouse alors les pensées de son héroïne et se transforme en dessin animé psychédélique digne du Yellow Submarine des Beatles !