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Article de revue

Nouvelles familles et nouvelles images

Les habits neufs du narcissisme

Pages 603 à 612

Notes

  • [*]
    Ce texte reprend et résume des considérations développées dans L’intimité surexposée, 2001 et Petites mythologies d’aujourd’hui, 2000.
  • [1]
    Sur l’ensemble des conséquences qui en résultent, voir Tisseron, 2001.
  • [2]
    Heinz Kohut l’a bien montré dans Le Soi (1971) bien qu’il ait peu tenu compte de la place des relations avec les autres dans la genèse et la dynamique du narcissisme.
  • [3]
    Bien qu’aux États-Unis, de tels rituels de séduction existent dans le date ou le petting, qui sont des sortes de jeux sexuels (Fassin, 1997).

1Les jeunes grandissent aujourd’hui au milieu des images, celles qui les entourent, mais aussi toutes celles que leurs parents font d’eux. Car les parents photographient et filment beaucoup – parfois trop ! – leurs enfants, et ce mouvement ne fait que s’accentuer avec les appareils numériques. L’enfant découvrira de plus en plus son apparence sur les écrans du téléviseur et de l’ordinateur familial avant même de rencontrer son image dans le miroir. Or cette exacerbation du narcissisme et de l’apparence par écrans interposés coïncide avec de nouvelles organisations familiales qui poussent dans la même direction.

De la photographie familiale à l’écran des médias

2L’enfant désiré est devenu la règle dans les classes moyennes et supérieures. Le moment de sa naissance est planifié et l’enfant est d’autant plus investi que, pour beaucoup, il restera unique. Il y a évidemment une contrepartie à cela : l’enfant unique et désiré a une dette vis-à-vis de ses parents bien plus importante que l’enfant non désiré appartenant à une famille nombreuse. L’enfant unique et désiré porte seul les attentes de ses parents et sent qu’il est chargé de leurs vœux et de leurs ambitions. Qu’il échoue, et les espérances que ses parents ont fondées sur lui sont anéanties. Bien sûr, nous sommes ici dans le domaine du fantasme, le narcissisme des parents n’étant pas tout entier délégué à l’enfant. Malheureusement, certains le laissent volontiers croire parce qu’ils pensent que l’enfant prend cela comme une preuve d’amour, alors qu’il s’y trouve souvent emprisonné.

3Cela contribue à chasser du premier plan le traditionnel conflit entre amour et haine vis-à-vis de chacun des deux parents – qui caractérise l’Œdipe – pour y substituer une nouvelle dualité : entre une exaltation narcissique sans limite et une angoisse craintive et frileuse d’être abandonné [1]. Les enfants n’ont pas « inventé » cette nouvelle conflictualité. La difficulté des jeunes à quitter le foyer parental (qu’il soit bi ou monoparental) vient bien souvent en réponse à l’angoisse que les parents ont souvent eux-mêmes cultivée : celle d’être séparés de leur rejeton. Et elle est aiguisée par la nécessité d’être performant, mobile et créatif, et non plus soumis à des modèles avérés comme par le passé. Bref, quand il n’y a plus de rail, ni même de route, et qu’on sent peser sur ses épaules l’exigence de rendre ses parents « fiers » de soi, comment pourrait-on ne pas trembler de prendre son envol ?

4Il se trouve que certains parents indiquent en même temps un chemin à suivre… même si c’est à leur insu. Ainsi de tous ceux qui photographient sans cesse leur progéniture en disant que les bons moments passent vite et qu’il est important d’en garder l’image ! Mais lorsque je reçois de tels parents en consultation, je constate souvent qu’ils ont de la difficulté à participer émotionnellement aux grands événements de leur vie. Ils ont toujours tendance à se mettre à l’écart, pas forcément physiquement, mais émotionnellement. Faire de la photographie leur permet de cultiver cet aspect de leur personnalité. La preuve en est que, dans un groupe, quand tout le monde s’esclaffe et plaisante, le photographe, lui, reste souvent en retrait pour faire des images. Cette posture n’est pas préoccupante si elle dure peu. Mais si elle devient systématique, c’est le signe que le photographe fait des photos pour rester à l’écart, et qu’il ne reste pas du tout à l’écart pour faire des photos, comme on aurait pu d’abord le croire ! C’est pourquoi les parents qui ont cette attitude d’une manière habituelle doivent s’interroger. Peut-être la photographie leur permet-elle d’éviter des contacts émotionnels trop rapprochés qui les angoissent ?

5D’après mon expérience, c’est souvent le cas. S’installer dans la position du photographe de famille permet d’écarter les inquiétudes liées à une trop grande proximité, notamment entre adultes et enfants. Le problème est que cette attitude est souvent mal vécue par ceux-ci, même s’ils ne le montrent pas. Ils peuvent avoir l’impression que leurs parents préfèrent avoir affaire à eux « en photo » plutôt qu’en réalité. C’est le cas lorsque des parents embêtent un enfant pour faire de « belles photos » alors que lui préférerait bien mieux jouer avec eux. Et de là à concevoir l’idée que ce qui ferait le plus plaisir à ses parents, c’est de le voir à la télévision, il n’y a qu’un pas ! Sous prétexte de fabriquer des souvenirs pour les années futures, certains parents préparent ainsi à leur insu leurs enfants à devenir des candidats au passage sur le petit écran…

6Mais un enfant a aussi besoin de se sentir acteur de ce qui lui arrive, et pas seulement un « petit modèle » pour les images des autres. Je reçois ainsi de plus en plus de familles en consultation dont l’enfant joue avec l’appareil photographique du téléphone mobile de leurs parents. Au lieu de se contenter de papier, de crayons de couleurs ou de quelques jouets présents dans mon bureau, ces enfants vont très vite chercher au fond du sac de leur mère le téléphone qu’ils utilisent ensuite tout au long de l’entretien. Mais ce n’est pas pour téléphoner ou faire semblant, c’est pour me photographier ! Ils tournent autour de moi, brandissent l’objet dans ma direction, regardent si l’image leur convient, me l’amènent et me demandent mon avis, puis recommencent. La première fois que cela est arrivé, je n’ai pas compris les raisons de ce comportement jusqu’à ce que l’enfant lui-même ne finisse par me les donner. Alors qu’il m’avait montré au fur et à mesure les images qu’il avait faites de moi, il me montra avant de me quitter toutes les images que ses parents avaient faites de lui et qui étaient en mémoire dans le portable ! J’imagine qu’il y en avait encore beaucoup d’autres sur l’ordinateur familial, et peut-être même gravées sur des supports appropriés… Comment un enfant ainsi transformé en objet de l’enthousiasme photographique de ses parents pourrait-il ne pas développer un mode de relation à autrui médiatisé par les images, que ce soit comme modèle… ou comme preneur de vue ?

Un nouveau rapport à l’extimité

7La modification de l’environnement technologique ne menace pas seulement les enfants d’une exaltation narcissique excessive de leur image – et donc de leur apparence. Il contribue aussi à modifier la nature même de ce narcissisme. L’identité, aujourd’hui, s’attache moins à l’apparence, mais l’apparence n’est pas pour autant moins importante dans la mesure où elle est très tôt assujettie à des impératifs de groupe.

8Tout d’abord, sous l’effet de la généralisation de la photographie familiale et des nouvelles technologies, les jeunes rattachent moins leur intimité et leur identité à la représentation visuelle d’eux-mêmes. Quand les représentations de soi se multiplient, l’identité ne s’attache plus à aucune. Rares, les images emprisonnaient l’apparence ; nombreuses, elles libèrent au contraire l’image de chacun de la référence au reflet visuel. Les habitants du Loft appartiennent à une génération qui pourrait dire : « Tu tiens peut-être mon image, mais tu ne tiens rien de moi. » Ils l’abandonnent à qui la prend et cela ne ruine pas le sentiment de leur identité. La culture des images, aujourd’hui, chez les jeunes, ne correspond plus à la recherche de ce qui serait un reflet de « l’identité profonde », mais à une exploration des multiples facettes de soi.

9Cette évolution va probablement s’amplifier dans les années qui viennent. Les nouvelles technologies rendent en effet possible à chacun de divulguer seulement une partie de son intimité psychique ou corporelle sur Internet à des millions d’inconnus. Ce désir ne relève pas de l’exhibitionnisme, qui réside dans le fait de montrer de soi ce qu’on sait pouvoir séduire ou fasciner. Il consiste au contraire dans le fait de communiquer certains éléments de son monde intérieur, dont la valeur est incertaine, afin de les faire valider et de mieux se les approprier grâce aux échanges suscités avec les proches. L’expression du soi intime – que nous avons désigné sous le nom « d’extimité » (Tisseron, 2001) – entre ainsi au service de la création d’une intimité plus riche. Cette génération ne se contente plus, comme la précédente, de tenter de faire valider son intimité par son cercle proche, familial ou amical. Elle élargit cette démarche à l’ensemble des interlocuteurs potentiels que lui permettent de toucher la télévision et la toile. La généralisation des blogs en tous genres participe à ce mouvement. Certains adolescents en font plusieurs, correspondant chacun à une facette d’eux-mêmes. Ils augmentent ainsi les chances de renvois positifs.

10Dans le même ordre d’idées, un grand nombre de sites Internet sont apparus, sur lesquels les internautes sont invités à mettre une ou plusieurs photos d’eux afin de se soumettre au jugement de tous les visiteurs du site. La clientèle privilégiée de ces nouveaux tribunaux de l’esthétique est évidemment constituée par les adolescents. Les jugements émis par les uns et les autres sur chacun de ceux qui proposent ainsi une image d’eux au jugement populaire sont évidemment souvent sans pitié. Mais peu importe. L’adolescent préfère un jugement acide sur l’apparence qu’il a choisi de mettre en ligne plutôt que le risque de retrouver les critères qui sont ceux de son entourage familier. C’est moins le jugement en soi des pairs qui importe, que le temps qu’ils prennent à émettre un jugement, même défavorable ou cynique. La rapidité de réaction est un gage d’intérêt, et constitue un apport narcissique indépendamment de la nature de l’avis émis.

11Enfin, dans cette nouvelle configuration, « être célèbre » est volontiers perçu comme la solution à la « quadrature du cercle », autrement dit comme le moyen privilégié de résoudre en même temps plusieurs désirs et plusieurs angoisses contradictoires. Tout d’abord, c’est multiplier les expériences, ce qui donne quelques chances d’approcher ses propres limites. Ensuite, c’est aussi multiplier les miroirs sur soi, avec l’espoir de se mettre en situation de connaître un élargissement optimal de sa personnalité. Enfin, c’est tenter de résoudre la contradiction apparente entre l’exaltation de soi et l’amour de l’autre. Quand la célébrité acquise rejaillit sur les géniteurs, la quête narcissique ne répond plus seulement à l’amour de soi-même, mais aussi à l’affection portée aux parents, à qui est enfin offert ce dont ils ont toujours rêvé… à condition toutefois qu’ils le reconnaissent. C’est pour cela qu’il est aussi important – et les candidats de Loft Story l’ont tous exprimé – que dans de telles circonstances, les parents se déclarent « fiers ». Cette fierté – qu’elle vienne de celui avec lequel on a toujours vécu et à qui on voue une immense reconnaissance, ou de celui dont on est séparé et dont on continue à attendre un signe – dissipe l’angoisse d’abandon et le risque de persécution [2] qui se profile toujours derrière l’exaltation narcissique de soi.

« Faites-vous vos films »

12Les jeunes ne sont pas seulement engagés par les images qui les entourent dans de nouvelles pratiques et un nouveau rapport à leur apparence et à leur identité. Ils sont également invités à développer un nouveau regard sur les images elles-mêmes. Celui-ci s’impose d’abord comme une réponse au nouveau paysage audiovisuel. Après avoir longtemps privilégié la diffusion de programmes entrant dans des catégories claires – comme les fictions, les documents et les publicités –, les médias sont en effet aujourd’hui totalement dominés par la confusion des genres.

13Cela a commencé il y a une vingtaine d’années avec les films pornographiques. Il est très difficile de savoir ce qui relève dans leurs mises en scène du document ou de la fiction. Mais ce brouillage des genres a gagné depuis quelques années l’ensemble du paysage audiovisuel. Pour nous en tenir à la télévision, il est aujourd’hui de plus en plus difficile de faire la différence entre les émissions d’actualités, les fictions et les publicités. S’agissant de ces dernières, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel consacre beaucoup d’énergie à repérer et interdire les publicités clandestines qui sont de plus en plus nombreuses. Pour ce qui concerne les actualités, les images de synthèse de plus en plus réalistes – fabriquées pour les événements dont les chaînes n’ont pas d’images – prennent une importance accrue. Quant aux émissions de variétés, elles invitent maintenant des personnages politiques… pour parler de problèmes intimes qui n’ont justement rien à voir avec la charge dont ils sont investis ! Bref, les jeunes grandissent aujourd’hui dans un monde de médias où il leur est de plus en plus difficile de repérer si les images qu’ils voient relèvent de documents ou de fiction. Or un autre spectacle plébiscité aujourd’hui par les jeunes consiste dans des émissions dont il est impossible de savoir si elles relèvent du document ou de la fiction. Il s’agit notamment de Jackass et Dirty Sanchez, deux émissions dans lesquelles la confusion est annoncée d’emblée : il sera impossible au spectateur de savoir s’il s’agit d’émissions de fiction dans lesquelles les cascadeurs font semblant de souffrir, ou s’il s’agit au contraire de documents dans lesquels ils se font vraiment mal. Encore une fois, on ne peut pas comprendre l’intérêt des jeunes pour de tels spectacles si l’on n’a pas à l’esprit que, à la différence de beaucoup d’autres qu’ils voient, et qui sont indécidables, ceux-ci jouent au moins carte sur table !

14Ce caractère indécidable de notre environnement d’images porte en outre les jeunes à s’intéresser à la façon dont celles-ci sont fabriquées. Ils se montrent particulièrement curieux des trucages et de tout ce qu’on appelle making of. La question de savoir comment les images ont été fabriquées permet en effet de dépasser la traditionnelle distinction entre document et fiction. Et les jeunes s’intéressent d’autant plus aux procédés de fabrication des images qu’ils en deviennent eux-mêmes souvent producteurs. Ce n’est pas un hasard si une récente publicité pour des téléphones mobiles équipés d’un appareil photographique avait justement pour slogan : « Faites-vous vos films ». Le visuel de cette publicité indiquait en outre clairement dans quel sens les jeunes étaient invités à rêver : le cadrage de leurs images donnait toujours à celles-ci une signification totalement différente de l’événement qui en était le prétexte.

De l’image comme reflet aux images comme rituels

15À défaut de pouvoir instituer les images en critère distinctif du « vrai » et du « faux » comme leurs aînés pour lesquels la photographie d’un événement a longtemps été une preuve de véracité de celui-ci, les jeunes intègrent aujourd’hui les images dans de nouveaux rituels. Ils y sont naturellement portés par le fait que le passage de l’enfance à l’adolescence n’est plus symbolisé aujourd’hui par aucune cérémonie ni aucun rituel. Si les filles continuent de bénéficier de celui que constitue l’apparition de leurs règles, l’absence de rite de passage de l’enfance à l’âge adulte se fait cruellement sentir chez les garçons. Or le passage à la puberté est suffisamment difficile pour les jeunes pour qu’ils éprouvent le besoin de le symboliser. C’est pourquoi, à défaut d’autre cérémonie, cela se fait à travers des rituels d’images.

16Le premier consiste dans la transgression des interdictions de certains spectacles aux mineurs. C’est ainsi que les films interdits aux moins de douze ans attirent majoritairement des enfants âgés de onze à treize ans désireux de montrer qu’ils sont « grands ». Parfois, l’utilisation de ces films à fin de rituel passe par l’élection d’une séquence que certains jeunes s’obligent à répéter, comme l’ont été certaines performances de Jackass et de Dirty Sanchez pour des adolescents adeptes de sports extrêmes. La constitution de tels rituels accomplis dans la réalité est toutefois exceptionnelle.

17Le second de ces rituels concerne le rôle joué par les jeux vidéo. Il est difficile d’être accepté par ses pairs si l’on n’a pas atteint un niveau suffisant dans certains jeux cultes ! Ces pratiques impliquent également les filles qui les intègrent dans de nouveaux rituels amoureux : en devenant habiles dans certains jeux, elles captent plus facilement l’attention des garçons, et surtout leur respect. Jouer à certains jeux est alors devenu pour elles non seulement une activité personnelle, mais aussi une manière de séduction.

18Enfin, le rituel le plus important concerne l’exploitation des possibilités de travestissement offertes sur Internet. Tous les jeunes qui vont aujourd’hui dans des chats et des forums s’y avancent en effet masqués derrière des identités d’emprunt notamment en termes d’âge et de sexe. Cette stratégie est de plus en plus utilisée dans les approches amoureuses. Dans une culture qui a malheureusement généralisé la pornographie, les jeunes aujourd’hui redécouvrent les vertus des masques et de la progressivité de la rencontre. Cette stratégie reflète leur désir de se familiariser à leur rythme avec une réalité qui les terrifie autant qu’elle les fascine, celle de la rencontre amoureuse. Car cette situation désirée autant que crainte ne fait plus l’objet dans notre culture d’aucun rituel [3]. Alors ils en réinventent…

19Ce désir de « médiatiser » provisoirement le réel par le virtuel se rencontre là où on l’attendrait a priori le moins, c’est-à-dire chez les joueurs de jeux vidéo en réseau. Ces joueurs disposent en effet de quatre niveaux successifs de rencontre dans lesquels les enjeux sont de moins en moins « virtuels » pour devenir de plus en plus « réels ». Dans un premier temps, les joueurs parlent ensemble afin de résoudre les problèmes concrets qui se posent à eux dans le jeu, c’est-à-dire dans le monde virtuel que celui-ci organise : comment venir à bout d’un monstre ou d’un ennemi particulièrement redoutable ? où trouver une armure ou une potion magique ? comment se faire employer par une famille noble ?, etc. Puis, dans un second temps, les joueurs commencent à parler de leurs problèmes réels en conservant l’identité de leur avatar : par exemple des adultes jouant avec leur bébé sur les genoux parlent entre eux des réactions de leur enfant qu’ils tiennent devant eux, mais sans cesser pour autant d’être les uns pour les autres « un chevalier », « un sorcier » ou un « page ». Dans un troisième temps, ils peuvent en revanche commencer à évoquer leur identité réelle, leur âge, leur lieu d’habitation, ou leur mode de vie, mais de telle façon que chacun peut continuer à tromper l’autre sur ses caractéristiques. Bref, nous ne sommes plus absolument dans le « virtuel » mais pas encore tout à fait dans le « réel », dans un espace qui est une sorte de « réel filtré par le virtuel ». Enfin, dans un quatrième temps, lorsque les joueurs décident de se rencontrer « pour de vrai », le « réel » prend la place qu’il a dans la vie quotidienne de chacun : on peut continuer à y tromper ses interlocuteurs, leur mentir, leur faire croire que l’on est différent de ce qu’on est en réalité, voire se faire totalement passer pour ce que l’on n’est pas. Mais il s’agit là d’une mise en scène de la vie quotidienne qu’il n’est pas coutumier de désigner comme « virtuelle »… même si nous y avançons chacun masqué…

20Finalement, beaucoup de comportements apparemment étranges ou énigmatiques de la part d’enfants ou d’adolescents ne sont que la réponse qu’ils apportent aux caractéristiques de la société dans laquelle ils entrent. Les transformations qui affectent le rapport des jeunes à leur propre image s’imposent notamment comme autant de procédures d’adaptation à des situations radicalement nouvelles auxquelles ils sont confrontés dès la prime enfance, et dont l’omniprésence des images et des écrans est un élément essentiel, mais pas le seul. Les nouvelles organisations familiales et la place considérable donnée par beaucoup de parents à la mise en scène de leurs enfants – notamment à travers des blogs – y jouent aussi un rôle considérable. Les adolescents ne sortent pas d’un chapeau à l’âge de treize ans ! Ils se fabriquent un peu tous les jours dans le quotidien des relations entre parents et jeunes enfants.

Bibliographie

Bibliographie

  • fassin e. (1997). Un échange inégal : sexualité et rites amoureux aux États-Unis. Critique, 596/597 : 48-65.
  • kohut h. (1971). Le Soi. Paris : PUF, 1974.
  • tisseron s. (2000). Petites mythologies d’aujourd’hui. Paris : Aubier.
  • tisseron s. (2001). L’intimité surrexposée. Paris : Ramsay, rééd. Hachette, 2002. (Prix du Livre de Télévision 2002).

Notes

  • [*]
    Ce texte reprend et résume des considérations développées dans L’intimité surexposée, 2001 et Petites mythologies d’aujourd’hui, 2000.
  • [1]
    Sur l’ensemble des conséquences qui en résultent, voir Tisseron, 2001.
  • [2]
    Heinz Kohut l’a bien montré dans Le Soi (1971) bien qu’il ait peu tenu compte de la place des relations avec les autres dans la genèse et la dynamique du narcissisme.
  • [3]
    Bien qu’aux États-Unis, de tels rituels de séduction existent dans le date ou le petting, qui sont des sortes de jeux sexuels (Fassin, 1997).
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