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Article de revue

Qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui ?

Pages 9 à 11

1« Qu’est-ce qu’enseigner ? » n’est pas une question nouvelle, elle alimente depuis des décennies des réflexions, des recherches, des débats, des polémiques. Les approches en ont été diverses : regard universitaire des sciences de l’éducation, de la sociologie, de la psychologie au sens large, de la pédagogie et de la didactique bien sûr, regard de l’opinion, de la presse et du grand public, regard des acteurs eux-mêmes dans la diversité de leurs métiers et de leurs fonctions, regard des partenaires associatifs, regard des élèves également – rarement métier n’aura été autant radiographié. Enseigner est bien un métier complexe, en interaction avec de nombreux acteurs d’éducation, avec un système éducatif, avec une société toute entière, avec le monde comme il va, dans ses déchirures et ses tensions, dont nous avons pu mesurer récemment qu’elles peuvent toucher l’école au cœur.

2Nous aborderons le métier dans sa réalité professionnelle, celle de la diversité de ses pratiques, de la maternelle à l’université. Nous ferons dialoguer ces pratiques, avec les valeurs et les représentations qui les animent. Nous interrogerons les postures, tout particulièrement celles qui inscrivent le métier dans un relationnel souvent déterminant.

3« Qu’est-ce qu’enseigner ? », une question familière et récurrente donc, que l’année 2020 aura toutefois mise en relief de façon spécifique. Il ne sera pas vain de s’interroger sur ce que le contexte aura révélé de l’essentiel de l’acte, quand les lieux auxquels il est associé ferment ou interrogent les garanties de sécurité sanitaire.

L’acte d’enseigner n’est pas neutre, il porte des objectifs et des valeurs

4Enseigner aujourd’hui en France s’inscrit dans un cadre politique et institutionnel fort qui émane de la nation (« idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité » exprimé dans le préambule de la Constitution, lois sur l’éducation votées par le parlement) ou qu’elle approuve (conventions internationales, Unesco…), dans un cadre de référence philosophique qui est celui de l’humanisme et des lumières, et dans les évolutions et les aspirations économiques et sociales du pays. Ainsi depuis les années 1970, si enseigner s’est adapté aux objectifs de démocratisation, enseigner est placé aujourd’hui devant la réalité des écarts de réussite des élèves qui en ont découlé. Comment ces cadres se déclinent-ils dans la classe ? comment la diversité des territoires et la diversité sociale qui s’y traduit, motivent-ils la réalité des pratiques ? Les réponses apportées par les professeurs sont-elles marquées par leur propre origine sociale ? sont-elles influencées par le regard qu’ils portent sur leur métier ? Les engagements professionnels souffrent-ils de la crise du métier, dans sa reconnaissance et sa lisibilité sociale ? Comment la définition que chacun peut donner de son métier porte-t-elle la trace du but ultime qu’il lui assigne ? Finir le programme ? se situer dans le monde d’aujourd’hui, rechercher des réponses, analyser et critiquer une source, un texte, des images ? agir en citoyen responsable ? Au printemps 2020, quel a été l’objectif prioritaire ? ne perdre aucun élève, garder le lien, donner les clés pour un travail autonome ? comment la réalité des pratiques du quotidien a-t-elle ou non facilité cette adaptation au contexte ?

Enseigner, comment ? avec quels outils ?

5Il existe certainement autant de réponses que de systèmes éducatifs : enseigner au Canada, aux États-Unis, en Corée ne s’appuie pas forcément sur les mêmes gestes, en même temps sont-ils fondamentalement différents ? Il semble possible aujourd’hui en se fondant sur la réalité de notre pays d’approcher une caractérisation des pratiques et des démarches d’enseignement du premier au second degré. Les enquêtes Epode, Elaine, Talis, les recherches en éducation, les observations du terrain peuvent être utiles, mises en regard avec les témoignages et les réflexions des enseignants eux-mêmes. Les modalités de l’acte d’enseigner s’inscrivent dans une grande diversité : qu’il s’agisse de s’adresser à la classe, de faire progresser chacun au sein de cette même classe, faire cours, faire sens, évaluer, ne se définissent pas de la même manière. Pour celui qui enseigne, il y a aussi plusieurs manières d’interroger l’acte d’enseigner : que dit de l’acte d’enseigner la formation continue, dans ses contenus et ses modalités actuels ? quels liens entre les pratiques et les avancées scientifiques et de la recherche ? en particulier, quelle place pour celles qui s’appuient sur la connaissance du fonctionnement du cerveau pour modeler des formes d’apprentissage adaptées ? quel impact, sur l’acte d’enseigner, des avancées technologiques, notamment dans le domaine du numérique ? Ces outils font la preuve, dans le cadre de l’enseignement à distance, de leur incontournable utilité et font apparaître aussi ou renouvellent des questions de fond sur l’équité, sur les processus d’apprentissage. Enseigner comporte aussi, à côté des contenus et des démarches, l’aspect essentiel de la relation avec les élèves, cette relation implique une force de conviction et d’enthousiasme, capables d’éveiller, de faire avancer, de mobiliser, de motiver et d’innover, pour diversifier et différencier, et prendre des chemins adaptés à chaque élève, afin de révéler chez lui les trésors dont il peut lui-même être ignorant. Elle implique aussi une force d’attention et de soutien, capables d’accueillir et de protéger les élèves quand ils sont vulnérables ou en difficulté. Le cours magistral et le cours dialogué peuvent rester des modalités pédagogiques, cependant, elles ne sont plus les seules, le travail en classe aujourd’hui met en lumière la nécessité de faciliter l’autonomie, la curiosité, l’initiative ; l’individualisation des approches devient incontournable, tout comme l’interaction entre les élèves, et les dynamiques de groupe : sont interrogées les modes d’intervention des professeurs, la place de l’activité des élèves, la configuration et l’utilisation des espaces scolaires. Quels écarts mesure-t-on entre la représentation habituelle, traditionnelle, la plus fréquente de la classe, et la réalité polymorphe qui vit au quotidien, de la maternelle au lycée, dans les différentes disciplines, les différents enseignements ? Les mois de confinement ont-ils permis de mettre en lumière certaines de ces transformations ?

Enseigner : quoi, avec qui ?

6Fortement déterminés par les objectifs assignés à l’enseignement, les disciplines, leurs contenus, les liens qu’elles entretiennent, leur didactique et leur pédagogie, ont connu ces dernières années, du primaire au secondaire, des changements nombreux : sont-ils de fond, ou de surface ? Alors que des textes imposent d’autres approches en fondant les apprentissages sur les compétences (socle commun en 2006, compétences clés du XXIe siècle établi par l’OCDE) le métier d’enseignant repose toujours essentiellement sur la maîtrise des contenus (la formation première est « universitaire disciplinaire » pour les disciplines générales, et elle est celle du métier pour les enseignements professionnels), et secondairement sur la connaissance des élèves. Enseigner se définit encore pour les professeurs par la discipline qu’ils enseignent, ou celles dont ils viennent, alors que le référentiel de compétences qui définit le métier y consacre une place très limitée. Comment traduisent-ils dans la classe cette dualité ? Au moment où des domaines se reconfigurent (dans le champ de la citoyenneté, des arts et de la culture, du développement durable, de la santé, de l’orientation) et se superposent à la structuration traditionnellement disciplinaire du système éducatif, comment se saisissent-ils de ces liens nouveaux ? Que signifient ces évolutions quant au rôle des disciplines scolaires dans l’appréhension du monde et de la vie, dans la formation de la personne ?

7Complexe, la réalité de l’enseignement l’est aussi par la multiplicité des acteurs, parmi lesquels, au-delà de l’institution, les familles, dont on voit ces derniers mois, qu’il y a bien avec elles un relais à approfondir ou à établir, les associations partenaires, les entreprises de soutien scolaire…

8Enseigner reste un acte profondément social. Un métier de première utilité publique, qui gagnerait à plus de visibilité pour plus de reconnaissance.


Date de mise en ligne : 23/12/2020

https://doi.org/10.3917/admed.168.0009

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