Notes
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Sur ce point cf. J.R. Cytermann : « L’architecture de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) dans les domaines de l’éducation et de la recherche : choix politiques ou choix techniques ? », Revue française d’administration publique n° 117.
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[2]
Pour la première fois depuis 1988 (enveloppes de crédits de maintenance immobilière). Ce nouveau rôle des recteurs n’est d’ailleurs pas unanimement apprécié chez les présidents d’université.
La loi Orientation et réussite des étudiants du 8 mars 2018 représente une inflexion forte et un peu paradoxale sur deux points. Elle donne pour la première fois une réalité à la notion de continuum bac – 3/bac + 3 au moment même où l’on réinstaure un ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche autonome par rapport au ministère de l’éducation nationale. Dix ans après la loi libertés et responsabilités de 2007, elle marque le retour du recteur dans l’enseignement supérieur dans un rôle réaffirmé de régulateur de l’entrée dans l’enseignement supérieur.
L’évolution progressive du rôle du recteur depuis la loi de 1984
1La notion de continuum bac – 3/bac + 3 était restée jusqu’à maintenant très théorique. Même lorsqu’étaient réunies dans un seul ministère, les deux directions en charge de l’enseignement scolaire et de l’enseignement supérieur travaillaient peu ensemble et le sujet n’avait pas vraiment progressé depuis les travaux de l’année 1980 ou la directrice des enseignements supérieurs, Danielle Blondel et le directeur des lycées, Claude Pair, avaient lancé un groupe de travail sur les prérequis de l’enseignement supérieur, notion qu’on retrouve totalement dans les « attendus » de la loi ORE. Lors de la mise en place de la LOLF, l’idée avait été avancée, notamment par Alain Boissinot, d’un programme bac – 3/bac + 3 regroupant les formations en lycée de niveau licence. Séduisante intellectuellement, cette idée s’était heurtée à des difficultés techniques et politiques [1]. La loi de 2013 (article 32) relative à l’enseignement supérieur a introduit la notion de continuum en précisant (article L-612-2 du code de l’Éducation, alinéa 1) que le premier cycle s’inscrit « […] dans la continuité des formations dispensées dans le second cycle de l’enseignement du second degré qui préparent à la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur », mais cette mention n’avait en soi aucun caractère normatif. On ne retrouvait finalement des traces de cette continuité qu’au niveau des services déconcentrés, avec la mise en place, par les recteurs, de processus d’affectation des lycées dans l’enseignement supérieur comme RAVEL en Île-de-France et implicitement dans les compétences du vice chancelier de l’académie de Paris dont les compétences couvrent « les questions communes à l’enseignement secondaire et à l’enseignement supérieur », de fait les questions d’accès à l’enseignement supérieur.
2Cette évolution du rôle du recteur se mesure à travers les différentes versions au cours du temps de l’article L. 612-3, qui régit l’entrée en premier cycle. La loi de 1984 prévoit le libre accès des bacheliers à l’université, en dehors des filières sélectives, dans l’académie où le lycéen a eu son baccalauréat. Le recteur n’intervient que dans le cas où l’effectif des candidatures « […] excède les capacités d’accueil de l’établissement, constatées par l’autorité administrative, les inscriptions sont prononcées, après avis du président de l’établissement, par le recteur chancelier, selon la réglementation établie par le ministre, en fonction du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimées par celui-ci ».
3La loi de 2007 ne change pas cet article. Elle généralise néanmoins le principe « […] d’une préinscription lui permettant de bénéficier du dispositif d’orientation et d’information de l’établissement qui doit être établi en concertation avec les lycées ».
4La loi de 2013 s’attaque à la question de l’affectation des bacheliers technologiques en IUT et des bacheliers professionnels en section de STS en introduisant dans l’article L. 612-3 « […] la fixation par les recteurs chanceliers d’un pourcentage minimal de bacheliers technologiques en IUT et de bacheliers professionnels en STS… Ces pourcentages sont fixés en concertation avec les présidents d’université, les directeurs des instituts universitaires de technologie, les directeurs de centre de formation d’apprentis, les proviseurs des lycées ayant des classes de techniciens supérieurs ». Cette introduction législative marque bien l’idée qu’il y a un continuum logique pour ces bacheliers entre leurs études antérieures et celles qu’ils sont amenés à faire dans l’enseignement supérieur. Le choix a été fait aussi de ne pas faire de régulation nationale en fixant des quotas nationaux mais de confier cette régulation aux recteurs dans leur double fonction de chancelier des universités et de tutelle des lycées et de concerter, de manière coordonner avec les différents acteurs. Même si, selon les observations des inspections générales, cette disposition a été appliquée de manière inégale, elle est un premier pas vers un rôle accru du recteur dans l’entrée dans l’enseignement supérieur. La loi de 2013 adopte, également un dispositif plus marginal, celui de l’accès des meilleurs bacheliers aux filières sélectives. Selon l’article L. 612-3-1, « […] c’est le recteur qui réserve dans ces formations un contingent minimal de places au bénéfice de ces bacheliers ». Ces dispositifs ne seront pas modifiés dans la loi ORE.
5C’est dans cette même logique qu’est instaurée l’expérimentation sur les conditions d’admission d’affectation des BTS en baccalauréat professionnel (décret n° 2017-515 du 10 avril 2017). Cette expérimentation affirme la continuité entre la formation en baccalauréat professionnel et la section de techniciens supérieurs, donne un rôle au conseil de classe qui fait une proposition d’orientation et fait du recteur le garant de la procédure et de la bonne coordination entre le lycée d’origine et le lycée d’accueil en STS. Le recteur se voit également confié un rôle de régulateur dans l’entrée en master dans une logique qui essaie de concilier les principes de libre choix de l’université et de droit à la poursuite d’études et qui donne au recteur de région académique un rôle de régulation dans le traitement des candidats sans proposition (décret n° 2017-83 du 25 janvier 2017).
Avec la loi ORE, le recteur « […] pivot et garant du droit de tout bachelier d’accéder à l’enseignements supérieur »
6La loi Orientation et réussite des étudiants du 8 mars 2018 réécrit complètement cet article L. 612-3 sur l’accès à l’enseignement supérieur. Si elle reprend les avancées décrites précédemment, notamment en matière d’affectation des bacheliers technologiques et professionnels, elle a pour ambition de construire un système cohérent de l’accès à l’enseignement supérieur. Elle introduit de manière nette l’idée de continuité entre les enseignements en lycée et dans le supérieur. Les caractéristiques des formations du supérieur, c’est-à-dire de fait les prérequis ou les attendus de chaque formation sont communiqués aux lycéens. L’adéquation entre les acquis de la formation antérieure et les caractéristiques de la formation sont parmi les éléments de choix des candidats par l’université lorsque le nombre de candidats excède les capacités d’accueil. Les pouvoirs donnés dans les nouvelles procédures au recteur sont importants et sont la contrepartie des pouvoirs nouveaux données aux universités. C’est le recteur d’académie qui fixe les capacités d’accueil après dialogue avec les établissements. C’est le recteur qui fixe le pourcentage minimal de boursiers et le pourcentage maximal de candidats d’une autre académie pour les formations où le nombre de candidats excède les capacités d’accueil. C’est enfin l’autorité académique qui au bout du compte et après concertation, doit régler la situation des candidats sans affectation et prononce l’inscription des candidats. Comme l’indique la fiche de parcours sup sur les commissions d’accès à l’enseignement supérieur, « Le recteur devient le pivot et le garant du droit pour tout bachelier d’accéder à l’enseignement supérieur ».
7L’IGAENR a procédé au suivi de la mise en place de Parcoursup et a effectivement constaté une montée en puissance du rôle des recteurs sur ce champ de l’entrée dans l’enseignement supérieur. Jamais sans doute les recteurs n’avaient consacré autant de temps aux questions d’enseignement supérieur et en tout cas de lien entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Les recteurs de par leur double fonction de chancelier des universités et d’autorité académique sur les lycées sont apparus à même de coordonner l’ensemble des acteurs. Ils ont réussi dans l’ensemble à mobiliser les chefs d’établissements et les professeurs principaux et initié le rôle nouveau donné au conseil de classe en matière d’orientation. Ils ont également été amenés à faire travailler ensemble services de l’orientation et divisions du supérieur. Les rectorats ont eu aussi comme levier d’action la répartition des moyens nouveaux entre les universités pour l’accueil en université, qui venaient s’ajouter à la compétence habituelle sur les moyens alloués aux classes post-bac en lycée. Ce point est d’ailleurs à signaler, puisque c’est quasiment la première fois qu’une répartition de moyens aux universités est faite par les recteurs et non par l’administration centrale [2].
8Il ne s’agit pas ici de dresser un bilan de Parcoursup, même si les travaux de l’IGAENR donnent une appréciation nuancée mais plutôt positive, il s’agit de montrer comment son instauration change assez profondément le modèle de régulation. Cette évolution devrait s’accentuer dans les années à venir. La réforme du baccalauréat et des lycées devraient poursuivre l’amélioration de la cohérence entre parcours dans les lycées et dans l’enseignement supérieur, dès lors, le travail des recteurs sur l’offre de formation en lycée et la carte des spécialités offertes aux lycéens seront essentiels. Les changements dans l’organisation territoriale des services des deux ministères en région, la mutualisation des services chargés de l’enseignement supérieur et leur renforcement au niveau de la région académique, les expérimentations en cours dans l’enseignement supérieur sur la rénovation du dialogue de gestion avec les universités vont dans le sens d’une transformation de nos administrations avec une administration centrale tournée vers des fonctions stratégiques et des rectorats tournés vers des fonctions de régulation.
9Ce rôle nouveau de régulation et de coordination du recteur est totalement logique. Le recteur est l’interlocuteur naturel des proviseurs de lycée, à la fois pour leurs classes de second cycle et pour leurs formations post-baccalauréat. Sa fonction de chancelier légitime son rôle auprès des présidents d’universités et des directeurs de composantes (UFR et IUT). La commission d’accès à l’enseignement supérieur qu’il préside, comprend le Directeur régional de l’agriculture et de la forêt, et les représentants de tous les établissements dont les formations sont inscrites dans parcours Sup, au-delà du périmètre des deux ministères MEN et MESRI. En outre, les implications de l’ensemble des réformes du lycée et d’accès à l’enseignement supérieur en matière d’offre de formation et de procédures d’orientation, compétences partagées avec les régions, renforcent ce rôle pivot du recteur.
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Sur ce point cf. J.R. Cytermann : « L’architecture de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) dans les domaines de l’éducation et de la recherche : choix politiques ou choix techniques ? », Revue française d’administration publique n° 117.
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Pour la première fois depuis 1988 (enveloppes de crédits de maintenance immobilière). Ce nouveau rôle des recteurs n’est d’ailleurs pas unanimement apprécié chez les présidents d’université.