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Article de revue

Quels usages des évaluations standardisées des élèves ?

Pages 105 à 110

Notes

  • [1]
    Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillons : sur un cycle de cinq ans, maîtrise de la langue française, langues étrangères, histoire-géographie, éducation civique, sciences expérimentales, mathématiques.
  • [2]
    Rappelons la définition par l’OCDE de ce mot calqué sur l’anglais literacy : « Aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité […].

Dans les lignes qui suivent, on n’envisage les évaluations standardisées des élèves que du point de vue de leur mise en œuvre institutionnelle à grande échelle par le ministère de l’Éducation nationale. On n’évoquera pas ici les autres dispositifs d’évaluations standardisées, tels les tests utilisés par les psychologues de l’éducation ou les grilles critériées comme le LSUN ou le CECRL, ou encore les tests de compétences en langues proposés par des organismes extérieurs au ministère de l’Éducation nationale.

Histoire et usages des évaluations standardisées

1Depuis une quarantaine d’années, le ministère de l’Éducation nationale a mis en place, des dispositifs nationaux d’évaluation des acquis des élèves reposant sur des épreuves standardisées. Sa direction statistique (DEPP) est également maître d’œuvre pour la France de diverses évaluations internationales. Le développement des évaluations standardisées apparaît en effet comme indispensable pour rendre compte du système et le piloter. Trois grandes périodes, qui se recouvrent peu ou prou, caractérisent le développement de ces dispositifs.

2Dans une première période, de la fin des années 1970 à la fin des années 1980, les dispositifs mis en œuvre à l’école et au collège en fin d’année, couvrent progressivement, niveau scolaire par niveau scolaire, l’ensemble des disciplines. Il s’agit, au regard des programmes en vigueur, d’établir un constat, d’apprécier l’état du système, de rendre compte des acquisitions des élèves aux responsables de la politique éducative du ministère. Il s’agit aussi de nourrir le débat public. Durant cette décennie, dans le cadre d’un « observatoire permanent des acquis des élèves », chaque niveau scolaire, du primaire au lycée, fera l’objet, une année donnée, d’une évaluation de type « bilan », sur des échantillons d’élèves.

3Une deuxième période, à partir de 1989, est occupée par la mise en place d’évaluations diagnostiques « de masse », conséquences de la loi sur l’éducation de 1989. Le rapport qui lui est annexé relève que moins d’un élève sur deux arrive au collège avec une maîtrise suffisante de la lecture. Il précise l’urgence de la mise en œuvre d’un véritable plan sur l’apprentissage de la lecture qui « fera l’objet d’une évaluation auprès de tous les élèves entrant en CE2 et en sixième ». Cette évaluation est un outil mis à leur disposition « … pour déceler, de façon précise et dès le début de l’année scolaire, les difficultés de vos élèves et vous permettre, dans toute la mesure du possible, d’y apporter rapidement une réponse ». Les évaluations sur échantillons du type de celles de la première décennie se font alors plus rares.

4La troisième période, depuis le début des années 2000, voit se systématiser, à côté des enquêtes internationales, des évaluations sur échantillons pour un bilan des acquis des élèves en fin d’école primaire et en fin de collège (CEDRE) et pour le calcul des indicateurs de maîtrise des compétences du socle commun. Durant cette période, de nouvelles évaluations « de masse » apparaissent brièvement, ayant pour but le repérage des élèves en difficulté vis-à-vis du socle commun (objectif de mise en place de remédiations ciblées en début de CE1 notamment, de 2005 à 2007), puis d’évaluations « bilans-diagnostics » (en fin de CE1 et en milieu de CM2 de 2009 à 2012) succédant à l’arrêt des évaluations « de masse » en CE2 et en 6e.

5Rappelons que l’on peut distinguer, sur le plan conceptuel, les dispositifs « d’évaluation diagnostique » et les dispositifs « d’évaluation bilan », différant dans leurs objectifs, dans les modalités de mise en œuvre, dans l’exploitation et l’utilisation de leurs résultats :

  • axées sur les élèves, les évaluations diagnostiques sont des outils professionnels à l’usage des enseignants. Elles doivent permettre de cerner individuellement les compétences et les difficultés de chaque élève et d’orienter le travail de chaque élève et de la classe en fonction des résultats. Elles doivent aussi permettre de dégager des priorités de formation continue « de proximité ». En raison de leurs objectifs, de leur conception et de leur renouvellement annuel, elles ne sont pas adaptées à la comparaison dans le temps. Leurs résultats ne peuvent être comparés dans l’espace, entre les différentes classes d’une même école ou entre les différents collèges d’un département, que si les conditions de passation et de correction sont strictement respectées ;
  • axées sur des populations, les évaluations-bilans sont des outils pour le pilotage d’ensemble du système éducatif. Leur finalité, leurs objectifs et la méthodologie de leur construction ne permettent pas de rendre compte de résultats individuels pertinents pour chaque élève, chaque classe ou chaque établissement. Elles doivent permettre d’agir au niveau national sur les programmes des disciplines, sur les organisations des enseignements, sur les contextes de l’enseignement, sur des populations caractérisées. Sous certaines conditions méthodologiques, leurs résultats peuvent être comparés dans le temps.

6Le ministère a souvent entretenu la confusion entre ces deux types d’évaluation. Ainsi, au niveau national, de 1989 à 2007, une remontée des résultats des évaluations « de masse » en CE2 et en 6e est organisée sur des échantillons représentatifs d’élèves. Ces résultats nationaux sont présentés comme des repères destinés à aider les enseignants à faire une analyse individuelle des freins rencontrés par leurs élèves dans les apprentissages. S’ils ne peuvent – au sens psychométrique – être comparés d’une année à l’autre, ils ont pu, ici ou là, être utilisés comme des indicateurs d’évolution des acquis des élèves, voire du système éducatif.

7Cette confusion a encore été accentuée entre 2009 et 2012 avec la mise en place des évaluations « de masse » en fin de CE1 et en milieu de CM2, auxquelles le ministère assignait alors ces deux objectifs simultanés.

L’impact des résultats des grandes enquêtes nationales et internationales sur la politique éducative

8Les évaluations standardisées à grande échelle se sont multipliées depuis le début des années 2000 : au niveau national, notamment CEDRE [1], Socle commun ; au niveau international, notamment PISA (compréhension de l’écrit, maths et sciences), PIRLS (lecture en CM1), TIMSS (maths et sciences, niveaux CM1, 4e et terminale scientifique).

9Ces programmes d’enquête vouent une attention particulière aux comparaisons temporelles, afin de pouvoir juger des progrès réalisés par les systèmes éducatifs et de les rapprocher de caractéristiques structurelles, sociales, éducatives, etc. La question de la mesure de l’évolution du niveau des élèves dans le temps est donc centrale. Dans cette perspective, il est frappant de constater la convergence des résultats des enquêtes nationales et des enquêtes internationales depuis une dizaine d’années. Au-delà des différences d’évolution selon les disciplines, on observe un accroissement des écarts entre les élèves les plus et les moins compétents. Parmi les pays de l’OCDE, la France est un des pays où la différence de scores entre les élèves issus de milieux très défavorisés et très favorisés est la plus grande. En outre, le lien entre la performance de l’élève et son statut socioéconomique et culturel est l’un des plus élevés parmi les pays de l’OCDE. Cette différenciation est observée dès le début de l’école primaire et ne fait que s’accroître au fil des années de scolarisation.

10Si les grandes lois de programmation se réfèrent à PISA (ainsi en est-il dans le préambule de présentation du socle commun en 2005 ou de la loi de refondation de 2013), qu’en est-il concrètement dans les politiques mises en place par le ministère ?

11Par exemple, les résultats des évaluations en compréhension de l’écrit, tant de CEDRE que de PIRLS, montrent une faiblesse de l’enseignement des stratégies de compréhension à l’école primaire. Les programmes de 2016 en ont tiré les conséquences et mettent en exergue la nécessité d’enseigner cette compréhension de manière explicite dès le cycle 2. On peut toutefois s’interroger sur les moyens donnés à la formation des enseignants pour réaliser cet objectif. La même question se pose relativement à l’enseignement des mathématiques, dont les résultats aux évaluations ont dramatiquement chuté depuis une vingtaine d’années.

12En revanche, la question du redoublement a récemment refait surface alors que les résultats de PISA semblent plutôt favorables aux pays qui font très peu redoubler, et malgré toutes les études nationales et internationales qui convergent pour juger le redoublement à la fois inefficace, coûteux et inéquitable, études qui vont contre l’opinion commune.

13Si dans certains pays comme l’Allemagne, les résultats d’évaluations comme PISA ont eu un impact considérable, aboutissant dès le début à une prise de conscience et à un changement dans les politiques éducatives, l’impact des résultats d’évaluations semble en France beaucoup plus mitigé. Si les diagnostics sont partagés, les conséquences en termes de politique éducative peuvent différer largement selon les orientations politiques des ministres en exercice.

Perspectives

14Il semble aujourd’hui établi que l’on ait tiré les leçons du passé qui a vu des évaluations nationales prétendre remplir conjointement plusieurs fonctions. Ainsi que l’affirmait en 2011 le Conseil de l’éducation dans son bilan des résultats de l’école : « Il n’est pas de bonne méthode de confondre deux types d’évaluation : d’une part les évaluations dans la classe dont l’enseignant a régulièrement besoin pour adapter son enseignement en fonction des acquis de ses élèves, d’autre part une évaluation nationale destinée au pilotage du système éducatif ».

15Les orientations prises par le ministère depuis plusieurs années vont dans ce sens et une impulsion importante a récemment été donnée aux évaluations selon une conception liant trois objectifs aux différents niveaux d’usages :

  • fournir aux enseignants des outils afin d’enrichir leurs pratiques pédagogiques en évaluant mieux les acquis de leurs élèves (niveau de la classe) ;
  • doter les « pilotes de proximité » (recteurs, DASEN, IEN, chefs d’établissements) d’indicateurs leur permettant de mieux connaître les résultats des élèves et des établissements pour un pilotage pédagogique efficace (niveau local) ;
  • disposer d’indicateurs permettant de mesurer, au niveau national, les performances du système éducatif, incluant la mesure d’évolutions temporelles et les comparaisons internationales (niveau national).

16Pour remplir efficacement ces trois objectifs, un immense effort s’est porté depuis plusieurs années sur la transition vers le numérique. Dès 2019, la quasi-totalité des évaluations pilotées par la DEPP sera au format numérique au moyen de plateformes online, d’applications offline sur tablettes avec classes mobiles (1er degré) ou de clés USB.

17La réponse au premier objectif a été esquissée dès novembre 2016 avec l’expérimentation de nouvelles évaluations proposées sur support numérique à un large échantillon de 160 000 élèves de classes de sixième dans l’ensemble des académies. Ces évaluations des compétences en français et en mathématiques ont pour objectif de fournir aux enseignants des repères des acquis des élèves, de compléter ainsi leurs propres constats et d’enrichir leurs pratiques pédagogiques. Le succès de cette expérimentation a permis le développement de ces évaluations et entraîné leur organisation exhaustive en 2017. Elles devraient être proposées désormais chaque année début octobre à la totalité des élèves de sixième.

18Sur le même principe, pour accompagner la nouvelle organisation du lycée, et en réponse à de nombreuses demandes d’enseignants et de chefs d’établissement, notamment en lycée professionnel, la DEPP propose à la rentrée 2018 des tests de positionnement en maîtrise de la langue française et en mathématiques à l’entrée en seconde.

19Enfin, des évaluations sur support papier en français et mathématiques sont proposées en début et en milieu de CP ainsi qu’en début de CE1 dès la rentrée 2018.

20Pour ces différentes évaluations, la passation numérique ou la saisie des réponses en ligne permettra de fournir très rapidement des résultats individuels. Il faut garder à l’esprit l’aspect nécessairement partiel de ces éléments qui constituent surtout des repères à un moment de la scolarité des élèves, comme une aide aux équipes pédagogiques. Ces repères permettront aux enseignants de situer les besoins de leurs élèves par rapport à des références nationales. Des outils pédagogiques d’accompagnement développés par la DGESCO leur seront proposés.

21Pour réaliser le deuxième objectif, la DEPP proposera des outils pour aider à répondre aux besoins d’adaptation des stratégies éducatives aux réalités des territoires.

22L’exploitation des évaluations précédentes, de par leur standardisation poussée, notamment dans leurs conditions de passation et de correction entièrement automatisées, permet de répondre à cet objectif. Par exemple, pour la sixième, sera mis à disposition des équipes de terrain une aide au pilotage pédagogique des réseaux écoles-collège. Dans ce cadre, l’anonymat des données sera garanti.

23Des indicateurs académiques et nationaux pourront être produits, prenant en compte les différents types d’établissements. Des outils de pilotage aux différents niveaux seront construits avec des représentants d’académies.

24Le travail sur la continuité des parcours 1er - 2nd degré devrait en être favorisé. On insistera sur le fait que cette évaluation est une photographie de certaines compétences des élèves à leur entrée au collège et n’a aucune pertinence pour produire un classement des collèges ou des écoles à quelque niveau que ce soit.

25Enfin, il sera possible de produire des indicateurs de valeur ajoutée des collèges (IVAC) car on disposera d’informations sur le profil des élèves accueillis.

26Pour remplir le dernier objectif, le ministère dispose des divers outils évoqués plus haut dans cet article (Dispositif CEDRE, Indicateurs socle commun de la LOLF, panels, enquêtes internationales). Un effort de rationalisation de la complémentarité de ces outils a été récemment entrepris. Le dispositif CEDRE a vu son cycle se réduire à cinq et les évaluations pour les indicateurs de la LOLF sont désormais organisées selon une périodicité de trois ans (chaque année, depuis 2014, un des trois paliers est évalué). En outre, l’engagement renouvelé de la DEPP dans sa participation aux évaluations internationales, notamment TIMSS (en CM1 et en quatrième) et ICILS (littératie [2] informatique), témoigne de la conscience d’une nécessaire complémentarité des points de vue sur l’état et l’évolution du système éducatif.

27Pour chaque type d’évaluations et degré d’enseignement, la participation des acteurs locaux est largement sollicitée, grâce à la création de différents réseaux académiques mobilisés pour leur organisation, la diffusion des résultats et la réflexion sur leurs usages.

Notes

  • [1]
    Cycle des évaluations disciplinaires réalisées sur échantillons : sur un cycle de cinq ans, maîtrise de la langue française, langues étrangères, histoire-géographie, éducation civique, sciences expérimentales, mathématiques.
  • [2]
    Rappelons la définition par l’OCDE de ce mot calqué sur l’anglais literacy : « Aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité […].
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