Notes
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[1]
Forquin Jean-Claude, École et culture. Le point de vue des sociologues britanniques. De Boeck, 1996.
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[2]
Note d’Information de la DEPP n° 19 de juin 2016 La scolarisation à deux ans. Leloup Marie-Hélène et al. La scolarisation en petite section de l’école maternelle. Rapport n° 2017-032, IGEN, 2017.
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[3]
Bouysse Viviane, Claus Philippe & Szymankiewicz Christine, L’école maternelle. Rapport n° 2011-108- IGEN-IGAENR, 2011.
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[4]
« Concept », s’entend ici au sens de « concept quotidien » tel que l’a défini Vygostski dans Pensée et Langage, par opposition à « concept scientifique ».
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[5]
L’écriture manuscrite se stabilise vers 11 ans, l’orthographe vers 15 ans. La vitesse définitive n’est atteinte que vers 15 ans, or la vitesse joue un rôle dans les capacités rédactionnelles. Cf Graham Steve, Berninger Virginia, Weintraub Noami & Schafer William, « Development of Handwriting Speed and Legibility in Grades 1-9 » The Journal of Educational Research, vol. 92-1, 1998.
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[6]
Chartier Anne-Marie et Renard Patricia « Cahiers et classeurs : les supports ordinaires du travail scolaire ». Repères 22, 2000.
Les programmes scolaires publiés en 2015 présentent deux particularités notables : d’une part, ils s’articulent avec le socle commun de connaissances, de compétences et de culture qui fournit leur point d’aboutissement ; d’autre part, ils sont organisés en fonction de cycles. Les cycles correspondent à de grandes étapes du développement de l’enfant. Chaque cycle scolaire se trouve donc caractérisé par les transformations intellectuelles et culturelles que vivent les enfants durant cette période, grâce à l’école. Cette organisation temporelle de la scolarité permet de tenir compte de la diversité des rythmes d’apprentissage tout en maintenant des objectifs communs.
1Dans son ouvrage consacré aux rapports entre école et culture [1], Jean-Claude Forquin estimait que la formation dispensée par l’école devait se situer entre deux pôles : l’école doit aider chaque individu à acquérir des connaissances, des compétences et des qualités considérées comme souhaitables ; mais elle doit aussi permettre à une population de faire société grâce au partage de valeurs, de pratiques et de connaissances qu’elle sélectionne et transmet.
2Cette conception de la culture scolaire envisagée comme ayant deux facettes a nourri la réflexion qui a présidé à la définition du socle commun de connaissances, compétences et culture et à celle des programmes par cycles en 2015.
3Le socle commun établit ce que la Nation s’engage à faire acquérir aux élèves à l’issue de la scolarité obligatoire et définit ainsi les conditions qui permettront à chaque individu de trouver sa place dans la société. La loi de 2005 avait déjà prévu une telle mesure, mais la définition du socle commun s’était faite en marge des programmes scolaires, ce qui en avait limité la portée. Les programmes scolaires constituent en effet l’autre volet du projet que Forquin assigne à l’école : ils tracent le parcours que l’école se propose de faire suivre à chaque enfant au long de sa scolarité. Ceux élaborés en 2015 ont pris comme point d’aboutissement le socle commun et cette perspective a permis d’opérationnaliser le socle.
4Ces programmes ont également une autre particularité notable, ils sont organisés en fonction de cycles. La loi d’orientation de 1989 avait déjà défini des cycles, mais cette mesure avait eu des effets limités car le séquençage annuel continuait d’être le principe organisateur des programmes.
5Les cycles peuvent être définis comme de vastes empans temporels offrant assez d’étendue pour que s’opèrent des apprentissages consistants et correspondant aux grandes périodes de transformation des enfants. On examinera ici la manière dont les programmes 2015 ont pris en considération le parcours de l’élève et les transformations qui s’opèrent en lui pour définir l’identité de chaque cycle.
La maternelle : une école, un cycle et du temps pour des apprentissages profonds
6Le premier cycle a pour assise l’école maternelle, qui est une unité fonctionnelle historique, et, de ce fait, il constitue une figure socialement reconnue. En effet, l’école maternelle bénéficie d’une très bonne réputation et cette confiance se traduit par la fréquentation de cette école : depuis plusieurs décennies la presque totalité des enfants de trois ans sont scolarisés en maternelle, alors qu’aucune loi ne rend à ce jour cette scolarisation obligatoire.
7La durée de scolarisation en maternelle est cependant inégale en raison de l’âge d’entrée à l’école : une petite partie des enfants – actuellement [2] 11,5 % – sont scolarisés dans des classes accueillant des enfants de deux ans, d’autres entrent à l’école en cours d’année dès qu’ils atteignent l’âge de trois ans et fréquentent l’école durant plus de trois années scolaires, tandis qu’une autre partie n’entre à l’école qu’à partir de la rentrée scolaire qui suit le troisième anniversaire.
8Du fait de l’échelonnement dans l’entrée à l’école, les enfants d’une même classe ont des âges différents, et la moitié des classes de maternelle sont des classes multiniveaux. Cela explique que les repères de progressivité fournis par les programmes tiennent compte de l’âge des enfants et non pas uniquement du rang de l’année dans le cycle.
9Commencée à deux ou à trois ans, la scolarisation en maternelle correspond à une période au cours de laquelle l’enfant évolue considérablement sous l’effet du développement naturel, d’acquisitions spontanées et d’apprentissages guidés par des adultes. Aussi les institutions [3] en charge de jeunes enfants sont-elles tiraillées entre deux tendances, l’une qui privilégie les conditions du bien-être, l’autre qui s’intéresse aux apprentissages formels. L’école maternelle française était attirée vers ce dernier modèle au point d’adopter des fonctionnements et des objectifs issus de l’école élémentaire. En 2008, ce tropisme s’était même traduit par le rattachement de la dernière année de maternelle au cycle 2 et donc à l’école élémentaire.
10Lors de l’élaboration des programmes 2015, la réflexion sur les cycles a conduit à un rééquilibrage. En effet, la perspective que l’apprentissage de la lecture disposerait du cycle 2 pour se déployer a libéré le cycle 1 de la nécessité d’anticiper sur le cycle suivant et a permis de s’intéresser plus finement à ce qui change dans la vie et dans la personne de l’enfant de maternelle. Les programmes se sont donc souciés des transitions entre l’école et les autres milieux éducatifs, de façon que l’école propose un accueil sécurisant, tenant compte des besoins du jeune enfant et de son développement affectif et moteur.
11Les transformations qui s’opèrent chez l’enfant durant cette période sont profondes, lentes, silencieuses, et il faut donc beaucoup d’expertise de la part des enseignants pour en saisir les signes. Elles s’opèrent à des rythmes différents, d’où l’intérêt du cycle, et comportent des aspects à la fois sociaux et cognitifs. Grâce au guidage de l’enseignant et aux situations qu’il met en place, les enfants développent progressivement la capacité de focaliser conjointement leur attention sur un même objet matériel ou symbolique, tel le récit ou l’image, et d’adopter le projet d’apprentissage qu’on leur propose. Très progressivement, ils deviennent capables d’apprendre non plus seulement spontanément mais aussi volontairement.
12On n’évalue pas toujours le haut niveau des apprentissages qui se mettent en place en maternelle parce qu’ils passent par le concret, la manipulation, le jeu, les interactions, et qu’on n’en voit que la partie lisse et superficielle. Pourtant, à travers les manipulations mathématiques, c’est avec le concept [4] de quantité que l’enfant se familiarise. De même à travers le jeu, l’enfant expérimente ce qu’est un but, une règle. Mais surtout, l’école est organisée pour que l’enfant découvre et s’approprie de nouveaux usages et fonctionnements du langage : il apprend à construire une représentation mentale de l’histoire qu’il écoute, à évoquer des objets absents, des événements passés ou à venir, à prendre la parole en dehors du cercle familial. Il découvre le langage écrit et ses fonctions et se familiarise avec son système symbolique. En effet, le développement langagier est un objectif majeur de l’école maternelle. C’est aussi un défi considérable, vu la lourdeur des effectifs.
Le cycle 2 : un cycle complet pour entrer dans la littératie
13Le cycle 2 est la période au cours de laquelle l’élève de l’école élémentaire passe de ce qu’on appelle la « littératie émergente », conquise à l’école maternelle, à la littératie proprement dite. Ce changement culturel a des conséquences capitales pour sa future vie sociale.
14Le cours préparatoire est réputé pour être la classe où les enfants apprennent à lire. Cette opinion, qui contient une bonne part de vrai, ne rend cependant justice ni au cours préparatoire, ni à la lecture, ni au cycle 2. Elle se fonde sur le caractère très visible de l’apprentissage de la lecture dans cette classe, en raison du temps qu’il occupe et des effets observables chez les enfants. En effet, la moitié du temps scolaire lui est dédié, et outre cet horaire spécifique, l’apprentissage de la lecture s’intègre à celui d’autres domaines scolaires. Et les premières tentatives de déchiffrement des enfants sont des moments chargés d’affects pour les familles. Mais le cours préparatoire, première année de l’école élémentaire, initie aussi les élèves à tous les autres champs scolaires et leur importance dans la formation culturelle des élèves est considérable.
15L’apprentissage de la lecture n’est pas non plus réservé au cours préparatoire. Il prend racine dans la fréquentation et les premières observations de la langue écrite à l’école maternelle et se prolonge au cours préparatoire par l’apprentissage explicite des règles et des procédures mobilisées dans le décodage. Mais les subtilités du système graphique du français et la complexité des processus en jeu dans la lecture rendent nécessaire un apprentissage intense et long qui ne s’arrête pas à l’issue du cours préparatoire.
16Certains élèves acquièrent assez vite des compétences de décodage, pour d’autres il faudra plus de temps. Mais pour tous, il faut une longue habituation et de nombreux essais d’écriture pour parvenir à une maîtrise efficace de ce processus, qui n’est lui-même qu’une des composantes de la lecture. En effet, le travail intellectuel exigé par la lecture requiert plusieurs niveaux de traitement imbriqués, dont une partie peut être automatisée – d’où la nécessité de l’entraînement – tandis qu’une autre partie relève de stratégies cognitives longues à acquérir. En effet, c’est au fil de l’expérience langagière et de l’enseignement qui l’accompagne qu’on apprend à stocker provisoirement les informations contenues dans un texte pour les traiter, à sélectionner parmi les sens possibles d’un mot celui que le contexte rend plausible, à évacuer des hypothèses interprétatives provisoires, à convoquer par inférence des informations qui ne sont pas fournies explicitement par le texte qu’on lit.
17La fin du cycle 2 correspond à une période du développement où cette gymnastique compliquée commence à devenir possible. Les habiletés qui se développent progressivement, grâce à des situations dans lesquelles les obstacles sont circonscrits, permettent aux élèves de tirer parti de ce qu’ils lisent. Ils entrent par cette voie dans la littératie : désormais, l’écrit pourra être une source de connaissance et de plaisir. Une grande partie de ce qu’ils apprendront le sera par le truchement de l’écrit, et ils pourront adopter les pratiques culturelles des civilisations de l’écrit.
18Mais de même que l’apprentissage de la lecture ne se réduit pas à celui du décodage, la littératie ne se réduit pas à la lecture, elle comporte l’écriture dont l’apprentissage est encore plus complexe que celui de la lecture [5] : il faudra toute la scolarité pour parvenir à la maîtrise des compétences rédactionnelles.
Le cycle 3 : assurer de la continuité pour faire comprendre le sens de l’école
19La composition et la vocation du cycle 3 ont été redessinées par la loi de Refondation de l’école. Jusqu’alors, le cycle 3 marquait la fin de l’école élémentaire et un nouveau cycle commençait avec l’entrée au collège. Cette disposition présentait de grandes commodités en termes d’organisation, puisque le secteur primaire et le secteur secondaire sont administrativement disjoints.
20Mais du point de vue des programmes scolaires et des contenus d’enseignement, le fait que la césure intervienne entre le cours moyen et la classe de sixième empêchait qu’on se débarrasse pleinement d’une tradition obsolète qui voit dans les programmes du primaire un ensemble clos. Cette représentation rémanente tient au fait que ces programmes sont les héritiers d’une période où la scolarité s’arrêtait pour la plupart des enfants à l’issue de l’école primaire, laquelle devait s’engager à dispenser l’ensemble des savoirs dont les élèves auraient besoin pour leur vie d’adulte. Les programmes du secondaire étaient quant à eux rédigés comme s’ils installaient pour la première fois les bases des savoirs scolaires.
21La réfection des cycles a permis d’introduire de la continuité dans les programmes, puisque les classes de cours moyen et de sixième appartiennent désormais à un même cycle. Cette continuité atténue l’effet de rupture que provoque l’entrée au collège qui brise les repères dont disposaient les élèves : à l’école, tout au long de l’année, l’enseignement est dispensé par un même enseignant, dans une même classe, auprès d’un même groupe d’élèves ; au collège, chaque heure impose un changement d’enseignant, de salle et de matière. Le repère le plus stable est fourni par le groupe de pairs qui reste constant.
22Le changement d’établissement intervient dans la période délicate de la préadolescence. Il peut, s’il est mal vécu, entraîner des comportements délétères ou du mal-être à cause de la séparation d’avec les camarades d’école et du sentiment confus que la promotion que constitue l’entrée au collège se double d’une rétrogradation au rang de petit parmi les collégiens. Assurer du lien entre l’école et le collège est une préoccupation ancienne et constante des enseignants et de l’administration. Mais il fallait lui donner une assise pour la rendre plus opérationnelle. La constitution d’un cycle unique engage les enseignants du primaire et de sixième à travailler de conserve à partir de problématiques didactiques. Il reste cependant encore beaucoup à faire pour créer du lien et dépasser les clivages installés.
Le cycle 4 pour organiser les savoirs et se construire une identité d’élève
23La constitution du cycle 4 a apporté peu de changements organisationnels. Toutefois le regroupement des trois dernières années du collège en un cycle unique rend manifeste qu’un éventuel redoublement ne peut intervenir qu’à l’issue et non en cours de cette période.
24Cette période est marquée pour les élèves par les transformations qu’apporte l’adolescence et par les changements qu’elle induit dans les rapports sociaux intragénérationnels et intergénérationnels. L’opinion et l’attitude des pairs constituent des références puissantes qui influent fortement sur le comportement scolaire des adolescents.
25C’est aussi le moment où s’affirme l’appétence – ou le rejet – à l’égard d’une ou de plusieurs disciplines scolaires, et cette attirance (ou cette répugnance) jouera un rôle important lorsque l’élève sera amené à prendre des décisions d’orientation.
26Or la perception des disciplines scolaires se construit et évolue au cours de la scolarité. Ainsi, comme l’ont montré Chartier et Renard [6], au début de leur scolarité élémentaire, les élèves identifient les disciplines non pas en fonction des contenus, mais d’après les cahiers et manuels qui leurs sont dédiés. Progressivement, ils dépassent cette approche et reconnaissent les disciplines comme étant des familles de savoirs. Lorsqu’ils entrent au collège, les élèves associent la discipline à l’enseignant qui en a la charge et au jugement qu’ils portent sur lui. Il leur faut apprendre à se dégager de cette approche subjective et comprendre que les disciplines fournissent non seulement des savoirs mais aussi des manières d’accéder aux savoirs et de les organiser. Là se situent les enjeux épistémologiques du dernier cycle de la scolarité commune.
Notes
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[1]
Forquin Jean-Claude, École et culture. Le point de vue des sociologues britanniques. De Boeck, 1996.
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[2]
Note d’Information de la DEPP n° 19 de juin 2016 La scolarisation à deux ans. Leloup Marie-Hélène et al. La scolarisation en petite section de l’école maternelle. Rapport n° 2017-032, IGEN, 2017.
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[3]
Bouysse Viviane, Claus Philippe & Szymankiewicz Christine, L’école maternelle. Rapport n° 2011-108- IGEN-IGAENR, 2011.
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[4]
« Concept », s’entend ici au sens de « concept quotidien » tel que l’a défini Vygostski dans Pensée et Langage, par opposition à « concept scientifique ».
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[5]
L’écriture manuscrite se stabilise vers 11 ans, l’orthographe vers 15 ans. La vitesse définitive n’est atteinte que vers 15 ans, or la vitesse joue un rôle dans les capacités rédactionnelles. Cf Graham Steve, Berninger Virginia, Weintraub Noami & Schafer William, « Development of Handwriting Speed and Legibility in Grades 1-9 » The Journal of Educational Research, vol. 92-1, 1998.
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[6]
Chartier Anne-Marie et Renard Patricia « Cahiers et classeurs : les supports ordinaires du travail scolaire ». Repères 22, 2000.