L’article a pour objectif de mettre en perspective des résultats de la recherche portant sur les relations école/famille aux niveaux primaire et secondaire et sur la parentalité. Ils sont choisis et présentés pour être utiles à la conduite d’un management scolaire soucieux de ses missions. Seront successivement abordés : les différentes places et rôles attribués aujourd’hui aux parents dans l’école, le rapport entre réussite scolaire des enfants et participation des parents, les limites de l’injonction d’explicitation du fonctionnement scolaire faite aux professionnels et enfin l’intérêt qu’il y a à analyser les résistances parentales autrement qu’en les psychologisant. Alors que des informations, outils numériques et guides à destination des parents, mais aussi des personnels, sont désormais disponibles sur les sites ministériels pour favoriser la coéducation, il peut être utile aux cadres de l’Éducation nationale de disposer d’éléments d’analyse complémentaires issus de recherches, même si ceux-ci ne donnent pas de réponses immédiates aux situations complexes auxquelles ils sont confrontés.
1La loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013, loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, puis la circulaire n° 2013-142 du 15-10-2013 visant à « Renforcer la coopération entre les parents et l’école dans les territoires » traitent des relations entre les parents et l’école en mobilisant la notion de coéducation. À la lecture de ces textes, ainsi que des divers documents devant assurer leurs mises en œuvre, il apparaît que cette coéducation consiste en une « coopération renforcée » qui vise la réussite scolaire des élèves d’une part et la compréhension par les parents du fonctionnement de l’institution scolaire d’autre part. Le second objectif étant considéré comme une condition du premier. Bien que l’importance des collectivités territoriales et des partenaires associatifs soit mentionnée, remarquons que la coéducation dont traitent ces textes ne constitue que le volet scolaire d’une coéducation qui a un sens bien plus large dans la littérature scientifique.
2Dans cet article, la coéducation sera considérée d’une manière plus large et sera « entendue comme articulation des différentes instances participant à la socialisation des enfants depuis leur naissance (parents, institutions, médias, professionnels, associations, etc.) ». (Neyrand, 2011, p. 28). Elle sera donc davantage décrite comme un état de fait que comme un projet.
Rôle et place des parents dans l’école
3La circulaire n° 2006-137 du 25-8-2006 sur « Le rôle et la place des parents à l’école » précisait : « C’est au niveau local de l’école ou de l’établissement scolaire que doit se mettre en place un dialogue confiant et efficace avec chacun des parents d’élèves. » Il s’agissait aussi de prendre en compte les situations singulières des parents, en particulier en cas de séparation. Dans le même temps, un bilan des relations entre les parents et l’école était réalisé par l’inspection générale de l’Éducation nationale. Si les rôles des associations et délégués des parents d’élèves n’étaient pas remis en cause, les établissements étaient invités à ne pas se contenter d’échanger avec eux mais de prendre soin de la communication avec l’ensemble des parents.
4À la suite de la concertation pour la « refondation de l’école de la République », la loi d’orientation de 2013 prévoit l’expérimentation du « dernier mot aux parents » dans la procédure d’orientation en fin de classe de 3e, l’établissement d’un bilan annuel des actions menées en direction des parents dans les EPLE et la mise en place d’« espaces parents » dans les établissements scolaires. Les textes annexes et complémentaires à la loi indiquent par ailleurs que les associations de parents et mouvements d’éducation populaire constituent des ressources pour animer les actions en direction des parents, tout comme le dispositif (extra-scolaire) des Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP). Le renforcement de ces partenariats a aussi pour objectif, comme mentionné dans les annexes de la loi, « d’accorder une attention particulière aux parents les plus éloignés de l’institution scolaire, par des dispositifs innovants et adaptés. »
5Les établissements scolaires doivent donc, plus explicitement qu’auparavant, intégrer les parents à leur fonctionnement quotidien et à leur management. Les « espaces parents » ouvrent la possibilité pour les parents d’être présents en journée dans l’établissement, pendant que les cours se déroulent. Par ailleurs, l’obligation d’une évaluation annuelle des actions de l’établissement en direction des parents en font un indicateur pour l’évaluation du management. Malgré le fait que l’attention à porter aux parents « les plus éloignés » soit mentionnée dans la loi, ce sont d’abord avec les délégués et associations de parents que les chefs d’établissements sont amenés à échanger au sein des instances délibératives et consultatives. Disposer d’interlocuteurs parentaux pouvant être considérés comme représentatifs est une condition nécessaire pour la réalisation de cette politique mais elle n’est pas suffisante (Monceau, 2009). Le risque, pour les responsables d’établissements, est de privilégier les interactions avec les élus au détriment du développement de relations directes avec l’ensemble des parents.
Participation des parents et réussite scolaire des enfants
6Contrairement aux affirmations courantes, la participation des parents ne fait pas mécaniquement la réussite scolaire de leurs enfants. Les méta-analyses des différentes études produites sur la question le montrent (Larivée S. J. & Larose F., 2014). Si des expérimentations locales ou des programmes temporaires aboutissent bien à une amélioration des performances scolaires des enfants, leurs effets sont bien plus difficiles à évaluer dans la durée. Cependant, les recherches montrent par ailleurs que les enfants des parents les plus investis dans le fonctionnement de l’école, en particulier les membres des associations de parents d’élèves, ont en moyenne de meilleurs résultats que les autres. Ce phénomène n’est cependant que la conséquence du fait que ces parents institutionnellement engagés appartiennent majoritairement aux catégories sociales moyennes et supérieures (Gombert, 2008). Le phénomène est également observable dans les établissements de l’éducation prioritaire, Agnès van Zanten allant jusqu’à parler de « colonisation » (van Zanten, 2002) pour qualifier la manière dont des parents de catégories sociales intermédiaires influent sur le fonctionnement des établissements scolaires majoritairement fréquentés par des familles sociologiquement qualifiées de « populaires ». Le fait que ces parents engagés dans les associations et les instances disent vouloir servir la cause de tous les parents et prioritairement des plus défavorisés ne change rien au constat. Ainsi, lors d’une recherche menée dans différentes écoles primaires (Kherroubi, 2008), nous avions identifié que la relation « élective » entre les représentants des parents d’élèves et les directions d’école avait tendance à éloigner les autres parents (Monceau, 2008 b.). Lors d’autres recherches menées depuis sur d’autres terrains et à d’autres niveaux scolaires, j’ai pu retrouver cette même tendance.
7Il est facile d’observer que lorsque les chefs d’établissements, mais aussi les enseignants, évoquent les « parents d’élèves », c’est bien souvent de la minorité de parents avec laquelle ils négocient l’organisation scolaire qu’il est question. Les délégués de parents ayant fréquemment avec les « autres » parents encore moins de relations que les professionnels scolaires (Monceau, 2008 b.), ces derniers ne peuvent guère s’appuyer sur eux pour obtenir une participation plus large. On touche là une limite, voire une contradiction, de la démocratie représentative appliquée à l’école.
8Dans les écoles primaires situées dans des secteurs d’éducation prioritaire, là où la participation aux élections des représentants des parents est particulièrement faible, des directeurs pratiquent de fait une « cooptation » des délégués de parents en suscitant des candidatures. Cette pratique peut avoir deux effets contraires selon la manière dont elle est mise en œuvre. Lorsque les directeurs s’adressent à des parents avec lesquels ils entretiennent une proximité socio-culturelle, ils renforcent la « colonisation » précédemment évoquée. Lorsqu’ils sollicitent des parents plus éloignés d’eux de ce point de vue, ils en font un outil de rapprochement qui peut avoir des effets sur la compréhension que ces parents ont de l’institution scolaire (Monceau, 2008 a.). Ces choix d’interlocuteurs sont aussi des choix de management qui ont des conséquences lourdes sur les dynamiques des établissements (Monceau, 2008 b.).
9Il y a là un défi pour le management des établissements d’enseignement. Désormais soumis aux principes du nouveau management public, via la LOLF, les chefs d’établissements doivent parvenir à satisfaire les clients/parents afin de les fidéliser, tout en améliorant les performances de l’établissement. Celles-ci sont tout d’abord constituées des résultats aux examens mais aussi désormais de la « plus-value » apportée par l’établissement, c’est-à-dire l’écart entre les résultats attendus des élèves (calculés en fonction de leurs caractéristiques sociales) et les résultats obtenus. Développer des dispositifs pédagogiques visant la progression de tous les élèves peut entrer en tension avec les attentes des parents les plus favorisés.
10L’évaluation des résultats de l’établissement ne se limite pas à la réussite des élèves, d’autres chiffres constituent simultanément les indicateurs du pilotage, en particulier ceux qui se rapportent au climat scolaire (violence, absentéisme, exclusion temporaire de cours ou de l’établissement). Ces indicateurs englobent à la fois le comptage de faits (agression d’un professeur par un élève par exemple) et de réponses à ces faits (exclusion). Ils visent à objectiver la perception que les acteurs ont de la situation de leur établissement.
11Les stratégies parentales intègrent plus ou moins ces outils de pilotage des établissements (Gombert, 2008). Les parents les mieux informés sont les enseignants eux-mêmes (Laflaquière, 2016). C’est aussi le cas des parents les plus investis dans le fonctionnement institutionnel scolaire.
12Enfin, le fait de faire porter l’attention sur les mécanismes de représentation des parents a tendance à rendre invisibles d’autres formes de participation, plus discrètes et moins valorisées, qui peuvent avoir pourtant leur efficacité dans le rapprochement des parents. Il s’agit parfois simplement de l’accompagnement des classes dans leurs déplacements en dehors des établissements scolaires ou d’aides ponctuelles de certains parents à l’organisation de certaines manifestations ou activités scolaires. Ces actions, peu valorisées, constituent pourtant des propositions permettant aux parents d’entrer dans l’établissement et peuvent avoir des effets dans le temps (Monceau, 2008 a.).
Explicitation ou ambiguïté ?
13La loi d’orientation de 2013 et ses textes d’application insistent sur la nécessité d’une explicitation du fonctionnement scolaire à réaliser par les professionnels auprès des parents. L’objectif de produire une meilleure compréhension de l’institution scolaire par les parents y est même posé comme un principe constitutif de la coéducation.
14La politique de soutien à la parentalité (Fablet, 2008) d’une part et la coéducation scolaire (notion de coéducation appliquée à l’école) d’autre part, ont des origines et des mises en œuvre bien différentes. Le soutien à la parentalité et son dispositif RÉAAP (Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents) sont cependant désormais mentionnés dans les textes de l’Éducation nationale, ils constituent des ressources pour mettre en œuvre dans l’espace scolaire des dispositifs permettant l’explicitation visée par les textes. Les chefs d’établissements sont d’ailleurs invités à les mobiliser pour la mise en œuvre des « espaces parents ». Cependant, l’importation dans l’espace scolaire de démarches reposant sur l’animation de groupes de parole et autres dispositifs conçus par les mouvements d’éducation populaire ne va pas de soi et n’est pas naturellement compatible avec le fonctionnement scolaire. Les établissements ayant déjà développé des partenariats de ce type en font des expériences contrastées.
15Dans les deux cas (soutien à la parentalité et coéducation scolaire), la responsabilisation des parents leur attribue simultanément des droits et des devoirs nouveaux. Si des chefs d’établissements se plaignent du consumérisme de certains parents, n’est-ce pas que ceux-ci sont désormais mis en situation d’être les clients du service public d’éducation conformément aux principes du Nouveau Management Public ? Ce statut nouveau ne met cependant pas tous les parents en situation de pouvoir opérer les choix stratégiques les plus efficaces. La coéducation peut aussi, comme le soutien à la parentalité, prendre la forme de dispositifs de contrôle parental (Neyrand, 2015). Il y a bien ici une ambiguïté des politiques publiques qui, sous le principe de l’égalité de traitement, produisent des effets très différents selon les informations et les ressources dont disposent les différents publics concernés. Les parents ne constituant pas une catégorie homogène, donner les mêmes informations et les mêmes droits à tous (le dernier mot dans l’orientation de fin de 3e par exemple) ne garantit pas que tous en tirent le même bénéfice pour leurs enfants. Ce constat renforce la nécessité de l’explicitation des logiques scolaires en même temps qu’il en relativise l’efficacité.
16L’affirmation publique d’une volonté de rendre plus transparent le fonctionnement de l’institution scolaire peut même générer le doute et la défiance chez ceux qui constatent avec régularité qu’il ne suffit pas de suivre les indications données par l’école pour faire réussir ses enfants. C’est ce phénomène que des chercheurs ont qualifié de « malentendu » dès les années 1990 (Dubet, 1997).
17Sur un plan plus opérationnel, les dispositifs de coopération avec les parents usent, dans les réalités que nous avons observées, d’une certaine ambiguïté dans leur recherche d’efficacité. Les chefs d’établissements communiquent rarement sur les objectifs réels de leurs actions lorsqu’ils visent à agir sur les pratiques parentales. Ils ne les présentent pas aux parents avec les mêmes mots qu’ils les présentent aux enseignants.
18La communication sur les actions devant favoriser la coéducation ne va donc pas jusqu’à une transparence susceptible de susciter des résistances. Cette ambiguïté interroge la posture voire l’éthique des professionnels. Les espaces permettant de penser ces tensions relationnelles et managériales (analyse des pratiques, supervision…) sont rares dans les établissements scolaires. Les cadres de l’Éducation nationale, inégalement formés à ce type de dispositif, n’en voient eux-mêmes pas toujours l’intérêt pour la dynamique de l’établissement. Pourtant, la complexification de leurs missions en appelle probablement la nécessité.
Résistances
19L’injonction de participation, après avoir été adressée aux personnels en référence au management participatif, l’est maintenant aux parents en référence au Nouveau Management Public. Cette évolution est aussi en cohérence avec la promotion de la communauté éducative dont ces derniers sont considérés comme membres. Les responsables d’établissements doivent donc obtenir la participation des parents (mesurée par des taux de participation aux élections et de présence aux rencontres organisées par l’établissement) afin de montrer leurs pleines compétences managériales.
20La littérature du management fait un sort particulier aux résistances et en particulier à « la résistance au changement ». Le changement y étant connoté positivement, la résistance l’est négativement. Les objectifs des actions menées en direction des parents visant l’amélioration des relations et la réussite des enfants, les résistances des parents sont alors bien souvent considérées comme irrationnelles. Pourtant, pour peu qu’elles soient prises au sérieux, les résistances parentales constituent de véritables analyseurs des dispositifs mis en place (Monceau, 2009 b.). Considérées autrement qu’un problème à résoudre ou à contourner, les résistances peuvent apporter des connaissances sur le rapport des parents à l’école (méfiance, défiance, crainte, révolte…).
21Accepter de prendre en considération la méfiance voire la défiance de certains parents suppose de renoncer à « psychologiser » leurs comportements face aux sollicitations dont ils sont les objets. C’est accepter de voir la responsabilité de l’école, comme celle d’autres institutions, dans la production de cette méfiance. Se défaire d’un regard surdéterminé par des modes standardisés de participation parentale, permet d’approcher la diversité des attentes parentales (Monceau, 2009). Peut alors s’inventer une coéducation reconnaissant le parent comme un partenaire réellement autonome, c’est-à-dire comme porteur d’un projet éducatif propre avec lesquels il faut composer.
22Ce changement de regard, s’il ouvre à une analyse plus approfondie des enjeux de la coéducation, n’implique ni un positionnement clientéliste des établissements scolaires ni un renoncement à leurs missions. C’est, par exemple, ce que développe l’association ATD Quart Monde à travers ses dispositifs visant une meilleure réussite scolaire des enfants des familles les plus pauvres en permettant aux parents d’élaborer collectivement leurs défiances vis-à-vis de l’école pour pouvoir entrer en discussion avec elle.
Conclusion
23L’avenir de l’école et la transformation des relations avec les parents sont à penser dans le cadre d’évolutions institutionnelles qui transforment les modes de gestion et les relations au public. Les cadres de l’Éducation nationale reçoivent différentes commandes et demandes de leurs tutelles et partenaires dans le domaine de la relation aux parents, comme dans d’autres. La recherche est à même de proposer des outils pour une meilleure compréhension des enjeux présents du management scolaire en matière de prise en compte des parents mais ne propose pas de solutions opératoires qui seraient applicables sur tous les terrains, ce qui n’est d’ailleurs pas son rôle et ne serait pas efficace.
24Certaines démarches de recherche (analyse des pratiques, recherche-action, recherche-intervention…) proposent par ailleurs d’accompagner la réflexion des cadres et des établissements par différents dispositifs analytiques par lesquels les praticiens peuvent construire leurs propres réponses à l’irréductible complexité des situations auxquelles ils sont confrontés.
Bibliographie
Références
- Dubet F. (dir.)(1997), École, familles : le malentendu. Paris : Textuel.
- Gombert P. (2008), L’école et ses stratèges. Les pratiques éducatives des nouvelles classes supérieures. Rennes : PUR.
- Kherroubi M. (dir.) (2008), Des parents dans l’école. Ramonville : ERES.
- Laflaquière M. (2016), « Ce que le double ancrage institutionnel des parents-enseignants dit des rapports école-famille. » In Bessaoud-Alonso, P. (dir.), Familles et institutions. Enjeux institutionnels et éducatifs (pp.27-52). Limoges : Pulim.
- Larivée S. J. et Larose F. (2014), « Les programmes d’implication parentale efficaces en milieu défavorisé : une recension des écrits. » La revue internationale de l’éducation familiale. 36, 35-60.
- Monceau G. (2008 a.), « Implications scolaires des parents et devenirs scolaires des enfants. » In M. Kherroubi (dir.), Des parents dans l’école, (pp. 37-87). Ramonville : ERES.
- Monceau G. (2008 b.), « La place de la coopération dans la dynamique des équipes enseignantes en ZEP. » In M. Kherroubi (dir.), Des parents dans l’école, (pp.179-205). Ramonville : ERES.
- Monceau G. (2009), « L’usage du concept de résistance pour analyser la coopération des parents d’élèves avec les enseignants dans l’institution scolaire. » Nouvelle revue de psychosociologie. 7. 151-165.
- Neyrand G. (2011), « De l’expert psychologue au parentalisme politique, les apories de la co-éducation. » Enfance et psy. 52, 28-37.
- Neyrand G. (2015), « Ambiguïté de la valorisation de la coéducation à une époque de sur-responsabilisation parentale. » Recherches familiales. 12, 279-287.
- van Zanten A. (2002), L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue. Paris : PUF.