Notes
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[1]
Gaussel M., « Aux frontières de l’École ou la pluralité des temps éducatifs », Dossier d’actualité Veille et Analyses, n° 81, janvier, 2013. http://ife.ens-lyon.fr/vst/
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[2]
Quelques exemples : cahier de vie, mascotte, ENT, fête des histoires, jeux mathématiques, accompagnement scolaire, mallette des parents…
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[3]
Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, extrait du bulletin officiel n° 17 du 23 avril 2015, MENESR.
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[4]
Terme défini par Houzel dans Les enjeux de la parentalité, Ères, 1999.
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[5]
Voir à ce propos Ausloos (« La compétence des familles », Ères, 1995) ainsi que les recherches de Durning, Corbillon, Fablet (CREF, Université Paris Nanterre).
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[6]
Colombani H., « Avec les parents, une démarche de coéducation », « L’action sociale et la fonction parentale : héritage et renouveau », Cahiers de l’action, 13, INJEP, 2007.
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[7]
Des partenaires qui sont parfois des « empêcheurs de tourner en rond » ?
Pourquoi et comment coéduquer ? L’article définit la coéducation comme un processus dynamique et interactif, où l’agir compétent se construit à partir de ressources internes et externes et de leur transformation dans ces espaces collectifs d’échanges. Il interroge l’intérêt et les risques sous-jacents à la coéducation au regard des recherches sur la relation école-famille et sur la parentalité.
1La notion de coéducation est inscrite dans la loi de refondation et dans de nombreuses pratiques d’écoles, mais il n’est pas aisé de la mettre en œuvre lorsque les difficultés rencontrées avec les élèves et dans le dialogue avec les parents conduisent les acteurs à percevoir les lacunes ou les erreurs des partenaires plutôt que leurs atouts. Pourtant elle apparaît essentielle, tant sur le plan des apprentissages et du suivi des élèves que de la qualité du climat scolaire et de la construction de leur citoyenneté. La démarche de réflexion et les pratiques actuelles invitent à déplacer le regard vers les ressources et les compétences de chacun, une posture plus à même de nous aider à avancer vers la coéducation. Appréhender cette notion est cependant complexe. Quelles acceptions recouvre-t-elle ? Sur quelles compétences peut-on s’appuyer pour sa mise en œuvre ? Quelles compétences mobiliser pour des parents perçus comme fragiles dans le domaine de la relation avec l’école et du suivi de la scolarité de leurs enfants ? Quelles ressources sont à la disposition des enseignants, de l’école et de ses partenaires pour exercer cette coéducation et aider les parents dans l’accompagnement de la scolarité de leurs enfants ?
2C’est dans ce sens que nous questionnerons les notions de coéducation et de compétences parentales, pour ouvrir la réflexion sur les compétences professionnelles.
Qu’est-ce que coéduquer ?
3Est-ce éduquer ensemble ? Dans des espaces séparés, communs ? Avec des interfaces, des intersections ? Est-ce reconnaître la légitimité et les actions des autres éducateurs ? Est-ce mettre en place des actions partagées, un agir commun à travers des contextes ou des dispositifs particuliers ? La coconstruction de valeurs, de règles, de pratiques ? Il existe plusieurs niveaux ou conceptions de la coéducation et les concepts de collaboration, participation, partenariat, alliances éducatives y sont associés (Kherroubi, 2008 ; Rayna, Rubio, Scheu, 2010 ; Asdih, 2012).
4Quelles finalités sont attribuées à cette notion dans les recherches et les politiques éducatives ? Favoriser la réussite scolaire, la réussite éducative, la socialisation et l’émancipation des élèves, prévenir l’absentéisme et le décrochage, promouvoir les valeurs de l’école et d’une société démocratique… Il s’agit de produire de la cohérence éducative pour l’élève, voire de la continuité entre l’école et la maison, de la confiance, de l’interconnaissance et de faciliter la construction de la posture d’élève et les apprentissages, l’élève étant partie prenante de ce processus.
5Comment coéduquer ? Stimuler les pratiques de communication, s’accorder sur le sens de certaines notions, sur des objectifs ou un référentiel communs, favoriser la participation, ajuster les actions sont des moyens évoqués par les chercheurs et les praticiens. La famille et l’école ne sont pas des lieux étanches et les représentations, normes, valeurs ou pratiques diffusent d’un espace à l’autre. La tolérance et le respect mutuel sont d’autant moins faciles à appliquer que le devenir de l’enfant – et des groupes à travers lui – est en jeu.
6Humbeeck et al. (2006) proposent d’utiliser les outils scolaires comme instruments de coéducation en centrant les échanges sur le vécu de l’enfant « sujet d’une double préoccupation éducative » et le travail éducatif. Il s’agit d’éviter de s’égarer dans la remise en question des contenus enseignés et des méthodes utilisées, ou dans la mise en cause des savoirs implicites transmis par la famille. Coéduquer n’est pas « coenseigner ni cogérer l’espace scolaire », « coéduquer avec la famille n’est pas éduquer la famille » (p. 656-657).
7La coéducation s’appuie sur une posture éthique consistant à reconnaître les parents comme premiers éducateurs de l’enfant. Sachant que réussir à l’école se joue aussi hors de l’école [1], est-ce qu’on se donne les moyens :
- de mettre son savoir sur les apprentissages à disposition des autres éducateurs – ici les parents – lorsqu’ils le souhaitent et sont demandeurs de conseils pour accompagner la scolarité de leurs enfants ?
- de faciliter l’accès à l’école, la compréhension de ce qu’on y fait, de ce qui est attendu, pour permettre aux parents de se positionner et de participer ?
- de sensibiliser les parents au rôle qu’ils peuvent jouer dans le suivi de la scolarité de leurs enfants ?
- de rendre accessibles certains moyens qu’a l’école pour faciliter ce suivi (montrer ce qu’on y fait, montrer le livres, les jeux…) ?
8Les enseignants déploient de nombreux dispositifs, outils, supports de coéducation [2] et leur posture dans la relation avec les parents et les élèves est essentielle. Il se pose cependant un certain nombre de problèmes : des réticences, des conflits à l’égard des missions assignées ou des valeurs sous-jacentes, des parents perçus comme invisibles ou envahissants, comme démissionnaires ou non compétents. Certains d’entre eux pensent être vus comme incapables d’encadrer leurs enfants et de transmettre les valeurs attendues, comme ayant besoin d’aide […] parce qu’ils ne sauraient pas fonctionner dans une démocratie (Vatz Laaroussi, Kanouté, Rachédi, 2008). Des parents se pensent sans compétences dans le domaine scolaire et préfèrent confier cette tâche aux professionnels qualifiés que sont les enseignants.
9C’est une tâche délicate de réunir les conditions pour permettre aux parents de participer, sans obligation pour les parents ni intrusion pour les enseignants et sans imputer le non-engagement de certains parents, soumis eux-mêmes à d’autres logiques ou d’autres contraintes.
10Considérer les parents comme pouvant s’impliquer à condition d’être invités, éclairés ou aidés, revient à s’écarter d’un modèle de parents déficitaires ou démissionnaires et d’un « ethnocentrisme scolaire » (Conus, Nunez Moscoso, 2015) qui ne verrait que les difficultés des parents, pour s’intéresser aussi à leurs compétences et encourager leur pouvoir d’agir.
Compétences mises en jeu dans la coéducation
11Si les compétences des enseignants sont bien identifiées, celles des parents le sont moins. Leurs activités d’enseignement sont néanmoins davantage spécifiées que les situations de coéducation, qui peuvent présenter ce caractère inédit et complexe évoqué dans la définition de la compétence [3]. Le regard sur l’apprentissage s’est affiné pour observer plus précisément les difficultés et les procédures de réussite ainsi que les compétences des élèves. Mais la prise en compte des compétences parentales dans le suivi scolaire des enfants est rarement envisagée.
12Nommer les compétences attendues, repérer dans les interactions parents-enfants ce qui peut renforcer les compétences scolaires des élèves n’est pas simple. Et l’on peut s’interroger sur les attentes des enseignants à l’égard des parents en ce qui concerne la coéducation : considèrent-ils leurs motivations, leurs savoirs, leurs habiletés propres ? Souhaitent-ils avant tout qu’ils soutiennent leur action, qu’ils se comportent comme de bons partenaires ? Il y a une pluralité des formes d’expression, d’implication et de contribution des parents. Certains savoir-faire et attitudes ne sont pas toujours conscientisés, mais peuvent être observés et agis dans des dispositifs de coéducation associant les enseignants, les élèves et d’autres parents.
13Les compétences parentales liées à la scolarité sont définies à travers plusieurs modèles d’engagement parental (Asdih, 2012) qui ciblent à la fois ce qui se passe à la maison et à l’école (cadre propice à l’apprentissage et suivi étayant le travail scolaire, relations positives, communication et participation, etc.). Deslandes et Bertrand (2004) s’intéressent au sentiment de compétence, c’est-à-dire à l’influence que les parents pensent avoir sur les apprentissages et le succès de l’élève. C’est l’une des variables qui influence leur motivation à s’impliquer, avec la compréhension qu’ils ont de leur rôle et de leurs responsabilités parentales ainsi que leur perception des invitations à participer de la part des enseignants et des élèves. Le sentiment de compétence est lié à la compréhension des enjeux et à une meilleure connaissance des attentes et des pratiques à l’école, comme aux effets de réussite. Ainsi, donner des « outils » aux parents dans des situations concrètes leur permet de voir les effets positifs de leur intervention. On perçoit donc tout l’intérêt des pratiques enseignantes de coéducation, qui peuvent stimuler le potentiel de mobilisation des parents et leur permettre de construire des compétences dans ce domaine. De façon corollaire, pratiquer et analyser ces situations de coéducation peut développer chez les enseignants des gestes professionnels et un sentiment de compétence.
14Du point de vue des interactions enseignants-parents, l’école a pu envisager un temps de mener sa mission sans les parents, ou parfois même contre eux, avec la tentation de se substituer à des parents perçus comme défaillants. Son évolution est en phase avec celle constatée dans le champ de la parentalité [4]. Il s’agit de domaines professionnels – éducatif, sanitaire et social – qui ont leurs propres spécificités, mais cette thématique est transversale, elle intéresse les politiques publiques et prend en compte la notion de compétences parentales. Les pratiques antérieures de substitution familiale ont laissé place à la suppléance éducative, à des initiatives de collaboration avec la famille [5]. On est passé du travail à la place des familles (avec les rivalités sous-jacentes, les fantasmes du « bon » éducateur, voire d’engendrement), au travail sur les familles (où elles sont « convoquées »), puis au travail avec les familles.
15Les approches qui valorisent les compétences parentales se veulent respectueuses des individus et mettent en avant la bientraitance, la prévention et l’accompagnement des parents dans l’exercice de leur rôle (Giuliani, 2009). Mais sont-elles exemptes de normes ? Jusqu’où peut-on entrer dans l’intimité des familles ? À quel moment l’information ou le conseil peuvent-ils se transformer en intrusion ou en formatage ?
16Sur un autre plan, renforcer les compétences et la coéducation avec certains parents peut-il conduire à monopoliser cet espace et à mettre à l’écart d’autres parents ? Les écoles ont le souci de faire vivre la coéducation au-delà des parents habituellement présents, de moduler les formes et les supports de l’échange, de varier les modes d’entrée et les activités ciblées pour élargir le cercle au-delà des mères, des parents délégués ou des parents en connivence avec l’école (Monceau, 2014).
17La coéducation consiste à créer des espaces intermédiaires où se construisent les relations, la connaissance et la reconnaissance entre acteurs éducatifs qui découvrent leurs compétences et confrontent leurs pratiques à la diversité de celles des autres [6]. Cela a parfois des effets sur les compétences psychosociales des parents et se traduit par une reprise de confiance, une présentation aux élections de parents d’élèves etc. Cela participe aussi à la construction d’un sentiment d’appartenance, à un collectif, à une communauté éducative.
18On peut cependant interroger les stratégies qui sous-tendent la coéducation. S’agit-il de valoriser un champ en émergence ? De promouvoir les valeurs démocratiques de l’école ? D’être plus efficace en matière de réussite des élèves ? Quels sont les enjeux en termes de management, de gestion des coûts ? La coéducation peut-elle servir d’argument pour répondre à l’échec à faire réussir certains élèves en responsabilisant les parents ? Peut-elle servir à des fins de dépistage et de contrôle ?
19Plusieurs auteurs dénoncent le risque de sur-responsabilisation des parents. « Le principe de responsabilité fonctionne tout à la fois comme un opérateur de reconnaissance – les individus sont saisis comme potentiellement capables de prodiguer l’éducation nécessaire à leurs enfants – et comme un moyen de contrainte par lequel ils sont faits comptables de ce qu’ils entreprennent (ou pas) auprès de leurs enfants et tenus d’en répondre publiquement » (Giuliani, 2009, p. 86). Les parents qui ne sauraient agir de manière « adéquate » pour que leur enfant réussisse pourraient alors être sommés de participer, de s’amender et de s’expliquer sur ce qu’ils comptent faire. Ceci irait à l’encontre du principe même de coéducation, qui vise à rendre possible, à potentialiser la participation et l’engagement des parents et non à la contraindre, et pénaliserait les parents les plus fragiles.
Comment faire donc pour favoriser cette coéducation ?
20Il existe une diversité d’approches : réflexives, communicationnelles, sous forme de programmes, de guide des bonnes pratiques etc., qui mettent l’accent sur le triangle élève-parent-enseignant, élargissent au groupe de parents, utilisent une approche systémique… Elles mettent en avant des projets, des diagnostics éducatifs, des analyses du contexte et des pratiques. Elles ciblent des connaissances (environnement scolaire, aide à apprendre, développement de l’enfant, langue du pays d’accueil, etc.), des pratiques reproductibles et assimilables, des attitudes (accueil, écoute, encadrement, connaissance de ses propres limites, encouragement à la réussite, etc.), un travail sur les conceptions des acteurs, les quiproquos et malentendus, l’aide à la recherche de ressources, etc.
Conclusion
21La coéducation, inscrite dans la refondation de l’école, est un champ qui ouvre à la réflexion, à l’analyse des pratiques et à l’innovation. Malgré des divergences de postures, de statuts et d’intérêts, des alliances éducatives se nouent entre parents et enseignants. C’est un processus dynamique qui construit des espaces de réalité commune, des espaces de médiation :
- avec d’autres acteurs éducatifs qui sont à prendre en compte avec leurs spécificités (leurs ressources, leurs compétences, leurs difficultés, leurs questions, leurs attentes, leur identité) [7] ;
- à travers des interactions qui supposent une réciprocité dans les relations et la communication, grâce à des supports et de la mutualisation, mais aussi de l’incertitude et de l’indétermination ;
- dans des contextes spécifiques qui ont leurs caractéristiques et pour lesquels on ne peut faire l’économie des étapes à parcourir pour la construire historiquement.
22Pour comprendre ce qui donne lieu à un agir compétent dans une situation donnée, il faut prendre en compte, selon l’analyse du travail, les ressources internes (connaissances, capacités, motivation) et externes (culturelles, humaines, socio-organisationnelles) à disposition des sujets, les opportunités qu’ils ont et leur conversion en « capabilités » c’est-à-dire en pouvoir d’être et de faire (Prost, Fernagu Oudet, 2016).
Bibliographie
Références
- Asdih C. (2012), « Collaborer avec les parents pour accompagner la scolarité ? », Enfances, Familles, Générations, 16.
- Conus X. & Nunez Moscoso J. (2015), « Quand la culture scolaire tend à structurer la négociation des rôles d’enseignant et de parent d’élève », La Recherche en Éducation, 14.
- Deslandes R., Bertrand R. (2004), « Motivation des parents à participer au suivi scolaire de leur enfant au primaire », Revue des sciences de l’éducation, 30 (2).
- Giuliani F. (2009), « Éduquer les parents ? Les pratiques de soutien à la parentalité auprès des familles socialement disqualifiées », Revue française de pédagogie, 168, juillet-septembre.
- Humbeeck B., Lahaye W., Balsamo A., Pourtois J.P. (2006), « Les relations école-famille, de la confrontation à la coéducation », Revue des sciences de l’éducation, 32 (3).
- Kherroubi M. (2008), Des parents dans l’école, Ères.
- Monceau G. (2014/2), « Effets imprévus des dispositifs visant à rapprocher les parents éloignés de l’École », Éducation et sociétés, 34.
- Prost M., Fernagu Oudet S. (2016-2), « L’apprenance au prisme de l’approche par les capabilités », Éducation Permanente, 207.
- Rayna M. Rubio N., Scheu H. (2010), Parents-professionnels : la coéducation en question, Ères.
- Sellenet C. (2009-2), « Approche critique de la notion de compétences parentales », La revue internationale de l’éducation familiale, 26.
- Vatz Laaroussi M., Kanouté F., Rachédi L. (2008), « Les divers modèles de collaborations familles immigrantes-écoles : de l’implication assignée au partenariat », Revue des sciences de l’éducation, 34 (2).
Notes
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[1]
Gaussel M., « Aux frontières de l’École ou la pluralité des temps éducatifs », Dossier d’actualité Veille et Analyses, n° 81, janvier, 2013. http://ife.ens-lyon.fr/vst/
-
[2]
Quelques exemples : cahier de vie, mascotte, ENT, fête des histoires, jeux mathématiques, accompagnement scolaire, mallette des parents…
-
[3]
Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, extrait du bulletin officiel n° 17 du 23 avril 2015, MENESR.
-
[4]
Terme défini par Houzel dans Les enjeux de la parentalité, Ères, 1999.
-
[5]
Voir à ce propos Ausloos (« La compétence des familles », Ères, 1995) ainsi que les recherches de Durning, Corbillon, Fablet (CREF, Université Paris Nanterre).
-
[6]
Colombani H., « Avec les parents, une démarche de coéducation », « L’action sociale et la fonction parentale : héritage et renouveau », Cahiers de l’action, 13, INJEP, 2007.
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[7]
Des partenaires qui sont parfois des « empêcheurs de tourner en rond » ?