Notes
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« Le Mix Organisation. Et si l’entreprise mobilisait enfin l’énergie naturelle de l’autonomie ? » J. Jochem en collaboration avec H. Lefèvre et Kea&Partners – Eyrolles, 2014.
Plus encore que réformer les organisations, l’enjeu est aujourd’hui de faire en sorte qu’elles se transforment par elles-mêmes. Cela passe nécessairement par le développement de l’autonomie. Cet article introduit rapidement un modèle permettant de trouver la voie de ce développement. Il est proposé 7 clefs pour mener une transformation effective. Le propos est plus largement décrit dans un ouvrage publié aux Éditions Eyrolles en septembre 2014 « Le mix organisation. Et si l’entreprise mobilisait enfin l’énergie naturelle de l’autonomie ? », écrit par Jacques Jochem et Hervé Lefèvre [1]. Ensuite, il est proposé 7 clés pour mener une transformation effective.
Réformer ou (se) transformer ?
1Réformer une organisation renvoie à des modifications de structures et de systèmes et à des changements de règles ou de lois. La réforme s’intéresse essentiellement à la partie « froide » de l’organisation, négligeant ainsi qu’elle est habitée par des hommes et des femmes qui lui donnent vie, et qui peuvent être, selon la façon de s’y prendre, promoteurs et acteurs créatifs du changement, ou opposants plus ou moins engagés, ou encore totalement passifs, réservant leur énergie à d’autres passions. Cela est particulièrement criant quand les changements sont majeurs !
2Transformer l’organisation est une approche plus pertinente et plus efficace. Cela consiste à prendre en compte et à activer, en plus du contenu de la réforme, la partie « chaude » de l’organisation : toutes les composantes humaines, qu’elles soient matérielles ou immatérielles comme la culture et les valeurs. Partant de l’idée qu’il n’y a pas de transformation sans changement des comportements, il nous faut considérer que l’homme est au cœur du sujet, à la fois acteur et objet de la transformation. Oublier cela, c’est le voir comme un simple rouage obéissant et c’est penser qu’on peut s’affranchir de la culture, fruit de notre histoire.
3Trop de restructurations et de fusions ont achoppé sur cet écueil. Plus encore, les organisations vont devoir être capables de se transformer par elles-mêmes pour être plus mobiles, plus réactives et plus adaptées au niveau global comme au niveau local. Cela ne se fera qu’en créant plus d’autonomie dans les différentes composantes de l’organisation et en développant les capacités d’autonomie des collaborateurs à tous niveaux.
L’autonomie comme facteur de développement
4Principe structurant de l’organisation et cadre pour accroître les capacités d’action des collaborateurs, l’autonomie est un facteur déterminant du développement et de la pérennité :
5– Elle est une réponse au poids accru de l’environnement qui devient volatile, incertain, complexe et ambigu.
6Les marchés fluctuent, de nouveaux entrants apparaissent tous les jours, les clients et les publics changent, les modèles sont fracassés par internet et la concurrence mondiale, les politiques sont instables et les réglementations variables.
7Le passé n’est plus prédictif, malgré l’accroissement considérable de l’information accessible. Les causes des problèmes sont obscures et changeantes, les innovations de rupture se multiplient.
8Le nombre d’acteurs et de parties prenantes s’accroît, des produits de substitution apparaissent, les produits circulent à travers le monde, de nouvelles cultures et les nouvelles générations entrent en jeu ; plus rien n’est linéaire.
9Les clients et les fournisseurs changent les règles et court-circuitent les schémas, les informations sont incomplètes et floues, les nouveaux marchés nous projettent dans l’inconnu, il n’y a plus de référents ni de précédents.
10Aucun Deus ex machina ne peut répondre seul à ces enjeux. Les réponses sont multiples, diversifiées, globales et locales. Expérimenter et accepter l’erreur, pourvu qu’on ne s’enlise pas, devient vital.
- L’autonomie libère la créativité à tous les niveaux mobilisant ainsi une richesse collective largement sous-utilisée. Elle augmente la capacité à générer de l’innovation. Tous les domaines sont concernés : les produits, les techniques et la technologie, les pédagogies, la stratégie et le marketing, le fonctionnement et l’organisation…
- L’autonomie redonne de l’attractivité. Elle attire les talents qui aujourd’hui trouvent souvent difficilement un territoire d’expression tant les organisations sont figées ou contraignantes. Elle favorise le développement personnel, installe la convivialité et le goût de la coopération. La communication institutionnelle, qui fait de plus en plus figure de langue de bois, ne trompe plus.
Un modèle universel de représentation du fonctionnement d’une organisation
11À la base du modèle, on trouve la dialectique universelle de « l’un et du multiple » posée par les philosophes grecs et reprise par Edgar Morin. Toute organisation humaine est « une », et à ce titre, plus au moins fermée sur son dedans, et « multiple », et à ce titre plus ou moins ouverte sur son dehors.
12Le dedans fonde son identité, son « EGO », alors que sa finalité se trouve généralement dans son dehors, son environnement, son « ECO ».
13Le diagramme EGO/ECO nous permet de caractériser quatre modes d’organisation :
- Le mode mécaniste correspond à la zone de l’inertie. Ce mode est centré sur le fonctionnement interne, taylorien, bureaucratique. Le dehors est un mal nécessaire, l’engagement est faible, mais discipliné. On a « la tête ailleurs ».
- Le mode tribal correspond à la zone de fusion. Le bien-être de la communauté passe avant la finalité économique. L’engagement est fort et exclusif, on est indifférent au dehors. On a « le nez dans le guidon ».
- Le mode transactionnel correspond à la zone de l’altérité. Tous réagissent fortement aux stimulations du dehors, mais ont tendance à faire passer leurs intérêts avant ceux de l’organisation. Professionnalisme et compétitivité y sont développés. On a « un pied dedans et un pied dehors ».
- Le mode holistique correspond à la zone de complexité. Il allie engagement fort et ouverture sur l’extérieur, avec une double finalité : l’une est économique et l’autre contribue au développement des hommes. C’est là où s’expriment toutes les caractéristiques de l’autonomie.
14Ces quatre modes correspondent à des univers très différents. Quelques illustrations ci-dessous permettent de l’appréhender. Le modèle complet est décrit dans un livre paru en septembre 2014.
15Chaque mode contribue à la performance : le mode tribal assure la cohésion sociale et la mobilisation collective, le mode mécanique garantit la stabilité et la continuité, le mode transactionnel promeut réactivité et adaptation, quant au mode holistique, il développe l’initiative, l’entrepreneuriat et l’innovation.
16Néanmoins, chacun a ses fragilités et ses limites : dans le mode tribal, il y a une dépendance excessive du chef, une forme de malthusianisme et une réelle myopie stratégique, le tout avec une possible dérive sectaire ; dans le mode mécanique, le conservatisme est installé, poussant à la sclérose avec un risque d’inadaptation ; dans le mode transactionnel, il y a généralement une sophistication du fonctionnement pour articuler le dehors et le dedans, une sensibilité excessive aux modes, de la précarité et des luttes de pouvoir, le manque d’EGO pouvant pousser vers une dérive mercenaire ; le mode holistique demande un long délai d’installation progressive pour développer les capacités d’autonomie et réduire les forces contraires. Il peut rencontrer des difficultés pour passer les crises, la tendance étant souvent à revenir à un management « rênes courtes ». Enfin, il y a toujours un risque de perte de contrôle en basculant de l’autonomie vers l’indépendance.
Choisir le bon « mix organisation »
17Aucun de ces modes de fonctionnement « pur » n’est viable.
18Chaque organisme ou chacun de ses sous-ensembles les marie de fait suivant une configuration qui lui est propre qu’on appelle le « mix organisation ». Ce mix, volontariste ou subi, est fonction de son métier, de son environnement et de son histoire. Il est plus ou moins harmonieux, homogène, cohérent et sert plus ou moins ses enjeux de performance.
19Le mix organisation se caractérise par un profil dessiné à partir d’une sélection de « micro forces » de fonctionnement tangibles (structures, processus, règles, systèmes…) et intangibles (culture, valeurs, comportements, pratiques de management…).
20Dans le mix organisation, la forme holistique est aujourd’hui la moins développée. Mais c’est aussi la plus prometteuse, car c’est elle qui installe un contexte de travail libérant les énergies liées à l’autonomie. Il existe, encore en petit nombre mais sous des formes parfois très poussées, des entreprises, généralement petites ou moyennes, qui se sont dotées de mix organisation à dominante holistique. Beaucoup d’entreprises ou organisations, et notamment les grandes, gagneraient à faire évoluer, partout où c’est possible, leur mix organisation, pour faire plus de place à l’organisation holistique. Si elles ne le font pas pour des considérations humanistes, elles devraient le faire parce que c’est souvent le mode de fonctionnement le plus efficace et le plus économique.
Comment mener la transformation ?
21À nouveau, il n’y a pas de transformation effective sans changement des comportements. Et c’est un point de difficulté majeur. Bien entendu la transformation doit être initiée, pilotée et incarnée par le leader qui a valeur de guide et d’exemple. Néanmoins elle doit être activée au plus près du terrain, là où elle prend sens concrètement : on parle alors de transformation sociodynamique. Ce principe guide les sept clefs suivantes pour réussir une transformation.
Développer une vision inspirée, partagée et déclinée
- Pour pouvoir démarrer une transformation, il faut de bonnes raisons de se mettre en mouvement. Les sujets ne manquent pas aujourd’hui, mais l’urgence n’est souvent pas perçue. Installer un sentiment d’urgence est indispensable pour préparer les esprits. Les grandes entreprises publiques ont souvent utilisé l’ouverture du marché, sans retour en arrière possible (France Telecom, La Poste…).
- Ensuite il faut définir une vision, inspirée, qui permette de se projeter dans un avenir souhaitable (« I have a dream » de M. Luther King, « Soyez insatiables, soyez fous » de Steve Jobs). La vision n’est pas détaillée comme une stratégie, elle ne précise pas le chemin et les moyens, mais donne une direction : elle précise la raison d’être, les marchés ou activités que l’on veut développer, la proposition de valeur que l’on offre, les objectifs économiques, les valeurs, les profils de managers et de collaborateurs, le modèle d’organisation (mix organisation)…
- Cette vision doit être abondamment partagée par tous et il faut faire travailler les équipes à tous les niveaux sur sa déclinaison dans leurs domaines d’activité.
Libérer la zone rouge
- La zone rouge est celle des contraintes et des objectifs. Faire en sorte qu’elle soit claire, simple et limitée facilite l’engagement et la prise d’initiatives. Cet exercice de simplification est généralement difficile, car la crainte de perdre la maîtrise est grande.
- On peut alors dégager les marges d’autonomie, en faire prendre conscience et travailler dans la zone bleue de l’initiative. Ce processus est extrêmement responsabilisant à tous niveaux, tout en faisant accepter la zone rouge.
- Prendre des initiatives c’est prendre des risques. Cela n’est possible que dans un climat de confiance que l’on installe et entretient.
- Enfin mesurer les résultats est la condition nécessaire de la prise d’autonomie, et la garantie que l’on fait des progrès.
Utiliser le temps comme une ressource
- Le temps est le premier allié d’une transformation, à condition de l’utiliser à bon escient.
- Il faut d’abord avoir une perspective de long terme (5, 10, 20 ans). Les grandes transformations se font dans la durée, même si elles connaissent des moments d’accélération. Ne pas avoir cette perspective fait courir le risque de ne pas obtenir les effets attendus ou bien de connaître des moments de grand découragement.
- « La transformation commence le premier jour. » Embarquer les équipes le plus tôt possible dans le processus de transformation est le meilleur moyen de les faire adhérer et de les engager… et donc d’entamer l’évolution des comportements.
- Il faut apporter un soin particulier à la gestion du rythme : décisions, ancrage des projets, succès rapides, maturations longues… Trois écueils majeurs doivent être évités : ne pas décider à temps, tout vouloir trop vite, perdre de vue l’objectif dans la durée.
- On peut économiser beaucoup d’énergie en choisissant les sujets et le moment d’agir, après avoir préparé le terrain et quand les conditions requises sont remplies. Il s’agit en quelque sorte d’utiliser la pente naturelle de la transformation.
- Expérimenter, beaucoup, pour mettre les concepts à l’épreuve de la réalité et innover in situ. Quand les expérimentations ont fait leurs preuves, l’extension doit être rapide ; il faut mettre en place des dispositifs et des stratégies d’acteurs appropriés.
Installer un dispositif de transformation
- Il est clair que le dirigeant est le porteur de la transformation et que ses actes doivent en être la preuve. Mais il ne réussira pas seul. Il doit donc en premier lieu créer une coalition de leaders partageant l’ambition et déterminés dans l’action. Parallèlement, il doit s’entourer d’une équipe expérimentée pour supporter et piloter la transformation.
- Le programme de transformation est un outil majeur et regroupe à la fois le cadre méthodologique, les projets en cours, en attente ou à lancer, les initiatives d’où qu’elles viennent, des actions rapides, des systèmes d’écoute, des tactiques d’action. Tout ce qui donne sens à la transformation fait partie du programme. Il est à réviser régulièrement pour gérer le rythme de la transformation et déclencher les actions au moment propice.
- Il faut éliminer les obstacles à la transformation, changer des systèmes ou des structures. Ce sont souvent des décisions difficiles et qui demandent du courage ; il ne faut pas vouloir tout bousculer dès le début (tout ne se fait pas en un jour), mais il faut traiter les questions majeures.
- La communication doit être un sujet permanent pour entretenir le mouvement et la flamme, communication globale et communication de proximité.
Mobiliser les ressources
- Le jeu d’acteurs est essentiel. Il est important de repérer les acteurs, en termes de compétences, talents et capacité d’entraînement, et attitude synergique et/ou antagoniste par rapport à la transformation. Ce repérage permet de redistribuer les rôles.
- Il peut être opportun de concevoir et déployer pour l’occasion un modèle de leadership autour des questions d’engagement, d’exigence, d’écoute et d’exemplarité.
- Installer la coopération à tous les niveaux est une tâche majeure et quotidienne des managers dans ce processus.
- Là où c’est nécessaire, il ne faut pas hésiter à fournir des ressources d’appui (expertises, formations, chefs de projet…).
- Les efforts à fournir et les difficultés sont nombreux. Il faut être attentif à donner de la reconnaissance et à effectuer des promotions ; cela entretient la motivation et l’engagement.
Mesurer et évaluer
- La mesure est indispensable quand on mène des transformations complexes, pour s’assurer des progrès réalisés mais aussi pour fournir de nouveaux repères d’évaluation.
- Les domaines de mesure sont de différentes natures : mesure des résultats, la contrepartie naturelle de l’autonomie accordée, mesure des efforts, des progrès et de la transformation à l’œuvre, mesure de la culture et des écarts entre les valeurs personnelles et celles perçues de l’organisation actuelles et projetées, analyses et mesures sur tout sujet pour comprendre et agir.
- De même qu’on manage ce qu’on mesure, on progresse quand on se compare. Afficher les résultats obtenus et comparer entretient l’émulation et la dynamique.
- Au-delà de la mesure, il faut en permanence évaluer l’action, pour la faire évoluer, l’accélérer et l’étendre, ou l’arrêter.
Consolider les progrès et maintenir la dynamique
- Comme déjà évoqué, la transformation est un processus long et fruit de l’accumulation d’une quantité d’actions et de réformes mises en cohérence. Pour éviter l’épuisement de la dynamique et des retours en arrière il faut régulièrement capitaliser sur les succès et valoriser les efforts, les réalisations et les hommes.
- Ne jamais perdre la perspective de long terme pour passer les étapes difficiles.
- La routine guette les projets au long cours ; il faut en conséquence revigorer périodiquement les processus mis en œuvre.
- Enfin pour développer la fierté tout autant que rassurer et engager, il faut rassembler les acteurs, les mettre en scène, communiquer et célébrer le chemin parcouru.
Conclusion
29La réussite d’une réforme ou d’une transformation, quel qu’en soit le contenu, requiert avant tout un processus adéquat.
30Alors qu’on parle généralement de stratégie, de restructurations, de technologies et de nouveaux « business modèles », le tout souvent à grand renfort de communication, on réserve trop peu de temps à écouter les collaborateurs pour mesurer le saut culturel à effectuer et concevoir des dispositifs de mise en mouvement aspirationnels et largement impliquant. C’est la raison pour laquelle ces transformations sont souvent violentes, ou finissent par s’enliser.
31La bonne méthode consiste à marier dans une même approche la question du « Quoi » et du « Comment », à embarquer au plus tôt les équipes dans le processus, à imbriquer les questions de stratégie et de structures et les questions de culture et de comportements, à développer l’expérimentation et à accepter la prise de risque. Pour garder la maîtrise de l’ensemble, le dirigeant transformateur doit développer une vision largement partagée pour garder le cap, installer une coalition de leaders pour assurer la cohésion et le rythme adéquat et installer chez tous un sentiment de confiance qui permet de s’investir et de prendre des initiatives.
Notes
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« Le Mix Organisation. Et si l’entreprise mobilisait enfin l’énergie naturelle de l’autonomie ? » J. Jochem en collaboration avec H. Lefèvre et Kea&Partners – Eyrolles, 2014.