Notes
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[1]
Tome I, discours préliminaire, première partie, item 2.
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[2]
Tome IV, livre VI, avant-propos, article 1.
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[3]
Tome IV, livre VI, 1re partie.
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[4]
À lire ces lignes, on peut se demander si la défaveur royale tenait uniquement aux sympathies jansénistes de l’auteur.
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[5]
Tome III, livre V, avant-propos.
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[6]
Tome IV, livre V, art. 1 et 2.
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[7]
Tome IV, livre VI, avant-propos.
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[8]
Tome IV, livre VI, seconde partie.
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[9]
Tome II, livre III, chapitre 2, article 1.
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[10]
Tome IV, livre VI, première partie, art. 10.
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[11]
Tome IV, livre VI, seconde partie, art. 3.
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[12]
Tome IV, livre VI, seconde partie, art. 3.
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[13]
Tome IV, livre VI, première partie, art. 12.
Le thème retenu pour ce 142e numéro de la revue nous offre l’occasion d’un retour sur une œuvre assez oubliée aujourd’hui : « De la manière d’enseigner et d’étudier les Belles-Lettres par rapport à l’esprit et au cœur », plus connue sous le nom de « Traité des Études », et éditée entre 1726 et 1728. Son auteur, Charles Rollin (1661-1741), avait été recteur de l’université de Paris, professeur d’éloquence au Collège royal, et associé à l’Académie royale des Inscriptions et Belles–Lettres. Mais c’est sur son expérience de principal du collège de Beauvais qu’il s’appuie pour nourrir sa réflexion sur l’éducation. Si son ouvrage s’adressait avant tout aux pédagogues, il connut d’emblée un immense succès : Voltaire, le duc de Cumberland, Frédéric de Prusse, Montesquieu, Chateaubriand, etc. en parlent en termes admiratifs ou émus. Son influence ne s’est pas démentie pendant la totalité des XVIIIe et XIXe siècles, comme en témoignent de très nombreuses rééditions. On évitera de céder aux tentations de l’anachronisme, mais il n’en reste pas moins que bon nombre de ses préoccupations et de ses convictions, même empreintes du vocabulaire, des habitudes de pensée, des précautions de langage propres à son siècle et des concessions faites à l’esprit du temps, peuvent encore trouver un écho de nos jours.
Les deux « objets de l’instruction » : une articulation nécessaire pour la formation du citoyen
1Dans son « Discours préliminaire » (Tome I, première partie), Rollin prend soin de distinguer « le premier objet de l’instruction : « former l’esprit » du second objet : « Le soin de former les mœurs » : « (…) Si l’instruction n’avait pour but que de former l’homme aux Belles-Lettres et aux sciences ; si elle se bornait à le rendre éloquent, habile, propre aux affaires ; et si en cultivant l’esprit, elle négligeait de régler le cœur, elle ne répondrait pas à tout ce qu’on a droit d’en attendre, et ne nous conduirait pas à une des principales fins pour lesquelles nous sommes nés. Pour peu qu’on examine la nature de l’homme, ses inclinations, sa fin, il est aisé de reconnaître qu’il n’est pas fait pour lui seul, mais pour la société (…). Dans cette variété infinie de fonctions qui partagent et occupent les hommes, les emplois que l’État a le plus d’intérêt de voir bien remplis, sont ceux qui s’exercent par les talents de l’esprit, (…) demandent des connaissances supérieures (…) et exigent de la conduite et de la sagesse, puisqu’ils donnent le mouvement à tout le corps de l’État [1].
2L’éducation de la jeunesse a toujours été regardée par les plus grands philosophes et les plus fameux législateurs comme la source la plus certaine du repos et du bonheur, non seulement des familles, mais des États eux-mêmes et des Empires (…). N’est-ce pas la bonne éducation qui met tous les citoyens (…) en état de remplir dignement leurs différentes fonctions ? N’est-il pas évident que la jeunesse est comme la pépinière de l’État ? que c’est d’elle que viennent tous les magistrats, tous les ministres (…) et ne peut-on assurer que ce qu’il y a de bon ou de défectueux dans l’éducation de ceux qui rempliront un jour ces places, influe dans tout le corps de l’État [2] ? »
La finalité de l’éducation
3« Pour peu qu’on fasse usage de sa raison, on reconnaît aisément que le but des maîtres n’est point d’apprendre à leurs disciples seulement du grec et du latin, ni de leur enseigner à faire des thèmes ; à charger leur mémoire de faits et de dates historiques ; à tracer sur le papier des lignes et des figures. Ces connaissances, je ne le nie point, sont utiles et estimables, mais comme moyens et non comme fin ; quand elles nous conduisent ailleurs, et non quand on s’y arrête. (…) Les jeunes gens seraient bien à plaindre, s’ils étaient condamnés à passer les huit ou dix plus belles années de leur vie à apprendre à grands frais et avec des peines incroyables une ou deux langues, et d’autres choses pareilles, dont ils n’auront peut-être que rarement occasion de faire usage. Le but des maîtres, dans la longue carrière des études, est d’accoutumer leurs disciples à un travail sérieux ; de leur faire estimer et aimer les sciences (…) ; de leur montrer la route et par là de les disposer aux différents emplois où la providence les appellera [3]. »
La vertu éducative des disciplines
Les leçons de l’histoire
4« Qu’est-ce que ce petit nombre d’années qui composent la vie la plus longue, qu’est-ce que l’étendue du pays que nous pouvons occuper ou parcourir sur la terre, sinon un point imperceptible à l’égard de ces vastes régions de l’univers, et de cette longue suite de siècles qui se sont succédé (…) depuis l’origine du monde ? Cependant, c’est à ce point imperceptible que se bornent nos connaissances, si nous n’appelons à notre secours l’étude de l’Histoire, qui nous ouvre tous les siècles et tous les pays (…) et qui, par les sages réflexions qu’elle nous fournit (…), nous procure en peu de temps une prudence anticipée, fort supérieure aux leçons des plus habiles maîtres (…). L’histoire juge souverainement des rois mêmes. (…) On a beau admirer leurs talents, leur esprit et leur courage, vanter leurs exploits et leurs conquêtes ; si tout cela n’est point fondé sur la vérité et la justice, l’histoire leur fait secrètement leur procès sous des noms empruntés [4]. (…) Quand elle est bien enseignée, elle devient une école de morale pour les hommes [5]. »
Philosophie et formation de l’esprit
5« Un des moyens les plus efficaces pour régler la conduite de l’homme est de lui faire connaître ce qu’il est, à quelles conditions il a reçu l’être, quels devoirs y sont attachés, où il doit tendre, et quelle est sa fin. Or c’est ce que propose la philosophie, je dis même la philosophie païenne. (…) Par la raison, l’homme a l’idée du grand, du beau, du juste et du vrai : il prononce et juge sur les qualités et les propriétés de chaque chose ; il compare ensemble plusieurs objets, tire les conséquences des principes, se sert d’une vérité pour passer et s’élever à une autre ; enfin, par elle, il met dans ses connaissances et dans ses raisonnements un ordre et une suite (…) qui les rendent tout autrement intelligibles. (…) Il est aisé de comprendre combien est importante une science qui aide et conduit l’esprit dans toutes ces opérations [6]. »
La nécessité de la bienveillance
Pour réformer les comportements
6« L’éducation est une maîtresse douce, ennemie de la violence et de la contrainte, qui aime à n’agir que par voie de persuasion, qui s’applique à faire goûter les instructions en parlant toujours raison et vérité, et qui ne tend qu’à rendre la vertu plus facile, en la rendant plus aimable [7]. »
7Rollin prend ainsi l’exemple des entretiens particuliers accordés à des élèves qui mériteraient des réprimandes : « Il y a, dans ces occasions, une habileté bien nécessaire à un maître, qui consiste à savoir manier les esprits, à ne s’avancer qu’autant qu’il le faut, et à les conduire par différentes interrogations au point où l’on veut les amener. C’était l’art merveilleux de Socrate, comme on le voit dans tous les dialogues où Platon le fait parler [8]. »
Pendant les cours
8Rollin réclame d’abord la caution de Quintilien et le cite assez longuement : « Rien n’abat si fort l’esprit des enfants que d’avoir un maître trop sévère et trop difficile à contenter… ils désespèrent du succès et prennent l’étude en aversion, ou, ce qui leur nuit autant, la frayeur qu’ils ont de dire du mal les glace à tel point qu’ils ne tentent pas même de bien dire. » Il ajoute qu’il importe « de ne point rebuter (les élèves) par un air trop sévère, mais de les animer et de les encourager par l’espérance du succès, par des louanges dispensées à propos et avec mesure, et par tous les moyens qui peuvent exciter parmi les jeunes gens l’émulation et l’amour du travail [9]. ». Il faut donc « rendre l’étude aimable [10]. »
Respect de la discipline et regrettable répartition des rôles entre les personnels
9« (C’est) le sous-principal, sur qui roule en général le soin de la discipline. L’esprit de vigilance, d’attention, d’exactitude, fait son caractère essentiel. Rien ne doit lui échapper, il observe tout…J’en dis autant de tous les autres maîtres, pour qui cette attention n’est pas moins nécessaire, mais est beaucoup plus facile, parce qu’ils n’ont qu’un petit nombre d’écoliers à observer. Il y a des précepteurs qui croient pouvoir en conscience se reposer de ce soin sur la personne qui est chargée de la discipline publique. C’est une erreur [11]. »
Règlement intérieur, exemplarité des maîtres
10« Les principaux sont tenus de faire observer exactement les statuts de l’Université et les règlements de la Faculté des Arts (…). C’est pour cela que l’Université leur enjoint de faire lire deux fois chaque année ces statuts et règlements en présence de tous les maîtres et tous les écoliers. Cette ordonnance est fort sage mais n’est pas assez exactement observée.
11Une des choses qui contribuent le plus à établir la réputation d’un collège, c’est la fermeté de la discipline. Ce n’est pas que je croie qu’on doive faire consister le bon ordre d’un collège dans le grand nombre des règles. La multiplicité des lois n’est pas toujours la marque d’un bon gouvernement. Elles sont plutôt pour les maîtres qui en connaissent la nécessité et les avantages, que pour les écoliers, que le seul nom de lois est capable de révolter. L’exemple des premiers, et du côté des autres l’habitude contractée par la pratique même des règles, est une loi vivante, préférable à celles qui sont écrites. Il est à souhaiter qu’on puisse dire d’un collège ce que dit Tacite des Germains, « que les bonnes mœurs y ont plus de pouvoir qu’ailleurs les bonnes lois [12] ». (…) Car le langage des actions est tout autrement fort et persuasif que celui des paroles [13] ».
Notes
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[1]
Tome I, discours préliminaire, première partie, item 2.
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[2]
Tome IV, livre VI, avant-propos, article 1.
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[3]
Tome IV, livre VI, 1re partie.
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[4]
À lire ces lignes, on peut se demander si la défaveur royale tenait uniquement aux sympathies jansénistes de l’auteur.
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[5]
Tome III, livre V, avant-propos.
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[6]
Tome IV, livre V, art. 1 et 2.
-
[7]
Tome IV, livre VI, avant-propos.
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[8]
Tome IV, livre VI, seconde partie.
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[9]
Tome II, livre III, chapitre 2, article 1.
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[10]
Tome IV, livre VI, première partie, art. 10.
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[11]
Tome IV, livre VI, seconde partie, art. 3.
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[12]
Tome IV, livre VI, seconde partie, art. 3.
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[13]
Tome IV, livre VI, première partie, art. 12.