Notes
-
[1]
NEET : Not in Education, Employment or Training.
Développé depuis plus de dix ans par l’Institut de l’Entreprise, le Programme Enseignants-Entreprises vise à rapprocher le monde de l’Entreprise et le monde de l’enseignement grâce à des temps d’échanges privilégiés organisés entre les enseignants et les entreprises. Le succès rencontré par les différents axes de ce programme (Entretiens enseignants-entreprises, stages en entreprise, site de ressources pédagogiques Melchior…) montre que les différentes parties prenantes sont prêtes à s’engager ensemble pour l’avenir des jeunes.
1À l’occasion de la création du Conseil National Économie Entreprise (CNEE) le 18 octobre dernier, Jean-Marc Ayrault insistait sur « l’importance du dialogue entre monde économique et monde éducatif ». Présidé par un chef d’entreprise, ce conseil est notamment chargé d’œuvrer à une meilleure « articulation entre le système éducatif et les besoins du monde économique ».
2Cette nécessité répond à une réalité : la France compte 150 000 décrocheurs annuels, 1,9 million de jeunes entre 15 et 29 ans désœuvrés (les fameux « NEET » [1] qui ne sont ni en emploi, ni à l’école, ni en formation) et un chômage chez les jeunes de moins de 25 ans deux fois plus élevé qu’en Allemagne. Pourtant, 600 000 emplois restent vacants faute de candidats disposant des qualifications adéquates pour les occuper. Cette situation n’est pas nouvelle et procède de nombreux facteurs, dont la connexion insuffisante entre le monde de l’enseignement et le monde du travail n’est pas le moindre. Nombreux sont ceux qui, dans le monde économique ou éducatif, s’emploient à combler ce fossé qui comporte des enjeux significatifs en termes d’orientation et d’insertion des jeunes.
3Depuis plus d’une décennie, l’Institut de l’Entreprise favorise des échanges directs et réguliers entre ces deux mondes au travers du Programme Enseignants-Entreprises à destination des professeurs de SES. Ce Programme permet de construire au quotidien des passerelles entre le monde de l’enseignement et celui de l’entreprise au moyen de trois volets d’action : les Entretiens Enseignants-Entreprises, les stages et le site de ressources pédagogiques Melchior (cf. encadré 1).
Les enjeux du rapprochement École-Entreprise : l’orientation des jeunes et leur insertion professionnelle
4Les jeunes sont les grands perdants de l’insuffisance de dialogue entre le système éducatif et les entreprises. Ce manque de coordination pénalise à la fois le processus d’orientation des jeunes et plus généralement leur insertion professionnelle.
Orientation
5L’orientation des élèves reste le maillon faible du système éducatif français. Pourtant, l’une des missions des professeurs principaux de lycée est d’éclairer les choix de filière et d’orientation des élèves pour les aider à construire leur projet professionnel. Dans ce cadre, le rapprochement de l’École et de l’Entreprise représente une véritable clé de réussite : des enseignants mieux informés sur les réalités du marché du travail sont davantage en mesure de répondre aux questionnements de leurs élèves et de les orienter vers des secteurs d’activité et des formations en adéquation avec les débouchés réels sur le terrain. Cette connaissance approfondie peut, par ailleurs, permettre une meilleure adaptation des cursus de formation dans chaque bassin d’emploi.
Insertion professionnelle
6Au-delà de la question de l’orientation se pose celle, plus large, de l’insertion professionnelle des jeunes. Il faut en finir avec un double scandale, auquel nous nous sommes collectivement accoutumés au fil des ans. Il n’est pas acceptable d’avoir à la fois 22 % de nos jeunes actifs au chômage et des pans entiers de notre tissu économique en déficit chronique de main-d’œuvre. Un effort conjoint de la part du monde de l’enseignement (en développant une connaissance plus approfondie des réalités de l’Entreprise et du marché de l’emploi) ainsi que de l’Entreprise (en ouvrant plus largement ses portes), est aujourd’hui impératif.
Les moyens à mettre en place : créer des liens de confiance et favoriser une « pédagogie de l’Entreprise » sur le terrain
7Si ce rapprochement est nécessaire, il ne faut pas en rester au stade de l’incantation. L’urgence du rapprochement École-Entreprise ne doit pas laisser penser que les bonnes intentions suffiront à faire bouger les lignes. C’est ensemble, dans un engagement à tous les échelons du système éducatif et de l’Entreprise, que nous parviendrons à atteindre cet objectif commun et modifier en profondeur des positions trop longtemps attentistes.
Échanger davantage pour créer une relation de confiance
8La méconnaissance entraîne souvent la défiance : cet adage est également valable pour les relations École-Entreprise. Développer une relation de confiance entre les entreprises et les enseignants est indispensable. Pour faire avancer cette connaissance réciproque, la mise en place d’un projet commun impliquant un dialogue régulier et constructif sur le long terme est nécessaire. Il s’agit de donner à nos jeunes la possibilité de se familiariser avec les réalités économiques, leur donner les clés du monde de l’Entreprise pour leur permettre d’envisager avec plus de sérénité leur avenir professionnel. Le Programme Enseignants-Entreprises représente une initiative pionnière en la matière. Chaque année, des stages en entreprises sont organisés pour les professeurs de sciences économiques et sociales (SES). Des universités d’été permettent par ailleurs à des enseignants, des chefs d’entreprise et des économistes de croiser leurs regards autour de cas concrets d’entreprises illustrant les programmes de SES du lycée. C’est une approche pragmatique et efficace pour créer des liens forts et durables et favoriser une compréhension mutuelle.
Améliorer la connaissance de l’Entreprise à tous les échelons du système éducatif
9Une connaissance concrète du monde économique et de ses principaux acteurs est une dimension importante de l’éducation du citoyen. Il faut multiplier les points de contact entre les élèves, les enseignants et les entreprises pour favoriser cette continuité. La volonté réaffirmée du ministre Vincent Peillon de faire en sorte que « les professionnels des entreprises puissent faire partager, sous la responsabilité des professeurs et de l’équipe pédagogique, leur métier concrètement aux élèves, grâce à des échanges, des formations, des conseils, des visites dans les entreprises », ouvre cette voie. Le rôle des enseignants doit être placé au cœur du processus.
10Dès l’origine, l’Institut de l’Entreprise a considéré le rôle de l’enseignant comme le facteur clé de la réussite du rapprochement École-Entreprise, en intitulant son programme « Enseignants-Entreprises ». En effet, la démarche de ce programme a toujours été de s’adresser prioritairement à ceux qui transmettent les connaissances. Ainsi, l’Entreprise fait œuvre utile en permettant une compréhension plus fine des mécanismes qui président à la création de richesses et en donnant accès à un monde du travail peu connu ou souvent caricaturé. Ce faisant, les professeurs de SES et leurs élèves bénéficient d’un environnement pédagogique plus riche dans lequel les théories économiques peuvent se confronter à la réalité du tissu productif. De leur côté, les entreprises découvrent les enjeux et les interrogations légitimes des enseignants qui forment leurs futurs salariés ou leurs futurs responsables. La convention de partenariat signée le 2 avril 2012 entre l’Éducation nationale et l’Institut de l’Entreprise, ainsi que l’inscription du programme au plan national de formation, ont permis d’accroître la participation de nombreux professeurs à ce Programme qui existe déjà depuis dix ans et traduit un réel intérêt de la part des enseignants pour un dialogue constructif avec le monde de l’Entreprise.
11L’Éducation nationale doit poursuivre dans cette voie, d’autant plus qu’aujourd’hui, les professeurs attendent qu’on leur donne réellement les moyens de faire vivre ce rapprochement. Il devient à présent indispensable de permettre aux enseignants de ne jamais perdre contact avec le monde de l’Entreprise. Au-delà des programmes autonomes tel que le Programme Enseignants-Entreprises, de nombreuses pistes pourraient être lancées par l’Éducation nationale, notamment :
- proposer un stage en entreprise pour tout professeur (quelle que soit sa spécialité) lors de sa formation initiale, dans le cadre des nouvelles Écoles supérieures du professorat et de l’éducation, stage renouvelable en cours de carrière au travers de la formation continue ;
- faire bénéficier les chefs d’établissement et les inspecteurs d’académie des mêmes types de stages, dans le cadre de leur formation continue ;
- encourager le parrainage de lycées par des entreprises locales, ce qui permettrait de créer des liens pérennes entre élèves, personnel éducatif et entreprises
12La recherche de stages pour les élèves, la connaissance des métiers et la transmission d’expérience par les salariés (y compris, dans certains cas le soutien scolaire) en seraient ainsi facilitées.
13Du côté des entreprises, un véritable rapprochement demande un investissement durable de la part des dirigeants et la mise en place d’une véritable « politique éducative de l’entreprise ». Les dirigeants d’entreprise sont de plus en plus disposés à s’impliquer dans cette démarche. Le premier marqueur de cet engagement réside dans la création de plus en plus fréquente de responsables des « relations Écoles » dans les grandes entreprises. L’ouverture de plus en plus courante de leurs portes au monde éducatif au niveau local (organisation des visites et des stages par exemple), ainsi que la participation toujours plus massive des dirigeants d’entreprises aux Entretiens Enseignants-Entreprises, sont d’autres signes de cette volonté de rapprochement. Le mouvement est en marche et il faut faire en sorte que cette évolution se prolonge sur le long terme.
14Vincent Peillon souhaite mettre l’École au service du redressement productif et le Président de la république veut faire entrer l’esprit d’entreprise à l’École. Si les pouvoirs publics reconnaissent l’importance du lien École-Entreprise, il faut passer de la prise de conscience à l’action. La dépense intérieure d’éducation, c’est-à-dire le total des dépenses pour l’éducation (réalisées par l’État, les entreprises, les collectivités territoriales, et les ménages) représentait 137 milliards d’euros en 2011, soit près de 7 % du PIB. Investir dans la jeunesse doit rester une priorité mais, dans l’état dans lequel sont nos comptes publics, cela ne peut plus passer par des dépenses supplémentaires. C’est grâce à une coopération sans cesse plus étroite entre enseignants et entreprises, chacun dans son rôle, que nous pourrons, ensemble, préparer l’avenir de nos enfants.
Encadré 1. Le Programme Enseignants-Entreprises
Les entretiens Enseignants-Entreprises :
Lancés en 2003, les Entretiens Enseignants-Entreprises (ex Entretiens Louis-le-Grand) sont coorganisés par l’Institut de l’Entreprise, l’Inspection générale de sciences économiques et sociales et la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO). Ces rencontres annuelles, dédiées aux enseignants de SES et d’économie-gestion, favorisent un dialogue direct entre le monde de l’Entreprise et celui de l’enseignement. Elles réunissent enseignants, économistes, universitaires et chefs d’entreprise autour d’une thématique inscrite au cœur des programmes scolaires avec pour objectif d’éclairer la théorie économique par des cas pratiques d’entreprises. Cette manifestation est un rendez-vous incontournable pour les enseignants ainsi que pour les cadres dirigeants des entreprises partenaires. Organisés sur deux journées, les entretiens s’articulent autour de conférences, tables rondes et ateliers. Ces derniers réunissent un président ou cadre dirigeant d’une grande entreprise et une personnalité qualifiée (chercheur, universitaire, économiste…). Chaque atelier est préparé puis animé par un professeur des disciplines concernées. Les Entretiens offrent également aux professeurs du secondaire des temps d’échange privilégiés avec leurs collègues du supérieur (université, grandes écoles etc.), avec des auteurs de livres sur l’économie ou l’Entreprise notamment. Les ressources produites à l’occasion des Entretiens sont mises à disposition sur le site Melchior sous différentes formes : abstracts, diaporamas, études de cas, etc. Elles peuvent être mobilisées par les enseignants afin d’enrichir leurs cours tout au long de l’année.
Les stages en entreprise :
L’Institut de l’Entreprise centralise les offres des entreprises prêtes à accueillir des enseignants pour une durée de un à dix jours sur tout le territoire dans toutes les fonctions et dans tous les secteurs d’activité. Les contacts noués représentent une véritable source d’enrichissement : pour les enseignants en leur permettant de mieux appréhender la réalité économique de l’Entreprise, ses enjeux et l’environnement auquel elle est confrontée ; pour les entreprises en leur permettant d’établir un lien direct avec les enseignants qui forment leurs futurs salariés.
Le site Melchior (www.melchior.fr)
Depuis 2001, le site Melchior propose, notamment aux professeurs de SES, des ressources pédagogiques qui enrichissent leurs sources de documentation traditionnelles. Il fait le lien entre les programmes et l’actualité économique en éclairant les notions enseignées par des cas concrets d’entreprises. Le site Melchior met en ligne les derniers rapports et analyses économiques des organismes spécialisés ainsi que les bulletins d’études des entreprises et des institutions internationales. Le site propose également des activités spécifiques conçues pour la classe. Par ailleurs, le site Melchior informe sur les actions menées dans le cadre du Programme Enseignants-Entreprises : conférences, stages, partenariats, etc.
Encadré 2. Interview de Béatrice Couairon, directrice du Programme Enseignants-Entreprises
Vous avez renouvelé les Entretiens Enseignants-Entreprises, pouvez-vous nous expliquer en quoi a consisté votre démarche ?
Lancés pour la première fois en 2003, les « Entretiens Louis-le-Grand » ont créé un espace d’échanges privilégiés et innovants entre les Entreprises et les Enseignants. Dès l’origine, la conception du programme a été guidée par la prise en compte des différents échelons. Il était en effet nécessaire de concilier à la fois les objectifs définis au niveau national et les objectifs définis au niveau académique, pour que ces Entretiens soient en cohérence avec la politique éducative menée par les Recteurs.
En 2011, face aux fortes attentes des professeurs, il m’a semblé important de renforcer l’assise de cette manifestation en impliquant davantage les différentes parties prenantes institutionnelles (Éducation nationale et entreprises) et en intégrant une dimension académique au programme des journées par la présence d’économistes et d’universitaires notamment. Nous avons ainsi créé un Comité stratégique, présidé par Patrick Artus et rassemblant des personnalités du monde académique, de l’Entreprise et de la société civile (journalistes, associations) afin de proposer un programme innovant et ancré dans la réalité économique. Des collègues ont également été sollicités dans la préparation des Entretiens. Chaque atelier proposé dans les Entretiens est préparé et animé par un professeur. Ce dernier précise les attentes des participants et collecte les ressources auprès des intervenants qui sont ensuite mises en ligne sur le site Melchior (www.melchior.fr) pour être utilisées tout au long de l’année dans les classes et illustrer des notions à enseigner.
Vous êtes professeur de SES, cela vous aide-t-il dans l’organisation de ces entretiens ?
Enseigner me permet de cerner les besoins des professeurs en termes de formation continue et de créer des temps d’échange privilégiés pour nourrir notre réflexion sur les mutations économiques auxquelles nous sommes confrontés. Par ailleurs, connaître de l’intérieur le fonctionnement de l’Éducation nationale est fondamental pour en respecter les règles et répondre précisément aux attentes. Au-delà de leur caractère pragmatique (apport de contenus directement réutilisables en classe), les Entretiens Enseignants-Entreprises ont pour vocation de croiser les regards entre le monde de l’enseignement et le monde de l’Entreprise. Ce moment de rencontre entre des professeurs du secondaire et des économistes, chercheurs, professeurs d’université représente également pour les enseignants une véritable « bouffée d’air », un moment de prise du recul par rapport à leur activité quotidienne, ce qui est à mon sens tout à fait positif. Nous en avons besoin !
À quoi ressembleront les Entretiens dans 10 ans ?
Lorsque les Entretiens Enseignants-Entreprises ont été créés il y a 10 ans, ils ont naturellement eu vocation à s’adresser aux professeurs de SES. Mais les attentes des professeurs évoluent rapidement et dépassent aujourd’hui largement le cadre de cette discipline. Les professeurs de voie générale ont en effet une mission à assumer en termes d’orientation qui demande une meilleure connaissance de la réalité de l’Entreprise. Tout professeur doit pouvoir apporter des conseils et des informations pertinentes pour aider ses élèves dans ses choix de carrière, qu’il soit professeur en série ES, L ou S ! D’ailleurs à présent, certains recteurs demandent aux nouveaux inspecteurs de réaliser un stage en entreprise quelle que soit leur discipline.
Ainsi, ces Entretiens, qui s’intègrent plus généralement dans le Programme Enseignants-Entreprises, ont vocation à être un rendez-vous nécessaire pour favoriser le dialogue entre les enseignants et les entreprises. Ils doivent nourrir les débats et contribuer à essaimer des initiatives sur le terrain. Les enseignants ont aujourd’hui une forte attente vis-à-vis des entreprises pour qu’elles leur ouvrent davantage leurs portes à l’occasion des journées de stages notamment, ce que nous proposons toute l’année dans notre Programme. Les différentes parties prenantes – Éducation nationale, enseignants, entreprises – ont une responsabilité majeure dans le rapprochement entre l’École et l’Entreprise car l’enjeu est de taille : améliorer l’insertion des jeunes sur le marché du travail… Personne ne doit ménager ses efforts !
Notes
-
[1]
NEET : Not in Education, Employment or Training.