Notes
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[1]
Concernant les différentes réflexions et approches méthodologiques du matériel d’archives relatif aux procès de divorce, voir Stone (1995, 18-20), Seidel Menchi (2000, 59-68), Brambilla (2003, 956-1003), Hacke (2004, 5-6), Ferraro (2001, 7).
-
[2]
En règle générale, pour l’Église orthodoxe, les causes de divorce sont : la violence exercée sur l’un des conjoints, la conversion religieuse, la maladie, le mariage d’argent, l’impuissance sexuelle, l’entrée dans les ordres monastiques, l’absence de consentement de la part d’un des futurs conjoints, la prostitution et l’adultère, etc. (Ginis, 1960, 240-241). En tout état de cause, la loi offrait à l’époux plus de motifs de divorce qu’elle n’en offrait à l’épouse (Kiousopoulou, 1990, 60-61).
-
[3]
Concernant le divorce à Santa Maura, voir Dimopoulos (1961-63, 21-82).
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[4]
À propos des procès en divorce à Corfou, voir Kapadochos (1990, 137-146 ; 1980). À propos du divorce dans l’espace orthodoxe à l’ère post-byzantine, voir Dimopoulos (1964).
-
[5]
Il s’agit d’une question à explorer, à condition, bien évidemment, que le matériel d’archives existant le permette. De même, il n’est pas possible de tirer de conclusions concernant le taux de divorces, étant donné le manque de données chiffrées concernant le nombre de mariages, à tout le moins, à ce jour.
-
[6]
Par le passé, l’on n’enregistrait très probablement que la sentence rendue par le tribunal ecclésiastique (Pappa, Platitsas, 2000, 63-69, 70, 73, 76-80, 84, 90 ; Kapadochos, 1990, 250-251, 254-257, 268, 271-274). L’enregistrement de procès-verbaux des procédures en divorce, qui semble avoir été établi au cours du xviie siècle, est un développement intéressant du paradigme de la mer Ionienne vénitienne. Cette évolution ne semble pas indépendante des développements politiques et sociaux qui avaient lieu, à la même époque, sur l’île : le cloisonnement de la couche sociale des cittadini et la nécessité de reproduction de la caste passaient également par l’institution du mariage. Ainsi, il était instrumentalement nécessaire d’enregistrer toute information liée tant au contexte de celui-ci qu’à sa dissolution. De plus, le contrôle plus rigoureux du mariage par l’Église et l’État vénitien à l’époque après-Trento imposa des contraintes bureaucratiques, dans le cadre de la régularisation de toutes les procédures liées à celui-là.
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[7]
Gaetano Cozzi identifie ce phénomène dans les mariages clandestins et les divorces parmi les nobles de la Sérénissime (Cozzi, 2000, 57-64). Sur la fissure dans les structures patriarcales à Venise, voir aussi De Biase (1981-1982,149-162). Pour une approche différente du patriarcat au xviiie siècle, voir Kowaleski-Wallace (1991, 16-17).
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[8]
Sur les difficultés de l’approche, voir la bibliographie de la note .
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[9]
Les seules publications sur ce sujet concernant Corfou sont celles de Kapadochos et Plumidis, qui sont principalement basées sur la présentation d’un nombre limité de documents d’archives (Kapadochos, 1990 ; Ploumidis, 2008, 72-97).
-
[10]
En général, à propos de l’histoire de la domination vénitienne dans l’espace grec, voir Maltezou (2010). Sur l’histoire de Corfou, voir Asonitis (2000), Yotopoulou (2002), Bacchion (1956).
-
[11]
À propos de la constitution du conseil de Corfou, voir Karapidakis (1992).
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[12]
Sur les processus politiques au Stato da Terra, voir Ventura (1964).
-
[13]
Qui se qualifiaient eux-mêmes de « nobles ».
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[14]
À propos des formes de pouvoir, du public et du privé dans l’environnement politique prémoderne, voir Chittolini (1994, 553-589).
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[15]
Sur la situation aux îles Ioniennes, voir Viggiano (1998, 114-195).
-
[16]
Concernant la politique ecclésiastique de Venise sur les territoires grecs, voir Karydis (2010, 295-326), Foscolos (2010, 337-354).
-
[17]
À propos de l’office du Grand Protopapas, voir Tsitsas (1969, 84-10), Karydis (2011, 11-67).
-
[18]
Archives générales de l’État – archives du département de Corfou (GAK-ANK), M. Protopapades, b. 54, fasc. 10, 27 septembre 1761.
-
[19]
Ici, l’on trouvera également des informations sur le privilège accordé aux étudiants ultramarini d’obtenir le diplôme de droit sans suivre régulièrement des études à l’université de Padoue mais en s’inscrivant simplement et en subissant une épreuve d’examen devant un jury.
-
[20]
La procédure suivie par le tribunal ecclésiastique orthodoxe de Corfou, ainsi que par celui de Lefkada au xviiie siècle, diffère de celle de l’Église catholique. La différence porte principalement sur le moment de convocation du demandeur et sur les modalités de participation de celui-ci à la procédure : la convocation n’avait pas lieu immédiatement après la déposition de la pétition ; la comparution du demandeur n’était pas suivie de la litis contestatio ou, à tout le moins, du rito sommario qui, d’une manière ou d’une autre, permettaient d’enregistrer immédiatement les accusations et leur réfutation. À propos du rito, voir Lombardi (2001, 146).
-
[21]
C’est la conclusion que tire Kapadochos (1990, 91). Toutefois, il semble que dans au moins un cas – qui n’était probablement pas le seul – le demandeur avait introduit un appel contre la décision devant le Patriarche de Constantinople, voir Vlachou (2009, 112-118). En outre, l’on ne sait pas si les parties avaient la possibilité d’interjeter appel contre la décision devant la cour vénitienne.
-
[22]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 11, 7 juin 1749.
-
[23]
Ibid., b. 73, fasc. II/12, 27 avril 1791 et b. 54, fasc. 9, 2 septembre 1761.
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[24]
Ibid., b. 37, fasc. 10, 24 avril 1749.
-
[25]
Sur la masculinité, voir Foyster (1999), Shepard (2006).
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[26]
Selon le droit civil post-byzantin, l’adultère perd sa dot et n’a pas le droit de se marier après le divorce, voir Armenopoulos (1793, 249).
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[27]
Voir également, à ce propos, Daumas (2008, 27-28).
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[28]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 5, 3 juillet 1749.
-
[29]
Voir à ce propos les cas examinés par Ploumidis (2008, 85-91).
-
[30]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 14, 8 juillet 1749.
-
[31]
Ibid., b. 73/II, fasc. 5, 17 juillet 1790.
-
[32]
Ibid., b. 37, fasc. 1, 18 novembre 1748.
-
[33]
Les cittadini de Corfou, comme nous l’avons déjà dit, se désignaient eux-mêmes comme « nobles ». Cependant, la noblesse n’était pas juridiquement reconnue par la Dominante.
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[34]
Ibid., b. 73/II, fasc. 7, 18 février 1791.
-
[35]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 67, fasc. 4, 4 mars 1781.
-
[36]
Ibid., fasc. 20, 29 septembre 1760.
-
[37]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 12, 30 mai 1749.
-
[38]
Selon P. Savorianakis, au xviiie siècle, le divorce « fut largement institué » par l’Église orthodoxe, voir Savorianakis (2000, 46). Mais, en réalité, c’était le nombre de divorces par consentement mutuel et la facilité de leur délivrance qui avait changé. À ce sujet, voir Ginis (1960, 255).
-
[39]
Sur la « haine intransigeante » dans le monde catholique, voir Lombardi (2000, 335-350).
-
[40]
Tout comme à Corfou, de nombreuses décisions d’annulation du mariage sont rendues par le tribunal ecclésiastique de l’Archevêque orthodoxe de Philadelphie, chef spirituel des orthodoxes de Venise et de l’État vénitien, qui siège à Venise et dont une des compétences consiste à statuer sur les demandes de divorce, voir Vlassi (2002, 325-340).
-
[41]
Sur les mariages mixtes dans les territoires vénitiens, voir Chauvard (2018), Setti (2015), Orlando (2013 ; 2007). Sur les mariages mixtes en Europe, voir Cristellon (2012, 219-225).
-
[42]
Il convient de relever, en ce point que, dans le rite du mariage orthodoxe, il n’était pas demandé aux futurs conjoints de donner leur consentement devant le prêtre.
-
[43]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 8, 26 juin 1761.
-
[44]
Ibid., fasc. 2, 21 janvier 1749, 23 avril 1730 et 1er juin 1742.
-
[45]
À propos de l’impuissance masculine en tant que motif de recours au tribunal ecclésiastique et de son lien avec les notions de masculinité et d’honneur masculin, voir Hacke (2000, 49-68).
-
[46]
Ibid., p. 75.
-
[47]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 73, fasc. II/10, 29 mars 1791, 10 mars 1791, 23 mars 1791.
-
[48]
Ibid., b. 37, fasc. 6, 18 février 1749 et 14 décembre 1748.
-
[49]
Sur les territoires grecs sous la domination ottomane et l’économie urbaine, voir Asdrachas (2003, 151-156), Kremmydas (2003, 275-304).
-
[50]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 54, fasc. 2, 22 février 1761, 5 février 1761, 12 février 1761.
-
[51]
Ibid., b. 73, fasc. II/7, 23 février 1791, 8 juillet 17.
-
[52]
Ibid., b. 37, fasc. 18, 23 septembre 1760.
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[53]
Ainsi, Gianetta Grameno s’était réfugiée au domicile de son oncle, ibid., b. 54, fasc. 8, 26 juin 1761.
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[54]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, 3 janvier 1749.
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[55]
Ibid., fasc. 15, 9 juillet 1749 et 22 juillet 1749.
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[56]
Ibid., fasc. 18, 29 septembre 1760.
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[57]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 3, 28 mai 1748.
-
[58]
Sur la sodomie à Venise voir Labalme (1984, 217-254), Davidson (2002, 65-81).
-
[59]
À Venise, à Bologne, dans certaines paroisses de Londres tout comme dans d’autres régions d’Europe, les demandeurs dans les affaires de mariage sont, pour leur majorité, des femmes (Hacke, 2004, 41 ; Lombardi, 2000, 209).
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[60]
Concernant cette analyse, voir Cristellon (2010, 36-37).
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[61]
À propos des témoins aux tribunaux et des témoignages, voir Povolo (2011, 1-14).
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[62]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 73, fasc. II/8, 23 février 1791.
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[63]
Ibid., fasc. II/7, 18 février 1791.
-
[64]
À propos de la violation de l’intimité en lien avec la forme de l’espace urbain, voir Cowan (2009, 125-127). À propos du quartier en tant que facteur extra-institutionnel de contrôle et de discipline morale des sociétés, voir Hacke (2004, 78-79).
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[65]
Ferraro (2001, 124) et Chojnacki (2000, 371-416) atteignent des conclusions similaires concernant le milieu familial vénitien.
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[66]
Il convient de noter que les affaires dont le tribunal ecclésiastique vénitien est saisi aboutissent, elles aussi, pour un taux assez élevé, au divorce ou à l’annulation du mariage. Toutefois, le nombre de sentences semble petit, par rapport à la population de Venise qui s’élève à 140 000 habitants, alors que celle de Corfou atteint les 44 000 habitants, voir De Biase (1981-1982, 147, 149). Sur la population de Corfou, voir Lazari (2004, 314).
1Les procédures de divorce à Corfou à l’époque vénitienne, vues à travers les dossiers du tribunal ecclésiastique orthodoxe de l’île, constituent un champ de recherche privilégié tout autant qu’un terrain cahoteux. Les narrations captivantes des individus du passé nous permettent d’approcher leur vie à un moment extrême du point de vue affectif, moral, mais parfois aussi matériel. Leur déchiffrement est constamment confronté aux interprétations contradictoires, aux approches méthodologiques différentes et aux dilemmes historiographiques [1]. La construction de leurs narrations est sans conteste soumise à des contraintes juridiques, sociales et culturelles précises. Toutefois, la lecture attentive de ces sources ainsi qu’une confiance mesurée envers les témoignages et les dépositions enregistrés (Seidel Menchi, 2000, 67) peuvent ouvrir de multiples perspectives sur le quotidien des gens de l’époque.
2En tout premier lieu, la question même du divorce n’est pas univoque pour les orthodoxes des régions grecques sous domination vénitienne [2]. Au contraire, elle apparaît assez compliquée, suivant les politiques vénitiennes plus générales. La politique ecclésiastique vénitienne en Orient n’était pas uniforme. En effet, elle était fonction, d’une part, du mode d’intégration d’une région au Stato da Mar et, d’autre part, de la conjoncture du moment. Ainsi, en Crète, où les évêchés orthodoxes avaient été abolis en raison des soulèvements des habitants, (Karydis, 2010, 296-297) les conflits conjugaux entre orthodoxes étaient très probablement exclusivement jugés par l’évêque latin de Candie et non pas par les protopapas, c’est-à-dire, par les chefs de l’Église orthodoxe locale nommés par Venise. Dans ces conditions, bien qu’ils pussent se séparer de leur conjoint, les autochtones ne pouvaient probablement pas obtenir le divorce afin de conclure un second mariage. C’est peut-être cette impossibilité d’obtenir le divorce qui est à l’origine de plusieurs cas de bigamie apparus sur l’île et enregistrés dans les décisions de l’archevêché latin de Crète, entre 1598 et 1609 (Foscolos, 1985, 155-174). En revanche, dans les îles Ioniennes, le prononcé du divorce semble avoir été une procédure juridique ordinaire relevant de la compétence des évêques orthodoxes des régions concernées (Céphalonie-Zante, Santa Maura [3]). À Corfou également, en dépit de l’absence d’évêque orthodoxe, c’était le tribunal ecclésiastique orthodoxe qui avait compétence en matière de mariages célébrés selon le rite orthodoxe [4].
3Afin de réaliser la présente étude, nous avons étudié 53 dossiers de divorce entre 1748 et 1791, sur un total d’environ 290 dossiers relevant de cette période précise. Parmi eux, un dossier semble ne pas avoir abouti à une décision ou bien celle-ci n’a pas été conservée. Dans une autre affaire, la procédure a été interrompue à la demande du plaignant. Une affaire de divorce a été conclue par une décision de séparation de lit et, enfin, une autre procédure aboutit à l’injonction de réunion du couple. En revanche, toutes les autres affaires furent conclues, au bout de quelques semaines ou de quelques mois, par un divorce ou par l’annulation du mariage des parties. Sur ce point, il convient, de préciser que le nombre d’affaires de divorce jugées et concernant lesquelles une décision fut rendue n’est probablement pas identique au nombre de demandes introduites devant le tribunal ecclésiastique [5]. Plus précisément, nous avons choisi d’étudier des périodes de deux ans chacune,1748-49, 1760-61, 1780-81 et 1790-91, auxquelles correspondent respectivement 15, 15, 12 et 11 cas. Les raisons étaient, d’une part, d’ordre pratique : en effet, selon les documents jusqu’ici étudiés, l’enregistrement de procès-verbaux semble commencer à partir de 1738 et leur forme est établie avant la première moitié de celui-ci [6]. Et, d’autre part, elles sont liées à la question de savoir dans quelle mesure les changements ayant lieu dans la Dominante, i. e. Venise, concernant l’institution de la famille et les fissures dans le système patriarcal après 1740 et surtout après 1750, se reflètent dans une colonie lointaine du Stato da Mar [7].
4L’approche et l’interprétation du matériel présentent plusieurs difficultés [8]. Celles-ci sont renforcées par le manque de travaux approfondis sur ce sujet concernant les territoires grecs sous domination vénitienne [9]. Ainsi, l’étude des dossiers de divorce du tribunal ecclésiastique orthodoxe de Corfou nous permettra d’aborder un large éventail de questions portant sur les rapports entre l’Église orthodoxe, l’Église catholique et l’État vénitien, sur l’histoire de la justice, l’osmose culturelle et juridique entre Venise et une périphérie du Levant, les rôles sexués dans la société locale, les affects, ainsi que sur les stratégies dont les sujets vénitiens de rite grec disposaient afin d’obtenir gain de cause.
Le contexte historique
5Conquête des Angevins de 1266 à 1386, Corfou passa, en cette dernière année, sous domination vénitienne, à l’initiative de ses habitants [10]. L’empire byzantin qui s’effondrait et le péril ottoman évident furent de puissants motifs incitant les habitants de Corfou à poursuivre leur intégration sous le drapeau vénitien. Les négociations entre les deux parties s’achevèrent par l’émission de la chrysobulle, c’est-à-dire du document officiel validant l’adhésion de l’île au Stato da Mar, où étaient, entre autres, consignés les privilèges que les habitants de l’île acquéraient en vertu de leur intégration volontaire au Dominio. Dorénavant, et, ce jusqu’à la fin de la République de Venise, en 1797, la vie économique, politique et sociale de l’île était aménagée dans une interaction constante entre centre et périphérie. L’asymétrie évidente des rapports était en faveur de la Dominante : l’organisation de la défense, la guerre, l’économie et la justice pénale étaient toujours placées sous le contrôle absolu de Venise tandis que les affaires locales étaient exclusivement gérées par le conseil de la ville de l’île, tantôt convergeant avec et tantôt divergeant des avis de Venise et de ses représentants sur l’île. Aux premiers siècles de la domination vénitienne, ce conseil était étendu et tous les habitants permanents et adultes de la ville de Corfou y participaient. Toutefois, entre la fin du xvie et le début du xviie siècle, il évolue en un organe politique fermé ; son accès est conditionné par la satisfaction de critères précis [11]. L’oligarchisation de la société locale semble due au fait que les élites de la périphérie étaient exclues de la scène politique de la lagune et définitivement cantonnées aux affaires intérieures de la colonie [12]. Les changements sociaux et politiques dans la périphérie Ionienne qui, outre Corfou, concernaient également les autres îles vénitiennes et se reflétaient jusque dans les conseils de ville, entraînèrent la formation d’une société strictement stratifiée et la constitution de puissantes identités sociales et politiques (Papadia, 2004, 273-425). Dans ces conditions, le sommet de la pyramide sociale était occupé par le groupe fermé des cittadini [13] qui se reproduisait au moyen de stratégies matrimoniales endogames. Suivaient les civili, sujets qui, tout en remplissant les critères d’admission au conseil, demeuraient hors de celui-ci, revendiquant depuis les derniers siècles leur reconnaissance en tant que groupe social juridiquement distinct (Arvanitakis, 2000, 13-14). Enfin, les nombreux popolari, eux aussi habitants de la ville, et les habitants des zones rurales, les paysans, encore plus nombreux et aux hiérarchies internes puissantes, complétaient, dans les grandes lignes, la structure sociale.
6Le conseil de la ville, dont le nombre de membres était limité, constituait un des deux pôles de pouvoir de l’île. Le second, le pôle vénitien, était représenté par le recteur vénitien, patricien élu par le Grand Conseil de Venise. Son mandat était limité dans le temps et son rôle était celui de médiateur entre la société locale et le gouvernement de la lagune, sous le contrôle de la Dominante (Viggiano, 1999, 5-16). En même temps, des foyers de pouvoir épars, qui n’étaient pas clairement définis sur le plan institutionnel, étaient identifiés dans la campagne, où les représentants des villages, les vecchiardi, assumaient le rôle d’intermédiaires entre les paysans et l’autorité vénitienne (Lambrinos, 2010, 140-141, 149-150). Et, bien entendu, au-delà des limites du pouvoir institutionnel, existaient des pouvoirs parallèles, se mouvant entre espace public et espace privé, des réseaux clientélaires et familiaux, des relations de patronage, des factions et des camps formant les dynamiques politiques et sociales de l’île [14].
7Dans cette réalité aux multiples facettes, par le biais de ses représentants et de ses organes gouvernementaux centraux, de négociations constantes avec les ordres et les différents groupes, mais aussi en reconnaissant la pluralité des juridictions des diverses collectivités politiques et religieuses, Venise s’efforçait de préserver les équilibres et de prévenir autant que possible les réactions susceptibles de s’avérer pernicieuses pour sa domination [15].
8Dans le même environnement politique et social complexe, mener une politique ecclésiastique était complexe et souvent contradictoire [16]. Ici, l’asymétrie des rapports était évidente et renforcée par la présence et le rôle actif de l’Église catholique et de l’évêque catholique de l’île au sommet de la hiérarchie ecclésiastique locale. Toutefois, tant à Corfou que dans les autres colonies vénitiennes du Stato da Mar, la particularité résidait dans la différence de dogme entre dominants et dominés. En outre, à Corfou, l’absence d’évêque orthodoxe et l’élection d’un homme religieux originaire du pays, cittadino, à la tête de l’Église orthodoxe à l’office du Grand Protopapas [17], eurent pour effet que cette dernière fut souvent exposée à la suprématie autoritaire de l’Église catholique et, surtout, à l’arbitraire de ses officiants. Patriciens vénitiens pour leur majorité, les évêques catholiques entretenaient souvent des relations proches avec les administrateurs de la colonie – eux aussi des patriciens vénitiens – et ignoraient souvent, non seulement les prescriptions du gouvernement vénitien, mais aussi celles du pape lui-même (Yotopoulou, 2002, 90). Dans ces conditions, les tensions entre les deux Églises étaient inévitables, minant les principes fondamentaux de la gouvernance vénitienne qui s’appuyait sur le consensus ou, à tout le moins, sur un semblant de consensus suffisamment convaincant et, certainement, fonctionnel (Yotopoulou, 2002, 96-100). Ces tensions portaient principalement sur le fait que les évêques catholiques poursuivaient l’application des principes du dogme catholique concernant les sacrements, l’ordination des prêtres orthodoxes et les mariages mixtes (Zaridi, 1995, 25-26). En ce qui concerne, en particulier, le dernier point, les interventions de l’Église catholique furent, dans certains cas, particulièrement drastiques, allant même jusqu’à éloigner physiquement l’un des deux conjoints après le sacrement (Chauvard, 2018, 182-183 ; Setti, 2014, 157-158 ; Yotopoulou, 2002, 96). D’un autre côté, les interventions de Venise en faveur des sujets étaient alignées sur la conjoncture plus générale. Ainsi, l’agressivité de l’Église catholique à l’époque de la Réforme aiguisa les réflexes du gouvernement vénitien qui tentait de trouver un équilibre entre les exigences de Rome et les réactions de ses sujets hétérodoxes. En fonction de l’enjeu et de la qualité des rapports du moment avec le Siège papal, le gouvernement de la lagune apparaissait plus ou moins conciliant, veillant à satisfaire ne serait-ce que de façon élémentaire les autochtones orthodoxes, surtout à partir des dernières décennies du xvie siècle, sans, en même temps, miner ses propres intérêts (Papadia, 1993, 182-183).
9En tout état de cause, en raison de la distance politique et géographique entre l’Église orthodoxe de Corfou et le Patriarcat de Constantinople (Karydis, 2010, 304) et des conditions politiques et culturelles liées à la domination de l’île, il était nécessaire d’éviter les collisions frontales avec l’Église des Dominants. Par voie de conséquence, l’influence de leur Église sur celle des dominés, à tout le moins sur les questions ne touchant pas aux principes structurels du dogme et aux us et coutumes du pays, devenait inévitable. En effet, le Grand Protopapas était élu par un groupe de prêtres corfiotes et par le conseil local, dont il devait être membre (Karydis, 2010, 300), et obtenait l’agrément des autorités vénitiennes. Il était chair de la chair du système au sein duquel son identité avait été construite et qu’il était tenu de servir avec cohérence.
Le tribunal ecclésiastique orthodoxe de Corfou et la procédure de divorce
10Le tribunal était présidé par le Grand Protopapas ou son remplaçant, portant le titre de Vice Grande Protopopa ou de Sakellarios, assisté d’un greffier, connaissant la langue grecque, d’un clerc et de notaires. Il n’est pas certain que d’autres représentants du clergé aient participé régulièrement au tribunal. En effet, dans au moins un des cas considérés dans la présente étude, deux prêtres avaient été invités en tant que juges externes [18]. Cela devait très probablement se produire dans des affaires difficiles, impliquant des personnalités importantes de la société locale, et ne relevait certainement pas d’une pratique ordinaire. Enfin, il semble que les avocats des parties jouaient également un rôle important, sans que nous disposions de données précises à ce propos (Kapadochos, 1990, 71). L’on sait, toutefois, qu’à Corfou il existait un marché juridique très développé et que plusieurs Corfiotes, descendants de familles aisées, étudiaient le droit à l’Université de Padoue (Ploumidis, 1971, 84‑195 ; Tzivara, 2015, 239-258 [19]).
11Le dossier était introduit par la pétition du conjoint non fautif. Dans la majorité des cas, elle était déposée en langue italienne (plus rarement, en langue grecque) et théoriquement rédigée par l’intéressé lui-même mais, en réalité, établie par un procuratore. Le plus souvent, après une introduction étendue décrivant la vie commune et les problèmes qu’elle rencontrait, le texte était conclu par une série d’articles où étaient distinctement formulées les accusations, suivies des noms des témoins pour chacune d’entre elles. Ensuite, le Grand Protopapas prenait connaissance de la pétition. S’il estimait que les motifs pour tenir un procès étaient suffisants, il convoquait le demandeur ou la demanderesse auxquels il était demandé, par le biais de questions précises, de confirmer oralement les accusations déjà enregistrées. À cette étape, l’intéressé pouvait produire, en guise d’éléments de preuve supplémentaires, des documents officiels et les preuves nécessaires permettant d’étayer ses thèses. Immédiatement après, l’huissier convoquait les témoins. Ceux-ci étaient tenus de se présenter au tribunal, à moins qu’une cause grave, telle qu’une maladie, les en empêche. Dans ce cas, un notaire était dépêché et, en présence d’un prêtre, enregistrait les réponses du témoin. Aux témoins, hommes et femmes, les questions posées étaient stéréotypées et portaient exclusivement sur le contenu de la pétition et, notamment, sur celui des articles au titre desquels ils avaient été invités à donner leur déposition, sans que le tribunal ne tente d’explorer l’affaire afin de découvrir les aspects sous-jacents de celle-ci. Un peu plus tard, probablement le lendemain ou la semaine suivante, sur ordre du Grand Protopapas, l’huissier invitait le défendeur ou la défenderesse. La convocation pouvait être envoyée jusqu’à trois fois. Le refus de la personne concernée de se présenter était passible de peines dont la plus grave était celle de l’excommunication. Les parties se présentaient au procès en personne. En cas d’impossibilité et, surtout, d’absence, ils pouvaient être représentés par des parents ou procuratori. En tout état de cause, ils avaient le droit de recevoir une copie du dossier afin de déposer, eux-mêmes ou leurs représentants, l’acceptation écrite des accusations, en demandant au Protopapas de procéder conformément aux dispositions de la justice et selon son appréciation à la dissolution du mariage. Ou bien, ils pouvaient déposer la controdifesa, dans laquelle ils réfutaient les accusations et présentaient leur propre version des faits, dans un texte dont la structure était équivalente à celle de la pétition. L’examen des pétitions par le Grand Protopapas concluait la procédure d’audience et, dans un bref délai, la sentence était rendue [20]. Cette sentence était, semble-t-il, définitive et non passible d’appel [21].
12Entre 1738 et 1797, année qui marque la fin de la domination vénitienne sur l’île, l’on dénombre près de 340 affaires de divorce, parmi lesquelles les 53 dossiers examinés dans la présente étude. Nous les présentons classées en fonction de la principale accusation qui, formulée par les demandeurs, motiva leur demande de dissolution du mariage.
Les raisons du divorce
L’adultère comme cause de divorce
13Dans toutes les sociétés patriarcales de l’Occident, l’honneur du foyer était indissolublement lié à la sexualité féminine et l’honneur de l’homme dépendait de la capacité de celui-ci à contrôler le comportement sexuel des femmes relevant de son pouvoir (Musacchio, 2014, 12 ; Harvey, 2005, 203 ; Hacke, 2004, 204). Il n’est donc pas surprenant de constater que les plaintes pour adultère aient été, dans une grande mesure, formulées par des hommes. Le cas de Corfou ne semble pas s’écarter de cette tendance générale. Ainsi, parmi les douze cas d’adultère dénoncés, dans l’échantillon de l’étude, neuf le furent par des hommes (Ploumidis, 2008, 73,). Ceux-ci eurent recours au tribunal afin de dissoudre leur mariage soit après avoir donné à l’épouse de morale contestable plusieurs occasions de retrouver le droit chemin, soit immédiatement après qu’eux-mêmes ou leur entourage ont découvert le crime sexuel. Ainsi, Zuanne Ruscia indiqua dans sa pétition avoir épousé une pubblica meretrice (prostituée) de Zante bien qu’il ait su alors qu’elle était de moralité douteuse. Il pensait, disait-il, qu’elle changerait de vie. Non seulement cela ne se produisit pas, mais il semblerait que, après vingt ans de vie commune, elle tenta même de l’empoisonner, le dénonça aux autorités pour abus de deniers publics et l’abandonna pour regagner son île et son ancienne profession, ainsi que l’indiquèrent aussi bien l’époux que les témoins qu’il avait proposés [22].
14Deux autres femmes, l’une venant du village d’Argirades et, l’autre, habitant dans la banlieue de San Rocco, ont commis l’adultère avec des ouvriers de leurs époux ou de parents de ceux-ci. C’est ce que dénoncèrent les demandeurs ainsi que des voisins et des personnes de l’entourage des intéressés qui furent convoqués en tant que témoins. Parmi ceux-ci, certains avaient entendu les rumeurs sur l’infidélité des épouses, d’autres les avaient vues converser avec une familiarité indécente et s’enfermer seules dans la maison avec leur amant et, dans un cas, l’indiscrétion d’une voisine la conduisit devant le spectacle des deux amants, nus, dans le lit conjugal [23]. Concernant la première affaire, la décision du Grand Protopapas n’est pas conservée ou n’a pas été rendue, pour des raisons inconnues. En revanche, dans la seconde, le mariage fut dissout et l’homme put dès lors conclure un second mariage tandis que, concernant la femme, il était noté qu’elle était déférée pour être jugée par la loi. En l’occurrence, cela signifie probablement que la femme adultère serait déférée au tribunal du reggimento et jugée selon le droit vénitien qui prévoyait habituellement la peine de l’exil (Hacke, 2004, 40). Conformément aux dispositions du droit canonique orthodoxe, le conjoint adultère n’avait pas le droit de se remarier. Comme l’on peut s’y attendre, il en allait de même à Corfou bien que, dans au moins un cas, l’on constate une certaine souplesse dans l’application de la loi : sur demande, l’épouse adultère avait eu la possibilité de conclure un second mariage mais, ce, après le décès de son époux [24].
15Indépendamment de la décision finale, dans les demandes introduites et ensuite jugées par le Grand Protopapas, l’image de la masculinité atteinte était construite par le discours. L’homme était présenté comme la partie faible de l’équation conjugale, qui avait perdu le contrôle sur son épouse dont le corps appartenait dorénavant à quelqu’un d’autre et qui, au moyen de la décision judiciaire, recherchait le rétablissement, ne fut-ce que partiel, de son honneur [25] Le comportement des demandeurs et les témoignages publics les concernant correspondaient à toutes les caractéristiques du modèle d’homme et d’époux socialement et institutionnellement acceptable : d’abord, il assurait les conditions matérielles de vie de son foyer au moyen de sacrifices, dans la majorité des cas, et ensuite, il respectait et aimait son épouse. L’amour et la tendresse étaient certes importants, mais le soutien matériel de la famille l’était plus encore (Ferraro, 2001, 122 ; Hacke, 2000, 54 ; Foyster, 1999, 39-48). Il s’agit d’histoires plus ou moins vraisemblables, reproduisant le modèle masculin dominant de la société corfiote, bien que, dans plusieurs cas, il soit clair qu’en réalité les limites de tolérance morale étaient plus souples et que le poids social de l’atteinte à l’honneur n’était pas si pesant : les époux trompés avaient recours au tribunal uniquement lorsque leur épouse les quittait et après avoir, semblait-il, toléré son comportement déviant pendant longtemps. Ce comportement pourrait s’expliquer par des raisons financières, affectives, ou la volonté de ne pas perturber un quotidien problématique mais confortable. Il est toutefois probable que, derrière la narration, se cache un artifice juridique consistant à renforcer l’image négative de l’épouse adultère, d’une part, et, d’autre part, celle de l’attachement de la victime à l’institution du mariage, même si cela impliquait de porter atteinte à son honneur d’homme. Quoi qu’il en soit, le fait est qu’il n’était pas reconnu de circonstances atténuantes à la femme adultère et que, dans la majorité des cas, les épouses ne comparurent pas afin de fournir leur propre version des faits. Aux yeux du tribunal, elles avaient contesté l’institution du mariage, contre les lois divines et humaines. C’est pourquoi, lorsque le crime était prouvé, leur condamnation était dure et non négociable [26].
16L’attitude du tribunal était totalement différente face aux hommes adultères. Et bien que, théoriquement, commis par un homme ou par une femme, l’adultère dût présenter le même poids sur le plan juridique, dans ce cas prévalaient des critères sociaux sexués et l’homme, tout en étant condamnable, devenait l’objet de critiques publiques sans toutefois être marginalisé, ni subir les mêmes dures sanctions que les femmes (Hacke, 40, 2004 [27]). En effet, tant selon le droit canonique orthodoxe que selon la loi vénitienne, la femme adultère perdait sa dot qui était transférée soit à l’époux soit, pour une partie, aux descendants du couple, le cas échéant (Armenopoulos, 1793, 246‑247, 315 ; Ferro, 1845, 53, 648). L’accusation d’adultère pouvant anéantir moralement et financièrement la femme, il n’est pas étonnant de constater que le tribunal du Grand Protopapas présentait des traits sexués profonds en ce qui concerne la faute de l’adultère.
17Dans ces conditions, pour ce qui est des trois dénonciations de femmes portant sur l’adultère, il semble qu’accuser l’époux d’entretenir des relations extraconjugales n’était pas suffisant. Ainsi, le texte de la pétition était enrichi d’accusations de maltraitance, d’incapacité de répondre aux besoins matériels fondamentaux de la famille, de dilapidation de la dot dans une vie dissolue. Mais, même dans ces cas de violence extrême exercée par le partenaire, en combinaison avec la lubricité, il semble que l’issue du procès fût incertaine. Ainsi, Maria Comatà prétendit que son époux adultère l’attaqua au couteau, incident également confirmé par les témoignages de voisins et de professionnels de la santé. Toutefois, la controdifesa de l’époux qui dépeignit Maria comme prétentieuse et autoritaire, sans aucune référence à sa propre violence ni aucune disposition à justifier la molestation de son épouse ou l’adultère a probablement été déterminante pour l’issue de l’affaire. Ainsi, en lieu et place de divorce, le Grand Protopapas invita les époux à reprendre la vie commune et à vivre avec amour, comme le veulent l’Église et Dieu [28].
Le mariage forcé et les sentences d’annulation
18Dans le monde tant catholique qu’orthodoxe, le consentement des futurs époux était une condition nécessaire à la validité du mariage. Toutefois, dans une société patriarcale, les sauvegardes permettant d’assurer cette condition étaient tout sauf solides. Les stratégies entre familles des couches sociales supérieures et la nécessité de reproduire les cloisons sociales conduisaient à adopter des stratégies de mariage qui souvent ne laissaient pas le choix aux intéressés (Sperling, 1999, 23-24). De même, dans les couches sociales inférieures, le besoin d’établir une bonne situation pour une jeune orpheline ou d’exploiter son patrimoine, l’établissement d’une situation pour une femme dangereusement belle ou insoumise, les intérêts des parents et des tuteurs pouvaient également conduire à des mariages sans consentement.
19Dans l’exemple de Corfou, pour les périodes examinées, nous avons identifié 18 jugements sur des affaires de mariage sans consentement [29]. Quinze femmes et trois hommes ont choisi d’avoir recours au Grand Protopapas pour mettre fin à une relation communément considérée comme tyrannique qui, selon les pétitions et les dépositions des témoins, leur avait été imposée par des parents et la famille, décrits comme austères et autoritaires. Les demanderesses y avaient recours au bout de quelques mois ou, parfois, après plusieurs années de vie conjugale. Les hommes, eux aussi, lancèrent les procédures judiciaires plusieurs années après le mariage. Il convient de souligner que, dans les affaires examinées, les demandeurs ne demandent pas l’annulation du mariage mais le divorce. De plus, il existe une confusion plutôt généralisée entre les notions de divorce, de dissolution et de séparation, qui sont utilisées comme synonymes.
20En 1742, Spiro Servi, orphelin de père, avait été contraint par son frère d’épouser à 20 ans une femme âgée de 55 ans, pour des motifs financiers : l’absence de descendants d’une telle union devait garantir au tuteur de Spiro de léguer l’ensemble du patrimoine familial à ses propres descendants. Six ans plus tard, Spiro demanda la dissolution du mariage [30]. De même, le noble Iseppo Lepegniotti, âgé de 19 ans, fut forcé par la sœur de son père d’épouser Teodora, également noble, âgée de cinquante ans. Plusieurs années plus tard, il eut recours au juge ecclésiastique afin de dénoncer non seulement le fait qu’il ne désirait pas le mariage mais que, en plus, il avait fait la connaissance de la mariée au moment de la célébration du sacrement [31]. Un autre jeune homme, Livio Caludi, avait été « convaincu » par son entourage, à l’âge de 10 ans d’épouser Stamatella Canderò à peine plus âgée [32].
21Des histoires similaires et bien plus nombreuses, concernant les femmes, furent traitées à la même période par le tribunal ecclésiastique de l’île. En 1790, Caterina Lepegniotti, d’ascendance noble [33] (cittadina), aurait été contrainte par sa mère d’épouser, à l’âge de 14 ans, Zuanne Vonda, instable et porté aux abus, qui avait été condamné dans le passé par la justice vénitienne [34]. D’ascendance noble (cittadina) également, Caterina Mustoxidi eut recours à la justice, neuf ans plus tôt, pour mettre fin à son mariage avec Antonio Marcoran, noble (cittadino) lui aussi. Son statut social, déclara-t-elle, ne lui avait pas permis de s’opposer à la volonté de ses parents et de ses frères. Toutefois, « son cœur ne pouvait pas se soumettre à ce sacrifice », d’autant plus qu’Antonio la maltraitait, ne couvrait pas les besoins du foyer et la forçait à demander le soutien financier de sa mère. Ainsi, dix ans après son mariage, elle quitta le foyer conjugal, regagna le foyer paternel et revendiqua sa liberté [35].
22D’autres femmes également, issues des couches sociales moyennes et inférieures, racontèrent leur propre histoire, présentèrent des arguments similaires dont le dénominateur commun est la violence, physique et psychologique, exercée avant le mariage. Plusieurs, firent également état de maltraitance, voire, d’abandon en raison de l’incompatibilité de caractère entre les deux conjoints. Ce sont des femmes déterminées à clore le chapitre de leur mariage non consensuel. Elles étaient soutenues par les témoins de la défense : des voisins surtout, des amis et des connaissances qui les avaient entendues pleurer, inconsolables, et hausser le ton face à un mariage non désiré, qui les avaient vues faire l’objet de violences physiques et forcées de consentir, sous le poids des menaces devant l’autel. Elles étaient également soutenues par les parents ou les proches qui les recevaient de retour dans leur foyer et qui, semble-t-il, dans la majorité des cas, leur offraient également un soutien financier, selon leurs possibilités. Qui plus est, dans certains cas, certains parents se présentaient eux-mêmes comme témoins pour confirmer leur propre comportement contraignant envers les demanderesses.
23Et c’est précisément sur ce point qu’il est intéressant de concentrer notre attention. En effet, l’on peut se demander comment des parents – nobles ou non – qui, quelques années, voire, quelques mois auparavant, avaient fait pression sur leur fille et, usant parfois de violence, l’avaient conduite devant l’autel, lui offraient le refuge à elle et, souvent, à ses enfants. Dans plusieurs cas, la maltraitance et le danger pour la vie de la femme pouvaient avoir joué un rôle dans le changement d’attitude. Toutefois, du côté des défendeurs, confirmer dans la controdifesa la vita misera e agitata avec leur épouse et consentir à la dissolution du mariage également malheureux pour eux, soulève certaines questions. La présence de leurs parents, qui soutiennent les défenderesses, soulève également des questions. Ainsi, la mère d’Anastassi Montessanto dira avec sympathie qu’elle voyait sa bru se tenir à la porte de sa maison tous les soirs et pleurer toutes les larmes de son corps, parce qu’elle ne voulait pas se coucher dans le lit de cet époux que ses parents l’avaient forcée à épouser [36]. Mais, même lorsque les accusations d’abandon du foyer conjugal étaient réfutées, le défendeur ne contestait pas le fait que l’épouse aurait pu avoir été contrainte par sa famille. C’est le cas du père de Lolo Calichiopulo : il soutient que son fils avait assumé les frais de son épouse, même à distance, mais admet que sa bru était très jeune lorsqu’elle se maria et que lui-même ne savait pas si elle avait consenti au mariage [37]. Ainsi, d’une part, il n’était pas porté atteinte à l’honneur de son fils, puisque le fait qu’il soutînt financièrement son épouse ne fournissait pas d’arguments juridiques supplémentaires à son encontre et, d’autre part, cela laissait de la marge pour prononcer la décision de dissolution du mariage.
24Le fait que, dans la majorité des cas, dans leur texte destiné aux autorités, les deux époux convenaient que la vie conjugale était insoutenable soulève également des questions. Ils évoquaient ainsi le manque d’amour, de tendresse, de soins et demandaient à la justice ecclésiastique de dissoudre le mariage. Cependant, le nombre élevé de procès portant sur des mariages non consensuels pourrait cacher une réalité différente. L’absence de dispositions relatives au prononcé de divorce par consentement mutuel dans le droit canonique de l’Église orthodoxe, aurait théoriquement dû empêcher de prononcer de tels divorces [38]. Néanmoins, l’on sait que, dans certaines régions de l’espace grec sous domination ottomane, comme les îles Naxos, Paros, ce type de divorce n’était pas un phénomène rare surtout pendant le xviiie siècle où ce type de divorce a considérablement augmenté. L’impossibilité pour les deux conjoints de coexister de façon pacifique, les menaces de suicide de l’un d’entre eux mais, surtout, la nécessité de les empêcher d’avoir recours au tribunal musulman, où la dissolution du mariage était chose aisée si le demandeur se convertissait à la religion musulmane, expliquent ce type de décisions (Ginis, 1960, 242-244 ; Papagianni, 1997, 120-121). En outre, la licéité de ce prononcé était d’une certaine façon établie grâce à la disposition légale byzantine relative à la « haine intransigeante », valable aussi dans le monde orthodoxe, à tout le moins dans de l’espace grec sous domination ottomane, en tant que cause de divorce [39] (Troianos, 1983 16-17, Papagianni, 1997, 119). En d’autres termes, on observe une application souple des règles juridiques. Il était ainsi possible de rendre le droit fonctionnel et de lui permettre de répondre aux besoins du quotidien de l’époque tout en n’affaiblissant pas l’Église orthodoxe en lui imposant la perte de ses ouailles et son contrôle sur la vie de celles-ci (Ginis, 1960, 242-244).
25En revenant à l’exemple de Corfou, il ne faut pas oublier que l’Église orthodoxe de l’île n’opérait pas en totale indépendance mais bien à l’ombre de l’Église catholique locale, toujours prête à réagir ou à intervenir (Chauvard, 2018, 182-183 ; Setti, 2015, 50-52 ; Yotopoulou, 2002, 96-98). En effet, si le divorce par consentement mutuel existait sur le plan juridique dans l’Église orthodoxe sous la domination ottomane, cela n’impliquait pas nécessairement que les dispositions ecclésiastiques concernées étaient également appliquées dans les régions sous domination vénitienne [40]. Ainsi, bien que la pratique de l’annulation du mariage n’ait pas été répandue dans l’Église orthodoxe, à l’ère byzantine, l’annulation du mariage est préférée principalement dans les cas où les époux sont mineurs (Kiousopoulou, 1990, 65 ; Papagianni, 1997, 127-128) et en cas de bigamie (Papagianni, 1997, 126). Dans l’espace grec sous domination ottomane, en l’absence de consentement d’un des deux conjoints, les tribunaux ecclésiastiques tendaient à prononcer le divorce et, très rarement, l’annulation du mariage (Sfyroeras, 1956, 40-42, 44-45 ; Karpathios, 240-243). À Corfou au xviiie siècle, étant donné que le divorce était possible, en dépit des différences de nuances et d’effets des deux actes juridiques, le tribunal ecclésiastique optait pour le prononcé d’une décision existant dans l’Église catholique et constituant pour le monde catholique l’unique façon de dissoudre un mariage dans le cas précis de non-consentement (Ferraro, 2001, 9 et 28 ; Hacke, 2004, 47).
26Toutefois, dans les régions sous domination vénitienne – où les mariages mixtes étaient fréquents – il est probable que l’annulation était le moyen d’assurer au conjoint catholique la possibilité de contracter un nouveau mariage dans l’Église catholique sans rencontrer d’obstacles et c’est pourquoi cette solution était fréquemment choisie par le tribunal du Grand Protopapas [41]. Dans une autre interprétation, les nombreuses sentences d’annulation pourraient s’expliquer comme un retrait tactique de l’Église orthodoxe, une manœuvre opportuniste et permettant de sauver la face à l’Église catholique de Corfou, plus puissante sur le plan politique ; une attitude qui, en d’autres termes, reconnaissait les pratiques juridiques des catholiques, alors qu’en réalité les demandeurs et les demanderesses pouvaient agir de la même façon, pour obtenir le divorce ou l’annulation de leur mariage.
27D’autre part, les parties elles-mêmes agissent selon des modalités exactement identiques à celles suivies par les parties catholiques lors des procès en annulation. L’étude des dossiers qui aboutissent à l’annulation du mariage montre que, tout en s’adressant au tribunal de l’Église orthodoxe, le contenu des demandes, le mode de formulation des accusations, les dépositions des témoins, suivent le modèle des dossiers correspondants dont était saisi le Patriarche de Venise. « Mes lèvres disaient le « oui », mais pas mon âme », prétendront les femmes catholiques de Venise et les femmes orthodoxes de Corfou, devant le juge [42]. L’on pourrait donc soutenir que les sujets orthodoxes jouent également selon les termes de l’Église de la Dominante, même s’ils s’adressent à leur propre Église. Toutefois, pour eux, le divorce et la possibilité de contracter un deuxième, voire, un troisième mariage constituait une réalité culturelle séculaire, liée à la mentalité, aux sentiments et aux réflexes sociaux ainsi qu’à la tolérance de la société locale. En effet, si le divorce était une possibilité non négociable pour les Corfiotes orthodoxes, les modalités de sa demande pouvaient suivre, sur le plan « technique », des parcours similaires à ceux suivis par les parties catholiques.
« Je ne reçus jamais de réunion charnelle » : l’impuissance sexuelle et le divorce
28Bien que l’annulation du mariage à Corfou ait été principalement liée à l’absence de consentement, dans un cas unique la décision s’appuie sur l’impuissance sexuelle de l’époux. Selon la déposition de la demanderesse, à l’âge d’onze ans, elle avait épousé Francesco Suchera avec lequel elle n’eut jamais de relations sexuelles, bien que, pendant plusieurs années, en tant que couple, ils aient partagé le même lit. Ses dires étaient confirmés par son époux, un peu plus âgé qu’elle [43]. Cependant, la référence à l’âge de la mariée n’était pas anodine : en effet, la femme n’était en état de consentir qu’après avoir atteint l’âge de douze ans. Mais, en dépit du fait que, selon la date portée sur le certificat de baptême et de mariage, elle avait atteint cet âge avant le sacrement, la sentence, publiée en 1742, ne tint pas compte de la preuve de l’impuissance sexuelle masculine mais privilégia celle de l’impossibilité de consentir, sans mentionner l’incompatibilité entre preuves et accusation [44]. S’agissait-il de quelque lecture désinvolte des éléments de preuve ou du souhait de protéger l’époux, également jeune, qui, autrement, selon les dispositions en vigueur, n’aurait pas eu le droit de se remarier ? C’est une question à laquelle le dossier peu étoffé ne permet pas de répondre. Il peut cependant soulever des questions quant à l’attitude de l’Église orthodoxe et du droit canonique envers le sexe masculin en matière d’impuissance sexuelle. Ainsi, bien que les règles fussent claires, interdisant le mariage à l’époux fautif, il était accordé une marge plus importante de renégociation au défendeur de masculinité fragile, en termes sexuels, et de rétablissement de son honneur d’homme, lui évitant d’être stigmatisé et marginalisé. D’ailleurs, la capacité sexuelle était une condition nécessaire au contrôle absolu de l’époux sur son épouse [45]. Dans le même sens, l’absence de descriptions éloquentes des moments intimes du couple et des efforts consentis afin de consommer leur mariage, pourtant habituelles pour le tribunal du Patriarcat de Venise (Ferraro, 2001, 70-103), pourrait être liée au refus probable de l’Église de Corfou de violer la vie privée des époux afin de protéger le coupable. On ne peut cependant pas exclure que l’absence de ce type de détails soit simplement due à la facilité plus globale avec laquelle l’Église orthodoxe accordait le divorce. En dépit de cela, dans ce cas comme dans d’autres, la référence indirecte de la demanderesse à son désir sexuel non satisfait ne manque pas, ni les allusions à ses vains efforts pour le satisfaire dans le cadre de la relation conjugale. Il s’agit de références dont le but est de déconstruire la masculinité par rapport à la satisfaction sexuelle de la femme (Ray, 132, 2014).
29Quelques décennies plus tard, en 1788, à l’âge de treize ans, Anastasio Sità fut uni par les liens du mariage avec Crissanti Spingo, âgée de seize ans. Mais, après trois ans de cohabitation, il semble que le mariage n’avait pas été consommé et Crissanti se présenta devant le tribunal en disant qu’il lui avait été dévolu « une femme plutôt qu’un homme » ; et d’ajouter, un peu plus tard, qu’elle ne savait pas si l’absence de vie sexuelle était due à l’impuissance de son époux ou à sa haine envers elle. Formuler l’accusation en sous-entendant l’identité homosexuelle de l’époux renvoyait au crime de sodomie qui, à lui seul, était passible de peines strictes [46]. L’époux ne nia pas son impuissance mais, à sa défense, prétendit qu’elle n’était pas due à quelque faiblesse physique mais au manque d’expérience en raison de son âge tendre et de la pression de l’entourage familial. La dissolution du mariage fut bientôt prononcée, en évitant toutefois, ici aussi, d’indiquer la cause, probablement pour les mêmes motifs que ceux que nous avons exposés plus haut [47]. L’accusation d’impuissance sexuelle portait irrémédiablement atteinte à la masculinité et, par conséquent, à l’honneur des défendeurs. Dans les deux affaires présentées ci-dessus, elle était renforcée par l’accent mis par les demanderesses sur leur désir sexuel inassouvi et leurs insinuations sur leurs vains efforts pour le combler dans le lit conjugal.
30La demande de divorce introduite par Benetto Straticò est un cas particulier, s’écartant de la règle. Ici, au contraire, le demandeur lui-même rend publique, dénonce, en quelque sorte, sa propre impuissance et son impossibilité de remplir ses devoirs conjugaux. Benetto souligne que son mariage devrait être immédiatement dissout afin que son épouse puisse refaire sa vie. S’agissait-il d’un artifice judiciaire permettant de dissoudre le mariage moyennant des contreparties, ou d’un amour conjugal renvoyant à une relation moderne ? En tout état de cause, Benetto produisit un diagnostic médical et argumenta sur la nécessité du divorce en raison du fait que l’unique raison d’être du mariage, c’est-à-dire, la reproduction, n’existait pas. Ce dernier argument ne laissait aucun choix à la justice ecclésiastique qui rendit sa décision deux mois après que le demandeur eut introduit sa demande [48].
« Il ne m’envoya ni missive, ni nouvelles pour dire où il se trouvait » : la disparition
31Corfou était un lieu où prévalaient des conditions particulières. C’était une colonie vénitienne où se rendaient constamment des mercenaires mais aussi des dignitaires vénitiens. L’île était également un lieu de passage pour ceux qui venaient de l’Orient ou qui s’y rendaient. Cela favorisait le mariage de femmes du pays avec des hommes étrangers ou provisoirement établis sur l’île et qui, ensuite, regagnaient souvent leur pays ou quittaient Corfou vers d’autres cieux. En outre, les conditions de vie compliquées et les difficultés financières amenaient de nombreux chefs de famille à rechercher un emploi loin de l’île et hors de l’espace vénitien. Les centres urbains prospères de l’empire ottoman – Constantinople, Smyrne, Thessalonique – étaient souvent le lieu de destination et d’établissement mais aussi le lieu de début d’une nouvelle vie [49]. Certains fondaient une nouvelle famille ou avaient des enfants hors-mariage. D’autres, moins chanceux, mouraient suite aux fréquentes épidémies qui touchaient l’empire voisin ou en raison des privations de la vie quotidienne.
32Caterina Murozenco, mariée depuis 1749, se présenta devant le tribunal en 1761 afin de demander la dissolution de son mariage. Originaire de Moscou et propriétaire d’un café à Corfou, son époux était parti neuf ans auparavant et, depuis, l’on ignorait ce qu’il en était advenu. En fin de compte, durant le procès, il sera révélé qu’il était décédé à Constantinople longtemps auparavant et, par conséquent, en tant que veuve, Caterina pouvait contracter un autre mariage sans que le tribunal ecclésiastique soit impliqué [50]. Concernant le médecin Zorzi Bordoni également, il fut prouvé qu’il était décédé lors de la grande épidémie qui avait touché la capitale ottomane dans les années 1780 (Kostis, 1995, 396-397). Ainsi, son épouse qui avait, entre temps, demandé la dissolution de son mariage, était libre, « régulièrement et légalement, en raison du décès de son époux [51] ».
33Au contraire, non seulement Nicolo Kurkulo était bien vivant plusieurs années après avoir abandonné son épouse, mais l’on disait également qu’il s’était remarié et avait eu des enfants à Arta, centre commercial de l’Épire voisine. Le divorce fut prononcé au motif de l’absence longue de plusieurs années et de la bigamie de Nicolo et, selon la décision rendue par le Grand Protopapas, sa première épouse, Lucia, pouvait se remarier. Mais, aucune référence n’était faite à l’époux bigame et aux effets de son acte illégal, légitimant en quelque sorte son second mariage et minant d’une certaine façon le caractère sacré du mariage [52].
34Ainsi qu’il ressort des affaires considérées, la disparition pesait exclusivement sur les femmes, en raison des rôles et des rapports sexués établis qui, d’une part, autorisaient la mobilité masculine et, d’autre part, chargeaient l’homme du devoir de subvenir aux besoins du foyer. Toutefois, comme dans les affaires d’adultère dont le sexe féminin était la victime, ici aussi, il ne suffisait pas que les épouses dénoncent et prouvent l’absence prolongée de leur époux, dont elles n’avaient plus aucune nouvelle, pour atteindre leur objectif. Les demanderesses devaient également prouver que, durant leurs années de vie conjugale solitaire, elles avaient été des modèles de morale et de dignité, qu’elles vivaient en bonnes chrétiennes et veillaient sur leurs enfants, le cas échéant. Ainsi, lorsque Pierina Caponi se présenta devant le tribunal dix ans après la disparition de son époux, qui l’avait laissée seule avec un « enfant mâle », les témoins attestèrent de sa moralité irréprochable et des sacrifices qu’elle faisait pour son fils qu’elle élevait et éduquait comme un enfant de bonne naissance. Elle fit comme bien d’autres femmes qui regagnaient la maison paternelle ou celle de parents durant les années de disparition de l’époux, et, en réalité, passaient à nouveau sous le pouvoir paternel ou celui d’un autre tuteur [53]. Les raisons étaient sans doute d’ordre pratique mais, en même temps, ce choix constituait une preuve de leur intention de préserver leur réputation et leur honneur. C’est précisément sur la thématique de la moralité et de sa préservation que la majorité de ces femmes fondaient leur argumentaire lorsqu’elles entreprenaient d’obtenir le prononcé du divorce. La nécessité de contracter un second mariage était expliquée dans le dossier en termes de survie non pas seulement financière mais aussi morale : la perte du contrôle de la sexualité menaçait toute femme abandonnée, indépendamment de ses origines, même si les répercussions étaient différentes pour une noble par comparaison avec une femme du peuple. Ainsi, Caterina Vladì, seule depuis plus de sept ans, demanda le divorce en 1749 afin de contracter un autre mariage et, donc, de se placer « sous la gouvernance d’un autre homme [54] ». Le même but est poursuivi avec succès, en 1749, par Maria Curì, abandonnée depuis dix ans par Anastasio Calimeri ; ainsi que par Maria Elisabetta Geleliù, seule depuis onze ans [55]. Cette dernière, qui plus est, ajoute dans sa déposition qu’elle souhaitait se remarier pour « être consolée de ses peines » qui étaient synonymes de la pauvreté et des privations [56].
35Selon le droit de l’Église orthodoxe, le divorce pouvait être prononcé après que trois ou cinq ans se soient écoulés depuis la disparition d’un des conjoints (Ginis, 1960, 246). Toutefois, dans toutes les affaires considérées, la période d’attente fut beaucoup plus longue, se situant entre sept et douze ans. L’allongement du délai peut être mis en relation avec la présence de l’Église catholique sur l’île et ses réactions concernant le prononcé des divorces, dans le cadre de la protection du lien marital. C’est pourquoi, afin de faire preuve de respect à l’égard de l’institution du mariage, presque toutes les demanderesses ne manquaient pas de souligner les efforts constants qu’elles consentaient afin de savoir ce que leur époux était advenu, auprès de gens de passage à Corfou mais aussi de compatriotes qui se rendaient fréquemment dans l’empire ottoman ou dans d’autres régions de l’état vénitien. L’on ne peut exclure, enfin, que cette lenteur relative à demander le divorce s’explique par la volonté de ne dissoudre le mariage que lorsqu’existait la perspective de contracter un nouveau mariage. Dans ces conditions, le divorce devenait socialement acceptable et pouvait être obtenu avec plus de sécurité, excluant la possibilité de réapparition de l’époux disparu après un délai suffisant d’absence, supérieur à cinq ans.
« Parce que je ne suis plus pour pareil homme, tyran et cruel » : la maltraitance
36Tout comme la disparition, la maltraitance était subie exclusivement par les femmes dans la Corfou vénitienne bien qu’en l’occurrence, elle n’apparaisse comme motif de divorce que dans trois affaires. La dimension sexuée du phénomène, les femmes étant les victimes habituelles de la violence (Hardwick, 2006, 1), l’acceptation de la maltraitance des femmes par l’entourage social et le fait que la violence, même modérée, était considérée par certains penseurs ecclésiastiques comme une méthode permettant de remettre les femmes sur le droit chemin, font que les épouses maltraitées étaient peu nombreuses à se présenter devant le tribunal. De plus, la peur face à la réaction violente de l’époux dénoncé, et par conséquent diffamé et déshonoré, pourrait expliquer le nombre limité de plaintes (Hacke, 2004, 50, 125 ; Ruff, 2001, 132).
37En cas de maltraitance, il semble que dénoncer l’exercice de violence ne suffisait pas pour obtenir la dissolution du mariage. Ainsi, deux femmes victimes de violences physiques renforcèrent l’accusation de base en dénonçant les transgressions sexuelles des défendeurs. Dans la première affaire, Elenetta Cacavachi dépose en 1748 avoir risqué au moins cinq fois de perdre la vie en raison des agressions de son époux, tenancier de taverne de son état. Toutefois, outre le fait d’être violent, celui-ci était également accusé de ne pas assurer à son épouse le nécessaire à sa survie et, pire encore, d’avoir des exigences lubriques portant sur des rapports sexuels contre nature [57]. La dernière accusation était particulièrement grave, probablement plus grave que la violence exercée, et justifiait le prononcé du divorce ou de la séparation, pour l’Église orthodoxe comme catholique. Bien qu’elle portât sur des personnes de sexe différent, la sodomie devenait un argument puissant pour le divorce. En effet, contrevenant aux lois divines et humaines, elle mettait en péril les principes moraux mais aussi les équilibres politiques dans un monde strictement stratifié qui devait se reproduire politiquement et physiquement [58]. En dépit de cela, dans aucune des affaires jugées la sodomie ne constituait le principal chef d’accusation. Celle-là venait simplement renforcer l’acte d’accusation et décrivait, avec tout le reste, l’image d’un mariage ayant échoué.
38En revanche, le proxénétisme constituait, à lui seul, un motif suffisant. C’est précisément ce qu’invoque Orsola Belisario devant le tribunal ecclésiastique, ajoutant avoir subi des actes de violence, verbale et physique, de la part de son mari. Qui plus est, elle soutint que celui-ci la contraignait à recevoir des hommes inconnus, à la maison, en sa présence, afin d’accroître ses revenus, après avoir dilapidé la mince dot de son épouse dans une vie dissolue. En rendant publique l’histoire de sa prostitution, à laquelle elle ne consentait pas – ainsi que le prouvaient les témoignages des voisins, qui entendaient ses objections dramatiques – elle instrumentalisait un crime, non seulement pour être lavée du stigmate de prostituée mais aussi pour obtenir le divorce tant souhaité.
39Anastasia Ricchi, noble (cittadina), mariée en secondes noces avec Demetrio Prossalendi, également noble (cittadino), fonda son accusation exclusivement sur les actes de violence commis par celui-ci. Avec sa pétition, introduite en septembre 1760, Anastasia s’efforça de convaincre le tribunal du danger mortel qu’elle encourait et décrivit en détails les violences commises à son encontre par son époux qui, selon ses accusations, tenta de la tuer en la frappant au corps et à la tête à l’aide d’une pierre (Foyster, 1999, 207-208). L’époux se présenta devant le tribunal avec une controdifesa dans laquelle il rejeta les accusations, prétendant qu’Anastasia était une femme di spirito vario et efervescente et déclara ne pas souhaiter divorcer. Enfin, après l’examen de nombreux témoins des deux parties, la décision du protopapas, noble (cittadino lui aussi), ne fit pas entièrement justice à Anastasia : un an plus tard, il ordonna que le couple soit séparé de lit et de demeure. Ainsi, en réalité, il rendait la demanderesse prisonnière et ajoutait à sa vie une incertitude permanente. En fin de compte, c’était le comportement de la femme et non pas celui, violent, de l’homme, qui menaçait les liens du mariage. Dans ce cas, bien entendu, l’intérêt porte sur la décision rendue par le tribunal. En effet, la sentence de séparation était incompatible avec le droit canonique orthodoxe (Mitoulakis, 2013, 97-98, Kapadochos 1990, 130). En outre, bien qu’un seul cas de ce type ait été identifié parmi les 53 affaires étudiées, il convient de souligner que, selon les documents publiés, les sentences de séparation rendues par le Protopapas étaient nombreuses, au xviie et au xviiie siècle (Kapadochos, 1990, 256-57, 268, 271-72, 274, 338, 350, 355-356, 366-67, 370-71, 373-374).
40Même si elle évoluait dans un contexte de conflits ou d’asymétrie des rapports, la coexistence séculaire n’exclut pas qu’il était possible pour l’Église orthodoxe locale – de surcroît, en l’absence d’évêque orthodoxe – d’adopter certaines pratiques juridiques de l’Église catholique. Cela pourrait s’expliquer par les interactions entre les deux institutions et, pourquoi pas, par l’acculturation juridique. En tout état de cause, il s’agit d’une question qui mériterait d’être ultérieurement explorée. Et cette exploration devrait être interdisciplinaire avec pour outils de base de l’analyse le droit canonique des deux Églises. De plus, dans cette tâche, le chercheur ne devra pas manquer d’observer que l’Église orthodoxe demeurait un dispositif doté d’un puissant pouvoir sur la communauté orthodoxe. De ce fait, les limites de cession de compétences étaient moins négociables tout comme étaient moins ouvertes les « ressources » d’assimilation et d’adoption de normes culturelles portant sur les thèses structurelles du dogme.
41Les rapports sociaux, les rôles sexués et les affects à travers les dossiers de divorce.
42Les 53 cas étudiés permettent de mettre en avant une image animée de la société corfiote, des tendances et des dynamiques de la société locale, des mœurs, des rôles sexués, de la sexualité, des relations de solidarité et de soutien. Ainsi qu’il ressort des professions exercées par les époux -lorsqu’elles sont citées – la majorité des parties aux procès appartiennent aux couches sociales moyennes et inférieures. Ceux qui apparaissent dans les dossiers du Grand Protopapas sont de petits professionnels, tenanciers de cafés, propriétaires de petits lots de terre employant des ouvriers, médecins, habitant principalement dans le centre urbain mais, également, plusieurs venant des zones rurales. L’on y trouve également des hommes qui luttent pour leur pain quotidien, de petits cultivateurs, des ouvriers, des pêcheurs, des menuisiers et, parmi eux, une domestique. Il s’agit de personnes qui, de toute évidence, pouvaient assumer les exigences financières d’un procès et qui, relativement libres des contraintes morales et sociales auxquelles étaient soumises les couches sociales supérieures, déposaient plus aisément leurs pétitions devant les autorités ecclésiastiques. Les divorces entre membres de l’élite au pouvoir sont, cela va de soi, moins nombreux. Mais leur nombre croît sensiblement au fil des décennies : par exemple, dans la période 1748-49, il n’y a qu’un cas sur quinze, tandis que dans la période 1790-91, il y a trois cas sur onze. Dans la majorité des affaires, des femmes issues de la couche sociale des citaddini se présentaient devant le tribunal pour dissoudre leur mariage échoué, non consensuel, ou une relation conjugale qui était pour elles source d’oppression et de menaces. Les hommes citaddini faisaient de même, dénonçant les mariages arrangés afin de se libérer de situations familiales pathogènes. L’affaiblissement des stratégies adoptées entre les familles puissantes de l’île et, par conséquent, celui des alliances familiales politiques et économiques, la résistance aux choix posés par les chefs des familles, reflétaient les changements qui avaient lieu à la même période, discrètement, au départ, puis avec plus d’intensité, à Venise même, des changements qui formaient progressivement les conditions du nouveau siècle et de la nouvelle ère (Cozzi, 2000, 57-64 ; De Biase, 1992).
43En tout état de cause, le premier contact avec le matériel indique que les femmes sont, pour leur majorité écrasante, dans le rôle de demanderesses. 38 affaires ont été introduites par les épouses contre seulement 15 cas où ce furent les époux qui se présentèrent devant le tribunal pour demander la dissolution de leur mariage. Ainsi, à Corfou comme dans d’autres exemples européens, le tribunal ecclésiastique du Grand Protopapas était un tribunal majoritairement saisi par les femmes [59]. Une première lecture des procès-verbaux de ces procédures de divorce bouleverse l’image de la femme soumise aux contraintes institutionnelles, sociales et religieuses. Au contraire, elle met en lumière des femmes dynamiques, capables de revendiquer l’amélioration de leurs conditions de vie, dotées d’une forte volonté et d’une capacité d’autodétermination. Sans conteste, nombreuses sont les femmes qui, dans des conditions précises, renégocient leur vie en choisissant de faire usage des voies de recours qui sont à leur disposition, des marges que leur offrent leur dogme et l’Église orthodoxe de l’île, avec le « consentement » du gouvernement vénitien. Des femmes adultères disposées à mettre en péril leur réputation, en entamant une relation intime illicite, pour satisfaire leurs sens, indifférentes à l’opinion publique mais aussi aux conséquences de leurs actes ainsi que des femmes déterminées à s’opposer à leur époux, utilisant les termes du code d’honneur masculin afin de porter atteinte à leur réputation (Ferraro, 2001, 75). Mais en réalité, combien sont-elles par rapport à toutes celles qui demeurèrent prisonnières de relations conjugales opprimantes et, souvent, dangereuses pour elles-mêmes, à une époque où, de toute façon, les difficultés « et les éléments négatifs de la situation féminine sont objectifs et prévalent », à tout le moins au niveau institutionnel [60] ? Et, dans quelle mesure leur initiative était-elle liée, non pas seulement à leur personnalité, leur dynamisme et leur volonté, mais aussi au soutien économique et moral venant de leur entourage familial tandis qu’au contraire, leur silence était lié aux contraintes de leur couche sociale ou de leur pauvreté ?
44De même, l’on retrouve des hommes qui n’hésitent à d’admettre leur faiblesse, leurs tendres sentiments, à mettre en avant leur masculinité fragile, ne fut-ce que pour l’instrumentaliser afin de sortir vainqueurs de la procédure judiciaire. Tous ces hommes, même au travers des nombreuses médiations et constructions de leur discours, permettent d’identifier différents types masculins dans la société corfiote, présentant des traits différents de ceux de la masculinité dominante. Il s’agit de types féminins et masculins qui étaient de toute évidence familiers dans la ville et la campagne de l’île, pour être également reconnaissables par le juge ecclésiastique.
45En même temps, à côté des protagonistes des drames familiaux, il y a les témoins – membres de toutes les couches sociales, indépendamment de l’origine sociale des parties au procès [61]. Habituellement, dans les affaires venant des zones rurales, l’on trouve parmi les témoins les capi, c’est-à-dire, les dirigeants des gardes civiles (cernidi), et les vecchiardi, parmi d’autres compatriotes et voisins des parties. Dans les affaires venant des zones urbaines, des membres du conseil de la ville ainsi que de petits entrepreneurs et des artisans se présentent devant le tribunal pour déposer. Ils entretiennent avec les parties des liens d’amitié, de travail, de clientèle ou en sont simplement les voisins. Ainsi, abandonnée par son époux, Pepina Caponi cita comme témoins ses voisines mais aussi le noble Stefano Palazzol Scordili qui confirmèrent ses dires [62]. Le noble Iseppo Lepegnoti, quant à lui, cita entre autres le noble Antonio Maria Capodistria et le tailleur Caralambo Cocoli afin de prouver que son mariage n’était pas consensuel [63]. Il y a donc clairement création d’un front « interclasse » de défense et de protection des femmes impuissantes et molestées mais aussi des hommes victimes d’injustice. Cependant, l’octroi du divorce dans la majorité écrasante des affaires ne permet pas d’étudier le poids des témoignages. Mais, il est certain que la présence d’un éminent cittadino ou d’un respectable vecchiardo créait un climat de fiabilité, sur lequel comptaient les parties. En même temps, parmi les 301 témoins examinés dans les 53 affaires, 257 sont des hommes, constituant ainsi une majorité écrasante s’élevant à 85,3 %. Cela pourrait s’expliquer par le poids du témoignage masculin, même si le témoignage féminin était possible et indépendant de toute autorisation maritale. Mais, cela pourrait également être dû à l’extraversion sociale accrue du sexe masculin. En tout état de cause, indépendamment du sexe des témoins et en dépit des différences de formulation ou d’approche, l’entourage des parties et, surtout, le voisinage, assumaient, à Corfou vénitienne également, le rôle du régulateur des mœurs et de dispositif informel de contrôle et de discipline de ceux-ci. Dans le même sens, il opérait complémentairement comme lieu de reconnaissance de l’injustice et du déshonneur, lieu de restauration de la réputation des victimes, les femmes et les hommes créant des réseaux de solidarité et de protection des épouses de maintes façons maltraitées et des époux déshonorés (Ferraro, 2001, 121 ; Chojnacka, 2001, 60-64, 138). Mais, dans la pratique judiciaire, les demandeurs et les demanderesses semblent manipuler le contenu des dépositions des témoins, avant même de déposer leur pétition : les confessions d’une femme maltraitée à sa voisine, les cris des conflits conjugaux, l’époux trompé appelant les voisins pour qu’ils voient l’adultère avec son amant dans des moments de familiarité indécente, tout était utilisé à l’avantage des parties, et porté à la connaissance des juges (Hacke, 2004, 76-77). D’ailleurs, la structure du centre urbain corfiote ne laissait pas de marges d’intimité : ruelles étroites, fenêtres qui donnaient sur l’intérieur des maisons voisines, seuils et petites cours. Tout permettait aux voisins de surveiller la vie des autres et au commérage, souvent fabriqué et orienté, d’acquérir le poids de preuve judiciaire lorsqu’il était reproduit dans la salle du tribunal [64].
46D’un autre côté, sont aussi perceptibles entre les lignes des documents les liens d’affection et d’acceptation familiale, même dans les conditions difficiles d’une relation conjugale radicalement ébranlée, avec des mères et des pères disposés à venir en soutien de leurs filles malheureuses, des sœurs disposées à défendre leurs frères de toute évidence coupables, des frères disposés à protéger leurs sœurs malades, abandonnées par leur époux [65]. À Corfou au xviiie siècle, la famille apparaît comme un espace où les notions d’honneur et d’intégrité de la maison coexistent avec les liens affectifs qu’entretiennent ses membres.
La Dominante et les divorces de ses sujets orthodoxes à Corfou
47L’étude des jugements portant sur les demandes de divorce par le tribunal ecclésiastique orthodoxe de l’île au xviiie siècle nous permet d’explorer les relations entre l’Église orthodoxe et l’État vénitien et les limites de l’indépendance que la Dominante accordait à l’autorité ecclésiastique orthodoxe et, par conséquent, à ses sujets. Dans la ville même de Venise, l’État vénitien contrôlait étroitement l’institution du mariage, notamment après le concile de Trente. En effet, celle-ci était directement liée à la stabilité de la construction politique même de l’État. Après les premières décennies du xviiie siècle, les organes judiciaires supérieurs de la Repubblica, le Conseil des Dix (Cozzi, 1982, 81-216) et les Esecutori contro la Bestemmia (Derosas, 1981, 431-528) portaient également leur attention sur les questions de mariage et de conflits conjugaux entre nobles, dans le but de protéger les structures patriarcales de la société vénitienne. Ainsi, ils poursuivaient, comme auparavant, le contrôle du comportement moral et sexuel des Vénitiens, dans la même perspective. Il est probable que la Dominante ait jugé nécessaire de protéger et de réguler de la même façon les sociétés oligarchiques de la périphérie vénitienne.
48Toutefois, les interventions drastiques visant à limiter la dissolution du mariage risquaient de s’opposer aux us du pays que le système vénitien de gouvernance respectait dans la mesure où ils ne portaient pas atteinte à ses intérêts immédiats. À un moment difficile pour la Sérénissime au xviiie siècle, période de contraction géographique et de retrait politique et économique en Méditerranée, s’opposer de façon frontale à l’Église orthodoxe mais aussi à la société locale n’était certainement pas souhaitable. Toutefois, dans le cadre de sa flexibilité politique et sans entrer en conflit direct avec l’Église orthodoxe de l’île, Venise renégocia probablement les limites du pouvoir des dirigeants de celle-ci. La comparaison entre un grand nombre de décisions rendues par le tribunal du Grand Protopapas du début du xviie au début du xviiie siècle et celles étudiées dans le cadre de la présente étude, permet de révéler un élément dont l’importance est majeure : à compter de la fin des années 1730, le tribunal du Grand Protopapas semble ne plus rendre de décisions judiciaires pénales. Au contraire, ces décisions se limitent au prononcé de divorces, à l’annulation de mariages, à la séparation ou à la réunion du couple. Toutefois, ces décisions ne sont pas accompagnées de sanctions, comme cela était souvent le cas jusqu’alors (Kapadochos, 1990, 257, 280, 330, 356, 251). Ainsi, s’ils font preuve de tolérance en matière de divorces dans le cadre des mariages orthodoxes, les Vénitiens se saisissent de l’aspect pénal lié aux crimes qui entraînent la dissolution du mariage tels que l’adultère, la séduction de femmes mariées ou l’abandon du foyer conjugal. Auparavant, ces crimes étaient sanctionnés par le dirigeant de l’Église orthodoxe, en collaboration avec les autorités vénitiennes. Dorénavant, ce pouvoir semble relever des organes judiciaires vénitiens de l’île, à condition que les époux et épouses non fautifs aient souhaité que leur conjoint soit également poursuivi sur le plan pénal. Dans ce contexte, bien que l’Église orthodoxe de l’île soit demeurée un régulateur des mœurs de la société locale, la justice vénitienne, de son côté, semble avoir concentré entre ses propres mains la compétence de la répression pénale visant à discipliner ceux qui s’écartaient de la morale.
Conclusion
49Les 53 affaires de divorce que nous avons étudiées constituent un échantillon nous permettant de comprendre les tendances générales en la matière ainsi que les pratiques de l’Église orthodoxe, qui reflétaient les conceptions, les croyances et les us et coutumes des autochtones. Ainsi, une première conclusion que l’on peut tirer porte sur la facilité d’obtenir le prononcé du divorce et l’annulation de mariage, pour les affaires dont le Grand Protopopas était saisi. Il suffit de comparer le nombre réduit de cas équivalents jugés par le tribunal ecclésiastique vénitien au cours du xviiie siècle, par rapport à la population de Venise, pour se rendre compte de la politique différente appliquée par l’Église orthodoxe de l’île dans ce domaine [66].
50Dans l’ensemble, l’Église orthodoxe ne fut jamais avare de décisions de divorce, poursuivant en fait la tradition byzantine et faisant usage du droit byzantin et des codes juridiques de la période post-byzantine qui étaient, en partie, fondés sur celui-là. Cependant, dans l’exemple de Corfou, l’on a à faire à une société de dominés et de dominants. Et l’on pouvait s’attendre à ce que politiquement plus puissante, l’Église catholique influence, sinon s’impose, directement et de plusieurs façons, sur l’Église orthodoxe. C’est dans ce cadre que nous pourrions interpréter les sentences d’annulation de mariage, étant donné qu’elles n’étaient pas répandues dans l’Église orthodoxe grecque. Les sentences de séparation, quant à elles, n’existaient pas.
51En dépit des questions d’ordre méthodologique qu’il pose, mais aussi en dépit des difficultés et des ambivalences qu’il présente, le matériel des dossiers de divorce du tribunal ecclésiastique de Corfou met en avant ou fait percevoir les réalités politiques, sociales et culturelles de son époque. Si les affaires portent incontestablement sur des moments extrêmes de la vie des gens et si les dépositions et les témoignages nous parviennent après être passés par les filtres procéduraux, le contenu des dossiers permet de cartographier les conceptions et les pratiques de la société locale qui, ce n’est pas rare, ne s’inscrivent pas dans des cadres rigides mais dont, au contraire, les contours sont fluides et perméables. Les procès en divorce à Corfou ne sont pas exclusivement des affaires privées. Au contraire, ils concernent toute la communauté qui, directement ou indirectement, est impliquée et contrôle, accepte ou marginalise ses membres sur la base de codes comportementaux fixes qui ne sont pas toujours compatibles avec les règles institutionnelles et les contraintes morales. En d’autres termes, la communauté délibère et condamne, ou innocente, avant même que la décision judiciaire ne soit rendue. Elle le fait sur la base de ses propres conceptions en matière de comportement conjugal et de relation entre partenaires, de limites de l’extraversion sociale des sexes, de leur sexualité. Bien entendu, ces procès sont également le produit d’un dispositif, celui de l’Église, qui, dans un premier temps était autorisé à s’introduire dans les moments les plus intimes des hommes et des femmes, réglant leur état civil futur. Le juge ecclésiastique appliquait, d’une part, la loi canonique et, d’autre part, exprimait les pratiques sociales établies. Mais, il s’agit bien plus de procès civils qui portent la marque du mode de gouvernance des territoires vénitiens, d’une gouvernance qui respectait les us et les coutumes du pays dominé ainsi que les règles de droit des instances des sujets autochtones. Ce respect faisait partie du « contrat » conclu entre dominants et dominés et persistait tant que les us, les coutumes et les règles de droit en question ne portaient atteinte ni à la discipline sociale ni à la domination elle-même.
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Notes
-
[1]
Concernant les différentes réflexions et approches méthodologiques du matériel d’archives relatif aux procès de divorce, voir Stone (1995, 18-20), Seidel Menchi (2000, 59-68), Brambilla (2003, 956-1003), Hacke (2004, 5-6), Ferraro (2001, 7).
-
[2]
En règle générale, pour l’Église orthodoxe, les causes de divorce sont : la violence exercée sur l’un des conjoints, la conversion religieuse, la maladie, le mariage d’argent, l’impuissance sexuelle, l’entrée dans les ordres monastiques, l’absence de consentement de la part d’un des futurs conjoints, la prostitution et l’adultère, etc. (Ginis, 1960, 240-241). En tout état de cause, la loi offrait à l’époux plus de motifs de divorce qu’elle n’en offrait à l’épouse (Kiousopoulou, 1990, 60-61).
-
[3]
Concernant le divorce à Santa Maura, voir Dimopoulos (1961-63, 21-82).
-
[4]
À propos des procès en divorce à Corfou, voir Kapadochos (1990, 137-146 ; 1980). À propos du divorce dans l’espace orthodoxe à l’ère post-byzantine, voir Dimopoulos (1964).
-
[5]
Il s’agit d’une question à explorer, à condition, bien évidemment, que le matériel d’archives existant le permette. De même, il n’est pas possible de tirer de conclusions concernant le taux de divorces, étant donné le manque de données chiffrées concernant le nombre de mariages, à tout le moins, à ce jour.
-
[6]
Par le passé, l’on n’enregistrait très probablement que la sentence rendue par le tribunal ecclésiastique (Pappa, Platitsas, 2000, 63-69, 70, 73, 76-80, 84, 90 ; Kapadochos, 1990, 250-251, 254-257, 268, 271-274). L’enregistrement de procès-verbaux des procédures en divorce, qui semble avoir été établi au cours du xviie siècle, est un développement intéressant du paradigme de la mer Ionienne vénitienne. Cette évolution ne semble pas indépendante des développements politiques et sociaux qui avaient lieu, à la même époque, sur l’île : le cloisonnement de la couche sociale des cittadini et la nécessité de reproduction de la caste passaient également par l’institution du mariage. Ainsi, il était instrumentalement nécessaire d’enregistrer toute information liée tant au contexte de celui-ci qu’à sa dissolution. De plus, le contrôle plus rigoureux du mariage par l’Église et l’État vénitien à l’époque après-Trento imposa des contraintes bureaucratiques, dans le cadre de la régularisation de toutes les procédures liées à celui-là.
-
[7]
Gaetano Cozzi identifie ce phénomène dans les mariages clandestins et les divorces parmi les nobles de la Sérénissime (Cozzi, 2000, 57-64). Sur la fissure dans les structures patriarcales à Venise, voir aussi De Biase (1981-1982,149-162). Pour une approche différente du patriarcat au xviiie siècle, voir Kowaleski-Wallace (1991, 16-17).
-
[8]
Sur les difficultés de l’approche, voir la bibliographie de la note .
-
[9]
Les seules publications sur ce sujet concernant Corfou sont celles de Kapadochos et Plumidis, qui sont principalement basées sur la présentation d’un nombre limité de documents d’archives (Kapadochos, 1990 ; Ploumidis, 2008, 72-97).
-
[10]
En général, à propos de l’histoire de la domination vénitienne dans l’espace grec, voir Maltezou (2010). Sur l’histoire de Corfou, voir Asonitis (2000), Yotopoulou (2002), Bacchion (1956).
-
[11]
À propos de la constitution du conseil de Corfou, voir Karapidakis (1992).
-
[12]
Sur les processus politiques au Stato da Terra, voir Ventura (1964).
-
[13]
Qui se qualifiaient eux-mêmes de « nobles ».
-
[14]
À propos des formes de pouvoir, du public et du privé dans l’environnement politique prémoderne, voir Chittolini (1994, 553-589).
-
[15]
Sur la situation aux îles Ioniennes, voir Viggiano (1998, 114-195).
-
[16]
Concernant la politique ecclésiastique de Venise sur les territoires grecs, voir Karydis (2010, 295-326), Foscolos (2010, 337-354).
-
[17]
À propos de l’office du Grand Protopapas, voir Tsitsas (1969, 84-10), Karydis (2011, 11-67).
-
[18]
Archives générales de l’État – archives du département de Corfou (GAK-ANK), M. Protopapades, b. 54, fasc. 10, 27 septembre 1761.
-
[19]
Ici, l’on trouvera également des informations sur le privilège accordé aux étudiants ultramarini d’obtenir le diplôme de droit sans suivre régulièrement des études à l’université de Padoue mais en s’inscrivant simplement et en subissant une épreuve d’examen devant un jury.
-
[20]
La procédure suivie par le tribunal ecclésiastique orthodoxe de Corfou, ainsi que par celui de Lefkada au xviiie siècle, diffère de celle de l’Église catholique. La différence porte principalement sur le moment de convocation du demandeur et sur les modalités de participation de celui-ci à la procédure : la convocation n’avait pas lieu immédiatement après la déposition de la pétition ; la comparution du demandeur n’était pas suivie de la litis contestatio ou, à tout le moins, du rito sommario qui, d’une manière ou d’une autre, permettaient d’enregistrer immédiatement les accusations et leur réfutation. À propos du rito, voir Lombardi (2001, 146).
-
[21]
C’est la conclusion que tire Kapadochos (1990, 91). Toutefois, il semble que dans au moins un cas – qui n’était probablement pas le seul – le demandeur avait introduit un appel contre la décision devant le Patriarche de Constantinople, voir Vlachou (2009, 112-118). En outre, l’on ne sait pas si les parties avaient la possibilité d’interjeter appel contre la décision devant la cour vénitienne.
-
[22]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 11, 7 juin 1749.
-
[23]
Ibid., b. 73, fasc. II/12, 27 avril 1791 et b. 54, fasc. 9, 2 septembre 1761.
-
[24]
Ibid., b. 37, fasc. 10, 24 avril 1749.
-
[25]
Sur la masculinité, voir Foyster (1999), Shepard (2006).
-
[26]
Selon le droit civil post-byzantin, l’adultère perd sa dot et n’a pas le droit de se marier après le divorce, voir Armenopoulos (1793, 249).
-
[27]
Voir également, à ce propos, Daumas (2008, 27-28).
-
[28]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 5, 3 juillet 1749.
-
[29]
Voir à ce propos les cas examinés par Ploumidis (2008, 85-91).
-
[30]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 14, 8 juillet 1749.
-
[31]
Ibid., b. 73/II, fasc. 5, 17 juillet 1790.
-
[32]
Ibid., b. 37, fasc. 1, 18 novembre 1748.
-
[33]
Les cittadini de Corfou, comme nous l’avons déjà dit, se désignaient eux-mêmes comme « nobles ». Cependant, la noblesse n’était pas juridiquement reconnue par la Dominante.
-
[34]
Ibid., b. 73/II, fasc. 7, 18 février 1791.
-
[35]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 67, fasc. 4, 4 mars 1781.
-
[36]
Ibid., fasc. 20, 29 septembre 1760.
-
[37]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 12, 30 mai 1749.
-
[38]
Selon P. Savorianakis, au xviiie siècle, le divorce « fut largement institué » par l’Église orthodoxe, voir Savorianakis (2000, 46). Mais, en réalité, c’était le nombre de divorces par consentement mutuel et la facilité de leur délivrance qui avait changé. À ce sujet, voir Ginis (1960, 255).
-
[39]
Sur la « haine intransigeante » dans le monde catholique, voir Lombardi (2000, 335-350).
-
[40]
Tout comme à Corfou, de nombreuses décisions d’annulation du mariage sont rendues par le tribunal ecclésiastique de l’Archevêque orthodoxe de Philadelphie, chef spirituel des orthodoxes de Venise et de l’État vénitien, qui siège à Venise et dont une des compétences consiste à statuer sur les demandes de divorce, voir Vlassi (2002, 325-340).
-
[41]
Sur les mariages mixtes dans les territoires vénitiens, voir Chauvard (2018), Setti (2015), Orlando (2013 ; 2007). Sur les mariages mixtes en Europe, voir Cristellon (2012, 219-225).
-
[42]
Il convient de relever, en ce point que, dans le rite du mariage orthodoxe, il n’était pas demandé aux futurs conjoints de donner leur consentement devant le prêtre.
-
[43]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 8, 26 juin 1761.
-
[44]
Ibid., fasc. 2, 21 janvier 1749, 23 avril 1730 et 1er juin 1742.
-
[45]
À propos de l’impuissance masculine en tant que motif de recours au tribunal ecclésiastique et de son lien avec les notions de masculinité et d’honneur masculin, voir Hacke (2000, 49-68).
-
[46]
Ibid., p. 75.
-
[47]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 73, fasc. II/10, 29 mars 1791, 10 mars 1791, 23 mars 1791.
-
[48]
Ibid., b. 37, fasc. 6, 18 février 1749 et 14 décembre 1748.
-
[49]
Sur les territoires grecs sous la domination ottomane et l’économie urbaine, voir Asdrachas (2003, 151-156), Kremmydas (2003, 275-304).
-
[50]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 54, fasc. 2, 22 février 1761, 5 février 1761, 12 février 1761.
-
[51]
Ibid., b. 73, fasc. II/7, 23 février 1791, 8 juillet 17.
-
[52]
Ibid., b. 37, fasc. 18, 23 septembre 1760.
-
[53]
Ainsi, Gianetta Grameno s’était réfugiée au domicile de son oncle, ibid., b. 54, fasc. 8, 26 juin 1761.
-
[54]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, 3 janvier 1749.
-
[55]
Ibid., fasc. 15, 9 juillet 1749 et 22 juillet 1749.
-
[56]
Ibid., fasc. 18, 29 septembre 1760.
-
[57]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 37, fasc. 3, 28 mai 1748.
-
[58]
Sur la sodomie à Venise voir Labalme (1984, 217-254), Davidson (2002, 65-81).
-
[59]
À Venise, à Bologne, dans certaines paroisses de Londres tout comme dans d’autres régions d’Europe, les demandeurs dans les affaires de mariage sont, pour leur majorité, des femmes (Hacke, 2004, 41 ; Lombardi, 2000, 209).
-
[60]
Concernant cette analyse, voir Cristellon (2010, 36-37).
-
[61]
À propos des témoins aux tribunaux et des témoignages, voir Povolo (2011, 1-14).
-
[62]
GAK-ANK, M. Protopapades, b. 73, fasc. II/8, 23 février 1791.
-
[63]
Ibid., fasc. II/7, 18 février 1791.
-
[64]
À propos de la violation de l’intimité en lien avec la forme de l’espace urbain, voir Cowan (2009, 125-127). À propos du quartier en tant que facteur extra-institutionnel de contrôle et de discipline morale des sociétés, voir Hacke (2004, 78-79).
-
[65]
Ferraro (2001, 124) et Chojnacki (2000, 371-416) atteignent des conclusions similaires concernant le milieu familial vénitien.
-
[66]
Il convient de noter que les affaires dont le tribunal ecclésiastique vénitien est saisi aboutissent, elles aussi, pour un taux assez élevé, au divorce ou à l’annulation du mariage. Toutefois, le nombre de sentences semble petit, par rapport à la population de Venise qui s’élève à 140 000 habitants, alors que celle de Corfou atteint les 44 000 habitants, voir De Biase (1981-1982, 147, 149). Sur la population de Corfou, voir Lazari (2004, 314).