Notes
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[1]
Cet article s’inscrit dans le cadre du projet de recherche HAR2010-18033 : « Flux migratoires et mutations sociodémographiques. Différences internes : une analyse à partir des villes intermédiaires du Pays Basque, 1940-1975 », financée par le Ministère de la Science et de l’Innovation sous la direction de Manuel González Portilla. UFI 11/27 Euskal Hiria, mutations sociales et communication, et Groupe DHHU. http://www.ehu.es/es/web/grupo-demografia-historica-historia-urbana/home.
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[2]
Les communes qui composent l’aire métropolitaine de la Ría de Bilbao sont les suivantes, sur la rive gauche : Barakaldo, Sestao, Portugalete, Santurtzi, Abanto et Cierbena, Trapagaran et Muskiz ; sur la rive droite : Erandio, Leioa et Getxo ; et de part et d’autre des rives, la capitale, Bilbao. Chaque ville est parvenue à se définir une spécialisation économique spécifique. Abanto et Cierbena ou Trapagaran constitueront les « villes minières », Barakaldo ou Sestao sont connues pour être les villes « manufacturières » et Portugalete ou Getxo ont le profil de villes résidentielles. Finalement, Bilbao, la capitale, deviendra la grande ville industrielle, résidentielle et de services (González Portilla et al., 2001 et 2009).
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[3]
La population informatisée est issue d’un échantillon aléatoire dont le niveau de confiance se situe à 99 %, avec une marge d’erreur de ± 2 %. Les communes figurant dans chaque coupe chronologique sont les suivantes : en 1940, Barakaldo et Portugalete ; en 1960, Barakaldo, Bilbao, Getxo, Leioa, Portugalete et Trapagaran ; et, en 1970, Barakaldo, Getxo, Portugalete et Trapagaran. Dans le cas des villes moyennes situées à l’intérieur du territoire et sur le littoral figurent ; en 1940, Durango, Bermeo, Lekeitio, Markina et Mungia ; en 1960, Durango, Lekeitio, Markina et Mungia ; et, en 1970, Durango, Lekeito et Mungia.
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[4]
En Espagne, des recensements nationaux ont été réalisés durant la période qui nous occupe, dans les années : 1940, 1950, 1960 et 1970. Ces recensements proposent des données à l’échelle locale. Les deux premiers sont peu fiables et manquent d’information (Reher et Valero, 1995).
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[5]
Cette classification professionnelle prend en compte tant le type de travail réalisé que le niveau de qualification, sa principale vertu étant la comparabilité à l’échelle internationale et au sein de l’UE. Toute l’information à ce sujet accompagnée de la structure complète de la classification de la CNO-94 [Classification nationale des professions] peut être consultée sur le site web de l’Institut national de statistique d’Espagne. http://www.ine.es/jaxi/menu.do?type=pcaxis&path=%2Ft40%2Fcno94%2F&file=inebase&L=0.
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[6]
Sur la Ría de Bilbao, les familles où le chef de famille est un ouvrier d’usine représentaient 76,3 %, en 1940, 63,7 %, en 1960 et 56,9 %, en 1970, du nombre total des ménages. Quant au groupe de privilégiés, ces derniers représentaient 7 %, en 1940, 12,0 %, en 1960 et 18,5 %, en 1970. En ce qui concerne les familles d’agriculteurs dans les villes moyennes, celles-ci représentaient 41,6 %, en 1940, 25,6 %, en 1960 et 7 %, en 1970 sur le nombre total de ménages. Le modèle d’agriculture au sein de la société biscayenne est lié à l’activité du caserío, autrement dit à la ferme traditionnelle basque, lieu de résidence et clé de voûte de la société agricole traditionnelle au Pays Basque. Cette unité de production s’articule autour d’une petite exploitation agricole et d’élevage gérée en régime de propriété. Dans le cadre de cette dernière, il s’agit d’une économie traditionnelle de subsistance qui, à certaines occasions, comprend la vente de produits agricoles et d’élevage sur les marchés locaux les plus proches (Urrutikoetxea, 1992 ; Arbaiza, 1996).
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[7]
1964 fut l’année qui enregistra les taux les plus élevés de croissance naturelle, avec un solde positif de 424 000 habitants, en plein baby-boom démographique espagnol, et un chiffre record de 697 697 naissances (Menacho, Cabré et Domingo, 2002).
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[8]
En ce qui concerne les facteurs de la baisse de la mortalité infantile à l’époque de Franco, on peut consulter les articles de Bernabeu (2002 ; 2012), et de Bernabeu et Perdiguero (2001).
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[9]
Le fascisme italien appuya tout aussi clairement une politique nataliste (Ipsen, 1998). Les œuvres de Corrado Gini, démographe qui eut une influence sur les idées de Mussolini, peuvent être lues dans cette perspective.
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[10]
Severino Aznar fut une figure clé de la conception des politiques sociales du nouvel État franquiste (Iglesias de Ussel, 2002). Ce professeur affirmait dans un article qui eut une grande influence que « la famille constitue le noyau central, la clé d’une politique démographique efficace, à tel point qu’il est possible de dire que la politique démographique est synonyme de politique familiale… C’est à elle seule que la société confie le rôle de lui donner des enfants qui la conservent et l’agrandissent » (Aznar, 1942).
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[11]
Lorsqu’il se réfère à la baisse de la natalité, Severino Aznar affirmait que cette dernière était un produit du néomalthusianisme et que : « À mon avis, les causes d’ordre économique sont des causes occasionnelles et lointaines. Les véritables causes efficaces, sans lesquelles ces dernières auraient une efficacité très limitée, sont d’ordre psychologique et moral, celles-ci pouvant se réduire au nombre de deux : une mentalité sociale égarée ainsi qu’une dégradation et un affaiblissement de l’institution familiale » (Aznar, 1942).
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[12]
Loi du 24 janvier 1941, (BOE [Bulletin officiel de l’État espagnol], 2 février 1941).
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[13]
La Biscaye fut pionnière dans le cadre des programmes de planification familiale. Dans le service de gynécologie et d’obstétrique de l’Hôpital de Basurto (Bilbao) dirigé par José Manuel Usandizaga, on commença à distribuer des pilules anovulatoires dès 1969, en éludant les problèmes moraux et tout en dissimulant le facteur contraceptif sous couvert d’un facteur curatif d’autres pathologies (Rodríguez Ocaña, Ignaciuk et Ortiz Gómez, 2012, 492).
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[14]
Les membres de la famille qui dépendaient économiquement des travailleurs rapportaient à ces derniers un nombre de « points » et, en fonction de ce nombre, ceux-ci percevaient un certain pourcentage d’augmentation de salaire.
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[15]
En 1968, cette aide aux familles finit par devenir une allocation mensuelle pour chaque enfant à charge. Pour un enfant de moins de 10 ans (200 pesetas), de plus de 10 ans (300 pesetas) et pour l’épouse à charge (300 pesetas), (Valiente Fernández, 1996).
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[16]
Ces dernières consistaient en allocations mensuelles par enfant et par épouse à charge, de 200 et 300 pesetas respectivement, ainsi qu’en allocations à versement unique à hauteur de 5 000 pesetas pour un ménage et de 2 500 pesetas à la naissance de chaque enfant (Valiente Fernández, 1996).
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[17]
Les familles nombreuses furent également objet d’attention et de protection des gouvernements dans d’autres pays européens, pas nécessairement sous un système politique dictatorial de tendance conservatrice comme en Espagne. Pour le cas de la France, se reporter à De Luca (2008).
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[18]
Le NO-DO (acronyme d’Actualités (en espagnol, Noticiarios) et Documentaires) fut créé à l’initiative du vice-secrétariat à l’Éducation populaire en 1942 (BOE [Bulletin officiel de l’État espagnol] du 22/12/1942) ; il s’agissait d’un service de diffusion des actualités et de reportages filmés en Espagne et à l’étranger, « afin de maintenir, sous leur propre impulsion et à l’aide de directives appropriées, l’information cinématographique nationale ». On lui attribua la production exclusive des actualités, après quoi fut décrétée l’obligation de leur projection dans toutes les salles de cinéma espagnoles jusqu’en 1975.
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[19]
Le genre de ces films s’inspirait de la comédie italienne, bien qu’en Espagne le résultat s’avérât être une « vision mièvre, niaise, paternaliste, moralisante et très déformée de la réalité espagnole de l’époque », selon les mots d’historiens actuels du cinéma, tels que Torres (1997, 209) ou González Manrique (2008).
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[20]
Une famille nombreuse est une famille « composée par le chef de famille, le conjoint, le cas échéant, et quatre enfants ou plus, légitimes ou légitimés, célibataires, de moins de dix-huit ans ou plus âgés atteints d’une incapacité pour le travail ». Article premier de la loi du 1er août 1941. Le cadre réglementaire de cette loi fut élargi en 1943.
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[21]
La Section Féminine était la branche féminine de la Phalange. Constituée en 1934, dissoute en 1977, elle fut dirigée par Pilar Primo de Rivera. Il s’agissait d’une organisation dont la mission consistait à organiser l’acceptation du régime par les femmes à travers trois fonctions : la fonction d’endoctrinement, la fonction éducative et la fonction d’aide aux personnes. Il existe une abondante bibliographie sur cette organisation (Molinero, 2005 ; Ortiz Heras, 2006 ; Gallego, 1983).
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[22]
Dans tous les recensements municipaux sur toute cette période, la case profession chez les femmes, non seulement les femmes mariées, était complétée par l’abréviation « S. L. », autrement dit sus labores (littéralement en français, ses tâches ménagères).
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[23]
Loi 15/1961 relative aux droits politiques, professionnels et salariaux de la femme (BOE [Bulletin officiel de l’État espagnol] du 24/07/1961).
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[24]
En Espagne, l’âge moyen du premier mariage pour les femmes est de 26,1 ans en 1940, 25,6 en 1950 et 24,6 en 1970 ; chez les hommes de 29,1 ans en 1940 ; 28,4 en 1960 et 27,2 en 1970. Pour le cas basque, chez les femmes cette âge est de 25 ans en 1960 et de 23,7 en 1970, tandis que, pour les hommes, il est, respectivement, de 30 et 28,3 (Miret Gamundi, 2002, 370-373 ; González Portilla, 2009, 93).
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[25]
Se reporter aux affirmations de Severino Aznar de la note 10.
« Seuls les peuples avec des familles fécondes peuvent étendre leur race à travers le monde, créer et soutenir des empires. La vitalité démographique accroît la personnalité internationale et la puissance militaire »
Introduction
1Cette exergue résume bien l’esprit, constant, du régime de Franco et son idéologie dominante. Ainsi, les concepts de « vitalité démographique » et de « familles fécondes » ont régi la politique démographique pendant les quarante années de la dictature. Au cours de ces longues années, deux mots ne cesseront d’être répétés : famille et fécondité, non pas seulement par les représentants du pouvoir politique, mais aussi par les autorités religieuses (Chao, 2007 ; López Villaverde, 2013), par le monde académique et par les professionnels de la science et de la médecine attachés au régime (Otero Carvajal, 2014).
2Déjà répandues en Europe depuis le premier tiers du xxe siècle, ces politiques furent adoptées par toutes les dictatures de type conservateur du sud de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale (Cova, 2000 ; De Luca et Gourdon, 2005 ; Bard et al., 2002 ; Pine, 1997 ; González Calleja, 2012 ; Fernández-Crehuet et Hespanha, 2008 ; Medina 2000 ; Cervelló Sánchez, 2003 ; Contogeorgis, 2003 ; Tusell, 2004 ; Cobo, 2008).
3Bien que la dictature ait usé de tous les instruments de contrôle et de propagande qui étaient à sa disposition pour imposer à la population espagnole une politique démographique pro-nataliste, il y a toutefois lieu de se demander si cette dernière a véritablement produit l’effet recherché. Autrement dit, si l’orientation de l’ensemble des mesures législatives et le soutien idéologique de l’Église catholique ont fini par aboutir à une hausse significative de la fécondité de la population espagnole, qui reposait sur la famille traditionnelle.
4Quoiqu’au cours des dernières années, les historiens aient donné à cette période de l’histoire de l’Espagne un caractère central dans l’historiographie sous des angles et des thématiques des plus variés – biographiques, militaires, idéologiques, politiques et socio-économiques, etc. (Mateos, 2003 ; Di Febo et Julíá, 2005) –, il n’en demeure pas moins que la politique démo-familiale a été insuffisamment abordée à ce jour. La documentation tant officielle qu’institutionnelle, ainsi que celle issue des moyens de communication de l’époque, laisse à penser que cette idéologie a fait l’objet d’une pleine acceptation de la part de la population espagnole. Néanmoins, il est opportun de vérifier, dans les sources démographiques, si les Espagnols ont effectivement suivi ces directives de manière uniforme, sans opposer aucune résistance, en fonction notamment des groupes sociaux, ni établir de différences à l’échelle régionale.
5Sur l’époque franquiste, l’historiographie espagnole reconnaît généralement deux périodes bien différenciées (Molinero et Ysàs, 2008, 9-39). D’abord, celle de l’Autarcie, qui comprend la période de la fin de la guerre civile espagnole jusqu’au Plan de Stabilisation de 1959 (Sánchez Recio, 1999). Le principal problème que les familles espagnoles eurent à affronter pendant la période d’autarcie fut l’état de misère général qui régnait après la guerre civile espagnole de 1936-1939. Les années quarante furent celles de la carte de rationnement, de l’estraperlo – terme spécifique lié au trafic des produits de première nécessité qui se développa dans les années qui suivirent la guerre civile, les tickets de rationnement ne suffisant pas à donner accès à des rations suffisantes –, du marché noir, de la mendicité, de la pénurie de médicaments et de logements (Barciela, 2003 ; Comín et Martorell, 2013). À partir du milieu des années cinquante, les perspectives sociales évoluèrent peu à peu, engendrant ainsi des mutations économiques de croissance, bien qu’il subsistât encore des déséquilibres sociaux et régionaux, des bas salaires et, en règle générale, un faible niveau de vie. Connue sous le nom de « politique de développement à outrance », la seconde période englobe la décennie des années soixante jusqu’aux dernières années de vie du régime (Sánchez Recio, 2003). Ce n’est cependant pas avant les années 1960 que la situation de la population commence à s’améliorer, avec des avancées substantielles en termes de niveaux de vie, pour la première fois en trente ans (Molinero, 2003).
6Au cours de la période franquiste, on assiste à la convergence d’une société traditionnelle, fondée sur d’étroits liens familiaux d’une part et, d’autre part, d’un catholicisme d’État qui fera du natalisme le fer de lance de son idéologie ainsi que de sa politique démographique. Il en résulte un rôle social majeur attribué à la famille traditionnelle, fondée sur un mariage indissoluble et dont la finalité était de donner naissance au plus grand nombre de descendants possible pour la plus grande gloire de la patrie. Par conséquent, la politique pro-nataliste et de soutien à la famille fut une constante caractéristique de toute la période de la dictature. Cette politique éloignait l’Espagne de ce qui était déjà en train de se produire dans le monde occidental, une fois achevée la période du baby-boom, où la réduction de la fécondité à travers la généralisation de l’utilisation de nouveaux moyens contraceptifs fut un fait à partir des années 1960 (Van Babel et Reher, 2013).
7Cet article a pour objectif d’établir dans quelle mesure les politiques pro-natalistes du franquisme finirent par obtenir l’effet recherché sur la population de l’espace industriel et urbain de la province basque de la Biscaye. Dès la fin du xixe siècle, cette province basque, au même titre que Barcelone, représenta l’un des principaux foyers d’industrialisation et de modernisation sociale en Espagne. Cette forte puissance économique se prolongea tout au long du premier tiers du xxe siècle et, une fois la parenthèse de la guerre civile espagnole refermée, ces villes s’affirmèrent, avec l’émergence de Madrid dans les années soixante, comme étant les principaux pôles du développement économique espagnol.
8La politique unificatrice et centraliste du régime a laissé présupposer aux historiens que le résultat de l’application de cette politique démographique pro-nataliste avait eu un effet uniforme sur l’ensemble de la population espagnole. Néanmoins, notre hypothèse de départ, dans le cadre de cette étude, consiste à interroger la réalité de cette uniformisation des comportements démographiques, compte tenu des différences régionales qui existent dans l’Espagne du xxe siècle. C’est pourquoi, cet article se centrera sur la région de la Biscaye. Ce territoire est bien plus varié et complexe, tant sur le plan social qu’économique, que ce que l’historiographie traditionnelle ne le dit. Bien au-delà du processus d’industrialisation spectaculaire de la Ría de Bilbao, il a existé une autre réalité dans la province de la Biscaye qui n’a ni bénéficié ni subi l’influence de ce processus, ni en termes d’intensité, ni selon la même chronologie. Nous faisons ici allusion au monde rural de l’intérieur du territoire, au monde de la pêche, ainsi qu’à celui des petites villes traditionnelles artisanales et commerciales. Notre étude vise donc à intégrer ces réalités socio-économiques et ces espaces dans l’analyse des processus qui se produisirent dans l’aire métropolitaine de la Ría de Bilbao.
9Dans cet article, dans un premier temps nous procéderons à une mise en contexte socio-démographique, en observant l’évolution de la croissance de la population basque et espagnole puis, dans un deuxième temps, nous décrirons le modèle de transition démographique espagnole et basque en nous appuyant sur les taux bruts de natalité et de mortalité. Dans un troisième temps, et en nous centrant sur les sources locales, nous étudierons de près le comportement des familles biscayennes à travers les variables relatives à la taille des ménages, à leur structure et à la parenté ; la proportion des familles nombreuses en fonction des groupes socio-professionnels auxquels elles appartiennent ; la présence ou l’absence des femmes, selon leur état civil, sur le marché du travail, en lien avec l’incompatibilité sans cesse proclamée entre famille nombreuse et travail des femmes hors du foyer conjugal. Enfin, dans un dernier moment, nous tenterons de discerner les différences de comportement des familles à travers le nombre moyen d’enfants dans les ménages, en fonction autant de l’âge des femmes que du groupe socio-professionnel auquel appartient le chef de famille. De cette façon, nous espérons entrevoir les effets possibles de la politique familiale franquiste sur la population de la Biscaye.
L’espace, les sources et la méthodologie
10L’estuaire de la ria du Nervion ou Ría de Bilbao s’étend sur un espace de 23 km de long sur une largeur allant de 3 à 15 km. Cet espace présente sur ses rives un important bassin minier de fer et un port naturel qui sont les deux éléments qui marquent son développement urbain et industriel. C’est, en effet, au cœur de ce petit espace que s’amorce, à partir de 1876, le début d’un « siècle industriel » fondé sur l’extraction du minerai de fer et sur l’industrie sidérurgique et métallurgique qui prendra fin, autour de 1975, avec l’arrivée de la crise internationale (González Portilla et al., 2009, 52-64). Ce siècle industriel donnera naissance à deux processus d’industrialisation de grande envergure, non seulement sur l’environnement le plus proche, mais aussi d’un grand impact sur la moitié nord de la Péninsule. Au cours de la première industrialisation (1876-1930), puis de la seconde (1950-1975), l’activité économique connut un essor considérable sur l’ensemble du Pays Basque. En 1930, le PIB per capita du Pays Basque était de 65 % supérieur au PIB espagnol et le revenu familial brut disponible de 46 % supérieur. En 1960, ces deux indicateurs se situent respectivement à 50 % et de 77 % au-delà de la moyenne espagnole (Alcaide Inchausti, 2003, 144). Cela a abouti, sur les rives de cet espace physique, à l’organisation progressive, tout au long de la période, d’un « continuum » de villes qui, à l’heure actuelle, constituent l’aire métropolitaine [2].
11Dans le cadre de cette étude, la principale source documentaire que nous utiliserons sont les recensements des habitants de plusieurs communes de la région de la Ría de Bilbao et des cinq villes moyennes de la Biscaye, répartis en trois coupes chronologiques correspondant aux années 1940 (14 471 et 28 741 habitants respectivement), 1960 (39 782 et 19 637 habitants) et 1970 (27 359 et 16 579 habitants) [3]. L’information s’y présente sous la forme de listes de famille. L’informatisation de ces données a été réalisée par habitant, en retenant vingt variables contenant une information soit à caractère individuel (sexe, âge, état civil, profession, lieu de naissance, alphabétisation et années de résidence dans la commune), soit familial (lien de parenté, type de structure familiale selon la typologie de Laslett et taille de la famille).
12L’information issue des recensements de population au regard de celle fournie par les données agrégées des recensements, permet de mener une étude plus vaste et plus détaillée des entités locales [4]. La possibilité d’observer la cellule familiale d’origine, sans passer par le filtre du traitement des données par les services de statistique, constitue l’apport le plus significatif de notre étude au regard de l’information disponible dans les recensements.
13Bien que centraux pour cette étude, il faut préciser, qu’en disposant uniquement de recensements municipaux de la population, nous ne sommes pas en mesure d’élaborer des indicateurs de fécondité stricto sensu. Nous sommes conscientes des limites méthodologiques de la source à notre disposition, faute notamment de données concernant la mortalité infantile, l’âge moyen du mariage ainsi que l’âge de départ des enfants du foyer parental. L’information sur ces deux premiers éléments est uniquement disponible en données agrégées par régions ou par provinces espagnoles, dans d’autres sources publiées par l’Institut National de Statistique d’Espagne mais, en aucun cas, disponible ni utilisable à des fins de démographie différentielle. Par conséquent, dans cette étude, nous avons eu recours à la variable « nombre d’enfants vivant dans le ménage » en tant qu’approximation indirecte de la fécondité de la population biscayenne puisque, comme on le verra plus loin, les taux de mortalité infantile et juvénile basques étaient très bas et le départ du foyer ne se produisait pas, en général, avant le mariage, vers 24-25 ans. En revanche, nous pouvons travailler sur cette variable en croisant l’âge des mères de famille et les caractéristiques socio-professionnelles des ménages selon la profession du chef de famille et, ainsi, réaliser une étude approximative des différences de comportement entre groupes sociaux.
14Les professions de la totalité des individus ont été introduites dans la base de données sous forme littérale, telles qu’elles figurent dans les recensements municipaux. Pour l’analyse ultérieure, nous avons opté en faveur de la classification la plus couramment utilisée par l’Institut National de Statistique d’Espagne. Il s’agit de la Classification Nationale des Professions de 1994 (CNO-94), qui comporte neuf grands groupes professionnels [5]. Dans cet article, nous travaillerons à partir des deux groupes socio-professionnels situés aux deux extrémités de l’échelle sociale. Sur l’échelon inférieur figure le groupe lié au travail dans les usines – travailleurs non qualifiés –, déterminé par son faible niveau d’études et son origine immigrée dans une très large majorité, que nous désignerons « ouvriers d’usine ». À l’extrémité supérieure, pour caractériser les élites, nous avons associé deux groupes formés par des cadres de direction et des techniciens bénéficiant d’un niveau d’études supérieures, que nous avons qualifiés de « groupe privilégié ». En outre, nous travaillerons également sur les familles d’agriculteurs des villes moyennes de l’intérieur du territoire et du littoral biscayen [6].
Le contexte de croissance démographique
15Déjà en plein développement au début du xxe siècle, en liaison avec le modèle de croissance économique précédemment décrit, la Ría de Bilbao a fini par devenir l’une des principales aires métropolitaines urbaines et industrielles en Espagne. Cette croissance économique s’est accompagnée d’une croissance démographique considérable au sein de ce petit espace géographique, dont le trait le plus significatif fut l’arrivée massive d’immigrants (tab. 1). Au cours de la première industrialisation, leur apport à cette croissance démographique alla jusqu’à représenter un taux de 82,4 % dans la décennie 1877-1887. Et, au cours de la seconde industrialisation (1960-1975), cet indicateur représenta 52,4 % de la croissance de la population de l’aire métropolitaine (González Portilla et al., 2009, 141-197).
Évolution des taux de croissance de population (r)
Évolution des taux de croissance de population (r)
16En un siècle, la Ría de Bilbao est passée de 32,8 % (62 417 habitants en 1877) de la population de la province de la Biscaye à 73,5 % (378 147 habitants en 1975). Par conséquent, cet espace a gagné une place importante de manière progressive et significative au sein de l’ensemble de la population basque (de 13,8 %, en 1877 jusqu’à 40,8 %, en 1975). Concrètement, près de la moitié de l’essor démographique du Pays Basque tout au long de ce processus modernisateur est dû à cette petite région (48,3 %), ce qui en fait un cas paradigmatique et significatif dans l’ensemble espagnol.
17En outre, nous observons l’évolution dans cinq villes de taille moyenne situées à l’intérieur du territoire et sur le littoral biscayen. Il s’agit des communes de Bermeo et de Lekeitio vivant de la pêche, des communes rurales de Markina et de Mungia, et finalement, de Durango, une ville traditionnelle à vocation de services de proximité et de tradition manufacturière, depuis les premières décennies du xxe siècle. Ces cinq communes ne connurent pas une industrialisation aussi intense que celle de la Ría de Bilbao dans les années centrales du xxe siècle, dans la mesure où leur modernisation économique se produisit de façon plus ralentie et plus tardive.
18Dans le cas des villes moyennes (tab. 1), il faut attendre les années 1970, avant que celles-ci ne connaissent une intense croissance de leur population (30 851 habitants en 1940 ; 65 448 habitants en 1975). Ces villes ne commencent pas à voir leur population s’accroître avant la fin des années 1960, quand l’installation de nouvelles industries de petite taille attire les immigrants dans ces communes. Mais, tout au long de la période analysée, les chiffres de croissance se situent toujours en-dessous de la moyenne de la province. La modernisation des modèles démographiques met également quelques décennies de plus que dans l’aire métropolitaine à se produire dans ces communes.
La transition démographique. Le contexte démographique espagnol et basque
19La période franquiste voit le modèle démographique expérimenter d’importants changements et se réinsérer pleinement au sein de dynamiques – qui avaient vu le jour dans le premier tiers du xxe siècle, période au cours de laquelle l’Espagne avait amorcé sa propre modernisation démographique –, qui ont abouti à la première étape d’un processus de rapprochement avec le régime démographique de ses voisins européens.
20La période franquiste est généralement décrite en deux temps. La première étape, celle de l’après-guerre (1939-1959), est caractérisée par l’énorme contention de la natalité et de la nuptialité. La seconde (1959-1975), quant à elle, se signale par son optimisme démographique en termes de natalité, mais aussi, de mortalité, en recul rapide (tab. 2).
Taux bruts de natalité et de mortalité en Espagne, moyennes quinquennales (‰)
Taux bruts de natalité et de mortalité en Espagne, moyennes quinquennales (‰)
21Les taux de natalité se maintiennent autour de 20 ‰, sans aucune variation au cours des années quarante, soit un niveau correspondant à celui de la période de la première transition démographique, qui éloigne l’Espagne du processus européen de baisse, notamment à partir de la décennie des années soixante. De fait, l’indice synthétique de fécondité (ISF) en Espagne évolue autour de 2,76 enfants par femme, en moyenne sur toute la période, niveau quelque peu supérieur à l’indice européen (Carreras et Tafunell, 2005). C’est la raison pour laquelle c’est à peine si le phénomène du baby-boom, qui s’était produit dans les pays développés au cours des années 50, put s’apprécier dans les indicateurs espagnols (Van Babel et Reher, 2013, 265). Celui-ci se produisit de manière plus sensible et identifiable au milieu de la décennie des années 60 [7].
22La diminution de la mortalité demeure le fait le plus remarquable de la période qui suit immédiatement, une fois surmonté les difficultés de l’après-guerre. Les taux bruts de mortalité en témoignent, de sorte que l’espérance de vie à la naissance, en 1960, s’est accrue de près de 20 ans par rapport aux deux décennies précédentes (Reher, 2002 ; 2004). Nonobstant, les transformations touchant à la santé de la population, notamment à celle des enfants, restent le fait démographique le plus spectaculaire de cette période. À la fin de la décennie des années 50, près de 95 % des enfants qui naissent parviennent à l’âge de 10 ans, un niveau jamais encore atteint en Espagne [8].
23Le processus décrit pour l’Espagne toute entière est globalement valable pour le Pays Basque (fig. 1). Cependant, nous pouvons souligner quelques différences au regard de la première transition démographique espagnole. Au Pays Basque, tant la natalité que la mortalité, cette dernière de manière plus spécifique, diminuèrent avec plus d’intensité, et ce avant même que n’éclate la guerre civile espagnole (González Portilla et al., 2001).
Taux bruts de natalité et de mortalité au Pays Basque, 1861-2001 (‰)
Taux bruts de natalité et de mortalité au Pays Basque, 1861-2001 (‰)
24Au cours de la seconde moitié du xxe siècle, des similitudes peuvent être signalées, telles que le prolongement du processus de transition précédemment amorcé, mais aussi des différences substantielles (tab. 3). D’une part, la mortalité, et plus particulièrement la mortalité infantile, sont alors moins intenses au Pays Basque que dans le reste de l’Espagne. D’autre part, le processus de baby-boom observé depuis la fin des années cinquante, y est d’une intensité très supérieure à ce qui se passe en Espagne en général, bien qu’au Pays Basque les taux de nuptialité et de fécondité soient semblables aux taux espagnols, notamment dans la province de la Biscaye. Ce phénomène se produisit de manière brève, mais intense. Cet écart par rapport au processus espagnol ne peut être interprété autrement que dans le contexte du développement économique, qui est vécu de manière plus aiguë au Pays Basque que sur l’ensemble du territoire espagnol, ainsi qu’en tenant compte du fort processus d’immigration qui l’accompagne (González Portilla et al., 2009, 141-197).
Taux de mortalité infantile (‰), taux de nuptialité (‰) et de fécondité (ISF) dans le Pays Basque et l’Espagne
Taux de mortalité infantile (‰), taux de nuptialité (‰) et de fécondité (ISF) dans le Pays Basque et l’Espagne
La politique familiale franquiste
25L’origine de la politique familiale sous le régime de Franco doit être considérée dans le cadre de la doctrine de l’« Autarcie » de l’immédiat après-guerre et de l’isolement dans un contexte de guerre en Europe, bien que quelques mesures aient été promulguées par des gouvernements qui précédèrent la Seconde République et la guerre civile espagnole [9].
26Sous le franquisme, la politique familiale fut entendue comme un « acte d’affirmation idéologique du régime ». Il faut faire mention de la figure de l’intellectuel Severino Aznar, professeur d’université en sociologie, qui donna forme aux principes de la doctrine sociale du régime, à ses débuts, et à qui l’on confia le soin de fournir des arguments scientifiques à la dictature (Iglesias de Ussel et Meill, 2001) [10]. Une mise en contexte de la politique démographique franquiste sous-entendait une connaissance des préoccupations des contemporains une fois la guerre civile espagnole achevée. Les questions démographiques inquiétantes pour la population espagnole étaient au nombre de deux, selon les figures contemporaines proches du cercle politique du dictateur, que ce soit des médecins ou bien des sociologues : d’une part, la baisse de la natalité et, d’autre part, une mortalité infantile élevée. La résolution de ces deux problèmes passait par une revitalisation de l’institution familiale en tant qu’élément clé de l’articulation sociale [11].
27Face au problème de la baisse de natalité, la dictature promulgua des lois en faveur du natalisme, de même qu’elle œuvra à la mise en place de différents programmes de soutien à la famille, qui composèrent la politique familiale franquiste dès les premiers instants du régime, constituant ainsi l’axe fondamental de ses politiques sociales. D’une part, en matière de protection de la natalité, fut promulguée une loi contre l’avortement et contre la propagande anticonceptionnelle qui fut insérée dans le code pénal de 1941 et, selon laquelle, était menacé d’amende et de prison « quiconque informerait, divulguerait ou ferait propagande, indiquerait ou prescrirait toute méthode contraceptive » [12]. En dépit de cela, les médecins et les gynécologues espagnols eurent accès à une information complète sur les avancées et le déroulement des essais cliniques concernant les nouveaux médicaments contraceptifs qui se développaient et se commercialisaient en Europe et aux USA, depuis la fin des années cinquante, jusqu’à ce que, finalement, la pilule contraceptive fasse son apparition sur le marché, en 1960 (Rodríguez Ocaña, Ignaciuk et Ortiz Gómez, 2012) [13].
28En matière de soutien à l’institution familiale, la première mesure adoptée le fut en pleine guerre civile espagnole, en 1938, avec l’instauration de l’allocation familiale. Il s’agissait d’une compensation financière sous forme d’allocation mensuelle pour chaque enfant ou assimilé à la charge du fonctionnaire dont l’emploi était garanti à vie, qui finit par englober pratiquement tous les groupes professionnels. Par la suite, d’autres mesures prévoyant des prêts à taux réduits pour les jeunes mariés (1941), furent instaurées, ou des prix décernés aux familles nombreuses vinrent s’ajouter à l’allocation familiale. Les problèmes économiques et la pauvreté qui sévissaient au cours de la longue période d’après-guerre donnèrent naissance à de nouvelles aides, dont notamment celle qui fut désignée sous l’expression de plus familial. Cela consistait en un système de « points » qui venait en complément du salaire versé aux travailleurs (non pas aux fonctionnaires, dans ce cas) en fonction du nombre de leurs enfants, et qui était financé par les entrepreneurs [14]. Cela n’était cependant pas incompatible avec l’allocation familiale. Dans le cas des fonctionnaires, l’aide aux familles, qui consistait en un versement financier pour l’épouse et par enfant à charge, fut mise en place à partir de 1954 [15]. Et, dès 1966, tant l’allocation familiale que le plus familial furent remplacés par des prestations de Sécurité sociale perçues par les cotisants [16].
La composition et la structure des familles
29Toutes ces mesures de soutien à la famille et à la natalité devraient avoir eu des effets sur la composition, la structure et la taille des familles à long terme. Or, dans le cas des familles biscayennes, on observe (tab. 4 et 5) que la famille type et la configuration interne des ménages – notamment le poids du noyau familial (ménage et enfants) –, perdent en effectifs dans toutes les entités géographiques analysées.
Composition et structure des familles de la Ría de Bilbao, 1940-1970
Composition et structure des familles de la Ría de Bilbao, 1940-1970
Composition et structure des familles des villes moyennes en Biscaye, 1940-1970
Composition et structure des familles des villes moyennes en Biscaye, 1940-1970
30La taille moyenne de cette famille type connaît une baisse progressive du nombre de ses membres entre 1940 et 1970 (tab. 4), une baisse de pratiquement un demi-point dans la Ria de Bilbao et d’un peu moins dans les villes moyennes. Cette contraction de la taille de la famille au cours de cette période est notamment due à la baisse de la proportion que représentent les enfants et, dans une moindre mesure, les autres parents co-résidents (parents, beaux-parents, etc.). Dans la Ría de Bilbao, entre 1940 et 1970, les enfants sont en recul de presque un demi-point par rapport à la taille moyenne totale. Dans ce cas, la légère hausse entre 1960 et 1970, reflète le baby-boom des vingt années précédentes, bien qu’elle n’ait pas brisé la tendance générale à la baisse de cette variable (fig. 1). Le léger déclin des parents co-résidents, entre 1940 et 1970, est dû à la baisse du poids spécifique des familles complexes – tout autant étendues que multiples –, face à la consolidation des familles nucléaires (tableau 4). Entendue comme stratégie familiale, la co-résidence représente 26 % des ménages, en 1940, contre 22 %, en 1970, dans les municipalités de la rive gauche biscayenne. Ce furent des années de très forte expansion en termes de construction de logements, du fait de l’essor économique lié à la politique de développement à outrance et des effets d’un important flux d’immigration, à partir des années 1960 (González Portilla et al., 2009).
31La famille ouvrière comme la famille des groupes privilégiés présentent des différences par rapport à la famille type de la Ría de Bilbao, qui se manifestent dans un cas comme dans l’autre, par un poids spécifique important du noyau familial formé par le chef de famille, son épouse et les enfants dans les trois périodes d’observation (tab. 4). Dans le cas des familles ouvrières, l’augmentation moyenne de la taille du noyau par rapport à la famille type est moins importante que dans les familles des groupes privilégiés. Pour les premières, le poids du noyau familial dépasse seulement de 0,10-0,20 points le poids du noyau de la famille type, contre, dans le cas des élites, 0,25-0,70 points. Les enfants des familles privilégiées représentent 46 % des membres de ces familles, en 1970. Cette donnée suggère que la fécondité de ces familles s’est maintenue à un niveau légèrement supérieur à celui du reste des groupes socio-professionnels.
32Quant à la composition de la famille type des villes moyennes, sa taille moyenne se réduit à partir de 1940 (tab. 5). Cela n’est pas le cas pour la famille d’agriculteurs, puisque sa taille moyenne, en 1940, était véritablement très élevée (6,11 membres). Mais, la réduction du nombre de membres dans ces familles se produit dès les années 1940. En règle générale, nous pouvons affirmer que la taille de leur noyau est bien plus importante que celle de la taille moyenne des familles type, notamment dans les années quarante et soixante. La différence est très importante, y compris en 1940, où elle atteint 1,22 membre supplémentaire par rapport à la famille type des villes. La baisse la plus forte intervient au cours des années 1960 à 1970, au cours desquelles le noyau se réduit pratiquement d’un membre, soit la perte d’un enfant. Cette baisse est la plus importante observée dans tous les groupes sociaux. En effet, la famille d’agriculteurs ressent les effets de la modernisation démographique et sociale plus tardivement que la famille ouvrière, voire que les groupes privilégiés de la nouvelle bourgeoisie. Dans l’espace de la Ría de Bilbao, la baisse de la natalité a commencé à se produire dès le début du xxe siècle, un processus qui ne se produit dans les villes moyennes et agricoles véritablement que dans la décennie 1960 (González Portilla et al., 2009, chap. 11, 491-599).
Les familles nombreuses : « la famille et un de plus… »
33Les familles nombreuses furent l’un des principaux sujets d’attention des politiques sociales du régime [17]. L’État a cherché à obtenir la protection sociale maximale et à les soutenir économiquement pour les transformer en un modèle aux yeux de la société dans son ensemble. Il est néanmoins bien certain que le régime a utilisé non seulement les instruments légaux ou ses moyens économiques, mais aussi une intense pression idéologique à travers la doctrine du national-catholicisme. Tout au long de cette période, les autorités franquistes, soutenues dans leur idéologie par l’Église catholique ainsi que par la Phalange, ont usé de tous les moyens qui étaient à leur portée pour que la famille nombreuse devienne la famille sociale modèle. Elles eurent recours à l’utilisation à profusion des moyens de communication de masse, notamment le cinéma, ce dernier étant le principal, voire l’unique mode de divertissement des Espagnols. Et ce, à travers deux formules audiovisuelles d’un effet indéniable et de très large diffusion : le NO-DO et le cinéma de production propre (Tranche et Sánchez-Biosca, 2005 ; Torres, 1997) [18]. Ainsi, par exemple, les remises de prix qui étaient décernés tous les ans à l’une des familles les plus nombreuses d’Espagne et qui était remis par le Généralissime en personne, étaient retransmises à travers le NO-DO, afin d’en informer tous les Espagnols pour qui la radio demeurait la principale source d’information.
34Dans le même ordre d’idées, deux films réalisés en Espagne ont connu un grand succès en salle ; ils étaient réalisés sur le ton de la comédie : « La gran familia » (1963), suivi de « La familia y uno más » (1965) [19]. Extrêmement conservateurs et respectueux de l’ordre établi, tous deux avaient pour but de faire l’apologie de la famille et de la procréation, en donnant en exemple une famille bien plus que nombreuse, puisque exceptionnelle du fait de ses seize enfants.
35En ce qui concerne la législation en faveur des familles nombreuses, la première loi promulguée relative à ces dernières le fut très tôt, dès 1941 ; les familles nombreuses y étant définies comme celles ayant à leur charge au sein du foyer quatre enfants dépendants ou plus [20]. En 1943, furent mises en place des mesures s’adressant plus précisément à ces familles, dont l’objectif était notamment d’augmenter la somme correspondant à l’allocation familiale, tout en permettant à ces familles de bénéficier d’un traitement préférentiel en matière d’impôts, de transports publics, de prêts, de logements promus par l’État, de frais dans les établissements scolaires, d’emploi du chef de famille, d’adjudication d’exploitations agricoles de taille familiale, de vacances parrainées dans des résidences, des auberges, des campements, des établissements balnéaires et des sanatoriums de l’État (Valiente Fernández, 1996 ; Collantes de Terán, 2013).
36Pour cette période, nous ne disposons d’aucune donnée de recensement portant sur les familles nombreuses à l’échelle nationale. Quant à la situation des familles nombreuses au sein de l’espace biscayen, il est important de signaler la baisse significative que le nombre de ces familles a enregistrée entre 1940 et les périodes suivantes de notre échantillon. Après la guerre civile espagnole, 20,2 % des familles biscaïennes s’inscrivent dans ce groupe des « familles nombreuses ». Une baisse significative du nombre de familles de quatre enfants ou plus se produit entre 1940 et les années soixante et soixante-dix (1960 : 10,6 % ; 1970 : 11,5 %). En vérité, les incitations économiques pour faire de ce type de famille la famille « idéale » ne furent pas suffisantes pour encourager la population à concevoir plus d’enfants. La transition démographique avait également affecté la fécondité en Biscaye.
37Néanmoins, ces chiffres masquent d’importants écarts entre les groupes sociaux. Sachant que, tout au long des années quarante, tant l’intensité de la nuptialité que l’âge même au mariage ont subi des modifications, nous avons choisi d’observer ce type de familles en tenant compte de l’âge du chef de famille (si ce dernier a plus de 40 ans) et de sa profession. Au début de la période étudiée (1940), et du fait de cette plus forte natalité générale (tab. 6), tous les groupes socio-professionnels disposent de taux de familles nombreuses véritablement élevés. Parmi eux, soulignons les agriculteurs, résidant aussi bien sur la Ría de Bilbao que dans les villes moyennes, qui affichent des valeurs de 46,7 % et de 56 %. Suivent, en dépassant largement la moyenne pour cette période, les groupes privilégiés de la Ría de Bilbao (45,16 %). Le fait d’avoir quatre enfants ou plus ne peut s’expliquer par le niveau de vie ou de revenus dans les années 40, qui furent si difficiles pour la société dans son ensemble, mais davantage par des pratiques traditionnelles de natalité élevée ainsi que par un effet de réaction dans l’après-guerre.
Pourcentage de familles nombreuses (quatre enfants ou plus) selon la catégorie socio-professionnelle des chefs de famille de plus de 40 an) en Biscaye
Pourcentage de familles nombreuses (quatre enfants ou plus) selon la catégorie socio-professionnelle des chefs de famille de plus de 40 an) en Biscaye
38Néanmoins, la mutation la plus significative eut lieu au cours de la période qui suivit, comme le mettent en évidence nos données pour l’année 1960. À cette date, il est possible d’observer une baisse importante des familles nombreuses dans l’ensemble de l’espace biscayen. La baisse qui se produit au sein de la classe ouvrière, voire au sein des groupes privilégiés, ainsi que chez les commerçants et les travailleurs du secteur des services est parfaitement évidente. Cependant, elle est d’autant plus significative au sein des familles vouées au secteur primaire qui, en fait, disparaissent dans les années 70. Les familles privilégiées, quant à elles, formées essentiellement par des techniciens, des professions scientifiques et des cadres de direction (dans les deux espaces biscayens) conservent des taux élevés de familles nombreuses dans les trois périodes d’observation, en dépit de la baisse de 1960. Il s’agit des groupes sociaux les plus attachés à la dictature, bénéficiant d’un niveau d’études plus élevé, et par conséquent de revenus et d’un niveau de vie tout aussi élevés, ce qui leur permet de subvenir aux besoins de leur nombreuse progéniture. La contraction du nombre d’enfants présents au sein des ménages est observable dans les autres groupes socio-professionnels, mais pas au sein du groupe social le plus élevé de l’échelle sociale.
39Enfin, il faut prendre en compte l’origine géographique du chef de famille (tab. 7). Les résultats, d’après notre base de données, sont insignifiants sur ce point. Dans tous les cas, le pourcentage de familles nombreuses se trouve à des valeurs proches de la moyenne (tab. 6). Bref, la ligne de division natif/immigrant ne se traduit par aucune différence dans la formation de noyaux de familles nombreuses en termes de descendance. La variable économique et éducative ainsi que la position sociale sont, en revanche, déterminantes.
Pourcentage de familles nombreuses (quatre enfants ou plus) selon l’origine géographique du chef de famille (plus de 40 ans) en Biscaye
Pourcentage de familles nombreuses (quatre enfants ou plus) selon l’origine géographique du chef de famille (plus de 40 ans) en Biscaye
Les femmes mariées et le travail hors du foyer
40Le franquisme considérait que toute l’organisation sociale s’articulait autour de l’institution familiale. Cela impliquait l’établissement d’un idéal de la femme définie en tant qu’épouse et femme au foyer, vouée à la maternité, comme s’il s’agissait d’une finalité ultime pour la famille et pour l’État lui-même. À ce titre, les femmes espagnoles faisaient l’objet de droits et d’une législation spécifiques (Sáenz del Castillo, 2011).
41Si la famille était devenue le facteur clé de l’organisation sociale, la politique franquiste passait, en outre, par une redéfinition notoire, mais pas uniquement, du rôle de la femme mariée au regard de sa présence sur le marché du travail. Le travail féminin avait des conséquences néfastes sur la démographie, car il décourageait la nuptialité et retardait l’âge de formation des ménages, au même titre qu’il favorisait la baisse de la natalité tout en accroissant la mortalité infantile. Éduquer les femmes afin qu’elles accomplissent leurs devoirs conjugaux et de maternité est donc devenu un objectif fondamental de la politique durant toute la période du franquisme, notamment, pour toutes les jeunes filles, à travers l’obligation de réaliser le Service social, dispensé sous la tutelle de la « Section féminine » de la Phalange que dirigea pendant toute la dictature, d’une main de fer, Pilar Primo de Rivera [21].
42Cette action fut soutenue et renforcée idéologiquement par l’institution catholique qui désignait la Vierge Marie comme étant une image idéale et un point de référence pour toutes les femmes mariées. Dans cette même optique, les politiques démographiques et les lois promulguées depuis le début de l’instauration du régime, furent orientées de manière à décourager le travail de la femme mariée hors du foyer conjugal, en assurant au chef de famille des revenus suffisants lui permettant de soutenir financièrement le groupe familial dans son ensemble. Ainsi, selon la loi des Allocations Familiales de 1938 : « Le travailleur doit se voir attribuer […] la quantité de biens indispensables de manière à ce que, lorsque sa progéniture sera nombreuse − et ainsi l’exige la Patrie −, l’équilibre économique du ménage ne se brise et n’en arrive à la misère, contraignant ainsi la mère à aller chercher à l’usine ou à l’atelier un salaire avec lequel couvrir l’insuffisance du salaire perçu par le père, en l’écartant ainsi de sa fonction suprême et irremplaçable qui consiste à préparer ses enfants, arme et base de la Nation, sous un double aspect matériel et moral […] ».
43Les données officiellement recueillies par les statistiques officielles sont très claires à ce sujet. Les femmes mariées espagnoles, durant cette période, sont celles qui travaillent le moins en dehors du foyer (pour des raisons d’impossibilité juridique et par manque de formation académique), avec une moyenne du taux d’activité d’environ 15 % durant les quarante ans de la dictature, contre plus d’un tiers en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne depuis 1960 (Simonton, 1998 ; Boeri, del Boca et Pissarides, 2005). En dépit de cela, l’écart entre les indicateurs de fécondité espagnols et les indicateurs européens relevés aux mêmes dates était très faible, légèrement plus haut dans le cas des Espagnoles (Nash, 1996).
44Force est de constater que si la présence sur le marché du travail officiel, relevée par la statistique sur les registres, est certes un élément à prendre en compte, il existe également une autre réalité bien différente : celle de la participation à l’emploi sur les marchés du travail informels, qui se traduisait par un travail invisible ou non reconnu au niveau statistique par l’État. Néanmoins, les sources de recensement et celles provenant des registres municipaux ne sont guère fiables pour mesurer le travail réel des femmes. L’occultation de l’activité des femmes mariées était une pratique courante dans les statistiques, pas seulement en Espagne, et qui continuait de l’être en raison de règles instituées depuis le xixe siècle (Pérez-Fuentes et Borderías, 2012). Il convient de prendre en compte que l’économie agricole, tout comme l’économie urbaine et familiale, dans la plupart des cas souterraine et non déclarée, étaient ignorées par les statistiques et de manière probablement plus forte que dans le reste de l’Europe.
45Les données sur l’activité féminine au sein de l’espace biscayen affichent des niveaux extrêmement bas dans nos trois périodes d’observation, tant dans la Ría de Bilbao que dans les villes moyennes. Compte tenu des résultats du tableau 8, nous pouvons souligner que les taux d’activité générale des femmes ne cessent de progresser au fil du temps, en affichant un changement significatif dans l’aire métropolitaine de la Ría de Bilbao pour l’année 1970 (19,6 %). L’élément le plus frappant, cependant, réside dans l’incorporation massive des jeunes filles célibataires au travail en dehors du foyer parental, à partir de la décennie 1960 et, plus clairement, dans les années 1970, où les recensements municipaux enregistrent la moitié d’entre elles comme ayant un emploi en dehors du domicile familial. Sans aucun doute cette augmentation du travail des femmes avant le mariage est-il responsable de la hausse du taux d’activité féminine en général. Ces chiffres reflètent les occasions qui se sont ouvertes à toute la population, à partir de la seconde moitié des années 1960, grâce aux nouvelles conditions économiques, produit du développement économique.
Taux d’activité féminine selon l’état civil (15-64 ans). Ría de Bilbao et villes moyennes 1940-1970(*)
Taux d’activité féminine selon l’état civil (15-64 ans). Ría de Bilbao et villes moyennes 1940-1970(*)
(*) Taux d’activité reconstruit des femmes mariées du monde agricole. Méthodologiquement, chaque épouse d’agriculteur se voit assigner l’activité correspondante, même si au regard du recensement municipal, cette dernière y figure à titre de femme au foyer.46Néanmoins, le travail des femmes mariées biscayennes offre des chiffres réellement résiduels, inférieurs à 5 %, ces femmes restant confinées sous la rubrique de « femmes au foyer » dans la case profession [22]. Compte tenu des chiffres officiels, on pourrait penser que les femmes mariées ont été véritablement écartées du marché du travail et que les mesures instaurées par le régime ont été efficaces. Mais, comme nous l’avons précédemment indiqué, ces chiffres doivent être pris avec d’infinies précautions. Cette occultation du travail féminin reflétait la peur des familles de perdre les aides à la famille, si nécessaires, qui leur étaient allouées par l’État, telles que l’allocation ou les points, ce qui explique que la déclaration d’une profession en elle-même a sans doute souffert d’un sous-enregistrement de la part des déclarants eux-mêmes.
47À vrai dire, devant la fragilité de l’économie espagnole, pendant la longue étape de l’après-guerre et jusqu’à la fin des années cinquante, l’économie souterraine et les marchés du travail informels du secteur des services dans les villes ont constitué une niche où la population, notamment les femmes, surtout celles qui étaient mariées, a du se débrouiller en vue d’obtenir des revenus supplémentaires à ceux qui étaient apportés au ménage par le chef de famille (Gálvez, 2006 ; Sarasúa et Molinero, 2009). Grâce aux sources orales, nous avons pu reconstruire l’existence d’un monde du travail parallèle au monde du travail officiel reposant sur des stratégies de compléments de salaires apportés par les femmes mariées au ménage. À titre d’exemple, citons l’accueil « d’hôtes » résidant dans le foyer, le service domestique rémunéré à l’heure, le nettoyage des montées d’escaliers ou des porches, ou bien le travail industriel à domicile. Grâce à cela, et au moins durant les périodes où le cercle familial éprouvait des difficultés majeures, les revenus familiaux devenaient une ressource habituelle au sein des ménages de la Ría de Bilbao (Pérez Pérez, 2007). En revanche, dans le milieu agricole de l’intérieur des terres de la Biscaye et dans la zone dédiée à la pêche, les femmes continuaient d’exercer leur travail familial comme autrefois, alors que les statistiques officielles masquaient cette réalité, depuis le début du xxe siècle, en leur assignant le rôle de « femme au foyer » autrement dit, d’inactives. Les recensements municipaux permettent de leur donner une visibilité et le travail des femmes d’agriculteurs peut ainsi être réévalué de telle manière que leur taux d’activité est multiplié par quatre (tab. 8).
48Il convient, enfin, d’ajouter que la législation du travail sous le franquisme ne permet le travail de la femme mariée qu’à partir de 1961, en dépit de quoi, les chiffres officiels continueront d’afficher des taux de participation extrêmement bas au regard de l’activité professionnelle féminine réelle [23]. La crainte d’une perte possible des aides familiales, l’importance du poids du travail informel dans les économies domestiques et même dans l’économie espagnole de l’époque, à côte d’autres facteurs, expliquent ces chiffres (Humphries et Sarasúa, 2012 ; Sarasúa et Molinero, 2009 ; Gálvez, 2006 ; Nielfa Cristóbal, 2003).
La présence des enfants dans les ménages
49Les recensements municipaux permettent de réaliser une approximation de l’évolution de la fécondité selon différentes circonstances de vie et en fonction du groupe social et nous donnent une vision de cette époque bien moins monolithique, et plus dynamique, que ce qui pourrait se déduire, en certaines occasions, des sources historiques d’une autre nature. À cette fin, nous avons calculé le nombre moyen d’enfants résidents au sein du foyer, pour les femmes mariées en fonction de leur groupe d’âge et selon le groupe professionnel auquel appartiennent leurs maris. Cet indicateur est soumis à de nombreuses influences. Logiquement, dans la phase initiale de la formation du ménage, la présence d’enfants en son sein est moindre mais croît. De la même manière avec le développement du cycle familial, ou lorsque les parents sont plus âgés, les enfants quittent le foyer à des âges plus avancés, mais variables au fil du temps. Ce moment dépend, d’une part, des cycles éducatifs pour les jeunes qui, au fur et à mesure que le temps passe, dépassent largement le stade de l’enseignement obligatoire (jusqu’à 14 ans), et prolongent leur cycle de formation professionnelle, voire d’enseignement secondaire (Murua Cartón, Hilario et al., 2013). Il dépend, d’autre part, de l’âge moyen du mariage, aussi bien des filles que des garçons, qui continue à se réduire dès les années 1960 [24].
50Nous devons également tenir compte du fait que nous sommes en train d’analyser un espace géographique au développement économique très puissant, ainsi qu’une période historique qui a transformé la Ría de Bilbao en un des foyers d’attraction les plus importants pour les immigrants dans le cadre espagnol. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas considérer que le départ des enfants du foyer parental a eu lieu très précocement pour des raisons professionnelles. Bien au contraire, les enfants achevaient leur cycle éducatif en fonction du groupe social auquel ils appartenaient, puis entraient sur le marché du travail tout en restant dans le foyer parental jusqu’à l’âge où ils finissaient par créer leur propre foyer après avoir contracté un mariage pour former un ménage indépendant du foyer parental.
51Enfin, les données dont nous disposons sur la mortalité infantile au Pays Basque indiquent que cette dernière était extrêmement faible et qu’elle a, par conséquent, un impact très faible sur l’indicateur de la présence d’enfants au sein du foyer, hormis peut-être pendant les années 40 (tab. 3). En tenant compte de tous les facteurs que nous venons d’exposer, nous pouvons estimer que cet indicateur offre une approximation indirecte des niveaux de fécondité conjugale des Biscayens de notre échantillon (Gómez Redondo, 1992 et 2005 ; Nicolau et Cussó, 2000).
52Les figures 2, 3 et 4 corroborent les observations effectuées à partir de la taille de la famille et le poids des enfants au sein des ménages. La baisse de la fécondité conjugale en Biscaye est visible une fois passée les années 1940 et se maintient jusqu’aux années 1970. Nous savons déjà que les familles espagnoles ne disposaient d’aucun moyen efficace pour mettre en pratique la limitation des naissances, mais ce ne fut néanmoins pas un obstacle pour y parvenir. À partir des années 1960, le fait le plus courant était qu’il n’y ait pas plus de trois enfants vivant au domicile parental, exception faite des familles vouées à l’agriculture et de celles appartenant aux groupes privilégiés, en 1970. Le fait que le pic de fécondité se situait dans les années 1940 pour la cohorte des femmes de 45 à 49 ans – des femmes nées au début du xxe siècle –, conforte cette idée, car le cycle de fécondité de ces femmes était proche des modèles traditionnels de fécondité naturelle. Néanmoins, à partir de 1960, et plus clairement dans les années 70, le pic de fécondité concerne la tranche des 40 à 44 ans, ce qui montre que les familles diminuaient consciemment leur descendance en nombre bien avant que ne s’achève le cycle reproductif des femmes.
Nombre moyen d’enfants vivant dans le foyer parental selon l’âge des femmes mariées et le groupe socio-professionnel du chef de famille en Biscaye
Nombre moyen d’enfants vivant dans le foyer parental selon l’âge des femmes mariées et le groupe socio-professionnel du chef de famille en Biscaye
53Cependant, les variations des niveaux de fécondité conjugale, n’affectaient pas de la même manière tous les groupes sociaux. Les ouvriers d’usine, qualifiés ou non, conservaient les niveaux de fécondité les plus bas sur l’ensemble de la période, en dépit de leurs niveaux d’immigration élevés (en hausse à partir de l’époque de la politique de développement à outrance). Cela dément l’idée communément admise selon laquelle les immigrants arriveraient à la Ria de Bilbao avec des modèles de fécondité élevés de par leur culture, dans la mesure précisément où ils contribuaient à la croissance naturelle de leurs sociétés d’insertion. À défaut de recherches plus poussées, les données exposées suggèrent que la famille ouvrière était le moteur de la transition de la fécondité ; une famille qui, depuis 1940, montrait déjà de clairs indices de limitation consciente des naissances. En revanche, les familles vouées à l’agriculture, vivant en dehors de l’aire métropolitaine, réduisent peu à peu leurs niveaux de fécondité conjugale en se rapprochant du comportement du groupe ouvrier, dans la mesure où l’activité économique agricole de caserío, autrement dit de la ferme traditionnelle basque, entrait définitivement en crise. Au sein du monde paysan, la transition de la fécondité s’accélère entre 1950 et 1970, cette dernière ayant connu une baisse spectaculaire à partir de 1960.
54Néanmoins, le groupe de l’extrême supérieur de l’échelle sociale, à savoir le groupe des privilégiés, correspondant aux cadres de direction d’entreprises et de l’administration, ainsi qu’aux techniciens et aux scientifiques, reste celui qui n’affiche aucun changement significatif en termes de comportement reproductif, même au cours des années 1970. Ce groupe socio-professionnel conserve une fécondité conjugale plus élevée que la moyenne depuis 1940, soit au moins un enfant de plus en moyenne que le groupe ouvrier.
55Le processus d’industrialisation, avec la modernisation sociale qu’il entraîne, est responsable de l’avancée vers la transition des comportements démographiques de la population au sein de cette petite zone géographique du Pays Basque. Le groupe ouvrier résidant dans l’aire métropolitaine de la Ría de Bilbao affiche une différence tout à fait remarquable quant au nombre d’enfants présents au sein du foyer.
Conclusions
56La Biscaye fut une des provinces les plus industrialisées d’Espagne, et son espace le plus industriel, la Ría de Bilbao, a avancé, durant tout le premier tiers du xxe siècle, d’une manière substantielle, dans la transition démographique, tant en termes de fécondité que d’espérance de vie, par rapport à la moyenne espagnole. La guerre civile signifia une interruption subite de ce processus de modernisation dont la région se releva très progressivement à partir des années soixante. Au cours de la période d’Autarcie, les salaires réels connurent une forte baisse en se situant très en-dessous des salaires perçus avant la guerre civile espagnole, ce qui rendit très difficile pour les jeunes couples d’envisager le mariage et, encore plus, que les familles puissent penser à accroître leur descendance (Carreras et Tafunell, 2005).
57Le contexte général espagnol des deux décennies postérieures à la guerre se signale par ses différences régionales, tant au niveau économique que démographique. Les régions très industrialisées aux époques précédentes, comme c’est le cas de la Biscaye, reprirent leur activité précédente de manière graduelle, tandis que le reste de l’Espagne s’enfonça dans la crise et dans une situation de pénurie, en raison de structures économiques agricoles désuètes, qu’elle ne parvint pas à surmonter du fait de l’absence d’investissement extérieur dû à l’isolement politique au plan européen. Cela nous permet d’affirmer que, bien que la politique du franquisme ait eu une volonté d’uniformisation pour l’ensemble du pays, il est difficile de considérer qu’elle soit parvenue à atteindre précisément cet objectif, dans la mesure où la situation socio-économique initiale était très distincte en fonction des différentes régions espagnoles.
58Les taux bruts de natalité confirment que, sous le franquisme, la baisse de la fécondité se fit de manière lente et progressive, bien qu’irréversible, malgré l’implantation de politiques résolument pro-natalistes. Au terme de la guerre, les jeunes hommes faisaient défaut, notamment pour le travail, pas seulement pour la procréation et la récupération démographique générale. Les idéologues du régime présupposèrent que les motivations économiques de l’augmentation de la descendance familiale étaient uniquement « circonstancielles » [25]. Ils étaient convaincus que la faible fécondité était liée à une cause « morale », autrement dit qu’il s’agissait d’un comportement facilement réversible au moyen d’une intense pression idéologique, politique, éducative et religieuse. Néanmoins, tous les indices qualitatifs montrent que les pratiques contraceptives (des plus grossières jusqu’à l’avortement, y compris l’infanticide) furent utilisées à profusion en Espagne, notamment au cours de l’après-guerre jusqu’à l’arrivée du plan de stabilisation de 1959 (Nash, 1996). Paradoxalement, ces politiques de soutien idéologique et économique en faveur de l’institution familiale qui furent déployées par le régime dès ses débuts n’obtinrent pas l’effet voulu, notamment durant la période de l’Autarcie, puisque la pénurie économique était loin d’être propice à inciter à la formation de nouvelles familles ainsi qu’à l’augmentation de la fécondité.
59Au terme de la période étudiée, vers les années 1970, en Espagne nous observons cependant le reflet d’une brève hausse de la natalité engendrée par le baby-boom du milieu des années soixante. Or, cette hausse momentanée des taux de natalité coïncide avec la croissance économique due à la « politique de développement à outrance », à la suite de ce qui s’était produit une décennie auparavant dans le reste de l’Europe ainsi que dans les pays en voie d’industrialisation (Chesnais, 1986). En d’autres termes, l’augmentation du nombre d’enfants, à partir de 1965, répond davantage à l’essor économique général qu’aux seules mesures des politiques familiales pro-natalistes. Il s’agit d’un fait conjoncturel qui n’a pas suffi à rompre la tendance de long terme à la chute de la fécondité de la population espagnole. Dans les dernières décennies du régime et ce, de manière très intense dans quelques régions espagnoles, dont les régions très industrialisées du nord et de l’est de l’Espagne, les divergences en termes de comportement de nuptialité et de fécondité deviennent de plus en plus notoires (Nicolau, Dévolder et Panareda, 2010 ; Delgado, 2009 ; Reher, 2004).
60D’après l’indicateur proxi que nous avons établi, à partir des recensements municipaux de la province de la Biscaye, il n’est pas possible de soutenir que l’ensemble des mesures législatives et économiques pro-natalistes mises en œuvre par la dictature eurent un effet si direct, si uniforme et si important sur la population, tel que ont pu l’affirmer des historiens espagnols dans les dernières années du franquisme et dans les années qui ont suivi la mort du dictateur, à la simple vue des documents officiels, de la propagande médiatique et de la pression exercée par l’institution catholique du haut de ses chaires.
61L’analyse démo-familiale de l’échantillon des communes biscayennes nous indique déjà de claires divergences de comportement entre l’espace fortement industrialisé de la Ría de Bilbao et celui qui se trouve sur ses rives. Un espace qui se trouvait si proche en termes de distance, et cependant si éloigné en termes de modes de vie moins urbains et manufacturiers, somme toute, plus traditionnels, en relation avec un secteur primaire qui se trouvait dans une situation toujours plus critique au fur et à mesure que le temps passait. La composition des familles, leur structure et leur taille, plus traditionnelles et plus grandes en nombre d’enfants, nous suggèrent que ces deux mondes représentèrent une ligne de division très nette au regard des comportements, mais pas seulement. L’analyse chronologique nous apporte de clairs indices de mutation au sein de ces deux mondes, ces indices visant tous à être médiatisés par la conjoncture générale de contraction en premier lieu, ou de croissance économique par la suite. En dépit de la direction politique de la dictature qui les imprégnait tous pareillement, on observe des familles plus simples en termes de parenté, plus réduites en taille et avec moins d’enfants vivant au sein du foyer, dans une plus large mesure dans l’espace de la Ría de Bilbao que sur le reste du territoire.
62Le point de vue sur les familles nombreuses, celles qui bénéficièrent d’une attention particulière et de toute sorte de soutien de la part des hommes politiques franquistes peut s’avérer être un bon indicateur des résultats obtenus. Sur l’échantillon biscayen, les familles nombreuses connurent une diminution de moitié entre les années quarante et les années soixante-dix, à l’exception des groupes à fortes composantes traditionnelles dans leur idéologie et traditionalistes dans leur mode de vie, tels que les agriculteurs et les élites de la haute bourgeoisie qui vivaient sur la rive droite de la Ría de Bilbao. Cette donnée laisse à penser que la pression de la propagande, la protection juridique ou le soutien économique de l’État ne furent pas suffisamment efficaces pour atteindre l’essentiel de la population, en tout cas pas avant les années soixante, et uniquement dans le cas de certains groupes socio-professionnels.
63Les statistiques officielles montrent que l’activité professionnelle, en dehors du foyer, pour les femmes mariées, tant en Espagne qu’en Biscaye, représenta l’un des taux les plus bas de l’histoire. Ces chiffres issus des recensements nationaux sont loin d’être fiables puisque le croisement de cet indicateur avec les recensements municipaux élève sensiblement ce taux d’activité. En dépit du fait que l’ensemble de la législation franquiste fut particulièrement attentive à écarter les femmes mariées du marché du travail, nous savons, par l’intermédiaire d’autres types de sources, que ces dernières durent s’intégrer sur le marché du travail, même informel, pendant les décennies de l’Autarcie, ce qui limita l’augmentation du nombre d’enfants au sein des familles. En définitive, le franquisme associé à l’idéologie du national-catholicisme, ne parvint pas à convaincre les femmes espagnoles mariées, ni même probablement leurs maris, d’augmenter leur fécondité au milieu de tant de difficultés économiques.
64Selon l’indicateur proxi que nous avons établi, la variable déterminante, en termes de nombre d’enfants vivant au sein du foyer, s’avère être le groupe socio-professionnel d’appartenance ; le facteur migratoire n’étant pas décisif. Seul le groupe le plus élevé sur l’échelle sociale accroît le nombre de ses enfants présents au sein du foyer, tandis que le groupe des travailleurs urbains et manufacturiers, notamment les résidents de la Ría de Bilbao, montrent des signes évidents de limitation des naissances à long terme. Néanmoins, nous ne pouvons pas même affirmer que la motivation des familles des groupes les plus élevés pour maintenir une progéniture nombreuse, ni même que l’augmentation de cette dernière enregistrée au cours des années 70, aient pu être le fruit des différentes politiques d’encouragement à la natalité menées par l’État. En effet, ces dernières reposaient sur un caractère essentiellement pécuniaire or, ce groupe social n’en avait pas précisément besoin. Le comportement de ce groupe, certes minoritaire, doit se comprendre en tenant compte de l’idéologie qu’il partage avec la dictature de Franco ainsi qu’avec ses positions politiques et religieuses.
65Au total, une analyse fondée sur les sources locales primaires nous a permis une observation micro-analytique sur un espace géographique réduit, bien que très significatif dans le cadre espagnol, grâce à laquelle il est possible de remettre en question l’efficacité du modèle démographique et familial que la dictature a voulu imposer à l’ensemble de l’État. À défaut d’autres investigations menées dans d’autres régions espagnoles, qu’il s’agisse de régions traditionnellement industrialisées ou bien de celles qui y parviennent dans les années de politique de développement à outrance, l’uniformisation des comportements démo-familiaux, plus spécifiquement ceux de la fécondité, s’avère improbable. L’indicateur d’approximation indirect de la fécondité utilisé dans cet article offre suffisamment d’éléments pour continuer à creuser cette ligne de recherche, au vu des différences régionales, urbaines/rurales ainsi que socio-professionnelles. En tous les cas, il est évident que ni les incitations économiques, ni la propagande exercée à travers l’éducation ou les moyens de communication de masse, ne parvinrent à rendre perméables les familles espagnoles, dans leur ensemble, malgré les efforts incessants de la dictature, à l’idée de maintenir des familles à forte descendance pour la plus grande gloire de la « Patrie » et de la « Race ».
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Notes
-
[1]
Cet article s’inscrit dans le cadre du projet de recherche HAR2010-18033 : « Flux migratoires et mutations sociodémographiques. Différences internes : une analyse à partir des villes intermédiaires du Pays Basque, 1940-1975 », financée par le Ministère de la Science et de l’Innovation sous la direction de Manuel González Portilla. UFI 11/27 Euskal Hiria, mutations sociales et communication, et Groupe DHHU. http://www.ehu.es/es/web/grupo-demografia-historica-historia-urbana/home.
-
[2]
Les communes qui composent l’aire métropolitaine de la Ría de Bilbao sont les suivantes, sur la rive gauche : Barakaldo, Sestao, Portugalete, Santurtzi, Abanto et Cierbena, Trapagaran et Muskiz ; sur la rive droite : Erandio, Leioa et Getxo ; et de part et d’autre des rives, la capitale, Bilbao. Chaque ville est parvenue à se définir une spécialisation économique spécifique. Abanto et Cierbena ou Trapagaran constitueront les « villes minières », Barakaldo ou Sestao sont connues pour être les villes « manufacturières » et Portugalete ou Getxo ont le profil de villes résidentielles. Finalement, Bilbao, la capitale, deviendra la grande ville industrielle, résidentielle et de services (González Portilla et al., 2001 et 2009).
-
[3]
La population informatisée est issue d’un échantillon aléatoire dont le niveau de confiance se situe à 99 %, avec une marge d’erreur de ± 2 %. Les communes figurant dans chaque coupe chronologique sont les suivantes : en 1940, Barakaldo et Portugalete ; en 1960, Barakaldo, Bilbao, Getxo, Leioa, Portugalete et Trapagaran ; et, en 1970, Barakaldo, Getxo, Portugalete et Trapagaran. Dans le cas des villes moyennes situées à l’intérieur du territoire et sur le littoral figurent ; en 1940, Durango, Bermeo, Lekeitio, Markina et Mungia ; en 1960, Durango, Lekeitio, Markina et Mungia ; et, en 1970, Durango, Lekeito et Mungia.
-
[4]
En Espagne, des recensements nationaux ont été réalisés durant la période qui nous occupe, dans les années : 1940, 1950, 1960 et 1970. Ces recensements proposent des données à l’échelle locale. Les deux premiers sont peu fiables et manquent d’information (Reher et Valero, 1995).
-
[5]
Cette classification professionnelle prend en compte tant le type de travail réalisé que le niveau de qualification, sa principale vertu étant la comparabilité à l’échelle internationale et au sein de l’UE. Toute l’information à ce sujet accompagnée de la structure complète de la classification de la CNO-94 [Classification nationale des professions] peut être consultée sur le site web de l’Institut national de statistique d’Espagne. http://www.ine.es/jaxi/menu.do?type=pcaxis&path=%2Ft40%2Fcno94%2F&file=inebase&L=0.
-
[6]
Sur la Ría de Bilbao, les familles où le chef de famille est un ouvrier d’usine représentaient 76,3 %, en 1940, 63,7 %, en 1960 et 56,9 %, en 1970, du nombre total des ménages. Quant au groupe de privilégiés, ces derniers représentaient 7 %, en 1940, 12,0 %, en 1960 et 18,5 %, en 1970. En ce qui concerne les familles d’agriculteurs dans les villes moyennes, celles-ci représentaient 41,6 %, en 1940, 25,6 %, en 1960 et 7 %, en 1970 sur le nombre total de ménages. Le modèle d’agriculture au sein de la société biscayenne est lié à l’activité du caserío, autrement dit à la ferme traditionnelle basque, lieu de résidence et clé de voûte de la société agricole traditionnelle au Pays Basque. Cette unité de production s’articule autour d’une petite exploitation agricole et d’élevage gérée en régime de propriété. Dans le cadre de cette dernière, il s’agit d’une économie traditionnelle de subsistance qui, à certaines occasions, comprend la vente de produits agricoles et d’élevage sur les marchés locaux les plus proches (Urrutikoetxea, 1992 ; Arbaiza, 1996).
-
[7]
1964 fut l’année qui enregistra les taux les plus élevés de croissance naturelle, avec un solde positif de 424 000 habitants, en plein baby-boom démographique espagnol, et un chiffre record de 697 697 naissances (Menacho, Cabré et Domingo, 2002).
-
[8]
En ce qui concerne les facteurs de la baisse de la mortalité infantile à l’époque de Franco, on peut consulter les articles de Bernabeu (2002 ; 2012), et de Bernabeu et Perdiguero (2001).
-
[9]
Le fascisme italien appuya tout aussi clairement une politique nataliste (Ipsen, 1998). Les œuvres de Corrado Gini, démographe qui eut une influence sur les idées de Mussolini, peuvent être lues dans cette perspective.
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[10]
Severino Aznar fut une figure clé de la conception des politiques sociales du nouvel État franquiste (Iglesias de Ussel, 2002). Ce professeur affirmait dans un article qui eut une grande influence que « la famille constitue le noyau central, la clé d’une politique démographique efficace, à tel point qu’il est possible de dire que la politique démographique est synonyme de politique familiale… C’est à elle seule que la société confie le rôle de lui donner des enfants qui la conservent et l’agrandissent » (Aznar, 1942).
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[11]
Lorsqu’il se réfère à la baisse de la natalité, Severino Aznar affirmait que cette dernière était un produit du néomalthusianisme et que : « À mon avis, les causes d’ordre économique sont des causes occasionnelles et lointaines. Les véritables causes efficaces, sans lesquelles ces dernières auraient une efficacité très limitée, sont d’ordre psychologique et moral, celles-ci pouvant se réduire au nombre de deux : une mentalité sociale égarée ainsi qu’une dégradation et un affaiblissement de l’institution familiale » (Aznar, 1942).
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[12]
Loi du 24 janvier 1941, (BOE [Bulletin officiel de l’État espagnol], 2 février 1941).
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[13]
La Biscaye fut pionnière dans le cadre des programmes de planification familiale. Dans le service de gynécologie et d’obstétrique de l’Hôpital de Basurto (Bilbao) dirigé par José Manuel Usandizaga, on commença à distribuer des pilules anovulatoires dès 1969, en éludant les problèmes moraux et tout en dissimulant le facteur contraceptif sous couvert d’un facteur curatif d’autres pathologies (Rodríguez Ocaña, Ignaciuk et Ortiz Gómez, 2012, 492).
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[14]
Les membres de la famille qui dépendaient économiquement des travailleurs rapportaient à ces derniers un nombre de « points » et, en fonction de ce nombre, ceux-ci percevaient un certain pourcentage d’augmentation de salaire.
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[15]
En 1968, cette aide aux familles finit par devenir une allocation mensuelle pour chaque enfant à charge. Pour un enfant de moins de 10 ans (200 pesetas), de plus de 10 ans (300 pesetas) et pour l’épouse à charge (300 pesetas), (Valiente Fernández, 1996).
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[16]
Ces dernières consistaient en allocations mensuelles par enfant et par épouse à charge, de 200 et 300 pesetas respectivement, ainsi qu’en allocations à versement unique à hauteur de 5 000 pesetas pour un ménage et de 2 500 pesetas à la naissance de chaque enfant (Valiente Fernández, 1996).
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[17]
Les familles nombreuses furent également objet d’attention et de protection des gouvernements dans d’autres pays européens, pas nécessairement sous un système politique dictatorial de tendance conservatrice comme en Espagne. Pour le cas de la France, se reporter à De Luca (2008).
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[18]
Le NO-DO (acronyme d’Actualités (en espagnol, Noticiarios) et Documentaires) fut créé à l’initiative du vice-secrétariat à l’Éducation populaire en 1942 (BOE [Bulletin officiel de l’État espagnol] du 22/12/1942) ; il s’agissait d’un service de diffusion des actualités et de reportages filmés en Espagne et à l’étranger, « afin de maintenir, sous leur propre impulsion et à l’aide de directives appropriées, l’information cinématographique nationale ». On lui attribua la production exclusive des actualités, après quoi fut décrétée l’obligation de leur projection dans toutes les salles de cinéma espagnoles jusqu’en 1975.
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[19]
Le genre de ces films s’inspirait de la comédie italienne, bien qu’en Espagne le résultat s’avérât être une « vision mièvre, niaise, paternaliste, moralisante et très déformée de la réalité espagnole de l’époque », selon les mots d’historiens actuels du cinéma, tels que Torres (1997, 209) ou González Manrique (2008).
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[20]
Une famille nombreuse est une famille « composée par le chef de famille, le conjoint, le cas échéant, et quatre enfants ou plus, légitimes ou légitimés, célibataires, de moins de dix-huit ans ou plus âgés atteints d’une incapacité pour le travail ». Article premier de la loi du 1er août 1941. Le cadre réglementaire de cette loi fut élargi en 1943.
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[21]
La Section Féminine était la branche féminine de la Phalange. Constituée en 1934, dissoute en 1977, elle fut dirigée par Pilar Primo de Rivera. Il s’agissait d’une organisation dont la mission consistait à organiser l’acceptation du régime par les femmes à travers trois fonctions : la fonction d’endoctrinement, la fonction éducative et la fonction d’aide aux personnes. Il existe une abondante bibliographie sur cette organisation (Molinero, 2005 ; Ortiz Heras, 2006 ; Gallego, 1983).
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[22]
Dans tous les recensements municipaux sur toute cette période, la case profession chez les femmes, non seulement les femmes mariées, était complétée par l’abréviation « S. L. », autrement dit sus labores (littéralement en français, ses tâches ménagères).
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[23]
Loi 15/1961 relative aux droits politiques, professionnels et salariaux de la femme (BOE [Bulletin officiel de l’État espagnol] du 24/07/1961).
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[24]
En Espagne, l’âge moyen du premier mariage pour les femmes est de 26,1 ans en 1940, 25,6 en 1950 et 24,6 en 1970 ; chez les hommes de 29,1 ans en 1940 ; 28,4 en 1960 et 27,2 en 1970. Pour le cas basque, chez les femmes cette âge est de 25 ans en 1960 et de 23,7 en 1970, tandis que, pour les hommes, il est, respectivement, de 30 et 28,3 (Miret Gamundi, 2002, 370-373 ; González Portilla, 2009, 93).
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[25]
Se reporter aux affirmations de Severino Aznar de la note 10.