Notes
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[1]
Voir sur ce point les numéros 17 et 20 de la revue Histoire urbaine (2006 et 2007).
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[2]
On ne peut qu’être frappé, à la lecture des monographies d’histoire urbaine, par la faible attention dont on fait l’objet ces populations présentes avant le processus d’urbanisation. Fait ici exception le livre d’Annie Fourcaut sur Bobigny qui y consacre plusieurs développements (Fourcaut, 1986).
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[3]
Cela dit, la continuité du bâti entre la ville-centre et sa banlieue n’épuise pas la question des banlieues car la « grande banlieue », et ses espaces périurbains, ne présente pas cette caractéristique. Elle peut être un espace rural mais, bien que lointaine, il s’agit bien d’une banlieue au sens où elle se situe dans l’aire d’influence de la ville-centre et où les échanges entre ces deux espaces sont structurés, très souvent, par le réseau de transport routier et/ou ferroviaire et comportent une dimension asymétrique semblable à celle observée entre la ville-centre et la proche banlieue, à savoir la relégation d’un certain nombre d’activités de la ville-centre vers la périphérie (Dodier, 2012).
1Les travaux historiques qui traitent des banlieues et font autorité en ce domaine s’intéressent, pour l’essentiel, à un type de banlieue spécifique et à une séquence historique relativement réduite. L’histoire de la banlieue se confond, en effet, pour une large part avec la phase de son développement le plus intense, c’est-à-dire la période de l’urbanisation et de l’industrialisation rapides de ces espaces. L’essentiel des travaux portent donc, pour la France et l’Europe occidentale, sur une période qui s’échelonne de la seconde partie, voire du dernier tiers du xixe siècle, aux années 1950 (Faure, 1991). Plusieurs éléments peuvent légitimement expliquer ces choix. Il est vrai que le véritable boom démographique et urbain des banlieues en Europe occidentale est à mettre en relation avec une série de changements techniques et économiques qui n’interviennent que dans la seconde moitié du xixe siècle. La généralisation du chemin de fer et l’essor urbain lié à la seconde industrialisation expliquent cette focalisation sur cette séquence historique. La première Révolution industrielle a eu des effets relativement diffus sur la trame urbaine dans la mesure où la mécanisation n’induisait pas encore la création systématique de grands ensembles de bâtiments industriels, ni l’appel massif à une population de travailleurs migrants. Dans le cas de la France, on peut ajouter une contrainte documentaire. Les recensements, source maintes fois sollicitée par les historiens français des banlieues, ne sont, on le sait, disponibles en général qu’après 1836 pour le pays dans son ensemble. Dans le cas des communes de banlieue parisienne, en particulier pour la première couronne, les listes nominatives de recensements ont fait l’objet de nombreuses destructions et sont souvent indisponibles avant 1872, voire plus tard encore. En outre, l’histoire de la banlieue a souvent été associée à celle du mouvement ouvrier et à la politisation des classes populaires, ce qui peut expliquer également que nombre d’enquêtes sur la banlieue aient focalisé leur attention sur le premier xxe siècle. L’identité politique forte dans nombre de ces communes de banlieues, aux majorités municipales socialistes, et surtout communistes, durant parfois plusieurs décennies, s’est construite bien souvent en miroir de celle des centres urbains réputés bourgeois (Thompson, 1988). Ces contraintes archivistiques et ces préoccupations épistémologiques et conjoncturelles ont largement contribué à recentrer les travaux sur la fin du xixe siècle et la première moitié du xxe siècle. Les titres de deux des ouvrages emblématiques de cette historiographie, Saint-Denis la rouge (Brunet, 1980) et Bobigny, banlieue rouge (Fourcaut, 1986), illustrent bien le prisme politique qui a souvent accompagné l’étude des banlieues. Leur histoire est enfin associée à celles des grands projets urbanistiques et à la politique des grands ensembles de l’après-guerre [1].
2Ces différents constats historiographiques renvoient aussi, plus généralement, à la double situation de dépendance dans laquelle se situent les populations des banlieues. Une dépendance structurelle tout d’abord, parce qu’elles sont considérées comme périphériques par leur position géographique, les banlieues et leurs populations font le plus souvent l’objet d’une définition par défaut et leur histoire a souvent été décrite en continuité de l’histoire des villes-centres. Elles apparaissent ainsi en situation de dépendance vis-à-vis d’un centre dont elles seraient un prolongement mais aussi une marge (Merriman, 1994), voire un espace de relégation (Faure, 2006). Une banlieue se définit par sa ville-centre, elle accueille les fonctions urbaines que le centre-ville ne peut plus ou ne veut plus assumer. Il peut s’agir du logement d’une population devenue trop nombreuse pour les limites de la ville, de l’accueil de fonctions industrielles souvent dévoreuses d’espaces ou bien encore de fonctions indésirables, telles que le stockage et le traitement des déchets urbains ou l’accueil, par exemple, des cimetières de la ville-centre. Néanmoins, il est évident que l’historiographie a considérablement évolué et que les historiens sont de plus en plus attentifs à ces espaces pour eux-mêmes et aux processus qui les conduisent à s’organiser de façon propre, à se créer une identité sociale et politique indépendamment de la relation à la ville-centre (Vorms, 2012).
3L’histoire des populations de banlieue souffre ensuite d’une dépendance épistémologique. Les banlieues appartiennent à l’histoire urbaine, oserait-on dire. Considérées comme des excroissances des villes, les banlieues ont été surtout étudiées dans leur rapport au territoire et au développement urbain. La banlieue en tant que telle occupe à l’inverse une place réduite dans les travaux de démographie historique et d’histoire des populations. La démographie historique, pourtant grande productrice de monographies, s’est concentrée sur deux type d’espaces : le village tout d’abord, un cadre aux dimensions acceptables pour expérimenter et permettre la reconstitution des familles ; la ville ensuite, plus difficile pourtant à appréhender tant par la quantité de sources à manier que par la volatilité de sa population, plus fortement affectée par la mortalité dans l’Europe préindustrielle (Bardet, 1983) et plus mobile également (Pinol, 1991 ; ADH, 1999). Il n’est en outre pas certain, même quand les historiens ne s’inscrivent pas uniquement dans une démarche d’histoire urbaine, qu’ils prennent en considération l’ensemble des populations de banlieue. Leur attention se tourne plus souvent vers les populations migrantes qui viennent gonfler et, souvent, faire exploser les effectifs dans ces espaces, particulièrement au cours du xixe siècle et du premier xxe siècle [2]. Il est vrai que ces migrants, par leur nombre, ont largement contribué à façonner les banlieues. On pourrait néanmoins en dire autant de la ville-centre, dont on sait qu’elle était incapable de se renouveler en s’appuyant sur ses seules forces naturelles jusqu’au xxe siècle et dont la croissance s’est faite grâce aux migrations. Faut-il dès lors considérer les banlieues comme des villes comme les autres ? La réponse est évidemment négative mais l’identification des populations de banlieue aux populations migrantes est sans doute encore moins valide pour la banlieue que pour la ville-centre. Car, si la banlieue est à bien des égards une excroissance de la ville, elle n’apparaît pas forcément – et même assez rarement?–, sur des terres vierges de tout peuplement (Faron et Renard, 1996). Les villes de proche banlieue parisienne sont toutes d’anciens villages, voire d’anciennes petites villes qui ont fini par former un continuum de bâtis avec la capitale mais qui n’avaient pas besoin, contrairement aux villes-centre, de l’immigration pour ne pas mourir [3]. Leurs relations avec la capitale étaient anciennes mais ces paroisses existaient bien avant d’appartenir à ce qu’on entend communément par banlieue.
4Au-delà des fonctions urbaines propres aux villes et à leurs banlieues, il y a donc matière à interroger les spécificités respectives de ces deux types d’espace du point de vue de leurs populations et de leurs comportements démographiques et familiaux. C’est à ce travail que tente de se livrer ce dossier des Annales de Démographie Historique issu, pour partie, d’une double session organisée en 2012 dans le cadre de l’European Social Science History Conference qui s’est tenue à Glasgow.
5La question des populations, des caractéristiques qui sont les leurs dans un territoire en renouvellement, mérite en effet d’être examinée au regard de leurs systèmes démographiques. Car, du point de vue de l’histoire des populations, on peut difficilement estimer comme a priori semblables les populations des centres-villes et celles des banlieues. Le rythme de leur formation, la plus ou moins grande stabilité des formes de résidence, leur composition sociale, du fait des fonctions urbaines différentes du centre et des banlieues, rendent impossible l’assimilation de ces deux types de populations. Pas plus qu’il ne semble acceptable de considérer les populations de banlieue comme étant composées d’individus aux caractéristiques moyennes, situées quelque part entre celles des populations des villes-centre, à la mobilité intense et la grande fragilité naturelle dans l’Europe ancienne, et celles des populations rurales, au contraire vues comme plus sédentaires aussi bien sur le plan géographique que sur le plan de l’organisation familiale.
6Il est en fait difficile d’admettre que les populations de banlieue se signaleraient par des caractéristiques démographiques moyennes, à mi-chemin entre celles des villes et celles des campagnes, dans la mesure même où le singulier s’applique particulièrement mal aux populations qui peuplent ces espaces. Tout d’abord les migrants, qui viennent grossir les effectifs des banlieues, ne forment pas une population homogène mais au contraire contrastée. Une part de leurs comportements peuvent être hérités, au moins dans un premier temps, des territoires variés dont ils proviennent – communes proches, province éloignée, pays étrangers, ou ville-centre – et contribuent à différencier différentes sous-populations de migrants. Leurs caractéristiques peuvent également dépendre largement de la date, plus ou moins récente, de leur installation en banlieue. Les déséquilibres en termes de sex ratio, notamment dans les banlieues à forte dimension industrielle, mettent alors nécessairement du temps à se corriger et suscitent des formes de résidence et d’organisation familiale spécifiques. L’installation durable d’une partie des migrants crée à la génération suivante une population de natifs « issue de la migration ». Pour autant, les natifs ne forment pas en soi un type de population – même s’ils constituent une catégorie commode pour l’analyse –, car, nous l’avons dit, ces banlieues sont rarement des terrains vierges avant l’urbanisation mais se développent souvent à partir d’un village ou d’une petite ville. Dans ces conditions, le fait d’être natif recouvre des situations très différentes selon que les individus sont les enfants de migrants ou les descendants de familles installées depuis plusieurs générations dans ces espaces, c’est-à-dire alors qu’ils n’étaient pas encore des banlieues urbaines mais des villages ou des petites villes satellites d’une grande ville (Segalen, 1990). Cette part non négligeable de natifs issus de familles présentes avant même l’urbanisation et/ou l’industrialisation distingue sans doute assez nettement ces espaces périphériques des villes-centre – où cette proportion est plus réduite – et ajoute à la complexité et la variété du peuplement de ces territoires.
7L’identité même des populations des banlieues doit ainsi être interrogée en considérant leur caractère feuilleté. Populations sédentaires, populations de natifs issus de familles migrantes, populations nouvellement arrivées, voire de passage, cohabitent sur un même territoire sans doute, mais leurs caractéristiques propres devraient pouvoir être identifiées.
8L’un des premiers questionnements de ce dossier portait sur les modèles démographiques spécifiques des banlieues et leurs singularités par rapport aux modèles urbain et rural. De ce point de vue, les questions classiques de la démographie historique que sont la mortalité et la fécondité méritaient d’être revisitées. Si l’intensité de la mortalité urbaine est une réalité incontournable pour les villes de l’époque moderne et encore pour une large part du xixe siècle, au point de faire des campagnes l’indispensable réservoir d’hommes de la croissance urbaine, quelle place occupent les banlieues dans les flux qui en découlent ? Sont-elles soumises au même régime que les villes dont elles sont des formes d’excroissance, ou relativement protégées de ce péril par une urbanisation moins dense et une promiscuité moins intense ? En sens inverse, le caractère parfois plus anarchique de son urbanisation, la présence parfois massive d’industries polluantes et le retard chronique de la banlieue en termes d’équipement sanitaire font-ils perdre à celle-ci l’avantage que constitue son caractère moins densément peuplé ? Concernant la fécondité, la question de la diffusion des modèles de comportement entre la ville et la banlieue mérite également d’être interrogée (Casterline, 2001). La ville fait-elle figure de poste avancé d’un mouvement séculaire de limitation des naissances qui affecte l’Europe entre la seconde moitié du xviiie siècle et la première moitié du xxe siècle, mouvement que les populations de banlieue se contenteraient d’imiter ? Les banlieusards s’inscriraient-ils alors dans une démarche mimétique, en copiant les attitudes urbaines ? Ou ne sont-ce pas plutôt ces citadins, refluant des villes-centre, qui importent en banlieue leurs comportements (Farcy, 2003) ? Là encore, on devine aisément que la réalité est sans doute plus complexe, car les populations de banlieue ont des origines très diverses et, peut-on supposer, des comportements très différents selon qu’elles proviennent des campagnes, d’un reflux de la ville-centre ou de vieilles familles banlieusardes (Hontebeyrie et Rosental, 1998). À ces éléments s’ajoute la forte ségrégation sociale dans la composition de certaines banlieues. Cela implique des rapports différents à la nuptialité – et au concubinage (Frey, 1978) et à la légitimité des naissances comme à l’illégitimité –, selon qu’il s’agit d’espaces essentiellement ouvriers ou bourgeois dans leur peuplement.
9Une seconde série de questionnements a trait aux formes et à l’intensité des relations entre ces populations d’origine multiple. Le caractère à la fois varié et dynamique, et souvent instable, de leur peuplement conduit les banlieues à développer des formes sociales et organisationnelles propres (Young, Willmott, 1960 ; Hareven, 1982). L’un des premiers moyens de les observer est sans doute d’analyser le fonctionnement des alliances matrimoniales dans ces espaces car le mariage dessine les grands traits de la rencontre, ou non, des différentes populations qui forment les banlieues. La lecture peut ici se faire à plusieurs échelles, celle de l’alliance voulue ou évitée entre groupes professionnels différents, celle également de la rencontre réussie ou avortée des natifs et des migrants, celle enfin des niveaux d’endogamie en fonction des caractéristiques sociogéographiques des individus. Dans la mesure où la banlieue ne naît pas ex nihilo mais résulte souvent d’un peuplement ancien, elle possède déjà ses propres formes sociales quand elle est rattrapée par la croissance urbaine. Les migrants doivent donc faire face à cette réalité, s’y insérer ou recomposer leur propre sociabilité. Au-delà de la question fondamentale de l’alliance, il faut donc également s’interroger sur les formes que peuvent prendre les réseaux de sociabilité familiale et extrafamiliale dans un environnement soumis à des changements importants. Les historiens ont fait depuis longtemps justice de l’idée selon laquelle le migrant serait un individu systématiquement isolé en soulignant l’importance des chaines migratoires dans le déplacement et l’installation en ville des individus (Rosental, 1999 ; Lemercier, Rosental, 2000). Reste que sur ce point non plus la banlieue n’est pas la ville-centre et que la question des formes de la sociabilité s’y pose de manière spécifique, notamment en raison du fréquent substrat rural et villageois des communes qui la composent ou de la fréquente ségrégation sociale et professionnelle qui la caractérise (Hareven, 1982).
10Ces deux séries de questionnement impliquaient une définition ouverte du mot banlieue. Ainsi, même s’il est parfois difficile d’échapper à la séquence centrale du développement des banlieues, c’est-à-dire le dernier tiers du xixe siècle et la première moitié du xxe siècle, nous souhaitions également que soient abordées dans ce dossier des périodes historiques plus anciennes, en particulier l’époque moderne et la première moitié du xixe siècle, sans que soient identifiées systématiquement banlieue et urbanisation (Bennezon, 2009 ; Muchembled et al., 2009). De là découlait aussi la volonté de prendre en compte une grande variété de banlieues, pas seulement la banlieue ouvrière mais aussi les périphéries immédiates, bourgeoises ou rurales, des villes-centre. Enfin, ce dossier pose la question des caractéristiques des populations de banlieues dans différents contextes nationaux. Les périphéries des capitales européennes ont ici la part belle, ce qui montre que la question des banlieues reste largement étudiée par les chercheurs en histoire à travers le prisme emblématique des très grandes villes. Toutefois, les banlieues de province sont également étudiées dans un article de ce volume.
11L’article de Gill Newton et Richard Smith offre un éclairage précieux sur les banlieues de Londres entre 1550 et 1750 ; il compare les niveaux de mortalité dans la capitale londonienne, dans sa banlieue et dans sa campagne du Middlesex, en se focalisant particulièrement sur les phases de crises épidémiques et la mortalité des plus jeunes. Si les paroisses de banlieue, au xviie siècle, partagent avec la capitale le fardeau de la peste, l’extrême variabilité des niveaux de mortalité diminue en banlieue après 1665, une fois la peste disparue, signalant un régime de mortalité générale différent d’un espace à l’autre. En revanche, en ce qui concerne la mortalité infantile, l’ampleur des taux, aussi bien en ville qu’en banlieue, laisse supposer que, sur ce point, les causes épidémiologiques dépassent les différences de fortune et de niveau social entre les paroisses urbaines et les paroisses de banlieue.
12L’article de Thierry Eggericks aborde la question de la transition démographique dans les banlieues bruxelloises entre 1830 et 1930, avec la volonté affichée de ne pas se limiter aux espaces industriels, bien étudiés de ce point de vue, mais en prenant en compte ces banlieues dans leur variété, qu’elle soit sociale (bourgeoise/ouvrière), géographique et administrative (communes urbaines/communes rurales) ou culturelle et linguistique (wallon/flamand). L’article rappelle d’abord la contribution massive des banlieues à l’urbanisation de la Belgique, les villes-centre croissant en fait modestement au xixe siècle. Il insiste ensuite sur la relation entre les formes et rythmes de la transition démographique et le profil des communes de banlieue. La composition sociale des banlieues se lit clairement dans les niveaux de la mortalité, de la fécondité et de la nuptialité de leur population et permet à l’auteur de distinguer deux modèles. Si les communes de banlieues ont toutes en commun, et avec Bruxelles, une espérance de vie bien moindre que celle des campagnes au xixe siècle, les inégalités face à la mort sont importantes entre les différentes composantes de l’agglomération et s’accentuent à la fin du siècle. Les comportements de fécondité et de nuptialité sont également très différents, notamment en période pré-transitionnelle, selon qu’on se situe dans des communes bourgeoises ou industrielles.
13L’article de Sandra Bree s’inscrit dans la lignée de ces interrogations en se focalisant sur la question de la fécondité à Paris dans la seconde moitié du xixe siècle. L’auteur questionne les deux modèles d’explication de la baisse tendancielle de la fécondité à partir du cas des communes du département de la Seine : l’hypothèse d’adaptation des comportements et celle de la diffusion des pratiques. La fécondité générale en banlieue suit le mouvement général de baisse observable partout en France au xixe siècle mais se maintient à un niveau plus élevé qu’à Paris. De manière intéressante, l’article, en comparant l’évolution de la fécondité légitime entre Paris et les communes de sa banlieue mais aussi les évolutions des naissances illégitimes, fait apparaître la variété des trajectoires des communes en matière de fécondité. Trois types peuvent être ainsi distingués en fonction du profil socio-professionnel dominant : les communes ouvrières, les communes bourgeoises et les communes agricoles.
14L’article de Laurent Heyberger adopte une autre perspective puisqu’il s’intéresse à la stature des conscrits français au milieu du xixe siècle. L’auteur montre que plus la ville est grande, plus les conscrits sont petits, confirmant que l’hypothèse d’une pénalité urbaine qui serait observable par la stature s’applique aussi au cas français. Les résultats relatifs à la ville de Paris sont à cet égard éloquents. Le croisement des données individuelles des conscrits et de l’enquête agricole de 1852, entre autres, permet d’identifier les effets qui compensent cette pénalité urbaine telle que la structure urbaine mais aussi ceux des apports nutritionnels. L’auteur montre ainsi que les habitants des banlieues des grandes villes sont les plus grands des Français, à l’exception de ceux de Paris, confirmant que les banlieues constituent bel et bien des espaces spécifiques aux caractéristiques propres.
15Fabrice Boudjaaba, quant à lui, s’intéresse aux relations de sociabilité dans la banlieue parisienne d’Ivry-sur-Seine au début du xixe siècle. S’appuyant sur l’analyse des témoins au mariage civil, il questionne la fréquence et la nature des relations entre les natifs et les migrants, mais aussi entre les différents espaces qu’ils représentent. Il démontre ainsi l’existence de groupes de population aux caractéristiques propres : un groupe endogame, largement fermé, composé de cultivateurs pour l’essentiel ; un groupe ouvrier, lui aussi fermé quant à ses relations avec la capitale ; un autre enfin, composé de marchands, ouvert et qui a notamment souvent recours à des témoins parisiens. L’analyse sur le long terme des témoins mobilisés aux mariages montre en outre un renforcement des sociabilités au sein de la commune, et ce en dépit de la croissance de la capitale qui rapproche les deux espaces.
16En définitive, si toutes les questions qui motivaient ce numéro des ADH n’ont pu être explorées, les articles qui sont publiés tendent à apporter des éléments de réponses convaincants : les banlieues constituent des espaces dont les caractéristiques sociodémographiques se démarquent de celles du centre, les dépassent même jusqu’à leur opposer parfois des formes radicalement distinctes, voire originales.
Bibliographie
Références bibliographiques
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- Young, Michael & Willmott, Peter (1962), Family and Kinship in East London, Harmondsworth, Penguin books.
Notes
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[1]
Voir sur ce point les numéros 17 et 20 de la revue Histoire urbaine (2006 et 2007).
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[2]
On ne peut qu’être frappé, à la lecture des monographies d’histoire urbaine, par la faible attention dont on fait l’objet ces populations présentes avant le processus d’urbanisation. Fait ici exception le livre d’Annie Fourcaut sur Bobigny qui y consacre plusieurs développements (Fourcaut, 1986).
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[3]
Cela dit, la continuité du bâti entre la ville-centre et sa banlieue n’épuise pas la question des banlieues car la « grande banlieue », et ses espaces périurbains, ne présente pas cette caractéristique. Elle peut être un espace rural mais, bien que lointaine, il s’agit bien d’une banlieue au sens où elle se situe dans l’aire d’influence de la ville-centre et où les échanges entre ces deux espaces sont structurés, très souvent, par le réseau de transport routier et/ou ferroviaire et comportent une dimension asymétrique semblable à celle observée entre la ville-centre et la proche banlieue, à savoir la relégation d’un certain nombre d’activités de la ville-centre vers la périphérie (Dodier, 2012).