Notes
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[1]
Jean-François Icart est l’auteur d’un manuel d’accouchement intitulé : Leçons pratiques sur l’art des accouchemens, destinées à l’instruction des sages-femmes de la province de Languedoc, publié à Castres en 1784. Il est aussi probable qu’il soit le traducteur du pamphlet anglais, Petition of the unborn Babies, sous le titre La requête des enfants à naître.
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[2]
Le baptême sous condition correspond notamment à l’usage de la formule « ?si tu es vivant/si tu es homme, je te baptise ». D’un point de vue théologique, il constitue le seul moyen de faire échapper l’âme de l’enfant à l’errance dans les Limbes (Morel, 2001, 17-22). D’un point de vue concret, ce type de baptême recouvre deux cas de figures. Dans les sanctuaires à répit étudiés par Jacques Gélis (2006), il s’agit d’un baptême complet conféré par un prêtre au moment du « ?répit » de l’enfant. En dehors de ces exemples bien spécifiques, il s’agit le plus fréquemment d’un ondoiement conféré en urgence à des enfants nés en état de mort apparente ou en danger de mort par une personne présente (médecin, sage-femme, père de l’enfant ou, plus exceptionnellement, prêtre). Cette pratique de l’ondoiement connaît cependant au xixe siècle une évolution qui ne la limite plus aux cas de péril pour l’enfant et la constitue partiellement, sous l’influence du discours médical, en outil de protection de la santé du nouveau-né par opposition au baptême complet (Gourdon et al., 2004).
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[3]
Cette définition exclut néanmoins les moles et les faux-germes qui font toujours l’objet d’une entrée spécifique dans les dictionnaires ou d’un chapitre propre dans les traités d’obstétrique.
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[4]
« ?L’avortement se fait, lorsque l’enfant vient avant le terme de sept mois ; car la sortie à sept mois doit être regardée, comme un Accouchement, puisque les enfans venus à ce terme, peuvent être élevés ; mais avant ce tems-là on ne peut y compter, et souvent ils n’ont pas le bonheur de recevoir le Baptême » (Du Coudray, 1759, 43).
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[5]
Les ouvrages de Florentini s’intitulent respectivement : De Hominibus dubiis baptizandis seu de baptismo abortivorum en 1648 et la Disputatio de ministrando baptismo humanis foetibus abortivorum en 1665 (Gélis, 1984, 476). Cette idée d’une présence de l’âme dès la conception étend la sollicitude de l’Église aux fœtus avortés et impose la nécessité du baptême quelle que soit l’apparence du produit de la conception. Sa principale répercussion est l’exigence de la césarienne post-mortem systématique qui prend sa source dans l’ouvrage de Francesco Emanuele Cangiamila, Embriologia sacra, paru à Palerme en 1745 (voir Fredj, 2009 ; Filippini, 2010). Sur la primauté de la théorie de l’infusion immédiate de l’âme au xixe siècle, voir (Betta, 2006, 21-38).
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[6]
« ?Remarques touchant l’expérience qu’on a coutume de faire sur le poumon d’un Enfant, pour juger si la mère accusée de l’avoir détruit, est coupable, ou non » (Du Coudray, 1759, xlix). Sur la docimasie pulmonaire, voir aussi les travaux en cours d’Elena Taddia et en particulier son article à paraître : « ?Inscrire le corps de l’enfant dans le débat scientifique. L’expertise médicale sur les nourrissons et l’application de la docimasie hydrostatique pulmonaire dans les cas suspects d’infanticide (1660-1830 env.) ».
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[7]
Cette observation, tirée de la communication à l’Académie de médecine intitulée De la vie sans respiration chez les enfants nouveau-nés, est citée par Depaul dans son article « ?Nouveau-né » (Depaul, 1879, 587).
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[8]
« ?Quoi ! Nous serions exposés à un danger de tous les instants, contre lequel, dit-on, rien ne peut nous défendre ; nous pourrions être séparés tout à coup du monde et des plus chers objets de notre affection, pour nous réveiller dans un sépulcre et y périr au milieu des plus affreuses douleurs ! Non, cela n’est pas, mais c’est là une crainte dont il faut savoir tenir compte, et qu’il serait difficile de détruire si elle était suffisamment justifiée, car les efforts du stoïcisme le plus résolu seraient impuissants contre elle. […] Je m’estimerai toujours heureux d’avoir réussi, par des investigations nouvelles, à rendre cet accident impossible, et à donner aux hommes un gage certain de sécurité à cet égard » (Bouchut, 1849, I-V).
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[9]
Paulin Cazeaux fait paraître l’année suivante, dans la Gazette médicale de Paris, un Mémoire sur la mort apparente des nouveau-nés où il reprend le principe de Bouchut : « ?Le silence prolongé du cœur, l’absence complète de toute pulsation à la région précordiale constatée plusieurs fois et à plusieurs reprises, est le seul signe que l’on puisse considérer comme détruisant toute espérance. Le cœur est l’ultimum moriens, et je ne crois pas qu’on soit jamais parvenu à réveiller ses pulsations complètement éteintes » (Cazeaux, 1850, 320).
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[10]
Tous trois auteurs de traités d’obstétrique, qui font rapidement référence pour l’enseignement de cette spécialité (Traité pratique de l’art des accouchements de Moreau, paru en 1838 ; Traité théorique et pratique de l’art des accouchements de Cazeaux paru en 1840 ; Traité pratique de l’art des accouchements de Chailly-Honoré paru en 1842), Moreau, Cazeaux et Chailly-Honoré multiplient les recherches sur la dystocie, tandis que le dernier prend une part active à l’introduction des premières méthodes d’anesthésie appliquée aux accouchements en 1847.
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[11]
Sur l’injection rectale, procédé mis au point par le docteur Van Hengel, voir (Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, 1849b, 477), et (Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, 1849a, 283). Sur la poursuite des recherches concernant les signes de la mort réelle, voir (Gélis, 2006, 257-259).
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[12]
La découverte citée par Hippolyte Fichon (Fichon, 1879, 17) est développée dans l’ouvrage de Paul Bert : Leçons sur la physiologie comparée de la respiration, professées au Muséum d’histoire naturelle, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1870. On trouve par ailleurs dans la thèse d’Anatole-Joseph Boutry (1896, 14), une allusion à l’ouvrage de Karl von Vierordt : Die Erscheinungen und Gesetze der Stromgeschwindigkeiten des Blutes [Lois et manifestations de la circulation sanguine], 1858.
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[13]
Les thèses de médecine consacrées au thème de la mort apparente du nouveau-né dans le dernier tiers du siècle reprennent presque toutes cette litanie d’exemples.
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[14]
« ?On ne devroit pas employer peut-être, en parlant des nouveau-nés, le mot asphyxie, qui ne peut convenir que pour la suspension de la respiration bien établie, et non pour le défaut de cette fonction chez un individu qui n’a point encore respiré, et qui a pu vivre pendant neuf mois, sans le secours de cette fonction » (Moreau de la Sarthe, 1821, 542).
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[15]
« ?Le nom d’asphyxie des nouveaux-nés a été appliqué à un état de mort apparente de ces enfants, fort distinct d’un état à peu près semblable, désigné sous le nom d’apoplexie » (Bouchut, 1845, 382-383).
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[16]
Reprenant la distinction entre asphyxie bleue et asphyxie blanche, Demelin décrit pour chacune de ces formes différents stades de gravité : asphyxie, congestion méningée et apoplexie méningée pour la forme bleue ; syncope traumatique et syncope hémorragique pour la forme blanche. Il y ajoute une troisième forme dite « ?mixte », très rare, qui résulte de la succession rapide des deux formes précédemment évoquée (Demelin, 1895, 10-42).
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[17]
« ?[…] après avoir donné ses soins à une femme dans un accouchement contre nature, il jugea par le défaut de battement des artères du cordon ombilical, qui avoit été long-tems comprimé, que l’enfant étoit dans un péril imminent de perdre la vie », (Du Coudray, 1759, XLVII-XLVIII).
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[18]
Chaussier, F. (1781), Réflexions sur les moyens propres à déterminer la respiration dans les enfans qui naissent sans donner aucun signe de vie, cité dans (Stofft, 1997, 342).
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[19]
La formule des deux à trois cuillères de sang à laisser s’écouler du cordon est une constante des traités d’obstétrique et des manuels d’accouchements, de (Augier du Fot, 1775) à (Pénard, Abelin, 1889). Son utilité est toujours présentée comme immédiate et susceptible de faire naître une respiration « ?empêchée » par l’excès de sang dans l’organisme du nouveau-né. Le recours à la saignée par sangsue est évoqué dans (Chaussier, 1818, 148-149). À l’inverse, la forme blanche, vue comme une anémie du naissant, impose à l’accoucheur de retarder au maximum la ligature du cordon et de veiller à ce que l’enfant ne saigne pas.
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[20]
Les conseils de réanimation proposés par Chevreul en 1826 sont retranscrits à l’identique dans la seconde édition de son manuel en 1837 (Chevreul, 1837, 104-109).
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[21]
Dans les années 1820, le corps médical hésite encore, n’hésitant pas à prescrire, dans un même texte, de porter « ?dans la bouche un peu […] d’eau mêlée de quelques gouttes d’alcali volatil », tout en mettant en garde contre un autre usage du même produit : « ?mais il serait fort dangereux de porter dans les narines un papier tortillé et imbibé d’ammoniaque, comme on en a donné le conseil ; on cautériserait la membrane pituitaire » (Désormeaux, 1826, 159). Le tournant se prend complètement dans les deux décennies suivantes : « ?L’ammoniaque est un liquide dangereux à employer » (Bouchut, 1845, 384).
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[22]
Voir à ce sujet (Serderczny, 2003). L’une des dernières mentions de cette technique se trouve dans l’article « ?Nouveau-né » de Désormeaux et Dubois, voir (Désormeaux, Dubois, 1840, 153).
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[23]
Les remarques sur la nécessité de maintenir les nouveau-nés dans un environnement chauffé sont régulièrement développées dans les dictionnaires médicaux, que la chaleur soit considérée comme un moyen de rappeler l’enfant à la vie : « ?Il est important aussi de conserver la chaleur de son corps. Ce soin seul a souvent sauvé la vie à des enfans que tous les moyens n’avaient pu ranimer » (Désormeaux, 1826, 157) ; ou que l’auteur considère qu’il s’agit d’une continuité naturelle indispensable au bien-être général de l’enfant, même en bonne santé : « ?Cette eau doit-elle être froide, ou avoir un degré de chaleur égal à la température du corps ? Des philosophes, et même des médecins, ont recommandé de plonger l’enfant naissant dans l’eau froide, comme pour le tremper ; […] mais si l’on fait attention aux gradations par lesquelles la nature amène le passage d’un état à un autre, si on remarque le soin que tous les animaux ont d’apprêter pour leurs petits des nids bien chauds, […] si on réfléchit que, tant que l’enfant a froid pendant qu’on lui administre des soins, il crie et s’agite, mais qu’il se tait et se tient tranquille dès qu’il est enveloppé chaudement, on sera convaincu qu’il n’entre pas dans les vues de la nature que l’enfant passe brusquement d’une température de trente degrés, comme est celle de l’eau de l’amnios, à une température peu différente du terme de la glace […] » (Désormeaux, Dubois, 1840, 143). Sur les différences d’appréciation entre le xviiie et le xixe siècle sur l’importance de préserver la chaleur corporelle de l’enfant à la naissance, voir (Gourdon, 2009).
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[24]
L’insufflation par le bouche-à-bouche connaît une faveur irrégulière, en général supplantée par le recours au tube laryngien, elle est cependant préférée par des médecins ou des sages-femmes qui craignent de ne pas utiliser correctement l’instrument de Chaussier (Bleynie, 1859 ; Gallois, 1886, 255 ; Boutry, 1896, 72). Certains auteurs soulignent à son sujet un risque spécifique : celui d’orienter l’air dans l’œsophage plutôt que dans la trachée (Depaul, 1879, 599).
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[25]
L’anecdote rapportée par Angélique du Coudray sous le titre « ?Observation sur le moyen peu usité de rappeller à la vie un enfant nouveau né qui sembloit en être privé », accorde à Smellie la primauté dans l’utilisation d’une sonde féminine comme moyen d’insufflation.
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[26]
Dans les années 1820, les travaux successifs de Leroy d’Étiolles, de Duméril et de Magendie, présentés à l’Académie de médecine, attirent l’attention sur des risques supposés de déchirure des bronches provoquée par une insufflation trop brutale (Fichon, 1879, 22). Ces accusations portées contre une technique utilisée jusque là quasi systématiquement dans les cas de mort apparente du nouveau-né, font cesser sa pratique jusqu’aux recherches approfondies menées par Depaul et exposées en 1845 (Depaul, 1845).
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[27]
Il faut noter que des techniques substitutives du tube laryngien se développent, les unes destinées à pallier l’absence de matériel spécifique : insufflateurs en cuir mou (Delattre, 1875, 7) ; les autres, la difficulté de manipulation : stéthoscopes (Fleux, 1899).
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[28]
L’ouvrage qui récapitule la méthode de Jean-Baptiste Laborde paraît en 1897, mais il en a déjà fait la présentation à l’Académie de médecine dans les années précédentes, d’où son évocation dans la thèse d’Anatole-Joseph Boutry, soutenue en 1896.
Plusieurs Enfans naissent dans un état d’apoplexie ; d’autres dans un état d’asphixie, ou de mort apparente ; quelques-uns sont si foibles, qu’on ose à se peine se flatter de les ranimer. [...] On n’a pas négligé d’entretenir les Elèves Sages-Femmes sur ce point essentiel ; on leur a parlé plus d’une fois des moyens par lesquels on peut rappeler ces innocentes Créatures à la vie.
1Professeur du cours d’accouchement de Castres [1], Jean-François Icart soulève dans le deuxième article de son Mémoire présenté, en 1786, aux commissaires ordinaires du diocèse une question qui semble presque marginale : celle du nouveau-né en détresse vitale ou, plus précisément, ce qu’il nomme la mort apparente du nouveau-né. La longue dénonciation du massacre des Innocents au cours du xviiie siècle, la parole donnée aux « Enfants à naître », l’enjeu médico-social de la formation des sages-femmes, tout cela a fait de l’enfant naissant un être précieux dont la venue au monde et la survie constituent les preuves tangibles du recul de l’impéritie meurtrière d’accoucheuses ignorantes (Gélis, 1988, 105 ; This, 1982 ; Morel, 2005).
2Le combat liminaire de la naissance et la lutte contre la variole ne soulagent qu’une partie de l’angoisse populationniste qui se manifeste avec régularité jusqu’à la fin du xixe siècle. Entre l’accouchement dystocique et la mort du petit enfant, un quasi vide demeure, celui de la mort apparente du nouveau-né. Les questionnements anciens sur la frontière entre la vie et la mort y trouvent une nouvelle pierre de touche. La littérature médicale s’empare, avec l’enthousiasme d’un savoir en plein renouveau, de ces enfants naissants pour les arracher au sort des mort-nés qui peuplent les registres.
3Mort apparente, mort imparfaite, mort absolue. La traduction par Jean-Jacques Bruhier, en 1742, d’une Quaestio medico-chirurgica de Winslow, sous le titre Dissertation sur l’incertitude des signes de la mort, relance un débat latent dans l’histoire de la médecine occidentale (Milanesi, 1991, 15, 26). En quelques décennies, l’approche mécaniste de la mort comme instant, articulus mortis, est remplacée par la définition d’une mort-processus. De l’exhalaison du dernier soupir à la physiologie de Bichat qui s’ouvre à l’idée d’une mort toujours repoussée par l’infini cellulaire, on cherche à distinguer plusieurs étapes consécutives ou alternatives de mort apparente ou imparfaite, dont l’aboutissement naturel, hors de toute intervention, est la mort absolue et irréversible (Carol, 2004, 128-132).
4Dans cet élargissement continu du territoire de la mort, qui est tout autant élargissement continu du territoire de la vie, la mort apparente du nouveau-né occupe un espace particulier. Si les soins des hommes de l’art et de l’entourage d’un adulte en mort apparente vont avant tout à la vérification de la réalité de la mort, dans la crainte d’inhumations prématurées, la mort apparente de celui qui vient de naître pose avant tout la question de la vie à éveiller ou réveiller. Existence en suspens, vie potentielle et en devenir, le nouveau-né apparemment mort prend la suite gratifiante de l’enfant mort-né en répit (Gélis, 2006, 250-251) dans une bifurcation qui tend à nier la possibilité même de ce dernier. De témoins appelés à confirmer le miracle qui autorise le baptême et assure le salut, médecin et sage-femme deviennent acteurs d’une réanimation aux ambitions plus vastes que sa limitation au temps du sacrement. La survie spirituelle ne suffit plus à faire admettre l’indicible mort du naissant.
5Sans commune mesure avec les études sur l’accouchement dystocique, ses conséquences et son traitement, la mort apparente du nouveau-né fait l’objet de nombreux travaux au cours du xixe siècle : thèses de médecine (Brissaud, 1867 ; Codet, 1893, etc.), opuscules spécifiques (Fichon, 1879 ; Demelin, 1895 ; etc.), mais surtout articles de revues médicales et comptes rendus de séances à l’Académie de médecine dès la fin des années 1820. Les dictionnaires de médecine et de chirurgie accordent également une place à ce problème, en général dans une rubrique de l’entrée « ?Nouveau-né » ou de l’entrée « ?Mort ». Enfin, l’une des sources les plus riches se trouve dans les traités de l’art des accouchements et dans leurs corollaires simplifiés que sont les manuels à destination des étudiants en médecine et des sages-femmes. De l’Abrégé de l’art des accouchements d’Angélique du Coudray en 1759 à la Pratique de l’art des accouchements de Budin et Crouzat en 1891, une sélection des ouvrages parmi les plus diffusés et les plus réédités au cours de cette période fournit un échantillon représentatif de la place accordée à la mort apparente du nouveau-né dans cette littérature. À la lumière de ces sources, deux étages de savoir apparaissent : celui de la construction plus propre aux médecins et celui de l’application, commun aux médecins et aux sages-femmes. Ma recherche se limitera volontairement à la production scientifique sur le sujet et à la littérature pédagogique, sans entrer dans l’étude d’une efficacité clinique des procédés.
6La « ?mort apparente » du nouveau-né est une dénomination ambiguë. Tout l’espoir du corps médical se concentre dans l’adjectif « ?apparente », qui est promesse de vie. La définition de cette « ?mort » bien particulière, la compréhension de ses mécanismes regorgent de zones d’ombres que le corps médical s’attache méthodiquement à éclairer au cours du xixe siècle. La contradiction de la vie et de la mort dans le temps de la naissance ne peut se résoudre que par la réduction ad unum, par le basculement d’un côté ou de l’autre d’une ligne qui ne cesse de s’épaissir. L’équivocité de la mort apparente, spirituellement surmontable par le baptême sous condition (Gélis, 2006, 120-121) [2], est incompatible avec la survie physique du nouveau-né. Tel est l’enjeu qui émerge à cette période. Prise dans la tension de l’observation, mais aussi dans celle d’une nécessaire action, la mort apparente du nouveau-né suscite alors la floraison de techniques thérapeutiques variées et toujours remises sur le métier.
Mort apparente, promesse de vie ?
7Sous l’œil des médecins, la définition du produit de la conception et ses différentes phases de développement constituent un premier pas vers la compréhension de la mort apparente du nouveau-né. Le recours régulier aux notions de maturité ou de viabilité dans la description des modalités de la croissance fœtale infléchit, au sein même des traités d’obstétrique, le discours strictement anatomique vers des considérations de nécessité vitale ; il définit un ensemble de conditions indispensables à la transmutation du fœtus en nouveau-né capable de survivre. Les dictionnaires du premier quart du xixe siècle, confrontés aux traités et aux manuels de l’art des accouchements, ne s’accordent pas toujours sur une définition univoque du nouveau-né. L’article correspondant rédigé en 1819 par Gardien dans le Dictionnaire des sciences médicales « ?[l]’applique également à tout enfant qui vient de naître, quel que soit le terme de la grossesse auquel il voit le jour » [3] (Gardien, 1819, 372). Deux ans plus tard, Moreau de la Sarthe, dans l’article « ?Nouveau-né » de l’Encyclopédie méthodique, Médecine, fait une claire nuance entre le fœtus de moins de sept mois et celui de plus de sept mois : « ?Dès le septième mois, un grand nombre de dispositions extérieures, qui appartiennent encore au fœtus, s’affoiblissent, disparoissent, tandis que d’autres dispositions propres au nouveau-né commencent à se montrer » (Moreau de la Sarthe, 1821, 536). En 1826, Désormeaux n’envisage plus cette définition en lien direct avec l’accouchement et la fait basculer du côté des âges de l’enfance, dans une perspective plus restrictive : « ?La signification de cette expression n’est pas bien précisément limitée. Les uns la bornent à l’enfant considéré à l’instant même de sa naissance ; les autres l’étendent à l’enfant pendant tout le cours de l’allaitement. La première acception est bien plus conforme à l’usage, et elle circonscrit mieux le sujet dont je dois m’occuper ; c’est celle que j’adopte. Je ne traiterai ici que de ce qui a rapport à cette courte période de la vie, que l’on appelle naissance ; l’expression de nouveau-né sera pour moi synonyme d’enfant naissant » (Désormeaux, 1826, 141). En situant le nouveau-né par rapport aux étapes de la croissance de l’enfant déjà né, Désormeaux assimile d’office le nouveau-né à l’enfant à terme. Cependant, dans la littérature obstétricale spécialisée et didactique où la dimension pédiatrique n’occupe qu’une place restreinte, l’usage reflète plutôt la position de Moreau de la Sarthe, en fonction de la distinction ancienne entre avortement et accouchement [4].
8Cette hésitation médicale lorsqu’il s’agit de désigner l’enfant né avant le dernier trimestre de la grossesse pose la question de la viabilité. La maturité ou le défaut de maturité du fœtus dessinent une frontière interne à la vie prénatale. La division des stades d’évolution fœtale qui en découle interroge deux niveaux d’intervention sur la grossesse et son fruit. Le premier est spirituel, dont dépend l’accès au baptême et au salut de l’âme. La seule étape qui y fait sens est celle de l’animation du fœtus, fixée à trois ou quatre semaines de grossesse au Moyen Âge et dès la conception à partir des ouvrages de Jérôme Florentini, publiés en 1648 et 1665 (Gélis, 1984, 504-506 ; Fredj, 2009) [5]. À compter de cet instant, infusion divine de l’âme dans le corps matériel de l’embryon, le fœtus devient homme susceptible de recevoir le premier sacrement. Sa capacité ultérieure à vivre n’a pas d’importance en soi d’un point de vue théologique puisque seul compte le salut de l’âme éternelle. Le second niveau est biologique et médical. Il résume les apports des acquis anatomiques et physiologiques en matière d’évolution du fœtus, et détermine une gradation d’états de vie : embryon et fœtus de moins de sept mois, vivant mais non viable ; fœtus du dernier trimestre, vivant et viable ; nouveau-né vivant (Betta, 2006, 77-80 ; 98-99).
9Cette succession de temporalités dans le développement fœtal jusqu’à l’accouchement est cependant marquée par l’opposition forte entre une vie intra-utérine en quelque sorte suspendue et la vie extra-utérine. La définition médico-légale de la vie pose une équivalence complète entre vivre et respirer : « ?Les médecins légistes n’admettent qu’un enfant a vécu que lorsqu’il a respiré, car, pour eux, vivre c’est respirer » (Billard, 1828, 17). Moreau de la Sarthe, évoquant en 1821 le cas d’un enfant faible à la naissance, ne dit pas autre chose : « ?[…] dans toutes les circonstances où le nouveau-né paroît faible, languissant, peu disposé à vivre d’abord, au moins de ses propres forces, c’est-à-dire, à respirer » (Moreau de la Sarthe, 1821, 538). Cette équivalence entre d’ailleurs, dès la seconde moitié du xviie siècle, dans l’arsenal des enquêteurs sur les suspicions d’infanticide, par la mise au point d’expériences permettant d’établir si l’enfant a ou non respiré avant de mourir : la docimasie pulmonaire (Du Coudray, 1759, XLIX ; Minvielle, 2010, 631 ; Taddia, 2007) [6]. Dès lors, si la seule vie légalement reconnue dépend de la respiration, la vie prénatale est une potentialité de vie, une vie en attente de confirmation. L’activation des facultés respiratoires signe la conversion de cette vie fœtale en vie tout court, ce qui s’apparente quasiment dans le premier quart du xixe siècle, selon la classification de Linné, au passage d’un règne à l’autre : « ?La naissance, qui est pour le médecin, non pas seulement la sortie hors du sein de la mère, la venue à la lumière, mais bien le passage d’un mode de vie qu’on peut dire végétatif à la vie véritablement et complètement animale ; la naissance n’est pas l’affaire d’un moment » (Désormeaux, 1826, 141).
10De là découlent plusieurs conséquences, dont la première est la facilité croissante avec laquelle médecins et sages-femmes définissent pour le temps de la vie intra-utérine les signes d’une mort fœtale, qui pour sa part n’a rien d’une mort apparente. En 1893, dès la première page de sa thèse, Joseph Codet précise que « ?le fœtus peut, pour des raisons multiples, mourir pendant la grossesse ou pendant le travail. Nous ne nous occuperons pas ici de la mort “réelle” » (Codet, 1893, 8). Cette remarque liminaire qui se veut évidente est l’aboutissement d’un mouvement progressif de cantonnement de la mort certaine à la situation intra-utérine. D’Angélique du Coudray à la fin du xixe siècle, presque tous les traités ou manuels d’obstétrique comportent un développement sur les signes de la mort du fœtus, envisagés à deux moments précis : pendant la grossesse et au cours de l’accouchement. Le ton adopté pour rédiger ces chapitres connaît néanmoins une évolution sensible entre la fin du xviiie siècle et les années 1820. Cette évolution est à mettre en relation directe avec l’application des techniques d’auscultation à la grossesse et au fœtus par Lejumeau de Kergaradec en 1821 (Lejumeau de Kergaradec, 1822). Avant la mise au point de ce type d’auscultation, fondée sur l’étude des bruits utérins et fœtaux et plus particulièrement sur l’écoute du rythme cardiaque fœtal, la description des signes de la mort intra-utérine insiste sur la nécessaire prudence de l’accoucheur ou de la sage-femme au moment de conclure affirmativement au décès du fœtus. L’avortement donne lieu en général à des affirmations claires et simples, car il correspond de toute manière à l’interruption prématurée de la grossesse. Angélique du Coudray écrit ainsi (1759, 45) : « ?On connoîtra que ce malheur est inévitable lorsque la femme perdra des caillots de sang, et que les eaux du fétus s’écouleront. Si ces eaux sont d’une couleur noirâtre, et qu’elles ayent une odeur cadavéreuse, on peut assurer que l’enfant est mort, et même depuis longtems […]. ». De même, pour Augier du Fot (1775, 78-79) : « ?D. Quand un enfant meurt dans le sein de sa mère, cet accident est-il suivi de quelque indication ? R. Oui. La mère ne sent plus de mouvement…, seulement lorsqu’elle se couche sur l’un ou l’autre côté, elle sent comme la chûte d’une masse…, ses mammelles se gonflent, deviennent flasques…, son ventre ne grossit plus…, quand les membranes sont déchirées, le travail tarde peu…, elle rend des eaux noires et putrides… ».
11La mort pendant la parturition pose en revanche à celui qui opère l’accouchement de plus lourdes difficultés de conscience. L’enfant proche du terme peut mourir quelques jours avant l’accouchement qui se déroule alors naturellement, si la présentation ne fait aucun obstacle. Mais le décès peut se produire pendant le travail et apparaît dans ce cas moins immédiatement identifiable. Le contexte est alors généralement celui d’un accouchement dystocique, dont le déroulement requiert l’intervention active de l’accoucheur. De la juste reconnaissance des signes de la vie ou de la mort de l’enfant dépend la décision de procéder ou non à l’accouchement « ?artificiel », en ayant recours aux instruments (forceps, outils d’embryotomie, etc.). Comme l’écrit Baudelocque en 1787 : « ?D. Quels sont les signes de la mort de l’enfant ? R. Il est extrêmement difficile de reconnoître si l’enfant est vivant ou mort, lorsque son état ne devient douteux que dans le cours du travail de l’accouchement, et quand la femme assure que ce n’est que depuis quelques instans, depuis quelques heures même, qu’elle ne l’a pas senti remuer. […] Mais l’absence de cette tumeur, ou la flaccidité qui peut y survenir dans la suite, ne prouvent pas toujours d’une manière assez certaine que l’enfant soit mort, pour se croire bien fondé à recourir aux crochets. L’absence des battements, que quelques uns supposent à la fontanelle antérieure, n’est pas un signe plus certain de la mort de l’enfant. […] L’absence des pulsations du cordon ombilical depuis quelques instans, laisseroit moins de doute sur cet état ; mais l’on ne peut toujours toucher le cordon. La même incertitude ne peut avoir lieu quand l’enfant est mort depuis longtemps ; sa putréfaction est alors très-avancée […] » (Baudelocque, 1787, 418-419).
12L’application des techniques d’auscultation à la grossesse, à l’aide du stéthoscope inventé par Laënnec, modifie les perspectives médicales. Le chirurgien lausannois Mathias Mayor fait au cours des années 1810 l’observation qu’il est possible, à partir d’un certain stade de la grossesse, d’entendre les battements du cœur du fœtus (Raciborski, 1838, 814). Cette remarque est reprise et développée par Alexandre Lejumeau de Kergaradec, proche de Laënnec, qui met en valeur deux bruits distincts à l’auscultation : un battement simple avec souffle (bruit placentaire) et un battement double (bruit cardiaque fœtal). Dès lors, le corps médical dispose, pour les deux derniers trimestres de la grossesse, d’un moyen certain pour reconnaître la vie ou la mort de l’enfant à naître : « ?L’existence du double bruit du cœur du fœtus est d’une haute importance tokologique. C’est le signe pathognomonique de la grossesse ainsi que de la vie du fœtus » (Bouillaud, 1836, 83). La vie est donc présence d’un mouvement cardiaque, hors de toute respiration. La répercussion de cette découverte est immédiate dans les traités d’obstétrique et surtout dans les manuels. Dès 1828, Mathias Mayor l’insère dans son ouvrage pour les élèves sages-femmes du canton de Vaud : « ?Le fœtus mort ne remue plus, et les battemens de son cœur ne se font plus apercevoir ; les mamelles et le ventre s’affaissent ; le teint de la femme devient mauvais ; les eaux sont puantes, bourbeuses et contiennent du meconium ou des lambeaux de peau et des cheveux ; les parties qu’on peut voir et toucher, ainsi que le cordon, sont comme pourris, et ce dernier ne bat plus du tout » (Mayor, 1828, 317).
13On retrouve dans ces quelques lignes les critères déjà présents dans l’Abrégé d’Angélique du Coudray, à cette différence près que l’auteur ne s’embarrasse plus de doutes et cite, sans précaution particulière, les signes de la mort in utero comme une accumulation de preuves irréfutables. Plus nuancé que Mayor, Franz-Carl Nägele, professeur d’accouchements à l’université de Heidelberg, reprend la multiplicité des signes pour en proposer une hiérarchie. Dans son Manuel d’accouchements à l’usage des élèves sages-femmes, publié en 1830 et très rapidement traduit en français, il établit une liste de sept signes et circonstances observables pour la mort pendant la grossesse et de douze pour la mort pendant l’accouchement. Cependant, à l’issue de chacune de ces énumérations, il prend soin de préciser : « ?[Pendant la grossesse] De tous ces signes, le troisième, c’est-à-dire la cessation des pulsations fœtales, est le seul qui fournisse la certitude de la mort de l’enfant, lorsqu’une personne expérimentée ne peut plus apercevoir ces pulsations malgré des investigations minutieuses et fréquentes »(Nägele, 1853, 98) ; « ?[Pendant l’accouchement] Cependant tous ces signes ne donnent pas de certitude de la mort de l’enfant, à l’exception des signes évidents de putréfaction de l’enfant et celui indiqué au n°2 [cessation des pulsations fœtales] ; et encore faut-il pour cela que les pulsations fœtales perçues précédemment ne puissent plus être entendues, malgré l’examen le plus minutieux de personnes expérimentées. Cependant, plus il y a de ces signes, plus il sera permis de considérer comme probable la mort de l’enfant » (Nägele, 1853, 179-180).
14La seconde conséquence de la distinction nette entre vie fœtale et vie extra-utérine est paradoxalement le doute positif qui s’attache systématiquement à l’enfant nouveau-né en état de mort apparente. Puisqu’en vertu des signes précédemment évoqués, seule la mort du fœtus est certaine, le nouveau-né doit dans tous les cas être considéré comme vivant. L’obligation de tout tenter pour le ranimer fait l’unanimité chez les auteurs : « ?On en a vu […] qu’on avoit déjà abandonnés comme morts, lorsqu’ils ont annoncé leur existence par des cris plaintifs. La moindre négligence envers ces enfans est une faute impardonnable. » (Baudelocque, 1787) ; « ?On ne saurait trop répéter que des enfants abandonnés après de longues tentatives sont quelques fois revenus spontanément à la vie. Aussi, même quand on a perdu tout espoir, faut-il encore tenir chaudement ces enfans qu’on regarde comme des cadavres » (Désormeaux, 1826, 159) ; « ?Dans le doute, il faut les soigner tous, comme s’ils donnaient quelque espoir de guérison. » (Cazeaux, 1850, 320) ; « ?[…] un devoir s’impose au médecin, c’est de ne jamais abandonner un enfant qui paraît mort au moment de la naissance, qu’après avoir tout fait pour le rappeler à la vie » (Depaul, 1879, 589).
15L’honneur du médecin se mêle alors à la crainte plus diffuse des inhumations prématurées qui semble connaître, comme l’a montré Anne Carol, une flambée entre les années 1830 et 1870 (Carol, 2004, 141-165). Épidémies, guerres sont autant de circonstances où les survivants mal en point risquent d’être mêlés aux déjà morts. Aux effrayants récits – souvent inventés – que détaillait Jean-Jacques Bruhier en 1742 (Gélis, 2006, 251), succèdent inlassablement dans les journaux de nouvelles histoires d’ensevelissements avant le temps. Elles entretiennent, non sans un goût marqué du sinistre et de l’exagération, la peur profonde d’une fausse mort dont la simple apparence condamnerait le malade à périr pour de bon. Enfants enterrés vivants, déterrés puis sauvés, illustrent donc à leur tour les publications médicales, tel le cas rapporté par le docteur limougeaud Bardinet en 1864 : « ?Elle était accouchée le 18 août 1854 vers dix heures du matin d’un enfant mort. Le placenta était venu avec l’enfant et le cordon avait été coupé avec les ciseaux. L’enfant placé dans un fichu fut enterré dans une chènevière. À six heures du soir de la même journée, on procéda à l’exhumation et on trouva le corps à 25 centimètres sous terre. Des soins lui furent prodigués et il vécut quatre jours » (Depaul, 1879, 587) [7].
16Dans ce contexte, la publication en 1849 de l’ouvrage d’Eugène Bouchut, Traité des signes de la mort et de moyens de prévenir les enterrements prématurés, se présente comme un remède définitif à cette floraison d’anecdotes macabres dont l’auteur ne conteste cependant pas la véracité (Bouchut, 1849, I-V) [8]. Au sujet de la mort apparente du nouveau-né, il affirme : « ?Le refroidissement, l’absence de mouvement, de sensibilité, de respiration, etc., peuvent faire croire à la mort des enfants. Mais la présence des battements du cœur, affaiblis, dédoublés, très ralentis, doit dissiper cette crainte. C’est du moins ce qui m’est arrivé dans plusieurs circonstances. Au contraire, lorsque les battements ont disparu, l’asphyxie est complète et la mort bien réelle. Je proclame ici ce fait important qui n’est peut-être pas encore généralement accepté, et qui ne repose que sur quelques observations, espérant toutefois que des recherches ultérieures viendront confirmer son exactitude » (Bouchut, 1849, 61). Et de citer pour appuyer son assertion les grandes figures montantes de l’obstétrique parisienne des années 1830-1840 : Paulin Cazeaux [9], Charles Chailly-Honoré et François-Joseph Moreau [10]. Les certitudes proposées par Bouchut au public et à ses collègues manquent cependant en partie leur but chez nombre de médecins confrontés à ces cas de pseudo-mort d’enfants naissants. Un article de la Gazette médicale de Lyon de septembre 1849, relayé par le Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, met un bémol à l’enthousiasme soulevé par ces « nouvelles » certitudes : « ?M. Brachet (de Lyon) vient à son tour élever la voix, du haut de sa longue expérience, contre la trop grande confiance qu’on pourrait attacher à ce signe trompeur. J’ai vu trop souvent, dit-il, la suspension complète des battements du cœur, pendant des quarts d’heure et des demi-heures, et leur retour après ce laps de temps, pour ne pas croire qu’en se basant sur un pareil signe on laissât mourir bon nombre de ces innocentes créatures » (Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, 1849b).
17La recherche de marqueurs fiables de la mort se poursuit pendant les décennies suivantes, multipliant les expérimentations (injection rectale, etc.) et donnant lieu à une production éditoriale considérable, encouragée en 1868 par la fondation prévue dans le testament du marquis d’Ourches, d’un prix pour la découverte d’un moyen irrévocable de reconnaître la mort [11]. Le critère de la présence ou de l’absence de la pulsation cardiaque, encore essentiel chez Bouchut et Cazeaux, est alors relativisé et prend place dans un ensemble de signes concomitants dont l’interprétation doit permettre de définir la mort apparente du nouveau-né. Les définitions ultérieures insistent sur le caractère polymorphe de cet état, qui déjoue la plupart des affirmations par la plasticité de ses symptômes. Rassemblant l’apport d’un siècle de réflexion sur le sujet, Lucien Alfred Demelin propose en 1895 la formulation suivante : « ?La mort apparente du nouveau-né comprend plusieurs états pathologiques distincts dans lesquels les fonctions et propriétés de la vie sont suspendues ou affaiblies au point de faire croire à la mort et présentent, comme symptômes communs, l’absence du cri, des troubles respiratoires et circulatoires, et la résolution musculaire » (Demelin, 1895, 8).
18La « ?trop grande généralité » (Paul Dubois) de la dénomination ‘mort apparente du nouveau-né’ ouvre pourtant des champs scientifiques nouveaux. L’accent mis sur la notion d’apparence de la mort et sur le maintien d’une vie hors des manifestations physiologiques du trépied vital, expression de Bichat pour désigner la conscience, la respiration et la circulation sanguine, débouche sur la description d’un phénomène de continuité de la vie fœtale après la naissance. L’incapacité d’expliquer les raisons de cette survie renvoie à l’indéfini de l’existence intra-utérine. Le changement de milieu, censément déclencheur du passage à la vie respirante, ne suffirait pas toujours à provoquer ce basculement, la vie de l’enfant se réfugiant dans une perpétuation de l’état fœtal accompagnée d’une réduction drastique de toutes les fonctions organiques : « ?Autrement dit, il y a entre la vie intra-utérine et la vie extra-utérine une espèce de temps de passage pendant lequel les fonctions les plus importantes peuvent rester momentanément suspendues, sans que la vie de l’enfant soit nécessairement compromise […]. » (Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, 1849b) ; « ?J’ai laissé entrevoir que les battements du cœur pouvaient ne plus exister au moment de la naissance, et que la respiration de son côté faisait défaut pendant un certain temps, sans qu’il fallût renoncer à l’espoir de mettre en mouvement ces deux fonctions indispensables. Il n’est pas facile de dire combien un pareil état peut durer ; mais il paraît démontré aujourd’hui qu’il peut persister beaucoup plus longtemps qu’on ne serait tenté de le croire. » (Depaul, 1879, 585).
19Entre ces deux dates, les travaux de Karl von Vierordt sur les globules sanguins et de Paul Bert sur la physiologie comparée de la respiration ont fait progresser la connaissance de la fonction circulatoire et ont montré que la consommation d’oxygène par les organes des animaux nouveau-nés est de beaucoup inférieure à celle des adultes (Fichon, 1879, 17 ; Boutry, 1896, 14) [12]. Ce moindre besoin d’oxygène dans les heures qui suivent la naissance entraîne une résistance particulière du nouveau-né à l’asphyxie, qui permet d’espérer le ranimer, indépendamment de possibles séquelles, pendant une durée plus longue qu’un individu plus âgé dont la respiration serait interrompue. Cette résistance donne, a posteriori, la clé des multiples exemples d’enfants rappelés à la vie plusieurs heures après leur naissance et la constatation de leur mort… qui se révèle apparente. Les récits d’exhumations suivies de réanimations inespérées, pour la plupart tirés de l’ouvrage du docteur Maschka, De la vie du nouveau-né sans respiration, publié à Prague en 1854, et complétés par ceux déjà cités de Bardinet, conservent ainsi leur exemplarité, mais comme phénomènes désormais scientifiquement élucidés [13]. L’entrée de ces découvertes dans le corpus du savoir médical influe sensiblement sur l’appréhension des états pathologiques qui soutiennent le diagnostic de mort apparente du nouveau-né. La dénomination elle-même, fixée en 1840 par Paul Dubois dans l’article « ?Nouveau-né » du Dictionnaire de médecine d’Adelon, Béclard et Bérard, est concurrencée par de nouvelles formulations. Soucieux de ne pas galvauder ou détourner de leur sens précis les termes d’asphyxie et d’apoplexie, le chirurgien en chef de l’Hospice de la Maternité de Paris avait choisi de retenir pour le généraliser un terme volontairement large et déjà en usage : « ?Ces considérations m’engagent à me servir, à l’exemple de quelques accoucheurs allemands et anglais, des mots de mort apparente, pour désigner certains états plus ou moins graves du nouveau-né, que nous chercherons d’ailleurs à distinguer les uns des autres, mais plus par les phénomènes qui leur sont propres, que par un terme spécial qui pourrait manquer d’exactitude et de précision » (Désormeaux, Dubois, 1840, 147).
20Dans le dernier tiers du siècle, contestant le caractère inadéquat, réducteur ou trompeur de l’expression, des médecins tentent de lui substituer les noms de « ?mort intermédiaire » ou « ?mort imminente » (Joulin cité dans Fichon, 1879, 7), justifiant dans le second cas la proposition par l’idée que « ?le médecin ne doit pas se contenter d’apparences » (Fichon, 1879, 7). Plus révélatrice du basculement qui consacre l’élargissement du territoire de la vie construit par le traitement des morts apparentes, la formule de « ?vie latente » fait son apparition (Boutry, 1896, 6). Si elle ne réussit pas plus que les autres à détrôner un nom resémantisé par plus d’un demi-siècle d’usage spécialisé, elle souligne néanmoins le déplacement opéré de l’interrogation sur la possibilité d’une mort à l’impératif irrévocable de la réanimation.
Comprendre et inventer : les deux voies du rappel à la vie
21La nature exacte de cette vie arrêtée donne lieu chez les médecins, très précocement, à des tentatives pour en rassembler les symptômes, afin non plus seulement de poser un diagnostic de vie ou de mort, mais pour mettre au point une thérapeutique adaptée à cet état. La fin du xviiie siècle et le début du siècle suivant se caractérisent par un certain flou lexical que vient clore le choix de Dubois en 1840. Cette indétermination n’est pas sans influence sur la compréhension de la mort apparente du nouveau-né et sur les traitements mis en œuvre pour y remédier. Asphyxie, apoplexie, syncope, sont utilisés de manière complémentaire ou alternée pour désigner la pathologie à l’œuvre. La définition que donne Gardien en 1819 est à cet égard exemplaire : « ?L’expérience, au contraire, a démontré aux accoucheurs que l’enfant est très exposé à naître dans un état de mort apparente que les médecins désignent sous le nom d’asphyxie, mais que j’ai cru devoir appeler syncope […]. […] Il suffit d’avoir rappelé ici qu’à raison de la manière violente dont s’est terminé l’accouchement, les enfans peuvent naître dans un état d’apoplexie ou de syncope […]. » (Gardien, 1819, 374).
22L’emploi – dans ce cas peu maîtrisé – de ces termes découle directement des études menées sur les adultes asphyxiés (noyés surtout), et sur les troubles de la circulation au niveau cardiaque (syncope) ou cérébral (apoplexie). Leur extension aux nouveau-nés en état de mort apparente n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes dont le principal réside dans l’immédiateté des troubles constatés à la naissance, qui les différencie profondément des perturbations observables chez tout autre individu (Moreau de la Sarthe, 1821, 542) [14]. La réaction de Dubois, justifiée par le recours qu’il juge inconsidéré à cette multiplicité de dénominations, révèle, au-delà du goût pour la précision scientifique, la volonté de délimiter un champ particulier à l’enfant naissant, avec son propre vocabulaire et sa propre interprétation des pathologies : « ?Apoplexie et asphyxie. – Peut-être conviendrait-il, malgré le respect qu’on doit aux termes que l’usage a consacrés, que ces deux mots, qui n’expriment que des idées claires dans l’application ordinaire qu’on en fait aux adultes, fussent retranchés du cadre de la pathologie spéciale du nouveau-né » (Désormeaux, Dubois, 1840, 146).
23Le parapluie qu’ouvre l’expression de mort apparente du nouveau-né recouvre néanmoins plus d’un demi-siècle d’hésitations autour des deux notions que Dubois avait tenté d’écarter, et qui persistent en sous-main dès que la description symptomatologique s’affine. La persistance de la confusion lexicale (poussée à l’extrême chez un auteur comme Bouchut [15]) n’empêche pas l’individualisation très nette de deux états aux caractéristiques physiques opposées : l’aspect congestionné du nouveau-né, la teinte bleue-rouge de la peau, une chaleur particulière au niveau de la tête pour le premier ; la pâleur de l’enfant, la flaccidité de ses membres, la faiblesse ou le défaut de pulsations cardiaques et ombilicales pour le second. La description de ces « ?deux espèces de mort apparente », comme les appelle Franz-Carl Nägele, est une constante des traités obstétricaux et surtout des manuels d’accouchement, puisque leur reconnaissance immédiate est essentielle à l’application rapide d’un traitement adapté. Des Principes de l’art des accouchements de Baudelocque en 1787 à la Pratique des accouchements de Crouzat et Budin en 1891, le seul changement dans la représentation de l’enfant en détresse concerne l’appellation, désignant le premier type comme une asphyxie bleue ou violette (Gallois, 1886, 254) et le second comme une asphyxie blanche ou syncope. Les mots ont cependant acquis dans l’intervalle un sens bien plus rigoureux, grâce à la multiplication des observations cliniques et des autopsies. Les notions d’asphyxie et d’apoplexie participent désormais d’une taxinomie arborescente que résume Lucien-Alfred Demelin en 1895, et qui fait autorité dans les années suivantes (Demelin, 1895, 10-42) [16]. L’étude sérielle dans le cadre hospitalier permet de hiérarchiser la gravité des symptômes et de mesurer les chances de survie aussitôt que le diagnostic spécifique est établi.
24L’intérêt pour l’étiologie de la mort apparente se manifeste dès le xviiie siècle. Le constat de l’état se double en général d’une évocation des circonstances immédiatement précédentes de l’accouchement. Le lien entre longueur et difficultés de la parturition et mort apparente du nourrisson est établi dans la plupart des traités d’obstétrique. Angélique du Coudray, citant Smellie dans une des observations liminaires à son Abrégé, rappelle un cas d’enfant dont le cordon avait été trop longtemps compressé pendant un accouchement contre nature (Du Coudray, 1759, XLVII-XLVIII) [17]. En 1781, Chaussier présente un mémoire à la Société royale de médecine où il développe cette conséquence de la dystocie : « ?Dans un accouchement long et laborieux, l’enfant souffre toujours plus ou moins […] mais lorsqu’enfin les contractions réitérées, ou les efforts ménagés de l’accoucheur en supposant qu’une position vicieuse ait obligé d’amener les pieds ou d’employer les forceps, ont surmonté tous les obstacles, l’enfant naît quelquefois dans un état de stupeur et de foiblesse qui ressemble à la mort la plus assurée » (Stofft, 1997, 342) [18].
25La réflexion sur les causes, qui se poursuit sans interruption, aboutit dès les années 1820 à les classer en fonction du déroulement de l’accouchement : forme bleue/apoplexie après un travail long et laborieux ; forme blanche/asphyxie après une présentation des pieds, une compression du cordon ou une hémorragie ombilicale (Moreau de la Sarthe, 1821, 541-542). Quelques années plus tard, Eugène Bouchut insiste sur l’origine gestationnelle des cas d’asphyxie, imputant leur survenue à la santé de la mère, aux cas d’hémorragies utérines ou à la prématurité (Bouchut, 1845, 383). La classification évolue sous la plume de Paulin Cazeaux qui l’appuie sur le trépied vital défini par Bichat en proposant une étiologie des lésions respiratoires, circulatoires et nerveuses du nouveau-né en détresse (Cazeaux, 1850) ; celle-ci reste en usage jusqu’aux années 1880. Une dernière évolution clôt le siècle en proposant une nouvelle répartition intégrant la précédente et fondée sur la désignation de l’origine des causes : causes d’origine maternelle (asphyxie sanguine, tout élément retardant l’expulsion), annexielle (décollement placentaire), et fœtale (présentations « ?vicieuses », lésions nerveuses, obstruction respiratoire) (Codet, 1893, 12-15 ; Boutry, 1896, 16-19).
26La succession des modèles d’explication ne relève pas de la pure recherche fondamentale. Elle influe très fortement sur deux types d’intervention médicale : le suivi de l’enfant pendant l’accouchement et les procédés de réanimations après la naissance. Le Traité théorique et pratique d’accouchements de Cazeaux, dont la première édition paraît en 1840, consacre un long passage aux soins que l’accoucheur doit donner à l’enfant pendant le travail (Cazeaux, 1853, 519-525). Il préconise une grande attention à la position du cordon ombilical (enroulé autour du cou de l’enfant, coincé entre ses jambes, comprimé), aux cas d’écoulement de méconium, ainsi qu’aux signes possibles d’un arrêt de la respiration placentaire signalé par des efforts violents du fœtus pour respirer avant même l’expulsion. Cette surveillance active de la santé du fœtus durant la parturition vient compléter, à partir du milieu du siècle, la sollicitude permanente accordée à la femme en couches depuis le siècle précédent. Les ouvrages d’obstétrique lui accordent désormais une place régulière, qu’il s’agisse de Hermann Franz Naegele dans son Traité pratique de l’art des accouchements (traductions françaises de 1869 et 1880) (Naegele, 1869, 706), ou Eugène Crouzat et Pierre Budin dans La pratique des accouchements, à l’usage des sages-femmes en 1891 (Crouzat, Budin, 1891, 390-392). L’auscultation stéthoscopique apporte enfin un secours essentiel pour suivre l’état de l’enfant, lointain ancêtre du monitoring actuel, tandis que la corrélation entre souffrance fœtale et accélération ou diminution du rythme cardiaque est théorisée et illustrée par Schroeder dans son Traité d’accouchements, traduit en français en 1875 (Codet, 1893, 15-16, 123).
27Mais cette surveillance prénatale ne constitue qu’une part réduite et somme toute récente des préoccupations thérapeutiques concernant la mort apparente du nouveau-né. Provoquer la respiration, relancer les pulsations cardiaques, en un mot faire véritablement naître l’enfant est au cœur d’une effervescence créatrice de techniques médicales en général complémentaires, parfois contradictoires, souvent novatrices. À la distinction fondamentale entre les deux espèces de pseudo-morts qui traversent la période, répond une différence tout aussi essentielle de traitement. La forme bleue, longtemps interprétée comme une apoplexie, est assimilée à la pléthore sanguine, que seule peut corriger une saignée du cordon ombilical avant sa ligature ou le recours à une sangsue appliquée derrière l’oreille [19]. Malgré le basculement interprétatif de la seconde moitié du xixe siècle, qui définit cet état comme une simple variante de l’asphyxie, les habitudes ont la vie dure et il faut attendre le début des années 1890 et l’ouvrage de Crouzat et Budin pour rencontrer une véhémente remise en cause de cette pratique : « On recommandait autrefois de couper immédiatement le cordon et de laisser s’écouler par le bout ombilical de deux à quatre cuillerées de sang ; c’est ce qu’on appelait « ?faire la saignée du cordon ». Cette conduite est irrationnelle. En sectionnant immédiatement le cordon, on prive l’enfant de 90 grammes de sang environ qu’il aurait pu puiser dans le placenta. En laissant s’écouler en plus par les vaisseaux ombilicaux de deux à quatre cuillerées, c’est-à-dire 40 à 80 grammes de sang, on ajoute à la première une nouvelle cause d’anémie profonde. » (Crouzat, Budin, 1891, 394-395).
28Les autres méthodes de réanimation, si elles ne font pas toujours l’unanimité, sont néanmoins considérées comme également applicables aux deux formes de mort apparente. On peut les diviser en deux grandes catégories : les techniques d’irritation, c’est-à-dire toute pratique susceptible d’initier la respiration sans agir directement sur l’organe pulmonaire ; et les techniques plus strictement respiratoires, qui présentent à leur tour de multiples variantes. Il est impossible d’isoler dans le recours à ces deux catégories de traitements une progression chronologique claire qui ferait passer de la première à la seconde. La caractéristique fondamentale de la thérapeutique des asphyxies néonatales réside au contraire dans un recours systématique à la combinaison des techniques, aucune n’étant exclusive des autres.
29Le principe d’irritation, à l’origine de pratiques variées et parfois très originales à nos yeux, prend sa source dans la connaissance qu’a le corps médical des mécanismes de la première inspiration. L’insistance sur la sensibilité cutanée dans l’initiation de la respiration, ainsi que le rôle des muqueuses en général, pituitaires et pulmonaires en particulier, influe directement sur les gestes de soins : « ?On irritera ensuite l’intérieur du nez au moyen de la barbe d’une plume ; ainsi que le dedans de la bouche et du gosier, après en avoir retiré les glaires et les mucosités qui les remplissent souvent. On frottera les tempes de l’enfant et la région de la colonne épinière, avec un linge trempé dans le vinaigre, ou quelques liqueurs spiritueuses, comme l’eau-de-vie, l’eau de mélisse, l’eau de Cologne, etc. ou bien dans l’eau commune, à laquelle on ajoutera quelques gouttes d’alkali volatil. Si l’on a sur soi un flacon de cet alkali, on le présentera à diverses reprises sous le nez de l’enfant ; et à son défaut, on se servira d’oignons ou d’ail écrasés. On brossera légèrement la plante des pieds, le dedans des mains de l’enfant, et le dos depuis le haut du col jusqu’aux fesses. Si ces secours sont inutiles, on insinuera dans l’anus, au moyen d’un instrument convenable, de la fumée de cartes, même celle de tabac. Enfin, on plongera le corps de l’enfant jusqu’aux aisselles, dans un bain chaud animé de vin ou d’eau-de-vie, etc. et on le tiendra dans ce bain pendant quelque temps » (Baudelocque, 1787, 234-235).
30Les conseils que donne Baudelocque en 1787, déjà partiellement présents chez Angélique du Coudray, Raulin ou Augier du Fot (Du Coudray, 1759, 79 ; Raulin, 1770, 98-102 ; Augier du Fot, 1775, 42), forment la base des méthodes de réanimation par irritation des décennies suivantes. On les retrouve quasiment à l’identique dans le Précis de l’art des accouchements de Chevreul, professeur à Angers, en 1826, ou chez Delphin-Napoléon Bonnet, professeur à Poitiers, en 1854 (Chevreul, 1826, 101-102 ; Bonnet, 1854, 402) [20]. Disparaissent néanmoins l’inhalation de l’ammoniaque (alkali volatil) à mesure qu’on prend conscience de sa dangerosité (Désormeaux, 1826, 157 ; Bouchut, 1845, 384) [21], et l’insufflation rectale de fumée qui avait pourtant emporté l’enthousiasme de Réaumur dans son Avis pour donner du secours à ceux que l’on croit noyés de 1740 (Serdeczny, 2003) [22]. Seule technique d’irritation à donner lieu aux pratiques les plus opposées : la question des bains. L’un des principes conducteurs de la thérapeutique générale pour les nouveau-nés en détresse au xixe siècle est le maintien à tout prix de la chaleur corporelle de l’enfant [23]. Pourtant en 1843, le docteur Schoeller de Berlin publie une observation sur l’efficacité de l’immersion dans l’eau froide pour éveiller les fonctions respiratoires : « ?Un seau rempli d’eau très froide fut immédiatement apporté, et l’enfant y fut plongé en entier, sauf la bouche et le nez. Quand on l’en retira, on remarqua une sorte de mouvement respiratoire convulsif. […] Les efforts respiratoires demeurèrent incomplets et irréguliers, de nouvelles immersions réussirent à les mieux déterminer et à les régulariser ; à la troisième, l’enfant criait très fort. L’un des phénomènes les plus remarquables fut la coloration de la peau, dont l’incarnat se prononça de plus en plus à chaque immersion » (Schoeller, 1843). Cette technique constitue une évolution radicale des alternances d’aspersion d’eau froide et de réchauffement prônées quelques années plus tôt (Gouraud, 1832). Quarante ans plus tard, le docteur Campardon propose au contraire pour le même objet le bain à 50° pendant une durée de 2 à 5 minutes (Campardon, 1882), immédiatement adopté par la communauté médicale puisqu’on le retrouve, qualifié de « ?moyen puissant » dans le Manuel memorandum d’Ernest Lagarde en 1885 (Lagarde, 1885, 34).
31Dernière technique employée dès le début du siècle : le recours à l’électricité. Les découvertes de Galvani en 1796, suivies de la mise au point de la pile Volta en 1804, ont fait entrer le galvanisme dans le champ des expérimentations médicales. Le tube laryngien galvanique, conçu dans les années 1810, sur le principe de la pile (Chaussier, 1818, 168-170), est cependant assez rapidement délaissé au profit de stimulations doubles (internes et externes) des muscles respirateurs, par électropuncture (Bourgeois, 1829) ou plus avant dans le siècle, par l’emploi de rhéophores, selon la technique de faradisation (Lagarde, 1885, 34). L’enthousiasme soulevé par les capacités curatives de l’électricité retombe cependant assez vite, passée la première moitié du siècle, pour devenir une méthode parmi d’autres, dont l’efficacité laisse sceptique nombre de médecins : « ?Quoi qu’il en soit de ce résultat, l’électricité est un moyen difficile à employer, et, comme dit Cazeaux, un auxiliaire sur lequel il ne faut pas trop compter » (Fichon, 1879, 21). La lourdeur et la cherté du matériel nécessaire à son emploi tendent donc à la limiter au cadre hospitalier.
32La seconde grande catégorie de techniques réanimatoires vise à influer directement sur les mécanismes de la respiration, soit en reproduisant les gestes d’inspiration et d’expiration pour la susciter (méthodes indirectes), soit par l’insufflation (méthode directe). Là encore, point d’évolution linéaire. L’insufflation repose sur deux types d’intervention : immédiate (bouche à bouche [24]) dont la pratique est déjà documentée dans la Bible (résurrection du fils de la Shounamite, 2 R 4, 32-35), ou médiate (à l’aide d’un tube quelconque) qui apparaît au xviiie siècle (Du Coudray, 1759, XLVII-XLVIII) [25]. La découverte des propriétés de l’oxygène convainc le corps médical, Chaussier en tête (Stofft, 1997), de développer l’assistance respiratoire intra-laryngienne. En 1806, ce dernier présente lors de la remise des prix de l’Hospice de la Maternité de Paris son tube laryngien (Stofft, 1997) qui s’ajoute au contenu obligatoire de la trousse professionnelle des élèves sages-femmes avant de rejoindre celle des médecins (Henry, 1825, 24-25 ; Pénard, 1875, 7 ; Loviot, 1886, 7). Cet instrument, modifié par Rondet (Archives générales de médecine, 1829a et 1829b), Depaul dans les années 1840 (Witkowski, 1887, 168), puis par Ribemont (Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, 1877), connaît cependant une éclipse d’une vingtaine d’années après la dénonciation des risques d’emphysème pulmonaire liés à la pratique de l’insufflation [26]. Le retour en grâce de cette technique est dû à Depaul (Depaul, 1845). Sur cette base, l’imagination médicale se déchaîne et multiplie les inventions – souvent inutilisables d’ailleurs – dans la lignée du respirateur artificiel (Chaussier, 1818, 170-176) et de la pompe laryngienne de Rondet (Archives générales de médecine,1829a) : spirophore de Woilliez (1875), aérophore pulmonaire de Gairal (1876), insufflateur du docteur Pros (1877) (Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 1889 ; Witkowski, 1887, 169) [27]. Le temps d’éviction de l’insufflation a par ailleurs permis l’éclosion de nouvelles méthodes, qui sont à l’origine de notre kinésithérapie respiratoire actuelle : procédés de Howard, de Marshall Hall, de Sylvester, et sans doute le plus impressionnant par sa manière de lancer le nouveau-né en l’air, procédé de Schultze (Abelin, Pénard, 1889, 327-330 ; Boutry, 1896, 78-81). Enfin, Jean-Baptiste Laborde propose une méthode de réanimation présentée comme révolutionnaire : les tractions rythmées de la langue (Laborde, 1897) qui, contestées dans leur efficacité simple, entrent néanmoins sans délai dans la combinaison des techniques existantes (Boutry, 1896) [28].
Conclusion
33En un peu plus d’un siècle de recherches et d’expérimentations, définitions et temporalités de la mortinatalité et des pathologies du nouveau-né ont subi une complète redistribution. Contre toute réalité statistique, la peur profondément ancrée d’une dépopulation française dicte les principes d’une politique sanitaire qui donne à chaque vie une irremplaçable valeur. Là où prêtres et accoucheuses ondoyantes peuplaient le ciel avec constance, médecins et sages-femmes diplômées maintiennent désormais avec acharnement la courbe de population. Du symptôme à l’étiologie, la clinique ouvre au corps médical le champ de l’anatomo-pathologie. La définition de plus en plus fine des conditions de la viabilité désigne aux soins l’ensemble des enfants à sauver. En redessinant la frontière qui sépare mort-né et nouveau-né en état de mort apparente, la médecine relègue le souci baptismal à une question de déontologie. Elle permet à ses agents de fabriquer du miracle, sauvant de la mort « par des moyens appropriés […] trente enfants sur quarante nés en état de mort apparente » (Boutry, 1896, 15).
Bibliographie
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Notes
-
[1]
Jean-François Icart est l’auteur d’un manuel d’accouchement intitulé : Leçons pratiques sur l’art des accouchemens, destinées à l’instruction des sages-femmes de la province de Languedoc, publié à Castres en 1784. Il est aussi probable qu’il soit le traducteur du pamphlet anglais, Petition of the unborn Babies, sous le titre La requête des enfants à naître.
-
[2]
Le baptême sous condition correspond notamment à l’usage de la formule « ?si tu es vivant/si tu es homme, je te baptise ». D’un point de vue théologique, il constitue le seul moyen de faire échapper l’âme de l’enfant à l’errance dans les Limbes (Morel, 2001, 17-22). D’un point de vue concret, ce type de baptême recouvre deux cas de figures. Dans les sanctuaires à répit étudiés par Jacques Gélis (2006), il s’agit d’un baptême complet conféré par un prêtre au moment du « ?répit » de l’enfant. En dehors de ces exemples bien spécifiques, il s’agit le plus fréquemment d’un ondoiement conféré en urgence à des enfants nés en état de mort apparente ou en danger de mort par une personne présente (médecin, sage-femme, père de l’enfant ou, plus exceptionnellement, prêtre). Cette pratique de l’ondoiement connaît cependant au xixe siècle une évolution qui ne la limite plus aux cas de péril pour l’enfant et la constitue partiellement, sous l’influence du discours médical, en outil de protection de la santé du nouveau-né par opposition au baptême complet (Gourdon et al., 2004).
-
[3]
Cette définition exclut néanmoins les moles et les faux-germes qui font toujours l’objet d’une entrée spécifique dans les dictionnaires ou d’un chapitre propre dans les traités d’obstétrique.
-
[4]
« ?L’avortement se fait, lorsque l’enfant vient avant le terme de sept mois ; car la sortie à sept mois doit être regardée, comme un Accouchement, puisque les enfans venus à ce terme, peuvent être élevés ; mais avant ce tems-là on ne peut y compter, et souvent ils n’ont pas le bonheur de recevoir le Baptême » (Du Coudray, 1759, 43).
-
[5]
Les ouvrages de Florentini s’intitulent respectivement : De Hominibus dubiis baptizandis seu de baptismo abortivorum en 1648 et la Disputatio de ministrando baptismo humanis foetibus abortivorum en 1665 (Gélis, 1984, 476). Cette idée d’une présence de l’âme dès la conception étend la sollicitude de l’Église aux fœtus avortés et impose la nécessité du baptême quelle que soit l’apparence du produit de la conception. Sa principale répercussion est l’exigence de la césarienne post-mortem systématique qui prend sa source dans l’ouvrage de Francesco Emanuele Cangiamila, Embriologia sacra, paru à Palerme en 1745 (voir Fredj, 2009 ; Filippini, 2010). Sur la primauté de la théorie de l’infusion immédiate de l’âme au xixe siècle, voir (Betta, 2006, 21-38).
-
[6]
« ?Remarques touchant l’expérience qu’on a coutume de faire sur le poumon d’un Enfant, pour juger si la mère accusée de l’avoir détruit, est coupable, ou non » (Du Coudray, 1759, xlix). Sur la docimasie pulmonaire, voir aussi les travaux en cours d’Elena Taddia et en particulier son article à paraître : « ?Inscrire le corps de l’enfant dans le débat scientifique. L’expertise médicale sur les nourrissons et l’application de la docimasie hydrostatique pulmonaire dans les cas suspects d’infanticide (1660-1830 env.) ».
-
[7]
Cette observation, tirée de la communication à l’Académie de médecine intitulée De la vie sans respiration chez les enfants nouveau-nés, est citée par Depaul dans son article « ?Nouveau-né » (Depaul, 1879, 587).
-
[8]
« ?Quoi ! Nous serions exposés à un danger de tous les instants, contre lequel, dit-on, rien ne peut nous défendre ; nous pourrions être séparés tout à coup du monde et des plus chers objets de notre affection, pour nous réveiller dans un sépulcre et y périr au milieu des plus affreuses douleurs ! Non, cela n’est pas, mais c’est là une crainte dont il faut savoir tenir compte, et qu’il serait difficile de détruire si elle était suffisamment justifiée, car les efforts du stoïcisme le plus résolu seraient impuissants contre elle. […] Je m’estimerai toujours heureux d’avoir réussi, par des investigations nouvelles, à rendre cet accident impossible, et à donner aux hommes un gage certain de sécurité à cet égard » (Bouchut, 1849, I-V).
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[9]
Paulin Cazeaux fait paraître l’année suivante, dans la Gazette médicale de Paris, un Mémoire sur la mort apparente des nouveau-nés où il reprend le principe de Bouchut : « ?Le silence prolongé du cœur, l’absence complète de toute pulsation à la région précordiale constatée plusieurs fois et à plusieurs reprises, est le seul signe que l’on puisse considérer comme détruisant toute espérance. Le cœur est l’ultimum moriens, et je ne crois pas qu’on soit jamais parvenu à réveiller ses pulsations complètement éteintes » (Cazeaux, 1850, 320).
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[10]
Tous trois auteurs de traités d’obstétrique, qui font rapidement référence pour l’enseignement de cette spécialité (Traité pratique de l’art des accouchements de Moreau, paru en 1838 ; Traité théorique et pratique de l’art des accouchements de Cazeaux paru en 1840 ; Traité pratique de l’art des accouchements de Chailly-Honoré paru en 1842), Moreau, Cazeaux et Chailly-Honoré multiplient les recherches sur la dystocie, tandis que le dernier prend une part active à l’introduction des premières méthodes d’anesthésie appliquée aux accouchements en 1847.
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[11]
Sur l’injection rectale, procédé mis au point par le docteur Van Hengel, voir (Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, 1849b, 477), et (Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, 1849a, 283). Sur la poursuite des recherches concernant les signes de la mort réelle, voir (Gélis, 2006, 257-259).
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[12]
La découverte citée par Hippolyte Fichon (Fichon, 1879, 17) est développée dans l’ouvrage de Paul Bert : Leçons sur la physiologie comparée de la respiration, professées au Muséum d’histoire naturelle, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1870. On trouve par ailleurs dans la thèse d’Anatole-Joseph Boutry (1896, 14), une allusion à l’ouvrage de Karl von Vierordt : Die Erscheinungen und Gesetze der Stromgeschwindigkeiten des Blutes [Lois et manifestations de la circulation sanguine], 1858.
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[13]
Les thèses de médecine consacrées au thème de la mort apparente du nouveau-né dans le dernier tiers du siècle reprennent presque toutes cette litanie d’exemples.
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[14]
« ?On ne devroit pas employer peut-être, en parlant des nouveau-nés, le mot asphyxie, qui ne peut convenir que pour la suspension de la respiration bien établie, et non pour le défaut de cette fonction chez un individu qui n’a point encore respiré, et qui a pu vivre pendant neuf mois, sans le secours de cette fonction » (Moreau de la Sarthe, 1821, 542).
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[15]
« ?Le nom d’asphyxie des nouveaux-nés a été appliqué à un état de mort apparente de ces enfants, fort distinct d’un état à peu près semblable, désigné sous le nom d’apoplexie » (Bouchut, 1845, 382-383).
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[16]
Reprenant la distinction entre asphyxie bleue et asphyxie blanche, Demelin décrit pour chacune de ces formes différents stades de gravité : asphyxie, congestion méningée et apoplexie méningée pour la forme bleue ; syncope traumatique et syncope hémorragique pour la forme blanche. Il y ajoute une troisième forme dite « ?mixte », très rare, qui résulte de la succession rapide des deux formes précédemment évoquée (Demelin, 1895, 10-42).
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[17]
« ?[…] après avoir donné ses soins à une femme dans un accouchement contre nature, il jugea par le défaut de battement des artères du cordon ombilical, qui avoit été long-tems comprimé, que l’enfant étoit dans un péril imminent de perdre la vie », (Du Coudray, 1759, XLVII-XLVIII).
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[18]
Chaussier, F. (1781), Réflexions sur les moyens propres à déterminer la respiration dans les enfans qui naissent sans donner aucun signe de vie, cité dans (Stofft, 1997, 342).
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[19]
La formule des deux à trois cuillères de sang à laisser s’écouler du cordon est une constante des traités d’obstétrique et des manuels d’accouchements, de (Augier du Fot, 1775) à (Pénard, Abelin, 1889). Son utilité est toujours présentée comme immédiate et susceptible de faire naître une respiration « ?empêchée » par l’excès de sang dans l’organisme du nouveau-né. Le recours à la saignée par sangsue est évoqué dans (Chaussier, 1818, 148-149). À l’inverse, la forme blanche, vue comme une anémie du naissant, impose à l’accoucheur de retarder au maximum la ligature du cordon et de veiller à ce que l’enfant ne saigne pas.
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[20]
Les conseils de réanimation proposés par Chevreul en 1826 sont retranscrits à l’identique dans la seconde édition de son manuel en 1837 (Chevreul, 1837, 104-109).
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[21]
Dans les années 1820, le corps médical hésite encore, n’hésitant pas à prescrire, dans un même texte, de porter « ?dans la bouche un peu […] d’eau mêlée de quelques gouttes d’alcali volatil », tout en mettant en garde contre un autre usage du même produit : « ?mais il serait fort dangereux de porter dans les narines un papier tortillé et imbibé d’ammoniaque, comme on en a donné le conseil ; on cautériserait la membrane pituitaire » (Désormeaux, 1826, 159). Le tournant se prend complètement dans les deux décennies suivantes : « ?L’ammoniaque est un liquide dangereux à employer » (Bouchut, 1845, 384).
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[22]
Voir à ce sujet (Serderczny, 2003). L’une des dernières mentions de cette technique se trouve dans l’article « ?Nouveau-né » de Désormeaux et Dubois, voir (Désormeaux, Dubois, 1840, 153).
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[23]
Les remarques sur la nécessité de maintenir les nouveau-nés dans un environnement chauffé sont régulièrement développées dans les dictionnaires médicaux, que la chaleur soit considérée comme un moyen de rappeler l’enfant à la vie : « ?Il est important aussi de conserver la chaleur de son corps. Ce soin seul a souvent sauvé la vie à des enfans que tous les moyens n’avaient pu ranimer » (Désormeaux, 1826, 157) ; ou que l’auteur considère qu’il s’agit d’une continuité naturelle indispensable au bien-être général de l’enfant, même en bonne santé : « ?Cette eau doit-elle être froide, ou avoir un degré de chaleur égal à la température du corps ? Des philosophes, et même des médecins, ont recommandé de plonger l’enfant naissant dans l’eau froide, comme pour le tremper ; […] mais si l’on fait attention aux gradations par lesquelles la nature amène le passage d’un état à un autre, si on remarque le soin que tous les animaux ont d’apprêter pour leurs petits des nids bien chauds, […] si on réfléchit que, tant que l’enfant a froid pendant qu’on lui administre des soins, il crie et s’agite, mais qu’il se tait et se tient tranquille dès qu’il est enveloppé chaudement, on sera convaincu qu’il n’entre pas dans les vues de la nature que l’enfant passe brusquement d’une température de trente degrés, comme est celle de l’eau de l’amnios, à une température peu différente du terme de la glace […] » (Désormeaux, Dubois, 1840, 143). Sur les différences d’appréciation entre le xviiie et le xixe siècle sur l’importance de préserver la chaleur corporelle de l’enfant à la naissance, voir (Gourdon, 2009).
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[24]
L’insufflation par le bouche-à-bouche connaît une faveur irrégulière, en général supplantée par le recours au tube laryngien, elle est cependant préférée par des médecins ou des sages-femmes qui craignent de ne pas utiliser correctement l’instrument de Chaussier (Bleynie, 1859 ; Gallois, 1886, 255 ; Boutry, 1896, 72). Certains auteurs soulignent à son sujet un risque spécifique : celui d’orienter l’air dans l’œsophage plutôt que dans la trachée (Depaul, 1879, 599).
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[25]
L’anecdote rapportée par Angélique du Coudray sous le titre « ?Observation sur le moyen peu usité de rappeller à la vie un enfant nouveau né qui sembloit en être privé », accorde à Smellie la primauté dans l’utilisation d’une sonde féminine comme moyen d’insufflation.
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[26]
Dans les années 1820, les travaux successifs de Leroy d’Étiolles, de Duméril et de Magendie, présentés à l’Académie de médecine, attirent l’attention sur des risques supposés de déchirure des bronches provoquée par une insufflation trop brutale (Fichon, 1879, 22). Ces accusations portées contre une technique utilisée jusque là quasi systématiquement dans les cas de mort apparente du nouveau-né, font cesser sa pratique jusqu’aux recherches approfondies menées par Depaul et exposées en 1845 (Depaul, 1845).
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[27]
Il faut noter que des techniques substitutives du tube laryngien se développent, les unes destinées à pallier l’absence de matériel spécifique : insufflateurs en cuir mou (Delattre, 1875, 7) ; les autres, la difficulté de manipulation : stéthoscopes (Fleux, 1899).
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[28]
L’ouvrage qui récapitule la méthode de Jean-Baptiste Laborde paraît en 1897, mais il en a déjà fait la présentation à l’Académie de médecine dans les années précédentes, d’où son évocation dans la thèse d’Anatole-Joseph Boutry, soutenue en 1896.