Notes
-
[1]
Laborde, le village étudié, relève du droit écrit.
-
[2]
Le Code civil supprimait les diverses coutumes successorales et affirmait (avec nuances) l’égalité des héritiers.
-
[3]
C’est afin de ne pas nous disperser et de mieux cerner la personnalité sociale du notaire que nous avons choisi de ne faire appel qu’à un seul minutier, l’échantillon choisi étant connu du point de vue des catégories foncières et successorales.
-
[4]
Les contrats des deux enfants Toujan ne seront pas passés à l’étude paternelle.
-
[5]
Archives départementales de Hautes-Pyrénées (ADHP) : Me Bernard Duplan 3E 2946 à 2962 ; Me Jean-Pierre Toujan 3E 4611 à 4691 ; Me Oscar Toujan 3E 4684 à 4686. Certains actes concernant Laborde, et rédigés à Asque par Jean-Pierre Toujan à son étude avant qu’il ne reprenne l’étude de son beau-père, seront classés dans le fonds Duplan.
-
[6]
La proportion de Labordais ne passant pas chez Duplan est encore plus importante si on prend en compte : 1) les remariages dont la célébration se faisait dans une commune voisine pour éviter les charivaris de la jeunesse, 2) les premières unions où la fiancée était labordaise et dont les noces se célébraient dans la commune de résidence du futur.
-
[7]
Avec une exception, celle de la maison Mo. Cette maison établit tous ses enfants. Mais la dernière cadette épouse en 1832 un cadet tourneur sur bois, dont elle a eu un enfant en 1829. Si ses deux sœurs sont dotées, elle ne recevra rien et quittera le village avec le père de son enfant, devenu son mari.
-
[8]
Entre 1769 et 1799, on relève 19 unions de cadets avec des cadettes ; entre 1800 et 1836, elles sont 29.
-
[9]
Pour la période 1769-1836, le régime dotal était choisi à 80 % quand tous les mariages se faisaient avec un contrat. L’adoption de la société d’acquêts indiquerait une plus grande souplesse des parents vis-à-vis de la norme matrimoniale coutumière et un plus grand souci vis-à-vis de la différence des apports.
-
[10]
On peut se demander si l’apparition de cette clause ne provient pas du changement de praticien.
-
[11]
Ceci pour éviter les conséquences de l’application des articles 757-758 qui mettent l’enfant naturel en concurrence avec les ascendants, les frères et les sœurs de la mère.
-
[12]
Pour des raisons de discrétion, nous ne donnerons que les premières lettres des noms de maisons.
-
[13]
La quotité disponible est la part dont peut librement disposer le testataire et son montant varie selon le nombre d’enfants.
-
[14]
La première clause d’incompatibilité date de 1828 à l’étude Duplan.
-
[15]
L’héritier avait alors à sa charge les aménagements nécessaires pour assurer cette cohabitation.
-
[16]
Dans une étude antérieure (Bonnain, 2005a), nous avions donné le nombre et le pourcentage d’enfants de Laborde survivants (après 20 ans) de 1800 à 1896 (d’après l’état civil) :Départs Mariés Célibataires Garçons 322 (56,4 %) 177 (31,0 %) 72 (12,6 %) Filles 262 (52,5 %) 189 (37,9 %) 48 (9,6 %)
-
[17]
Contrat du 31/3/1891.
-
[18]
Contrat du 4/9/1886.
-
[19]
La célébration des noces dans la commune de résidence peut se lire comme une dissociation entre la négociation des conditions de l’alliance, qui se fait dans la commune de la cadette, et ce qui se passe donc socialement sous la responsabilité du chef de maison, mais aussi comme un rite d’intégration de la nouvelle résidente (Bonnain, 1986b).
-
[20]
Nous réalisons ce comptage à partir des données de l’état civil et des dénombrements conservés aux archives départementales.
-
[21]
Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’en ont pas fait, mais qu’ils ne sont pas venus à notre connaissance.
-
[22]
Dans le cas où la mère est elle-même enfant naturelle, l’aide matérielle de la fille s’avère indispensable quand la mère isolée avance en âge.
-
[23]
Ce qui indique les difficultés auxquelles sont confrontées les familles pour payer les dots.
-
[24]
Alexandre, son frère qui se marie l’année suivante, ne recevra que 5 000 F de dot lors de son mariage avec Victoire Cazalas de Bulan.
-
[25]
Pierre, l’héritier, se marie en 1853 avec une cadette de Lomné dont la dot n’a été que de 4 000 F.
-
[26]
L’étude Duplan ne rédige pas de contrat de mariage entre un cadet et une cadette avant 1851.
-
[27]
Ainsi, quand le régime matrimonial choisi était celui de la communauté légale, le trousseau n’était pas énuméré.
-
[28]
Une étude approfondie du trousseau, de sa composition, de sa provenance, de sa fonction sociale et de sa symbolique, a été réalisée pour les Baronnies in (Bonnain, 1986c).
-
[29]
Boulassère : matelas.
-
[30]
Sarnet : ce terme ne se rencontre pas dans les dictionnaires d’occitan mais, de toute évidence, il désigne le ciel de lit.
1Le contrat de mariage, acte essentiel passé par la société civile pour guider sa reproduction sociale, n’est pas seulement utilisé dans les Pyrénées. Pourtant, dans cette région adepte du droit écrit pour la plaine et des coutumes pour les vallées [1], sous l’Ancien Régime, il a une importance particulière car il est pratiqué sans distinction de classes pour assurer la perpétuation de la « maison ». Pour le chercheur, c’est un document fondamental pour l’étude du choix de l’héritier et des exclus de la fratrie, du champ de l’alliance des maisons, du rôle, de la constitution et de la circulation des dots ainsi que de la composition et de la fonction matérielle et symbolique du trousseau soigneusement décrit dans l’acte. Que devient cet acte après la promulgation du Code civil en 1804 [2] ? Est-il toujours systématiquement utilisé ? Que sont devenus son rôle et son contenu ? Au-delà du règlement de la succession, le contrat de mariage a-t-il toujours pour but la publication de l’exclusion des filles au meilleur coût, dans tous les sens du terme ? Le sort des cadettes d’une même fratrie est-il prévu de la même façon dans leurs contrats et bénéficient-elles toujours d’un même acte fondateur ? Et que devient-il dans un contexte d’émigration forte ? Comment chaque famille contractante envisage-t-elle le mariage de ses cadettes quittant le village, qu’elles s’établissent dans la proximité, dans la région ou même outre-mer (Amérique du Sud, Algérie) ? Cet acte destiné à assurer exclusivement le futur du chef de maison et de son héritier ne deviendrait-il pas davantage la confirmation publiée de la protection des membres de la famille les plus exposés : les filles ?
2Pour répondre à ces questions, nous étudierons l’ensemble des contrats passés dans l’étude notariale de Laborde (Hautes-Pyrénées), village du piémont pyrénéen dont nous connaissons bien l’histoire (familles, maisons, pouvoir local) [3].
L’étude de Laborde (1822-1899)
3C’est en 1822 que Bernard Duplan (1793-1867), dernier fils de Jean-Pierre Duplan l’apothicaire (1751-1829), et petit-fils de Joseph le chirurgien, s’établit comme notaire à Avezac, résidence du notaire Forcade dont il a épousé la fille unique. Ce n’est que plus tard qu’il s’installera à Laborde, sa commune de naissance, où il se fera construire une belle demeure. Par sa famille directe et par ses alliances, il fait partie des notables : Arnaud, son oncle, est médecin, son frère, pharmacien, son cousin Joseph, officier de santé. Un de ses oncles et un de ses neveux seront médecins à Bagnères-de-Bigorre, un autre neveu tiendra une pharmacie à Capvern, petite station thermale voisine où son propre neveu lui succèdera. Plusieurs de ses parents seront élus conseillers ou nommés maires. En 1846, Bernard marie sa fille unique Sophie, née en 1818, avec Jean-Pierre Toujan, né à La Barthe-de-Neste et notaire à Asque, commune proche. Le couple, installé à Laborde dans les années 1860, aura plusieurs enfants : l’aîné fera l’apprentissage du notariat, sera déclaré apte au service, mais quittera la maison ; son cadet Oscar, né deux ans plus tard (remplacé au service militaire), se mariera en 1880 [4] et succèdera à son père jusqu’en 1899, avant de s’installer à La Barthe-de-Neste où il ouvrira son étude. Son départ signera la définitive marginalisation économique des Baronnies. C’est cette histoire familiale qui explique que le fonds de l’étude Duplan à Laborde contienne les actes passés devant Bernard, Jean-Pierre et Oscar [5].
4Le contrat de mariage n’est qu’un des actes pratiqués à l’étude et on observe une spécialisation familiale organisée entre beau-père et gendre. Me Toujan rédigera surtout des reconnaissances de dettes, des quittances, des ventes et aussi quelques testaments pour les habitants d’Asque, Batsère, Bulan, Me Bernard Duplan se réservant pendant longtemps les contrats de mariage, acte capital où l’importance financière d’une maison se dévoile. Cependant sa santé le forcera à passer la main à son gendre au début des années 1860.
Le contrat de mariage, un marqueur social ?
5En tout, entre 1822 et 1899, nous avons relevé 197 contrats conservés à l’étude Duplan de Laborde (voir tableau 1).
Nombre d’unions célébrées et de contrats passés à Laborde chez Me Duplan
Nombre d’unions célébrées et de contrats passés à Laborde chez Me Duplan
6Pour la période sensiblement équivalente de 1822-1895, nous avons comptabilisé 240 unions (mariages et remariages). Tous les couples de Laborde ne font donc pas rédiger leurs conventions matrimoniales chez Me Duplan [6]. En outre, en comparant l’état civil et le minutier, on voit que dans la première partie du siècle, les habitants les plus pauvres qui épousent des cadettes peu fortunées ne font pas de contrat. Celui-ci est onéreux : « lorsqu’on marie la faim et la soif », selon un dicton régional, la communauté légale suffit. Pour confirmer cette allégation, nous avons établi la liste des unions célébrées de 1822 à 1835 à la mairie de Laborde et nous l’avons comparée aux données du minutier. Nous avons relevé 33 mariages (y compris ceux qui ont été célébrés ailleurs, mais dont les conjoints ont fait souche à Laborde) et seulement 22 actes enregistrés chez Duplan (ce chiffre relativement faible s’expliquant par la récente installation de l’étude). Ne font pas rédiger de conventions matrimoniales les moins aisés (artisans et enfants d’artisans ne dépendant pas pour leur subsistance du secteur agricole) et les cadets qui vont chercher une épouse ou un mari à l’extérieur et se marient avant leur départ définitif. Il s’agit de toutes petites maisons [7]. À l’autre extrémité de la hiérarchie sociale, même pratique de l’exogamie mais pour des motivations différentes : les notables continuent à rechercher des partis avantageux loin de leur commune.
7Toujours dans cette perspective de vérification des données, nous allons nous servir de la mention qui spécifie l’existence d’un contrat de mariage et qui est portée systématiquement à la fin du siècle dans les actes de mariage. Sur 29 unions, 8 sont célébrées sans passage à l’étude. Deux de ces mariages unissent un cadet et une cadette qui vont quitter le village, les autres, un étranger à la commune à une Labordaise, et le dernier concerne un fils unique qui n’a pas besoin d’un contrat pour installer son épouse chez lui puisqu’il est lui-même héritier. Le contrat de mariage est redevenu la norme, mais cette fois, pour les agriculteurs seulement, car il s’agit de la transmission d’un outil de production.
8Autre raison qui serait politique et non plus économique : bon nombre de Duplan, depuis Arnaud le médecin, ont occupé une fonction édilitaire et suscité par là même l’animosité d’une partie de leurs administrés. Curieusement, dans ce pays où les oppositions sont marquées et s’expriment fortement, ce n’est pas le cas ici pour la personne du notaire. Même le principal opposant au clan fait appel à Me Toujan quand il marie ses filles. En revanche, l’étude Duplan n’enregistre pas les contrats de mariage des autres héritiers directs de Joseph.
La nouvelle législation
9Le mariage coutumier dans les Pyrénées sous l’Ancien Régime (droit écrit et coutumes valléennes) unissait à chaque génération l’héritier(e) de la maison à un(e) cadet(te) ; les autres membres de la fratrie grâce à leur dot cherchaient à réaliser un mariage leur permettant de s’installer dans une autre maison ; ils en prendraient alors le nom et se verraient affectés du statut de bru ou de gendre. Le régime matrimonial imposé était le régime dotal. Quand il arrivait à un cadet d’épouser une cadette – ce qui se faisait déjà avant la Révolution et surtout après en raison de l’explosion démographique (tableau 2) –, le régime matrimonial était celui de la communauté.
La population de Laborde au xixe siècle
La population de Laborde au xixe siècle
10Le Code civil instauré au début du xixe siècle changera peu de choses à ces pratiques (sauf à voir augmenter le nombre d’unions entre cadets et cadettes en raison de l’abolition de l’inégalité entre germains et le non-recours au contrat [8]) : dès le premier article, le notaire indique le choix du régime, et c’est bien évidemment le régime dotal qui est choisi à 97 % [9]. Il sera nuancé (mais sans changer son esprit) par l’adjonction d’une clause établissant une société d’acquêts à partir des années 1860 [10], quand les cultivateurs de Laborde pratiqueront de façon notable la pluriactivité : tournerie sur bois, taillerie de pierre, tissage, commerce… Le premier contrat optant pour le régime de la communauté date du 13 avril 1857 et concerne un artisan épousant une enfant trouvée devenue l’héritière d’un couple sans enfants. Autre exemple du choix de ce régime : un autre mariage hors-norme, celui où la mère d’un enfant naturel et unique fait donation de la moitié de ses biens à sa future bru [11], l’autre moitié à son fils (contrat du 7 mars 1867). Ce régime ne sera bientôt plus réservé aux mariages cadet/cadette. Son adoption rend compte de la recherche d’un équilibre économique entre les futurs conjoints. C’est le cas pour le mariage « en gendre » de Rémi Colomès d’Asque et de l’héritière Claverie-Pas (26 janvier 1868) [12]. À partir des années 1880, la communauté légale est choisie par les familles des futurs pour que la lignée qui reçoit la constitution puisse l’employer sans contraintes, mais surtout afin que la famille de l’autre partie puisse tirer parti de cet acte solennel pour désigner l’héritier coutumier, si celui-ci n’est pas encore marié.
11L’ensemble du dispositif était pratiquement le même dans tous les contrats. Après le choix du régime, les articles énuméraient les apports des deux lignées. S’exprimait alors le futur des maisons tel qu’il était envisagé par les parents de l’héritier : ceux-ci faisaient jouer la quotité disponible [13] pour avantager le futur tant en immeubles qu’en meubles et précisaient sur quelle partie de leurs biens porterait la quotité ; ils ajoutaient encore des précisions en cas d’incompatibilité constatée [14], lors de la cohabitation des parents et du jeune couple [15]. Les parents de la cadette énonçaient le montant de la dot et leur participation en fonction de leurs propres apports ainsi que la description du trousseau et sa valeur. À ces apports en miroir, s’ajoutaient quelques lignes si un consanguin faisait une donation supplémentaire. Un exemple de mariage dotal entre un héritier et une cadette, sans précisions des apports du futur, date encore du 4 janvier 1849, ce qui montre bien l’importance du contrat comme acte fondateur et le souci de la famille de la cadette de voir reconnus et protégés ses apports.
12La dot de la future (comme celle du futur faisant un mariage en gendre) ou plutôt ses apports étaient déclarés comme avancement d’hoirie, autrement dit une avance sur la succession des parents. Son montant résultait toujours d’une discussion serrée entre les parents des futurs. Il ne pouvait pas être trop élevé sous peine de déséquilibrer gravement la famille de la dotée, il ne pouvait pas être trop bas car la famille qui la recevait ne pourrait s’en servir pour doter ses propres enfants ; en outre, la future pourrait arguer de sa faiblesse lors du règlement de succession et exiger un fort supplément à la charge de l’héritier. Dans le cas d’une orpheline, elle disait se constituer ses droits provenant de la succession de l’un ou l’autre de ses parents ou des deux quand la succession n’était pas réglée. La dot de la mère qui aurait pu se partager également entre les enfants d’une même fratrie, pratique utilisée avant le Code civil pour atténuer les inégalités dues au calcul de la légitime, était désormais soumise à la clause de la quotité disponible.
13Le contrat pouvait comporter une clause de survie pour les remariages et une donation au dernier des vivants pour les parents donateurs. La première clause de ce type aura lieu en 1852 et concerne les époux Delhom-Caz. qui marient leur fils François. Le père de François saisit l’occasion de ce moment solennel pour exiger que « ses filles mineures Rose et Elisabeth aient l’habitation même après son décès jusqu’à leur établissement par mariage et veut que leur conduite soit orthodoxe et régulière ».
Cadets et cadettes
14Pour estimer la proportion de migrantes à chaque décennie et voir de quelle façon les parents envisageaient leur avenir, il faut retourner au contenu des contrats en distinguant bien ceux qui concernent un(e) héritier(e) épousant un(e) cadet(te) de ceux qui traitent du mariage d’un cadet épousant une cadette (voir tableau 3).
Mariages à Laborde selon la position par rapport à l’héritage
Mariages à Laborde selon la position par rapport à l’héritage
15Sans étonnement, nous voyons que 67,5 % des maisons préfèrent faire hériter un garçon, jugé plus apte à reprendre l’activité paternelle ou plus généralement, à décider de l’avenir de la maison ; 13,7 % font d’une fille leur héritière faute de garçon, et 18,8 % des contrats vont sceller l’union d’une cadette labordaise et d’un cadet de la même commune ou extérieur. Sont donc migrantes de la première génération : 1) les Labordaises qui épousent un héritier venant de l’extérieur et qui partent avec lui s’installer dans la maison de ses parents, soit 25,4 % de l’ensemble ; 2) les cadettes épousant un cadet qui quittent également le village soit 14,2 % de l’ensemble. Au total, près de la moitié des filles évoquées dans le minutier de Laborde sont dans ce cas [16] (Rosental, 1990). C’est sur leur devenir tel qu’il a été envisagé par leurs parents et consigné dans un document officiel que nous allons nous pencher.
16Au préalable, il nous faut expliquer les variations de ces catégories de mariage selon le rang de naissance et la position par rapport à l’héritage au cours des périodes. Les années 1822-1835 voient un retour à la norme pyrénéenne de l’héritier unique. Les premières conséquences des partages ont été dures pour les nouvelles maisons et ont découragé les parents à patronner de nouvelles installations. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de tels mariages mais ils se font généralement sans contrat, c’est-à-dire sans désignation d’héritier par les parents. Une vingtaine d’années plus tard, les mariages de cadets et de cadettes reprennent, ils profitent alors des vagues d’émigration. C’est pendant la période 1856-1885 que les mariages précédant les départs vers l’Amérique du Sud, mais aussi l’Algérie ou encore Bordeaux et Paris, seront les plus nombreux (Bonnain, 2005b). Les filles vont rejoindre un frère ou une sœur déjà installés ou accompagnent leur nouvel époux : c’est le cas de Marie-Eugénie Delhom-Ar. qui convole avec Jean-François Duthu-Pro., menuisier demeurant à Aïn El Turck (Oran) [17] ; c’est aussi celui de Marie-Madeleine Duplan, institutrice, qui se marie avec Jean François Larrey-Ou., brigadier de gendarmerie à Oran [18]. En général, les filles qui ne sont ni couturière ni tisserande et qui veulent se constituer un pécule, se placent simplement comme domestique dans les villages et les petites villes aux alentours. Il leur arrive alors de trouver un parti sur place et de s’y marier : l’émigration de travail peut précéder un départ définitif ou une installation sur place grâce à un mariage.
17Comme on l’avait déjà noté dans des travaux antérieurs, les remariages sont rares. Pour la période étudiée, on ne relève que dix cas : cinq de veufs épousant des cadettes célibataires et cinq de veuves convolant à nouveau. Dans trois occurrences, les épouses avaient des dots supérieures à la moyenne, dots constituées aux premières noces et récupérées lors de leur second mariage.
Départs et événements familiaux
18Avant d’étudier le contenu des contrats des cadettes quittant le village, il faut nous assurer du nombre exact des départs définitifs par mariage et ne pas imputer ces absences à la recherche d’un emploi. Le mariage civil se célébrait le même jour que les noces religieuses et il était d’usage dans les Pyrénées centrales de les célébrer dans la future commune de résidence [19]. Toutefois, en contrôlant l’état civil et le minutier à partir de 1850, on a pu retrouver une vingtaine de contrats (soit un écart d’un dixième sur le chiffre de l’état civil) où le mariage correspondant n’a pas été célébré à Laborde : il s’agit des « bonnes maisons » qui pratiquent régulièrement l’exogamie : Ar., Jo., Ca., Cha., Yan.
19Il nous faut aussi connaître le nombre des cadettes pour lesquelles nous n’avons retrouvé ni contrat, ni mariage. Nous avons pris à titre d’exemple la période 1846-1855 [20]. Sur les 46 filles nées entre 1846 et 1855, 26 cadettes ne se marient pas au village et ne passent pas de contrat chez Duplan, mais à première vue, elles n’ont pas toutes le même sort. Les deux filles de l’arpenteur Cazalas-Gai. partent à Chelle-Spou avec leur père quittant la commune à la suite d’une déception électorale. D’autres ont le destin que la profession et la fortune de leurs parents leur promettent : ainsi la fille de Bernard Duplan, le médecin cousin du notaire, qui, orpheline, repart à Bagnères-de-Bigorre avec sa mère, ou encore la fille de François Laspalles-Jou., chef d’une « bonne maison ». Nous apprenons également qu’une fille Delhom-Mil., après avoir donné naissance à un enfant naturel, part et fait sa vie dans le Gers. Francine Laspalles-Pér. fait de même : elle se marie en 1875 avec un cadet d’Escots, dans les Baronnies, après avoir donné naissance l’année précédente à un fils prénommé Jean. Dans cette décennie aussi, des familles entières émigrent, comme les Delhom-Miq., les Barbazan-Ba. C’est l’époque où les nombreux départs de garçons perturbent le marché matrimonial, ce qui explique sans doute la fréquence des naissances illégitimes (6 pour cette décennie), non faute d’un prétendant, mais parce que les parents ne veulent pas de mariage non satisfaisant à leur point de vue.
20En dehors de ces configurations familiales, il reste deux catégories de filles qui quittent Laborde définitivement. Dans la première, il y a celles qui partent à la suite d’un événement qui modifie les relations à l’intérieur de la famille, comme l’introduction d’une nouvelle personne par union avec le chef de maison : c’est le cas de Catherine Delhom-Pou., quittant le village définitivement après le remariage de son père ; c’est celui de Marie-Thérèse Larrey-Da., née en 1848 et s’en allant après le mariage de son frère en 1873, et que sa sœur Marie-Rose née en 1854 rejoint peut-être. Dans la seconde catégorie, il y a celles qui partent parce que la fratrie est trop nombreuse pour les terres cultivées ou l’habitation trop restreinte. Ce sont bien sûr les plus petites maisons ou celles où l’on ne pratique pas une pluriactivité rentable et les aînées doivent s’en aller comme Rose Duthu-Ta., qui quitte la maison en même temps que sa sœur Clotilde, et Jeanne-Marie Moulette-Au. Généralement, les filles de cette décennie partent peu avant leur 20 ans : Marie-Rose Larrey-Ja., Marie Thérèse Claverie-Bat., Marie Claverie-Jan., pour lesquelles, les parents n’ont pas fait de contrat [21], vont sans doute occuper des emplois de service dans une ferme ou une petite ville du piémont. Toutes sont issues de familles peu aisées. Les choses auront-elles changé durant la décennie suivante qui voit se célébrer 41 unions ?
21Nous avons retrouvé grâce à l’état civil la trace de 31 cadettes nées entre 1856 et 1865. Leurs parents ont connu la crise du début du Second Empire et elles-mêmes vont atteindre leur majorité sous la Troisième République, à un moment où la révolution des transports touche les campagnes reculées et où les villes ont besoin de main-d’œuvre pour leurs industries et leurs services. Les départs de cadettes se multiplient alors. Il y a toujours celles qui font un enfant naturel (4) et s’en vont après sa naissance quand elles n’attendent pas pour partir le décès de leur mère, surtout si cette dernière est elle-même enfant naturelle, comme c’est le cas chez les Delhom-Yan. ou pour Louise Duplan-Cal. qui va en 1886 à Bagnères-de-Bigorre, s’y marie tard et y reste [22]. Au nombre des événements familiaux qui marquent le départ d’une cadette, on retrouve le décès d’un père et le remariage d’une mère : Marie-Louise Moulette, Jeanne-Marie Larrey, Marie-Louise Ducay se trouvent toutes dans ce cas. Toutefois, ce qui frappe dans le sort des cadettes nées entre 1856 et 1865, c’est le nombre de départs avant l’âge de 16 et même 15 ans, départs facilités par celui d’une sœur ou d’une cousine à la période précédente, « tête de pont » d’un réseau d’accueil. C’est presque le cas de Marie-Madeleine Gouaux-Gac. dont les trois frères aînés sont en Louisiane et qu’elle va peut-être rejoindre. Est-ce parce qu’elle épouse un enfant du pays, Jean-Marie Delhom, natif d’Esparros et employé aux chemins de fer à Sète (Hérault), que le mariage de Jeanne-Marie Compagnet-Gou. se célèbre à Laborde ? Par contre, on ne saura pas comment Rosalie Dabat, fille d’un domestique, se retrouve en Algérie où elle décèdera en 1948.
22Avec la même démarche, nous pouvons indiquer les directions prises par 33 cadettes nées entre 1866 et 1875 et saisir leurs motivations. On retrouve d’ailleurs les mêmes : une fratrie trop nombreuse qu’il faut soulager très vite, c’est-à-dire dès que l’on peut travailler, ou l’arrivée d’une bru ou d’un gendre qui rend la présence de ladite cadette inutile, voire gênante. En revanche, il y a moins de naissances illégitimes et leurs mères ne restent pas au village : elles vont tenter de faire leur vie ailleurs. Ainsi Léontine Ducay, née en 1874, part avec sa mère en 1880, quand celle-ci se marie. On rompt ainsi la malédiction des maisons peuplées de plusieurs générations de filles-mères qui ne pouvaient régulariser leur situation faute de dot et restaient sur place. Sophie Noguès-Jou., enfant naturelle devenue domestique à Hèches en vallée d’Aure, donne naissance à une fille à l’âge de 28 ans. La maison de sa grand-mère l’abrite pendant quelque temps, puis elle part avec sa mère. Cette période voit plusieurs inflexions du système : aucune des cadettes naissant pendant ces années ne restera. Même si elles ne se marient pas (et le mariage est toujours difficile pour les cadettes sans fortune au regard de l’âge au premier mariage), elles feront leur vie d’adulte dans des villes moyennes ou grandes. La maison devient également un refuge ; on y a recours lors de difficultés momentanées, les transports plus nombreux et plus rapides facilitant et les départs et les retours. La petite Jeanne Crabe, née en 1867, fille d’un douanier résidant à Alger et d’une Labordaise, ne rejoint ses parents qu’après 1872. Et il y a aussi les possibilités de promotion des filles grâce à l’enseignement : trois cadettes seront institutrice ou professeur car leurs parents issus de « bonnes maisons » pourront financer leurs études.
23Ce n’est pas moins de 44 traces de vie de cadettes labordaises nées pendant les périodes 1876-1885 et 1886-1895 que nous avons retrouvées grâce aux mentions en marge de l’état civil (24 en tout). D’abord se confirme le fait que les filles ne restent pas au village si elles ne peuvent y trouver un conjoint ou un emploi correspondant à leur rang ou à leur formation. Un certain nombre se marie sur place avec un natif du village ou un fiancé d’une commune voisine mais les noces préludent au départ. C’est le cas de Marie-Thérèse Lavit-Gar., née en 1885, de Marie-Rose Duthu-Pit., née en 1889. Marie Rosalie Cazenave-Mar. fait des études secondaires, devient professeur, ne se marie pas mais décède à Montauban en 1952. La capitale est une destination intéressante car nombre de Bigourdans de Laborde et de Bulan y sont déjà installés. Six d’entre elles vont s’y marier, mais pas toujours avec un « pays ». On convole dans les villes où l’on travaille, à Bordeaux, à Périgueux, à Narbonne, mais aussi dans les petites villes du piémont. Marie-Thérèse Carrère-Ha., née en 1881 dans une famille d’artisans qui aura quitté le village en 1911, se marie à Périgueux où elle mourra en 1948. Sa sœur Marie-Jeanne, née en 1885, se marie en 1906 à Pacy-sur-Eure avec Paul Prévet, et elle décèdera à Montauban en 1953. Élisabeth Carrère-Ha., une dernière sœur, née en 1895, épouse un cadet pyrénéen de Tuzaguet, installé à Lagrange, village proche des Baronnies. Elle y mourra en 1985. À cette époque, c’est moins le poids d’une bouche supplémentaire sur la maison qui pousse au départ que la perspective d’un futur meilleur. Les fratries vont s’éparpiller avec le mariage pour se retrouver au temps de la retraite. Aux alentours de 1900, la maison pyrénéenne perd de son caractère économique contraignant et devient davantage un refuge pour les accidentés de la vie. Toutefois, elle reste l’horizon immuable pour les agriculteurs éleveurs des Baronnies avec ses règles, ses devoirs.
24Le contrat de mariage associé aux histoires de maisons et à leurs généalogies nous permettra mieux de voir comment les familles entrevoyaient l’avenir de leurs cadettes, pour leurs maisons et pour elles-mêmes.
Une facette du mariage « coutumier » : l’union entre un héritier extérieur et une cadette labordaise
25Le choix d’un époux ou d’une épouse se fondait peut-être sur des sentiments réciproques, le contenu du contrat de mariage scellant l’union d’un héritier et d’une cadette résultait de discussions ardues entre les parties contractantes qui portaient principalement sur le montant de la dot constituée. Les filles sont dotées en fonction du niveau de fortune de leurs parents dans la majorité des cas et selon leur nombre dans la fratrie. Ainsi la dot d’une unique cadette est plus importante que celles qu’auraient pu recevoir ses sœurs. Cependant, le montant peut être augmenté si l’alliance est flatteuse en raison de la renommée et la fortune de l’autre partie contractante. On retrouve là les stratégies matrimoniales. L’aîné fait toujours un mariage hypergamique, hypergamie toutefois modérée par le souhait de préserver une vie harmonieuse dans la maisonnée, une bru trop fortunée pouvant se révéler indocile. La dot est inaliénable et est reconnue sur les biens du beau-père, sauf mention spéciale pour garantir son réemploi. Cette protection s’applique à tous les contrats passés. Ces mécanismes sont bien connus et ils sont semblables avant la réforme du Code civil (Bonnain, 1986a).
26Examinons le choix du régime matrimonial et le montant de la dot. Pendant la période 1822-1845, en raison de la conjoncture difficile autour des années 1830 et de l’observation de la nouvelle législation en ce qui concerne l’égalité entre germains, il y a assez peu de mariages exogames pour les filles, leurs apports étant relativement peu tentants pour des partis extérieurs possibles. Les dix mariages relevés sont le fait de maisons moyennes (possédant de 2 à 4 hectares) et les dots s’échelonnent entre 800 et 1 700 F, la moyenne s’établissant vers 1 390 F, ce qui sous-entend que les cadettes labordaises vont entrer dans des familles encore plus moyennes. Avant 1835, les dotalisses (autrement dit le trousseau) ne sont pas comprises dans la dot [23]. Elles le sont ensuite et s’établiront entre 150 et 200 F.
27L’époque suivante (1846-1855) est une époque très difficile (crises de 1847 et de 1855-1856) où l’on note une forte émigration des garçons. Plus de 25 cadettes vont partir aussi sans être mariées et sans bénéficier d’un contrat de mariage les protégeant. Dans les 8 mariages de cadette épousant un héritier extérieur, toutes les dots sont mentionnées, sauf l’apport de Jeanne Claverie-Pas. qui fait état le 8 octobre 1846 des biens advenus par le décès de ses parents « par le partage du 11 décembre 1843 ». Ses frères et sœurs assistant au mariage habitent Laborde, mais elle réside à Arrodets car son père entretient encore quatre enfants du second lit. Le montant des dots varie beaucoup, depuis les 650 F « trousseau compris » de Rose Delhom-Pit. jusqu’aux 7 000 F de Rose Colomès-Arr. assortis de 800 F de dotalisses : Rose est la seule fille du plus riche propriétaire foncier de la commune [24] et son futur est forgeron et commerçant à Lannemezan. La moyenne des dots promises dépasse 4 200 F, mais elles sont très inégales puisque l’écart est de 1 à 10. Quant à la valeur déclarée des trousseaux, elle varie de 200 à 800 F.
28L’exemple de la maison Yan., une « bonne maison », va illustrer les mécanismes décrits ci-dessus. En 1850, Marceline Lavit-Yan. se remarie avec un héritier de Bulan ; auparavant unie à un héritier de la riche vallée de Campan, elle avait apporté, outre son trousseau, une dot de 4 000 F (somme importante pour le village), récupérée à son veuvage. Sa sœur Sophie s’était mariée en 1849 avec François Pérarnaud, du village voisin de Bulan : elle ne s’était vue promettre qu’une dot de 3 000 F, plus un trousseau de 500 F qui lui permettrait toutefois de faire bonne figure dans sa nouvelle maison. La dernière sœur, Marie, devra attendre 1859 pour se marier au village avec l’héritier Delhom-Pey ; elle recevra également 3 000 F de dot et un trousseau qui ne sera que de 450 F (est-ce parce que sa mère est morte et que sa belle-sœur [25] n’est pas aussi généreuse que sa défunte belle-mère ?).
29Le mariage des cadettes dépend aussi de celui de l’héritier. Dans la famille Delhom-Pey, les quatre cadettes se marient entre 1840 et 1863 et reçoivent des dots assez moyennes – entre 1 500 et 1 700 F – alors que leur frère Jean va épouser Marie Lavit-Yan. (voir supra) qui, au montant de sa belle dot (pour le village s’entend), ajoute une somme donnée par son oncle et sa tante, soit 2 000 F. Cette même habileté à nouer des alliances profitables de la maison Yan. se retrouvera à la génération suivante quand Sophie, l’héritière, épousera un garçon de Labastide lui apportant 10 000 F de dot. Autre exemple, celui de la famille Delhom-Caz, plus modeste, dont le chef de famille est menuisier. En 1849, Sophie se marie à Laborde avec une dot de 600 F et un trousseau de 200 F. François l’héritier, né en 1817, se marie à 35 ans avec une cadette d’Esparros de 10 ans plus jeune que lui. Elle apporte une dot de 750 F. Fleuri, né en 1825, se marie la même année avec une cadette de Bulan et ils quittent le village. Il a reçu 600 F de ses parents, sa fiancée 500 F. En 1862, Rose, née en 1833, se marie à l’âge de 29 ans avec un Gersois : sa dot est de 600 F plus un trousseau de 200 F. Enfin, la dernière sœur, née en 1838, se marie un an plus tard avec un villageois, Pierre Forgue-Cou : sa dot est plus importante : 800 F assortie de 171 F de dotalisses. On voit que dans cette famille où l’on réussit à marier tous les enfants, on essaie de préserver l’égalité entre germains sauf pour la dernière que l’on veut garder au plus près et pour laquelle, exceptionnellement, on constitue une dot plus importante que celle reçue par l’héritier. L’histoire familiale, avec l’âge et le mariage des aînés ainsi que les liens affectifs différents, explique également les variations des dots.
30À la période suivante (1856-1865) qui voit le maximum de contrats passés à l’étude (mais non le maximum de mariages célébrés dans la commune), les régimes matrimoniaux sont toujours dotaux et, à partir de 1859, sont nuancés par la clause de la société d’acquêts où ceux-ci sont partagés au prorata des apports des époux. Notons une exception, toutefois, c’est-à-dire un mariage coutumier héritier/cadette qui se fait sous le régime de la communauté : il s’agit de la maison Bar., des tailleurs de pierres qui donnent une modeste dot de 800 F plus 140 F de dotalisses à leur fille, alors que la moyenne s’établit à 1 670 F, avec un écart de 1 à 10 entre les apports minimaux et maximaux.
31C’est aussi pendant cette période que l’on voit inscrire les apports des filles « provenant de leur gain et de leurs économies ». On savait que les cadettes de petites maisons allaient travailler comme domestique aux alentours, cependant ici, ce n’est plus seulement le salaire d’une employée de service mais le gain apporté par le travail à domicile : tricot, tissage, couture. Le changement ne réside pas dans le travail mais dans le fait que son bénéfice ne contribue pas aux dépenses de la maison. L’argent est laissé en prévision d’un possible mariage et il s’ajoute à la constitution dotale faite par les parents.
32Trente-six contrats sont passés à la période suivante (1866-1875). Aux années relativement fastes du Second Empire succède la crise de l’oïdium. Sept mariages héritier/cadette et sept mariages cadet/cadette quittant la commune ont lieu. Les dots sont en moyenne de 3 000 F, avec un écart de 1 à 9. Chiffres à nuancer, car les filles font état de leurs gains, comme les 1 000 F de Bernarde Laspalles-Las., couturière, dont le montant compense la maigre dot de 550 F. Les trousseaux restent modestes, allant de 200 à 300 F.
33Un important déclin démographique débute à partir des années 1876. Les mariages entre un héritier extérieur et une cadette sont au nombre de 5. Tous les contrats se font sous le régime dotal avec société d’acquêts, qui convient bien quand l’un ou les deux conjoints pratiquent une activité autre que l’agriculture. Une exception néanmoins : le mariage d’une jeune fille apportant sa part d’héritage, soit 6 000 F, avec un meunier de Bourg-Bigorre, mariage qui se fait sous le régime de la communauté légale. Ce n’étaient pas les bénéfices escomptés de l’activité de son fiancé qui ont fait pencher la balance en faveur de ce régime mais l’existence d’un enfant naturel, né quatre ans plus tôt. La possibilité de disposer librement des biens de la future semble avoir été le prix de cette union, comme la séparation d’avec l’enfant illégitime.
34Le montant des dot s’est élevé. Alors que 20 ans auparavant, la dot des cadettes, peu fortunées mais non misérables pour autant, était en moyenne de 800 F, dans cette décennie, elle est de 1 300 F environ. Il faut signaler que la moyenne est faussée car trois bonnes maisons marient alors leurs cadettes. Marie-Rose Cazenave-Mar. apporte à son mari 12 000 F, somme qui restera inégalée pour un contrat et qu’elle tient à la fois de son père et de son travail. Six mois auparavant, son frère aîné, instituteur, épousait une cadette de la maison Gai., qui lui apportait 4 000 F et un trousseau de 150 F. En 1880, la maison Yan. donne également 4 000 F et un trousseau de 200 F à Jeanne-Marie, fille de Pierre. Caroline qui se marie en 1887 reçoit la même somme et un trousseau de 450 F. L’égalité de la dot pour les sœurs est respectée, non celui du trousseau : celui-là est fait en partie par la fiancée elle-même, ce qui explique les écarts. Dans cette famille nombreuse de cinq enfants dont quatre filles, le fils est le dernier-né. Il se marie relativement tôt, en 1895, avec la fille du forgeron qui lui apporte 10 000 F de dot. À l’opposé des avancements d’hoirie donnés par ces familles, la cadette Duplan-Ca., qui se marie en 1884 à l’âge de 31 ans, déclare seulement des économies de 1 000 F provenant peut-être d’un travail saisonnier à Bagnères-de-Bigorre, tout en se réservant ses droits. Paradoxalement, c’est mieux que la dot de Jeanne Toujas-Mar. « tricoteuse » qui ne peut plus compter sur l’héritage de ses parents, puisqu’elle a déjà reçu 1 300 F et un trousseau de 300 F avant son départ pour Esparros.
35À la période suivante (1886-1895), six mariages coutumiers d’une cadette de Laborde avec un héritier extérieur ont lieu. Les conséquences démographiques de l’émigration pyrénéenne se lisent dans la montée des mariages entre une héritière et un cadet pour les maisons moyennes. Le régime dotal est toujours choisi pour protéger les biens des filles, même dans le cas d’une cadette Delhom-Gui. qui n’apporte rien au mariage, sa mère s’y opposant. Les sommes déclarées s’étagent entre 800 et 4 000 F, avec une moyenne de 2 200 F et des écarts de 1 à 5.
36Enfin, pour les trois années qui nous amènent à la fermeture de l’étude, on voit se confirmer la difficulté à maintenir un garçon à la maison. Trois cadettes se marient avec un héritier des communes environnantes – Arrodets, Bourg-de-Bigorre, Esparros – et deux partent définitivement sans avoir célébré une union. L’une d’elles décèdera en 1976, à Caudebec-les-Elbeuf, après un périple que nous n’avons pu retracer. La moyenne des dots est d’un peu plus de 1 300 F, les écarts de 1 à 1,6 ; mais les apports personnels font la différence : ainsi, une cadette Delhom-Bar. apportera 200 F qui s’ajouteront à sa dot de 1 000 F.
37En suivant l’évolution des apports depuis 1822, on constate que les dots les plus modestes passent de 500 à 800 F, qu’elles sont « améliorées » par le travail des cadettes, mais que l’on arrive à des avancements d’hoirie de 10 000 F. Les écarts entre maisons modestes et maisons moyennes se creusent, signe d’une élévation du niveau économique du village en raison de la pratique de l’élevage et de la pluriactivité, mais l’explication n’est pas suffisante. Une étude de l’endettement des familles au moment du mariage des enfants sera le sujet d’une autre recherche.
Cadettes et cadets
38Toutes les filles d’une fratrie n’avaient pas la possibilité d’épouser un héritier selon leur rang. Elles avaient alors le choix entre trois destinées : rester célibataires et travailler pour la maison, partir travailler ailleurs et peut-être s’y marier, épouser un cadet avant le départ définitif (Segalen et Ravis-Giordani, 1994). Entre 1846 et 1899 [26], on relève 28 unions de cadets et de cadettes qui font rédiger un contrat avant leur départ, ce qui représente 14 % des contrats rédigés à l’étude, soit 1 sur 7. Se pose la question de l’égalité des dots entre celles qui partent avec un cadet et celles qui font un mariage coutumier. Comment les familles considèrent ces mariages « hors-norme » et quelle est leur attitude envers ces enfants qui ne participent plus à la perpétuation de la maison ?
39Pendant la période 1846-1855, on ne compte que trois mariages de ce type, tous célébrés entre 1851 et 1853. Il n’y a qu’une fille qui quitte le village son contrat rédigé et les dots paraissent remarquablement semblables, que ce soit pour une fille ou un garçon. Toutefois, quand on met en regard le niveau de fortune des maisons, les différences apparaissent. Ainsi, on ne peut comparer la dot de 500 F d’une cadette Delhom-Bar. (parfaitement égale par ailleurs à celle d’une sœur qui épouse un héritier) vivant d’une propriété foncière de 2,78 ha, aux 600 F de dot masculine attribuée à un cadet Laspalles-Pér. dont la famille est trois plus riche foncièrement parlant. Les dots des cadettes sont donc toujours plus importantes que celles des cadets, pratique déjà constatée sous l’Ancien Régime.
40Les années 1856 à 1875 voient le plus grand nombre de mariages cadettes /cadets préludant à un départ : 14. Les dots varient entre 500 et 4 000 F – soit un écart de 1 à 8 –, et la moyenne se situe à 1 130 F. Une de ces cadettes n’apporte qu’une chambre et une autre un champ de 3,28 ares ! Les parents acceptent le mariage de leurs cadettes peut-être parce qu’elles ont un projet de départ facilité par un frère ou une sœur déjà installés ailleurs et qu’il vaut mieux assurer leur établissement (le mariage) avant le déracinement. Quand ils le peuvent, ils se réservent une fille par fratrie pour s’occuper d’eux pendant leur vieillesse. Deux ménages seulement vont choisir le régime de communauté qui signe une égalité des apports.
41Après 1876 et jusqu’en 1899, le nombre des cadettes se mariant avant leur départ décroît : 11 en tout. Les dots s’échelonnent entre 500 et 3 000 F, des fiancées apportant des constitutions dotales faites exclusivement par leurs parents, d’autres complétant celles-ci ou les remplaçant complètement par des apports personnels de 500 à 1 500 F ; ces apports personnels proviennent de leur activité de domestique en ville ou de cuisinière. Notons que la dot promise à l’héritier est toujours une référence pour les mariages ultérieurs car elle est un signe du statut de la maison.
Les moyens de partir
42Entre 1822 et 1845, le seul cas d’une cadette partant s’installer ailleurs avec sa dot ne permet pas la comparaison avec les dots reçues par les cadettes faisant un mariage coutumier. À la décennie suivante, les dots des cadettes épousant des cadets sont bien inférieures à celles de leurs sœurs allant épouser un héritier extérieur. La moyenne est de 600 F contre 1 450 F. Ces dots sont remarquablement homogènes, l’écart étant de 1 à 1,6, contre 1 à 10 pour le mariage coutumier, ce qui s’explique par le fait qu’on marie peu de filles dans le village et dans les villages des alentours. Lorsqu’on le fait, on augmente les dots. Faire un mariage coutumier est considéré favorablement car il renforce les alliances entre les maisons et celles-ci seront plus tard peut-être mises à contribution pour envoyer un cadet ou une cadette à Laborde. Il y a d’autres raisons expliquant la différence des montants des constitutions dotales. Prenons le cas de la famille Delhom-Bar., dont le père est tailleur de pierre. L’aînée et héritière épouse un cadet d’une bonne maison qui lui apporte ses économies d’un montant de 655 F. En 1858, Marie Louise, sa sœur, épouse sous le régime de la communauté Barthélemy Dubarry, de Batsère, avec une dot de 800 F. Françoise, son autre sœur, se marie en 1865 avec François Claverie, de Lomné : le contrat inscrit une dot en avancement d’hoirie de 600 F. Pourquoi cette différence entre les dots des deux sœurs ? Peut-être parce que Françoise a travaillé à l’extérieur alors que Marie Louise a contribué à la bonne marche de la maison.
43Aux périodes suivantes (de 1866 à 1885), la moyenne des dots est à peu près semblable pour les deux catégories d’unions, 1 300 F et 1 540 F, les écarts sont légèrement moindres pour les cadettes épousant des cadets que pour leurs sœurs qui font un mariage coutumier. Dans ce dernier cas, l’écart est de 1à 9 alors que dans le premier, il est de 1 à 6. Cependant, ces calculs sont faits en ne tenant pas compte ici des apports personnels de ces cadettes issues de familles modestes ou moyennes. Le contrat devient alors l’occasion d’enregistrer le fruit de leur activité extérieure aux travaux de la ferme. Ainsi, Marie Rose Françoise Laspalles-Pér., qui se marie en 1877 à l’âge de 24 ans, ne reçoit pas de dot sauf à mentionner « les biens recueillis dans la succession de sa mère » d’un montant de 100 F, mais elle apporte 1 000 F d’économies faites sur son salaire de cuisinière à Paris lorsqu’elle épouse un jeune homme, enfant naturel né à Esparros devenu employé à Toulouse. Sa sœur aînée, Françoise, s’était mariée deux ans plus tôt au même âge avec un cadet veuf d’Escots, et s’était vue donner en avancement d’hoirie 800 F et un trousseau de 100 F. Cette différence s’explique par les mêmes raisons que pour les cadettes Delhom-Bar. : Françoise n’avait quitté la maison que lors de son mariage et l’avait tenue, sa mère étant morte en 1866. En outre, elle avait déjà eu un enfant naturel.
44Pendant les deux dernières décennies du siècle, la moyenne des dots augmente : 2 200 F pour les cadettes qui se marient coutumièrement, 3 000 F pour les autres. Ces chiffres sont à prendre avec précaution car le très faible nombre de mariages accentue les écarts : de 1 à 5 dans le premier cas, de 1 à 2 dans le second. Les variations des montants des dots des cadettes épousant des cadets nous montrent surtout l’intérêt croissant que la famille porte à ces unions. Les progrès des transports et l’alphabétisation favorisent le maintien de liens affectifs. Même avec une dot modeste et un contrat sous le régime dotal, on pense assurer la reproduction sociale de la famille, sinon celle de la maison.
45On ne laissait pas partir une fille sans lui assurer son confort, son apparence et son autonomie dans sa nouvelle maison. Ce sont les raisons mêmes de l’utilité et de l’existence d’un trousseau. Était-il proportionnel à la dot et surtout était-il différent selon les types d’unions ?
Dotalisses et trousseau
46Les dotalisses, autrement dit ce qui accompagne la dot, est le terme utilisé par les notaires sous l’Ancien Régime et pendant une partie du xixe siècle pour désigner les vêtements, les meubles et les instruments à usage domestique qui vont accompagner le futur conjoint [27]. Seules les filles bénéficient de dotalisses ou plus tard d’un trousseau. Il est constitué par les parents à part égale ou selon « leurs forces », c’est-à-dire proportionnellement à la dot reçue à la génération précédente [28]. Après la promulgation du Code civil, le trousseau est toujours présent de noces et n’est pas soumis au rapport au moment de la succession. Les dots vont beaucoup augmenter par rapport à l’Ancien Régime, mais pas les trousseaux dont la valeur reste estimée entre 100 et 500 F. Vers 1830, sous la pression de la nécessité, le montant du trousseau va être progressivement inclus dans le calcul de l’avancement d’hoirie. Publique, sa remise était prétexte à une fête de la jeunesse et à une comptabilisation par les voisines des pièces qu’il contenait : linge de maison (autrement dit les draps, la nappe et ses serviettes, les essuie-mains), linge de corps (chemises et bonnets), vêtements, bas, souliers, coiffures, bougie au poids (de 1 à 3 kg) pour le tracin (cire funéraire faite d’un rat-de-cave façonné), le tout conservé dans une armoire confectionnée pour l’occasion et dont le format, les essences utilisées pour sa fabrication par le menuisier local, et le prix de la façon (de 20 à 60 F) étaient scrupuleusement portés par le clerc. Il ne faut pas oublier en outre « le mobilier », soit la garniture du lit, du matelas aux rideaux qui isolaient ses occupants. Tout n’était pas fabriqué à la maison à partir de la laine des brebis, du lin et du chanvre des champs. Il fallait acheter les bas, les souliers, le tracin, payer la façon de l’armoire, le tisserand et la couturière.
47Nous avons peu de mentions du trousseau, 31 pour les mariages coutumiers. La valeur déclarée s’échelonne de 150 à 800 F, ce dernier montant s’appliquant au trousseau de la fille unique du propriétaire foncier le plus important de la commune. On peut donner deux raisons à cette absence de mentions. D’abord, les familles aisées qui mariaient leurs filles à l’extérieur faisaient rarement le décompte de ce qui pourrait leur revenir en cas de décès de la fille sans enfants ou du conjoint, car les sommes engagées étaient relativement faibles en comparaison de la constitution dotale. Ensuite, il fallait tenir compte de la gêne de certaines familles qui ne pouvaient réunir un trousseau apte à soutenir la comparaison avec ceux des familles plus aisées.
48Cependant, il n’y a aucun trousseau en dessous de 140 F. Se trouve ainsi confirmée la similitude de traitement entre les cadettes qui restent au village et celles qui partent dans les communes des alentours.
49Prenons l’exemple du trousseau constitué par Vincent Laspalles-Pit., de maison moyenne, lors du mariage de sa fille Geneviève avec Pierre Colomès-Bou., d’Arrodets, le 23 octobre 1826. Après avoir promis une dot de 1 300 F, le père donne « un ameublement [sic] suivant consistant : 1) en un lit, une paillasse, boulassère [29], un traversin, couverture de laine et banne et garni quatre faces de cadis de Montréjeau, 2) en dix draps de lit d’étoupe et deux en toile de lin, en dix chemises de nuit, en dix coiffes de toile de lin et deux de toile achetée, en dix serviettes, en trois essuie-mains, en dix mouchoirs neufs, en une nappe de terlis d’environ quatre mètres ou douze pams [sic], 3) en dix habits complets dont un en veuvette de laine, un autre en percale noire, un autre de cotonade [sic] bleue fait à la maison, un autre en burat noir, un autre d’indienne, un autre en burat rayé de rouge, un autre en burat vert et un autre de la couleur que la future le désirera, en cinq tabliers ou devantières dont un en mousseline rouge, un autre en veuvette de coton, un autre d’indienne jaune, un autre d’indienne que ce soit, deux capules longues dont une en cadis bleu et l’autre de cadis gris, en cinq capulets courts dont un en londrin noir, un autre de londrin couleur de feu et les trois autres de cadis, en quatre paires de bas, en deux paires de souliers, en deux kilogrammes de bougie pour un trassin [sic] et enfin une armoire à double corps et deux tiroirs au milieu de valeur de quarante francs, les dites dotalisses évaluées à la somme de 200 F ».
50Un demi siècle plus tard, lors de son mariage avec Michel Morilhon, héritier vivant à Lomné, Jeanne Marie Lavit-Yan., dont la dot était de 4 000 F, se voit gratifiée d’un trousseau de 200 F ainsi décrit : « Un lit composé d’une paillasse, d’une coete de balle, d’un matelas en laine, d’un traversin, d’une couverture en laine, d’une autre en cotonnade pareille aux rideaux, de rideaux et sarnet [30] en cotonnade rouge et blanc, quinze draps de lit dont sept en lin et huit en étoupe, seize chemises de lin, douze mouchoirs de poche, douze serviettes et une nappe, douze essuie-mains en étoupe, trois robes en mérinos, trois jupons en laine, un capuchon en mérinos, deux capules longues, l’une en cadis, l’autre en reverse, deux paires de souliers, trois kilogrammes de bougie pour un trassin [sic] et 40 F pour une armoire. » Semblable dans sa composition, le trousseau est proportionnel au rang de la maison. Draps, serviettes, chemises sont plus nombreux et de meilleure qualité. Les trois habits ne doivent pas faire illusion par rapport au trousseau de Geneviève Laspalles : on reste toujours aussi sensible à l’apparence de la fiancée. Le choix du mérinos le prouve : c’est une étoffe de laine fine, résistante et chère.
51Pour les ménages cadet/cadette, il y a encore moins de mentions d’un trousseau – 9 en tout – et les montants sont plus faibles, de 60 F à 600 F, dont cinq ne dépassent pas 100 F. Signe de cet éloignement culturel, on ne mentionne plus ni armoire de nore (bru en gascon), ni tracin qui serait allumé lors des commémorations de deuils familiaux. Partant relativement loin, ces cadettes ne contribuent plus alors au prestige de la maison. À la même époque, un héritier de Laborde épousant une cadette d’Arrodets recevait de ses beaux-parents un trousseau de 140 F pour une dot de 700 F.
52C’est en avril 1863 que l’on trouve le seul exemple de la description du trousseau d’une cadette partant s’installer ailleurs. Les parents Duthu-Tu. « font don d’un trousseau et ameublement suivant : un lit composé d’une paillasse, d’une coete de balle, d’un traversin, d’une couverture de laine et de rideaux et sarnet en cotonnade, huit draps de lit dont deux en lin et six en étoupe, huit chemises moitié lin, moitié étoupe, une capule longue de cadis mélangé, une nappe, un mouchoir de cou de valeur de six francs et finalement une armoire de valeur de 25 francs plus les autres effets mobiliers dont les parties ne font pas mention, ont été évalués à la somme de 60 F et ce trousseau sera remis à la future épouse lors de la célébration du mariage ». La jeune femme épouse un cadet de la commune voisine, ce qui peut expliquer cette énumération qui respecte les règles de la composition, mais qui tait le fait que la jeune mariée ne sera pas habillée de neuf aux frais des parents pour l’occasion, souliers compris.
53Ce modèle pyrénéen se retrouve-t-il pour les mariages célébrés au loin ? Nous avons relevé les unions d’habitants des Baronnies, dont certains de Laborde, célébrés dans le XIXe arrondissement de Paris (Bonnain, 2007). Le lieu de célébration est toujours le futur lieu de résidence du nouveau couple plutôt que le domicile de l’épouse. L’âge des hommes au mariage est plus élevé car ils doivent avoir trouvé un emploi stable, un logement (en fait l’équivalent de la dot masculine pour ceux épousant une héritière) et rempli leurs obligations militaires, ce qui est plus tardif à Paris que dans la localité d’origine, en raison du retard occasionné par la migration (Weber, 2002). En revanche, les femmes se marient plus tôt car le mariage est pour elles le fondement du projet migratoire. La différence d’âge entre époux est la même dès lors qu’il faut, dans les Baronnies comme à Paris, amasser un petit pécule pour payer les frais de la noce et les photographies qui seront envoyées à la famille et assureront une portée sociale à la célébration. Le mariage concerne désormais la famille (même si elle ne peut y assister) et non la maison, puisque nous n’avons pu relever que trois contrats de mariage passés devant le notaire d’Asque, entre 1886 et 1889.
Conclusion
54Le contrat de mariage permet d’exprimer le souhait des familles en ce qui concerne le devenir de la maison, mais aussi d’assurer le sort des cadettes exclues de la succession en confirmant l’inégalité foncière de la société locale. Il permet également de lire, à niveau économique égal, la différence de traitement envers celles qui contribuent au statut de la maison en restant dans un même milieu culturel, et celles qui partent au loin. Plus généralement, l’observation du calcul des dots au sein d’une même fratrie montre que leur montant reste à la discrétion des familles car elle dépend à la fois de l’histoire familiale (âge et mariage de l’aîné, ordre de naissance des cadets), de l’histoire locale (voisinage, élections, histoire des autres familles) et de l’histoire régionale (retentissement des crises économiques). Au début du xixe siècle, le contrat de mariage ne se pratiquait plus que dans les familles aisées et moyennes, à la fin, alors que d’autres perspectives s’ouvrent aux Pyrénéens, il change de signification et devient la norme pour les mariages d’agriculteurs. Pour ces familles, il restera l’acte qui précèdera systématiquement la cérémonie du mariage des cadettes quittant la maison familiale et la commune. À la fin du xixe siècle, il prend également une autre signification : il montre que le souci de la préservation de l’entité familiale et des liens affectifs qui y ont été tissés prend le pas désormais sur les contraintes séculaires découlant de la nécessité de perpétuer la maison.
Bibliographie
Références bibliographiques
- Bonnain, Rolande (1986a), « Le mariage dans les Pyrénées centrales 1769-1836 », 123-156, in Les Baronnies des Pyrénées, t. II, I. Chiva et J. Goy (dir.), Paris, Éd. de l’EHESS.
- Bonnain, Rolande (1986b), « Nuptialité, fécondité et pression démographique », 87-121, in Les Baronnies des Pyrénées, t. II, I. Chiva et J. Goy (dir.), Paris, Éd. de l’EHESS.
- Bonnain, Rolande (1986c), « Le trousseau dans les Baronnies entre 1769 et 1836 », 461-468, in Évolution et éclatement du monde rural, J. Goy et J.-P. Wallot (dir.), Paris, Éd. de l’EHESS.
- Bonnain, Rolande (2005a), “Household Mind and the Ecology in the Central Pyrénées in the xixth Century: Fathers and Sons and Collective Property”, History of the Family, 10, 249-270.
- Bonnain, Rolande (2005b), « Les Bigourdans à Paris en 1900 », 71-88, in Marchés, migrations et logiques familiales dans les espaces français, canadien et suisse xviiie-xxe siècle, L. Lorenzetti, A.-L. Head-König et J. Goy (éd.), Berne, Peter Lang.
- Bonnain, Rolande (2007), « Vivre à Paris en 1900 », 69-85, in Cultures et solidarités dans les Pyrénées centrales et occidentales, Fédération historique de Midi-Pyrénées, Société académique des Hautes-Pyrénées, Tarbes.
- Rosental, Paul-André (1990), « Maintien/rupture : un nouveau couple pour l’analyse des migrations », Annales ESC, 6, 1403-1432.
- Segalen, Martine, Ravis-Giordani, Georges (dir.) (1994), Les cadets, Paris, CNRS.
- Weber, Florence (2002), « Pour penser la parenté contemporaine. Maisonnée et parentèle, des outils de l’anthropologie », 73-106, in Les solidarités familiales en question, Danielle Debordeaux, Pierre Strobel (éd.), Paris, Librairie générale de Droit et de Jurisprudence.
Notes
-
[1]
Laborde, le village étudié, relève du droit écrit.
-
[2]
Le Code civil supprimait les diverses coutumes successorales et affirmait (avec nuances) l’égalité des héritiers.
-
[3]
C’est afin de ne pas nous disperser et de mieux cerner la personnalité sociale du notaire que nous avons choisi de ne faire appel qu’à un seul minutier, l’échantillon choisi étant connu du point de vue des catégories foncières et successorales.
-
[4]
Les contrats des deux enfants Toujan ne seront pas passés à l’étude paternelle.
-
[5]
Archives départementales de Hautes-Pyrénées (ADHP) : Me Bernard Duplan 3E 2946 à 2962 ; Me Jean-Pierre Toujan 3E 4611 à 4691 ; Me Oscar Toujan 3E 4684 à 4686. Certains actes concernant Laborde, et rédigés à Asque par Jean-Pierre Toujan à son étude avant qu’il ne reprenne l’étude de son beau-père, seront classés dans le fonds Duplan.
-
[6]
La proportion de Labordais ne passant pas chez Duplan est encore plus importante si on prend en compte : 1) les remariages dont la célébration se faisait dans une commune voisine pour éviter les charivaris de la jeunesse, 2) les premières unions où la fiancée était labordaise et dont les noces se célébraient dans la commune de résidence du futur.
-
[7]
Avec une exception, celle de la maison Mo. Cette maison établit tous ses enfants. Mais la dernière cadette épouse en 1832 un cadet tourneur sur bois, dont elle a eu un enfant en 1829. Si ses deux sœurs sont dotées, elle ne recevra rien et quittera le village avec le père de son enfant, devenu son mari.
-
[8]
Entre 1769 et 1799, on relève 19 unions de cadets avec des cadettes ; entre 1800 et 1836, elles sont 29.
-
[9]
Pour la période 1769-1836, le régime dotal était choisi à 80 % quand tous les mariages se faisaient avec un contrat. L’adoption de la société d’acquêts indiquerait une plus grande souplesse des parents vis-à-vis de la norme matrimoniale coutumière et un plus grand souci vis-à-vis de la différence des apports.
-
[10]
On peut se demander si l’apparition de cette clause ne provient pas du changement de praticien.
-
[11]
Ceci pour éviter les conséquences de l’application des articles 757-758 qui mettent l’enfant naturel en concurrence avec les ascendants, les frères et les sœurs de la mère.
-
[12]
Pour des raisons de discrétion, nous ne donnerons que les premières lettres des noms de maisons.
-
[13]
La quotité disponible est la part dont peut librement disposer le testataire et son montant varie selon le nombre d’enfants.
-
[14]
La première clause d’incompatibilité date de 1828 à l’étude Duplan.
-
[15]
L’héritier avait alors à sa charge les aménagements nécessaires pour assurer cette cohabitation.
-
[16]
Dans une étude antérieure (Bonnain, 2005a), nous avions donné le nombre et le pourcentage d’enfants de Laborde survivants (après 20 ans) de 1800 à 1896 (d’après l’état civil) :Départs Mariés Célibataires Garçons 322 (56,4 %) 177 (31,0 %) 72 (12,6 %) Filles 262 (52,5 %) 189 (37,9 %) 48 (9,6 %)
-
[17]
Contrat du 31/3/1891.
-
[18]
Contrat du 4/9/1886.
-
[19]
La célébration des noces dans la commune de résidence peut se lire comme une dissociation entre la négociation des conditions de l’alliance, qui se fait dans la commune de la cadette, et ce qui se passe donc socialement sous la responsabilité du chef de maison, mais aussi comme un rite d’intégration de la nouvelle résidente (Bonnain, 1986b).
-
[20]
Nous réalisons ce comptage à partir des données de l’état civil et des dénombrements conservés aux archives départementales.
-
[21]
Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’en ont pas fait, mais qu’ils ne sont pas venus à notre connaissance.
-
[22]
Dans le cas où la mère est elle-même enfant naturelle, l’aide matérielle de la fille s’avère indispensable quand la mère isolée avance en âge.
-
[23]
Ce qui indique les difficultés auxquelles sont confrontées les familles pour payer les dots.
-
[24]
Alexandre, son frère qui se marie l’année suivante, ne recevra que 5 000 F de dot lors de son mariage avec Victoire Cazalas de Bulan.
-
[25]
Pierre, l’héritier, se marie en 1853 avec une cadette de Lomné dont la dot n’a été que de 4 000 F.
-
[26]
L’étude Duplan ne rédige pas de contrat de mariage entre un cadet et une cadette avant 1851.
-
[27]
Ainsi, quand le régime matrimonial choisi était celui de la communauté légale, le trousseau n’était pas énuméré.
-
[28]
Une étude approfondie du trousseau, de sa composition, de sa provenance, de sa fonction sociale et de sa symbolique, a été réalisée pour les Baronnies in (Bonnain, 1986c).
-
[29]
Boulassère : matelas.
-
[30]
Sarnet : ce terme ne se rencontre pas dans les dictionnaires d’occitan mais, de toute évidence, il désigne le ciel de lit.