Couverture de ADH_114

Article de revue

L'ascension sociale des jeunes filles de l'assistance publique (1880-1940)

Pages 127 à 141

Notes

  • [1]
    Archives de la Ville de Paris (AVP), EA 3645, dossier de Germaine Pommel, née le 4 septembre 1884, admise le 22 décembre 1885 (à l’âge d’un an), abandonnée, agence d’Abbeville. La phrase date de 1906.
  • [2]
    Sur le contrôle des filles dans les milieux bourgeois, voir (Grasser, 2002) et (Rogers, 2002) ; sur le contrôle des filles dans les milieux populaires, voir (Thiercé, 1996) ; sur la surveillance des femmes par les femmes, voir (Fine, 1988, 438 et sq.).
  • [3]
    Selon l’expression de M. Jeorger (1987).
  • [4]
    AVP, EA 3130, dossier de Pauline Mers, née le 4 février 1865, admise le 18 octobre 1873 (à l’âge de huit ans), orpheline, agence d’Abbeville.
  • [5]
    Direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé (DASES) de la mairie de Paris, dossier de Pascale Maty, née le 1er octobre 1922, admise le 24 février 1929 (à l’âge de six ans), moralement abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [6]
    DASES, dossier de Paulette Guillaume, née le 28 août 1922, admise le 14 août 1923 (à l’âge d’un an), abandonnée, agence de Romorantin.
  • [7]
    DASES, dossier de Bernadette Artillay, née le 21 juin 1922, admise le 9 août 1928 (à l’âge de six ans), en garde, agence d’Abbeville.
  • [8]
    DASES, pièces relatives à Jeanne Legrand, trouvées dans le dossier de son frère Germain Legrand, né le 5 juillet 1902, admis le 20 septembre 1903 (à l’âge d’un an), agence de Doullens.
  • [9]
    AVP, D1X4 50, agence de Romorantin, inspection de M. Lozès (juillet 1900), exercice 1899.
  • [10]
    DASES, dossier de Liliane Wencis, née le 25 avril 1907, admise le 14 décembre 1907 (à l’âge de sept mois), abandonnée, agence de Romorantin.
  • [11]
    AVP, D1X4 54, agence d’Abbeville, inspection de M. Jalabert (juillet 1903), exercice 1902.
  • [12]
    DASES, dossier de Floriane Gauthier, née le 5 janvier 1903, admise le 14 août 1913 (à l’âge de dix ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [13]
    DASES, non coté, rapport de L. Mourier sur le service des enfants assistés, 1932.
  • [14]
    DASES, dossier de Berthe Castaneda, née le 4 septembre 1882, admise le 21 juin 1890 (à l’âge de sept ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [15]
    DASES, dossier de Mireille Sanda, née le 2 mars 1884, abandonnée, agence de Romorantin.
  • [16]
    DASES, dossier de Viviane Rœuf, née le 12 août 1905, admise le 21 avril 1913 (à l’âge de sept ans), en dépôt, agence d’Abbeville.
  • [17]
    DASES, dossier de Micheline Clayes, née le 17 juillet 1902, admise le 21 décembre 1905 (à l’âge de trois ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [18]
    DASES, dossier d’Ève Rutabeuf, née le 21 septembre 1902, admise le 4 octobre 1902 (à l’âge de deux semaines), agence de Doullens.
  • [19]
    DASES, dossier de Nadia Lubeck, née le 19 juillet 1902, admise le 7 juillet 1905 (à l’âge de trois ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [20]
    DASES, dossier de Marianne Rist, née le 7 mars 1920, admise le 22 juillet 1930 (à l’âge de dix ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [21]
    DASES, dossier de Julienne Forel, née le 21 juillet 1922, admise le 24 juillet 1922 (à l’âge de trois jours), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [22]
    Le mariage, soumis à l’appréciation du directeur d’agence ou de l’inspecteur départemental, est avalisé par le conseil de famille. « L’autorisation du conseil de famille est indispensable ; et ce n’est pas un simple avis que donne le conseil au tuteur ; c’est un consentement ou un refus qui sera définitif. » (J. Samaran, Les pupilles de l’Assistance publique et leur condition légale, thèse de doctorat de droit, Paris, Giard et Brière, 1907, p. 229).
  • [23]
    DASES, dossier de Julie Aubertin, née le 19 mars 1902, admise le 21 août 1912 (à l’âge de dix ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [24]
    DASES, dossier de Corinne Souzac, née le 8 juillet 1922, admise le 10 août 1922 (à l’âge d’un mois), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [25]
    AVP, EA 3500, dossier d’Aimée Charquet, née le 21 décembre 1882, admise le 3 janvier 1883 (à l’âge de deux semaines), abandonnée, agence de Romorantin.
  • [26]
    DASES, dossier de Michelle Koutchy, née le 24 juin 1922, admise le 4 avril 1930 (à l’âge de sept ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [27]
    L’Assistance publique, qui récompense financièrement les futurs mariés, dote indifféremment les deux sexes. En 1920, l’Assistance publique de la Seine attribue un total de 2 500 dots de cent à cinq cents francs. Le montant des dots varie sensiblement d’un pupille à l’autre : la stabilité, la bonne conduite pendant la minorité, la propension au travail et à l’épargne, la profession du conjoint, la moralité du nouveau ménage influent sur les décisions de l’administration.
  • [28]
    DASES, dossier de Dominique Sompart, née le 27 juillet 1902, admise le 10 août 1902 (à l’âge de deux semaines), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [29]
    DASES, dossier de Pascale Maty, née le 1er octobre 1922, admise le 24 février 1929 (à l’âge de six ans), moralement abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [30]
    La loi du 3 janvier 1979 sur les archives impose à la consultation des délais spéciaux. Il faut compter 60 ans pour les documents qui touchent à la vie privée des citoyens, 100 ans pour l’état civil, 120 ans à compter de la date de naissance de l’intéressé pour les dossiers personnels, 150 ans à compter de la date de naissance de l’intéressé pour les documents contenant des informations médicales. En 1996, le Conseil d’État a statué que « les dossiers des pupilles sont librement communicables au terme d’un délai de 60 ans à compter de la clôture du dossier ». Une dérogation est donc nécessaire pour les dossiers de moins de 60 ans. Le Conseil d’État a aussi édicté un certain nombre d’exceptions. Les informations d’ordre médical ne sont librement consultables qu’après un délai de 150 ans ; les documents relatifs à des affaires portées devant des juridictions et les actes de naissance ou de mariage contenus dans les dossiers ne sont librement consultables qu’après un délai de 100 ans. Enfin, le secret des origines sera « imprescriptible » quand celui-ci aura été demandé de manière expresse par l’un des parents. En principe, notre recherche (qui s’achève à la veille de la seconde guerre mondiale, juste avant les soixante ans requis par le Conseil d’État) ne nécessite aucune dérogation. Les dossiers contenant des pièces médicales et judiciaires, il a été jugé plus prudent d’en demander une pour chaque fonds. Toutes ont reçu un avis favorable.
  • [31]
    Les principales catégories administratives sont les suivantes : trouvé (T), abandonné (A), orphelin (O), moralement abandonné (MA), en dépôt (D), temporairement recueilli (TR) et en garde victime de délits (GV).

1Au début du xxe siècle, le directeur de l’agence de placement d’Abbeville (Somme) accorde une dot de 500 francs à une « jeune fille très bien élevée » à la conduite « parfaite » [1]. Comme la famille et de nombreuses autres institutions sous la Troisième République, l’Assistance publique contribue à forger une identité féminine. Mais, pour ce qui touche à la moralisation des filles, les conceptions de la bourgeoisie et de la paysannerie et celles de l’Assistance publique sont si convergentes qu’il est difficile de trouver une quelconque spécificité à l’action de celle-ci. Dans les agences de placement comme dans les familles, à l’école primaire comme au catéchisme, les filles reçoivent une éducation qui les prépare à leur futur rôle d’épouses et de mères. La politique de l’Assistance publique s’inscrit dans ce contexte en répondant à une demande sociale qui croit aux vertus de la moralisation, surtout lorsqu’elle est destinée à des adolescentes sans parents [2].

2L’administration attribue à ses pupilles des identités bien arrêtées. Les jeunes filles de l’Assistance publique, pénalisées non seulement par leur sexe, mais aussi par leur origine familiale, seraient-elles doublement des « enfants objets » [3] ? Pourtant, l’étude des dossiers montre qu’à partir du début du xxe siècle, les jeunes filles acceptent de moins en moins la condition qui leur est faite. Accèdent-elles alors aux métiers qui se sont féminisés depuis la fin du xixe siècle ? Leur trajectoire y gagne-t-elle ? En prêtant attention à la parole des enfants assistées, on peut déterminer les stratégies par lesquelles elles tentent de résister à l’ordre des choses. Dans cet article, nous voudrions insister tout autant sur les contraintes subies par ces jeunes filles que sur leur capacité à s’en détacher, voire à s’en libérer.

La moralisation des filles

3La durée de la tutelle diffère selon le sexe : les filles sont soumises plus longtemps à la pédagogie de l’Assistance publique. Des années 1880 au lendemain de la première guerre mondiale, le séjour moyen des filles dépasse de plus de deux ans celui des garçons. Au sein de certaines catégories – les abandonnés et les moralement abandonnés – les filles restent deux à trois ans de plus à l’Assistance publique que les garçons. Il est évident que ces constats reflètent en partie l’attitude des familles, qui se séparent plus facilement des filles. Les filles sont abandonnées plus tôt que leurs frères et moins facilement reprises par leurs parents. Cependant, l’Assistance publique ne reçoit et ne restitue pas passivement les enfants qu’on lui adresse. Profitant du fait que les filles abandonnées et moralement abandonnées restent dans le service plus longtemps que les garçons, l’administration leur applique plus efficacement son projet socio-éducatif.

4Les récompenses accordées par l’Assistance publique servent à moraliser. Certaines fondations, en effet, sont réservées en propre aux jeunes filles. C’est le cas de la fondation Batton (qui finance des dots de 500 francs pour huit filles méritantes), Lagrange (qui offre des rentes de mille francs au profit d’orphelines, utilisables seulement à l’âge de cinquante ans) ou Bartsch (qui approvisionne des livrets de caisse d’épargne pour les jeunes filles sortant de l’hospice à l’âge de vingt et un ans). Avec des fondations attitrées, les filles sont donc privilégiées. Mais même les fondations généralistes, destinées à l’ensemble des enfants assistés sans précision de sexe ni de catégorie, reproduisent une différenciation sexuelle.

Tab. 1

Répartition des récompenses généralistes selon le sexe des bénéficiaires

Tab. 1
Beaumarchais Foucher Morin Verdot Autres Total Pupilles récompensés (%) Tous pupilles (%) Filles 3 4 2 2 11 22 73 51 Garçons 1 2 3 2 8 27 49 Total 4 6 5 2 13 30 100 100 Source : DASES, dossiers des pupilles des agences d’Abbeville et de Romorantin nés en 1882, 1902 et 1922.

Répartition des récompenses généralistes selon le sexe des bénéficiaires

Tab. 2

Proportion des pupilles récompensés selon leur sexe

Tab. 2
Pupilles récompensés (%) Pupilles non récompensés (%) Total 22 89 111Filles 20 80 100 8 98 106Garçons 8 92 100 30 187 217Total 14 86 100 Source : DASES, dossiers des pupilles des agences d’Abbeville et de Romorantin nés en 1882, 1902 et 1922.

Proportion des pupilles récompensés selon leur sexe

5Les chiffres sont éloquents : près des trois quarts des récompenses (73 %) ont été accordées à des filles, alors qu’elles ne représentent que la moitié des effectifs (51 %). Une fille sur cinq est récompensée (20 %), mais seul un garçon sur douze est jugé digne de cette faveur (8 %). Si les directeurs distinguent surtout les filles, c’est peut-être qu’elles se comportent mieux que les garçons, manifestant une docilité plus grande à l’égard des interdits. Mais c’est surtout que la surveillance de l’administration s’exerce d’abord sur elles.

6Outre la parure, la sexualité des mineures est étroitement contrôlée. En juin 1880, le directeur Darragon écrit au directeur général pour lui demander l’internement d’une orpheline de quinze ans. Malgré les menaces et les avertissements que le directeur général lui adresse par écrit, elle « continue son libertinage effréné » [4]. En 1938, une pupille de seize ans correspond avec deux garçons, donne des rendez-vous à Abbeville, va au bal la nuit à Huppy lorsqu’elle rend visite à ses parents nourriciers. Vivement réprimandée par le directeur, elle « promet, pleurant beaucoup, de revenir à meilleure conduite » [5]. Incontrôlable et dangereuse, l’activité sexuelle des adolescentes est progressivement annexée par la médecine et la psychiatrie. D’avril 1936 à décembre 1937, le directeur observe avec effroi qu’une pupille de quatorze ans recherche la compagnie des garçons. Après examen, le médecin du service déclare qu’il n’y a pas de grossesse, mais que « cette fillette est atteinte d’excitation génésique dont elle avoue ne pouvoir se défendre et qui pourra être un obstacle à son placement. La question de l’opération de l’ablation du clitoris est à envisager » [6]. L’Assistance publique a donc un seuil de tolérance très bas à l’égard des incartades féminines, traitant au besoin avec tout un réseau d’institutions para-carcérales comme les refuges et les Bons Pasteurs.

7La surveillance et la méfiance dont on entoure les jeunes filles sont telles que celles-ci doivent sans cesse se justifier de leur conduite. En 1942, une pupille de vingt ans écrit au directeur pour lui donner l’adresse du jeune cultivateur qu’elle fréquente à Béhen ; elle n’oublie pas de préciser qu’ « il est très sérieux » [7]. En 1917, le directeur intercepte une lettre adressée à un pupille de la part d’un jeune homme de vingt-cinq ans. Le correspondant, qui signe « ton vieil ami », lui offre une bague faite exprès pour lui et salue au passage sa sœur à qui il projette de prêter un livre. Le directeur fait immédiatement reproche de cette relation à la jeune fille qui lui répond : il s’agit d’un « avocat de talent », originaire de Toulouse et déjà fiancé, qu’elle et son frère ont rencontré pendant les vacances du Nouvel An 1916, car « il logeait à la maison ». Leurs relations ont toujours été sérieuses, et pour cette raison : « Il est vraiment triste que dans le monde on doute toujours de la pureté des intentions d’autrui. Dès qu’une jeune fille a des relations avec un jeune homme, aussitôt on la soupçonne. […] Non seulement je n’ai pas de parents, de famille, mais je n’ai pas le droit d’avoir d’amis et je vous assure que cela me crève le cœur. » Elle assure qu’elle obéira au directeur malgré tout [8].

8L’administration considère-t-elle que certaines tâches sont spécifiquement réservées aux filles ? Les directeurs respectent la sphère de représentations et d’actions qui, dans les campagnes, appartiennent en propre au monde féminin. L’école professionnelle et ménagère d’Yzeure, en activité de 1884 à 1918, enseigne aux filles la couture, la confection et la tapisserie. Mais les filles ne sont cantonnées aux travaux d’aiguille et à la domesticité que lorsqu’elles sont incapables de travailler aux champs. En 1899, sur 219 filles en âge d’être gagées dans l’agence de Romorantin, seules trente servent en maison bourgeoise (14 %) et quatre sont couturières (2 %), les autres étant placées dans l’agriculture [9]. En janvier 1921, une pupille de quatorze ans est placée en apprentissage comme couturière parce qu’elle souffre d’engelures et de crevasses tous les hivers, ce qui la rend impropre aux travaux des champs. L’année suivante, elle devient jeune fille au pair. Sa patronne confirme au directeur que ses tâches consisteront à tenir la maison et à soigner le jardin : « Elle me plaît, je la connais pour la voir journellement. J’en ferai certainement une femme d’intérieur et de maison tenue [10]. »

9En imposant aux filles de travailler aux champs avec les hommes, l’Assistance publique se plie à la mixité communément pratiquée dans les campagnes. Cette attitude n’est pas sans inconvénients. En 1903, l’inspecteur déplore le nombre élevé de filles-mères dans l’agence d’Abbeville et, pour mieux désunir les sexes, prescrit que les filles travaillent seulement à l’intérieur de la maison [11]. Aux champs et à la ferme, l’Assistance publique cherche si peu à distinguer les sexes que certains observateurs n’hésitent pas à rappeler au directeur que les travaux particulièrement pénibles doivent être épargnés aux femmes. Vers 1922, le directeur de l’agence d’Abbeville reçoit une lettre anonyme qui dénonce le sort fait à une pupille gagée chez une veuve de Bussus. Dans sa lettre, ce témoin fait fermement la leçon au directeur : « Vous l’avez placée pour travailler selon sa force, vous ne l’avez pas placée pour la crever à faire des travaux qui ne sont pas dignes d’être faits par une femme, tel que relier derrière la batteuse, ensuite monter les sacs au grenier, lorsque l’on fait la livraison de ces grains au marchand, redescendre ce grain et le charger en voiture, lui faire charrier sur une brouette de gros troncs d’arbres très lourds, ceci n’est pas permis. » La pupille n’est pas déplacée mais son contrat n’est pas renouvelé l’année suivante [12].

10Cette dénonciation indignée infirme l’idée d’Yvonne Verdier selon laquelle « une femme peut “tout faire” sans que son sexe soit remis en question » (Verdier, 1979, 340) et montre que l’administration a une attitude ambiguë à l’égard du travail des filles. Si elles sont en bonne santé, elles travaillent aux champs comme les hommes ; sinon, elles font de la couture comme les femmes. Progressivement, cette orientation est remise en cause par les intéressées.

Le refus de la terre et la dénonciation des abus

11Pour les pupilles de l’État, la règle du travail agricole est intangible. Sous la IIIe République, 75 à 90 % d’une classe d’âge travaille dans l’agriculture. Au début des années 1930, 23 % des élèves gagés travaillent hors de l’agriculture, mais le directeur de l’Assistance publique à Paris martèle encore les termes de la loi de 1904 : « L’apprentissage agricole est la règle générale pour les pupilles [13]. » Or la valeur symbolique attachée à la terre, les espérances des jeunes gens et les possibilités objectives d’ascension sociale sont sujettes à variation ; un antagonisme croissant sépare les aspirations des pupilles et leur orientation professionnelle. À partir du xxe siècle, on observe, chez les jeunes filles élevées sous la tutelle de l’Assistance publique, une multiplication des plaintes et des revendications. Celles-ci, couchées sur du papier et donc accessibles à l’historien, sont adressées au directeur de l’agence de placement, qui exerce localement les fonctions du tuteur légal.

12Avant la première guerre mondiale, les pupilles qui regimbent sont assez rares. Les garçons deviennent sagement vachers et valets de ferme. Autour de 1900, seules quelques filles expriment timidement le souhait d’abandonner le travail de la terre pour servir en maison bourgeoise. En 1897, une pupille em-ployée dans les fermes depuis deux ans se place toute seule chez un restaurateur près de Huppy (Somme). Le directeur récuse son initiative et la replace d’office chez un gros agriculteur de Liercourt. En 1901, âgée de dix-huit ans, la jeune fille manifeste à nouveau son désir de quitter les fermes : « Cette fois c’est fini, je me suis mise à mes huit jours. […] Sans me vanter je suis capable de remplir une très bonne place en ville [14]. » En juin 1903, une pupille de l’agence de Cosne (Nièvre) est envoyée dans l’agence de Saint-Aignan (Loir-et-Cher). Elle s’élève contre ce transfert et demande à être placée dans la ville de Romorantin : à Saint-Aignan « je suis à peu près sûre d’être placée en campagne, je ne pourrais malgré toute ma bonne volonté y rester » [15]. Ces réticences, de la part de quelques pupilles plus décidées que les autres, suggèrent que les filles sont moins attachées aux métiers de la terre et qu’elles rêvent de gagner le bourg afin de s’y placer comme bonnes. Au début du xxe siècle, la vie que les jeunes filles mènent à la campagne leur devient « de moins en moins supportable. Psychologiquement prêtes à partir, elles vont, en plus grand nombre, se rendre à la ville où des emplois leur sont offerts : lingères, couturières et surtout domestiques dans les familles bourgeoises » (Désert, 1976, 372).

13Après la première guerre mondiale, les mutations socio-économiques accentuent chez les jeunes filles le refus de la terre. Dans les années 1930, la crise de surproduction, la régression du revenu agricole et la poursuite de l’exode rural « aggravent la dévalorisation du travail agricole » (Scot, 1988, 83 et 87). L’ouverture scolaire et sociale, l’attrait de la ville et de l’industrie, où les emplois sont plus rémunérateurs, sapent les vocations. Les filles sont de plus en plus rebutées par le travail des champs. En septembre 1923, une pupille plaide sa cause auprès du directeur : « J’ai dix-huit ans, je suis en âge de me faire une position meilleure que celle d’ouvrière agricole [16]. » En 1921, une patronne se plaint de sa fille de ferme âgée de dix-neuf ans : insupportable et malhonnête, elle n’a pas peur des sanctions car « elle ne veut pas rester à la campagne. […] Elle ne sait même pas tenir une bêche ». Souscrivant à ce constat d’échec, le directeur d’agence s’empresse d’appuyer son projet de mariage avec un peintre en bâtiment : la pupille « a un goût si immodéré de la parure et une aversion si insurmontable pour les champs, et même pour tout travail, qu’il y aurait lieu d’envisager qu’avec le temps de sa majorité viendrait celui des pires déchéances si l’union projetée ne s’offrait comme un sauvetage possible » [17].

14De manière générale, la dénonciation des abus patronaux se fait plus circonstanciée. Les pupilles travaillant et logeant au même endroit, il n’est pas toujours possible de distinguer les doléances ayant trait aux conditions de vie et celles mettant en cause la charge de travail. En outre, pour qu’une pupille prenne la peine d’écrire au directeur, il faut que la coupe soit pleine : ceci explique que les lettres mêlent toutes sortes de réclamations. Violence et surmenage sont dénoncés comme constituant un même et unique abus. À l’automne 1920, Ève Rutabeuf, gagée à Sombrin (Pas-de-Calais) depuis cinq ans, adresse au directeur d’agence une série de lettres où elle dénonce avec véhémence la vie qui lui est faite. Dans la première, elle explique pourquoi elle ne se plaît plus à Sombrin : « Premièrement, on méprise toujours les gens par derrière et on les flatte par devant. Deuxièmement, on se lève à quatre heures et demi, cinq heures du matin, on se couche à dix heures et demi du soir. Troisièmement, je suis [au travail] le dimanche comme le samedi, jamais une minute, toujours [je dois] traire les vaches toute seule, les [autres] partent se promener. Quatrièmement, toujours [on] crie après les gens, cependant je travaille de bon cœur, ça ne [me] fait rien du moment que les patrons sont contents. »

15Dans sa deuxième lettre, Ève Rutabeuf reformule ses arguments. Elle désire quitter ses patrons car « premièrement, [elle] ne gagne pas assez ; deuxièmement, [elle n’a] jamais le temps de recoudre ses effets ; troisièmement, le patron [n’est] jamais content, pas travailler assez à son idée [sic] ; quatrièmement, le dimanche [elle n’a] jamais une minute, parler aux gens comme au chien [sic] ». Dans une troisième lettre, la jeune fille exige « la réponse définitive » du directeur, car elle se fait « un sang noir de s’entendre toujours mépriser comme ça. […] Tous les patrons veulent avoir des ouvriers pour rien, c’est bien malheureux quand l’on n’a pas de parents et que l’on se trouve au milieu des étrangers. Je couche dans une chambre sans carreaux, l’on se moque de moi tout à fait, quand vous êtes à la maison l’on fait semblant de dire “Ève ceci, [Ève] cela”, je ne suis pas difficile mais enfin l’on abuse de moi [18]. »

16Cette série de lettres est riche d’enseignements. D’abord, au milieu de ses tourments et comme un surcroît de malheur, la jeune fille évoque son isolement familial : la domestique de l’Assistance publique est manifestement traitée plus mal que les autres, puisqu’elle doit traire toute seule lorsque les autres partent se promener. La rapacité des patrons semble décuplée par le fait qu’elle « n’a pas de parents ». Son mécontentement, ensuite, provient d’une accumulation d’abus : l’excès de travail, l’insuffisance des gages, l’insatisfaction permanente des maîtres et leur dureté de langage se combinent pour rendre insupportable le séjour à Sombrin. Ce qui semble porter la jeune fille au désespoir, c’est moins la peine physique que l’humiliation. Dans ses lettres, la thématique de l’avilissement et de la vexation est en effet omniprésente. Si le patron de Sombrin est si mauvais, c’est qu’il fait vivre sa domestique dans une atmosphère de cris, de dureté et de médisance ; c’est surtout qu’il est injuste avec elle.

17Tous ces témoignages manifestent une désapprobation, qui est indissociablement dégoût pour le métier de la terre et refus d’une servitude humiliante. On peut se demander si cette désapprobation est associée à l’espoir d’une jeunesse meilleure et d’un avenir plus sûr. La révolte de ces jeunes filles est-elle nourrie par un modèle positif de promotion sociale ?

Apprendre un métier

18Au lendemain de la première guerre mondiale, les perspectives d’avenir s’améliorent pour les enfants de familles populaires et notamment pour les filles. Les postes et télécommunications, l’enseignement et les emplois de bureau dans le secteur privé comptent parmi les seules filières de promotion sociale accessibles aux femmes. La « société médicalisée », fondée sur l’hygiène moderne, la démocratisation des assurances sociales et la réorganisation des hôpitaux et des maternités, assure également de nombreux emplois aux femmes diplômées (Thébaud, 1986, 27 et sq. et 59 et sq.).

19Au rebours de cette évolution, l’Assistance publique destine indistinctement ses pupilles à la domesticité agricole et au petit artisanat rural. Ce n’est qu’au cours des années 1930, avec quinze ans de retard par rapport aux jeunes filles de famille, que les pupilles diplômées de l’Assistance publique peuvent accéder aux filières hospitalières. En 1940, une jeune fille de dix-huit ans cherche à travailler comme aide-infirmière dans un hôpital de la région parisienne [19]. L’Assistance publique de la Seine, qui est elle-même une des pièces maîtresses de ce dispositif médico-social, consent à diriger les plus douées de ses pupilles vers les carrières hospitalières. En 1932, à la pouponnière Paul-Manchon d’Antony, elle ouvre un cours préparatoire au concours d’entrée à l’école d’infirmières de la Salpêtrière (Recueillir, accueillir, 2000, 74). Seules les pupilles les plus brillantes y sont admises. En 1933, après avoir été reçue au certificat d’études avec la mention Bien, une pupille entre à l’école primaire supérieure d’Abbeville. Après quelques années, elle fait savoir à l’administration qu’elle « serait heureuse d’entrer à l’école préparatoire d’Antony. La carrière d’infirmière l’attire ». En octobre 1938, la jeune fille est acceptée comme aide-infirmière au préventorium pour enfants de Friville-Escarbotin. Malgré les réticences de la directrice du préventorium, qui estime que la pupille « est tout à fait novice aussi bien pour le ménage que pour les soins aux enfants », elle est admise un an plus tard à l’école préparatoire d’Antony [20].

20L’admission à l’école d’Antony reste pourtant malaisée et, même à la veille de la seconde guerre mondiale, les directeurs d’agence réservent aux candidates un accueil pour le moins mitigé. En 1936, bien que reçue au certificat d’études avec la mention Bien, une jeune fille de l’agence d’Abbeville est gagée comme fille de ferme chez ses nourriciers. En 1940, à la faveur de la débâcle, elle se place dans l’Orne comme bonne de maison bourgeoise. Ce n’est qu’en 1943, à l’approche de la majorité, qu’elle envisage de changer de voie et d’embrasser la carrière d’infirmière. Le directeur de l’agence de Bellême, dont elle dépend désormais, essaie de la dissuader au motif que son instruction est insuffisante. La pupille se tourne alors vers l’inspecteur général : le directeur de l’agence « est au courant de mes idées, dès mon jeune âge je désirais devenir infirmière. Je croyais toujours cela impossible étant une pupille de l’Assistance. Mais voici quelque temps une infirmière me dit que je ne dois pas désespérer et en parler à mon directeur. Je sais que bientôt je suis majeure et seule pour me guider dans la vie. J’aurais voulu avant ma majorité avoir un autre genre de vie que de travailler continuellement en maison bourgeoise et je n’attends pour ce changement de vie que l’aide des personnes qui se sont occupées de moi depuis mon jeune âge. »

21L’inspecteur s’intéresse à la jeune fille et note dans la marge de la lettre que l’école d’Antony « aurait encore une place ». Le directeur d’agence, sollicité par sa hiérarchie parisienne, exprime ses doutes : elle voudrait « apprendre le métier d’infirmière. […] Jamais jusqu’à ce jour cette jeune fille ne m’avait manifesté pareil désir et j’étais loin de supposer semblables intentions. Des quelques renseignements qui lui ont été donnés, elle se figurait qu’il n’y avait qu’à parler pour entrer à l’école préparatoire d’Antony ». Le directeur a donc répondu à sa pupille que sa demande ne pouvait accéder « en raison du niveau de son instruction générale » et parce qu’elle s’était « présentée trop tard ». Certes, elle pourrait passer directement le concours d’entrée de la Salpêtrière, mais « elle ne pourrait le faire qu’au prix d’un gros travail que ses loisirs ne lui permettent pas ». Pour l’heure, il serait préférable qu’elle entre dans le personnel hospitalier en qualité d’agent temporaire, ce qui lui permettrait de suivre les cours municipaux tout en gagnant sa vie. En février 1943, la jeune fille devient surveillante à l’établissement scolaire de Sées, situé en dehors de l’agence de Bellême. Enfin, quelques mois plus tard, elle entre dans les services hospitaliers de l’Assistance publique comme fille de salle [21].

22Grâce au certificat d’études, certaines pupilles nées au début des années 1920 (dont la carrière ne débute véritablement qu’après la seconde guerre mondiale) échappent donc à la domesticité rurale ou urbaine pour devenir aides-soignantes, aides-infirmières, voire infirmières. La voie est étroite et, pour y accéder, il faut toute l’énergie et la persévérance des jeunes filles que rebute la perspective de « travailler continuellement en maison bourgeoise » : non seulement l’école préparatoire d’Antony n’accorde les places qu’au compte-gouttes, mais les directeurs d’agence manifestent une très forte réticence à laisser partir les pupilles méritantes de leur circonscription. Au demeurant, les filles de l’Assistance publique admises à travailler dans l’enseignement sont encore plus rares que les élèves infirmières. Jusqu’aux années 1950, les seuls pupilles qui accèdent aux écoles normales et au professorat sont de sexe masculin.

23Dans la mesure où les filles de l’Assistance publique sont privées des ressources que les études primaires supérieures et le service militaire réservent aux garçons, elles peuvent être tentées de considérer le mariage comme un moyen d’échapper à la tutelle et au destin qu’on leur prépare.

24Source : AVP, D1X4 42 à 108, agence d’Abbeville (Somme), inspections de 1893 à 1931, exercices de 1892 à 1930 ; AVP, D1X4 42 à 109, agence de Romorantin (Loir-et-Cher), inspections de 1893 à 1931, exercices de 1892 à 1930.

Le mariage, une échappatoire ?

25Sous l’Ancien Régime et au xixe siècle, les jeunes filles se marient entre vingt-quatre et vingt-six ans (Flandrin, 1975, 60-66 ; Segalen, 1981). Certaines mineures de l’Assistance publique désirent convoler beaucoup plus tôt, dès l’âge de dix-sept ou dix-huit ans ; mais, si la pupille n’est pas enceinte, le directeur d’agence s’oppose généralement à son mariage, jugé prématuré et inopportun, et incite le conseil de famille à refuser son consentement [22].

Fig. 1

Proportion des pupilles mineures mariées sur l’ensemble des jeunes filles âgées de treize à vingt et un ans dans les agences d’Abbeville et de Romorantin entre 1892 et 1930 (en %)

Fig. 1

Proportion des pupilles mineures mariées sur l’ensemble des jeunes filles âgées de treize à vingt et un ans dans les agences d’Abbeville et de Romorantin entre 1892 et 1930 (en %)

26Malgré la réticence des directeurs d’agence, les mariages de pupilles mineures tendent à se développer au cours de la IIIe République.

27Les mariages anticipés semblent plus fréquents dans l’agence d’Abbeville (Somme) que dans l’agence de Romorantin (Loir-et-Cher). Au tournant du siècle, le taux dans la première atteint 6 %, alors que dans la seconde il est inférieur de moitié. Est-ce en raison des mauvaises conditions de travail qui règnent en Picardie ? Sur l’ensemble de la période, dans les deux agences, la proportion des mineures mariées passe de 1 à 2 % au début des années 1890 à près de 7 % à la fin des années 1920. L’amélioration de la surveillance à la Belle Époque et le départ des garçons pendant la première guerre mondiale viennent donner provisoirement un coup d’arrêt à cette croissance.

28Cette évolution, limitée mais réelle, traduit le souhait des filles de s’émanciper de la tutelle administrative. De ce point de vue, le mariage apparaît comme une libération. Dépendantes non plus de l’Assistance publique mais de leur mari, les pupilles peuvent espérer échapper au travail agricole et aux pénibles conditions de travail dans les fermes. En mars 1921, une pupille de l’agence d’Abbeville âgée de dix-neuf ans se marie avec un ouvrier agricole de Monchaux (Somme). Quatre jours plus tard, elle quitte la région et part pour Paris. Elle justifie sa décision auprès du directeur général de l’Assistance publique : « Vous devez le savoir que la campagne ne me disait rien [23]. » En 1941, une domestique gagée à Escarbotin (Somme) se plaint de son travail auprès du directeur : « J’ai hâte de me marier, pour être chez moi. Pour mon travail on est commandé comme des chiens. […] Je voudrais bien que vous veniez me voir et je vous causerais toute seule dans ma chambre. […] Mon fiancé il a à vous causer pour le mariage, il ne veut pas que je reste comme ça. » Le projet de mariage est repoussé par le directeur, mais en octobre 1943 celui-ci note que la pupille « s’est mariée dès [sa] majorité » [24].

29Ces lettres presque revendicatives témoignent-elles de l’amélioration que le mariage introduit dans la vie des jeunes domestiques ? Pour la majorité, l’union légale n’induit aucune rupture avec le milieu d’origine ; mais certaines pupilles se marient bien.

30Les perspectives matrimoniales des filles de l’Assistance publique s’améliorent à partir du début du xxe siècle. Certaines pupilles réussissent alors à épouser un cultivateur propriétaire qui gagne beaucoup plus largement sa vie qu’un ouvrier agricole ou qu’un petit artisan. En décembre 1903, une domestique de ferme épouse un vigneron de Feings (Loir-et-Cher) propriétaire d’une maison de vigne évaluée à 4 000 francs. L’administration estime que la jeune fille, « très travailleuse, bon sujet, s’est très bien mariée [25] ». C’est le même type de promotion qu’évoque l’inspecteur départemental du Puy-de-Dôme dans Toinou : une enfant assistée, de bonne réputation, a réussi à épouser un cultivateur aisé. « Là voilà maintenant établie au Poyet, sur son bien, avec un bon mari. Je les ai rencontrés à la dernière foire de Marsac. Ils venaient d’acheter une paire de bœufs superbes […]. Ils ne manqueront pas de vin dans le chai ni de confit dans le placard. » (Sylvère, 1980, 226). Ce modèle d’ascension sociale par le mariage perdure pendant toute la première moitié du xxe siècle. En 1945, une ancienne pupille de l’agence d’Abbeville se marie avec un cultivateur de vingt-huit ans propriétaire de dix-neuf hectares : elle « acquiert donc par son mariage une situation assez avantageuse [26] ».

31Toutes les filles de l’Assistance publique n’épousent pas un cultivateur aisé, loin s’en faut. Les heureuses élues sont bien cotées sur le marché matrimonial : jouissant d’une bonne santé, titulaires du certificat d’études, elles n’ont pas connu un grand nombre de placements et sont plus riches que les autres.

Tab. 3

Moyenne du montant du livret de caisse d’épargne des pupilles mariées dans les agences d’Abbeville et de Romorantin en fonction de la profession de leur époux (en francs)

Tab. 3
Profession du mari Économies des pupilles mariées Indice 100 Artisan et ouvrier 1 183 Employé et fonctionnaire 2 143 181 Domestique et ouvrier agricole 2 905 246 Cultivateur 3 653 309 Moyenne 2 690 227 Source : DASES, dossiers des pupilles des agences d’Abbeville (Somme) et de Romorantin (Loir-et-Cher) nées en 1882, 1902 et 1922.

Moyenne du montant du livret de caisse d’épargne des pupilles mariées dans les agences d’Abbeville et de Romorantin en fonction de la profession de leur époux (en francs)

32Les économies des pupilles qui épousent un cultivateur ou un domestique agricole sont respectivement trois et deux fois et demie supérieures à celles des pupilles qui épousent un ouvrier. Les maris cultivateurs ont besoin d’un gros apport de la part de leur femme : ici, le livret de caisse d’épargne est l’équivalent de la dot [27]. Les domestiques et les ouvriers agricoles réclament aussi un bon apport, sans doute en prévision de leur établissement. Les fonctionnaires et les petits employés sont moins exigeants ; probablement leur situation évitera-t-elle à leur femme d’avoir à travailler.

33Chanceuses sont donc les pupilles de l’Assistance publique qui épousent un petit employé : elles échappent au travail manuel et à la précarité qui est le lot des salariées agricoles. Ces unions sont rares, surtout au début de la IIIe République, et ne dépassent pas 16 % sur l’ensemble de la période. Leur nombre augmente après la première guerre mondiale. En 1922, une pupille de vingt ans se marie avec un employé des chemins de fer résidant à Quend (Somme). Le jeune homme étant économe et sérieux, « on peut prévoir qu’il parviendra à une certaine aisance », d’autant plus que sa femme est courageuse elle aussi, « ayant été accoutumée de bonne heure au travail et à l’épargne [28] ». En ville, les employés sont plus qualifiés et plus aisés. Si elle provient de l’Assistance publique, leur femme n’est pas fille de ferme mais domestique de maison bourgeoise. De février 1941 à mai 1943, une jeune fille moralement abandonnée de l’agence d’Abbeville, employée comme domestique de maison bourgeoise à Amiens, est « entièrement heureuse dans cette place où l’on l’estime fort ». En 1945, elle se marie à Amiens avec un employé de la Recette des hospices d’Amiens. Le couple paraît « sympathique » au directeur [29].

34Les embûches de toutes sortes que l’Assistance publique place sur la route des filles les obligent-elles à miser avant tout sur le mariage pour s’élever socialement ? Il est vrai que les filles se marient souvent mieux que les garçons, parmi lesquels on compte bon nombre de célibataires. Dans le premier tiers du xxe siècle, les pupilles les mieux loties épousent un agriculteur aisé ou un petit employé de bureau. Mais l’exogamie des filles de l’Assistance publique reste rare : lorsque les familles s’ouvrent aux pupilles, c’est généralement qu’elles sont de même condition sociale.

Conclusion

35Sous la IIIe République, l’Assistance publique maintient autoritairement les pupilles à la terre. Une petite minorité est certes placée chez des artisans ruraux (c’est le cas des garçons en mauvaise santé) ou en maison bourgeoisie (c’est le cas de certaines filles en fin de tutelle), mais dans l’ensemble les enfants assistés sont massivement gagés dans les fermes à l’âge de treize ans. Par la suite, les garçons réussissent peu ou prou à s’émanciper, notamment grâce au service militaire et au travail en usine. Les filles, en revanche, paraissent bloquées : mal instruites, peu diplômées, confinées aux tâches ingrates de la domesticité agricole ou bourgeoise, elles connaissent un destin professionnel assez terne, quand elles n’arrêtent pas tout simplement de travailler après le mariage. Au final, les pupilles de sexe féminin ont beaucoup de mal à quitter les secteurs d’activité que l’administration leur a choisis.

36Pourtant, à partir du début du xxe siècle, le refus de demeurer dans l’agriculture s’accuse chez les filles de l’Assistance publique et un réel désir d’ascension sociale se fait jour. Aux pressions des tuteurs légaux est opposée une attitude de refus faite de doléances et de récriminations. Le refus de la terre se traduit, de la part des filles, par la multiplication des plaintes auprès du directeur, l’augmentation des mariages anticipés et la volonté de travailler en ville (comme employée de maison, vendeuse ou infirmière). C’est probablement parce que l’effort normatif de l’administration porte en priorité sur les filles qu’elles sont les premières à le contester.

37Pour autant, on note très peu d’actes de désobéissance à proprement parler. Les petites domestiques de l’Assistance publique ne fuguent pas : en bonnes pupilles qu’elles sont, elles font part de leurs soucis au directeur et attendent son autorisation au lieu de rompre le contrat unilatéralement. Cette attitude ambiguë, où se mêlent la révolte et la déférence, traduit l’inertie des traditions et marque la limite de l’émancipation à laquelle les filles aspirent. D’autre part, ces actes de micro-résistance sont le fait d’une minorité de pupilles courageuses, qui prennent l’initiative d’écrire au directeur pour remettre en cause ses décisions.

38Il reste que ces lettres, par lesquelles des jeunes filles méprisées de tous cherchent à échapper à leur destin, illus-trent une incontestable forme d’affranchissement. Peut-on parler d’un féminisme avant l’heure ? En fait, ce refus de la fatalité débouche sur une émancipation toute relative, qui emprunte les voies du possible : il s’agit seulement, pour ces pupilles, d’obtenir une intimité minimale, de conquérir un droit au repos, de réussir un bon mariage, d’apprendre un métier, d’intégrer la petite fonction publique. Mais, à travers ces humbles combats, c’est une conception inédite de la personne et de la carrière qui se fait jour, c’est une nouvelle dignité qui s’invente.


Annexe

Note sur les archives

39Les enfants assistés de la Seine sont pourvus de deux dossiers : un dossier administratif et un dossier d’agence. Le premier reste aux mains de l’administration à Paris ; il contient un grand nombre de pièces génériques, sans compter la correspondance entre le directeur de l’administration de l’Assistance publique à Paris et le directeur d’agence au sujet du pupille. Le dossier d’agence, en revanche, suit l’enfant dans sa région de placement. Il est tenu par le directeur de l’agence de placement qui l’enrichit au fil des années, y versant toutes sortes de documents depuis ses propres fiches de visite jusqu’aux divers rapports médicaux, scolaires ou policiers rédigés au sujet de l’enfant. Certaines de ces pièces sont forgées par l’administration elle-même ; d’autres sont rédigées par des acteurs officiels extérieurs à l’Assistance publique mais récupérées et consignées par elle ; quelques-unes enfin sont le fait de personnes privées et ne figurent dans le dossier d’agence que parce que le directeur les y a lui-même versées – c’est le cas par exemple de la correspondance entre le pupille et le directeur, c’est le cas aussi des lettres adressées aux enfants par des amis ou des amoureux et interceptées par le directeur.

40Les dossiers des enfants assistés de la Seine sont conservés à la Direction de l’Action sociale, de l’enfance et de la santé (DASES) de la mairie de Paris ou, pour certains dossiers administratifs du xixe siècle, aux Archives de la Ville de Paris (AVP). Ils rassemblent un certain nombre de pièces qu’on peut classer en trois ensembles : les pièces génériques (procès-verbal d’abandon, certificat de naissance, acte de baptême, fiche de visites trimestrielles, livret de pupille, décisions du conseil de famille à propos des récompenses, de la dot ou du mariage), la correspondance générale (lettres des parents, de la nourrice, de l’inspecteur, du directeur de l’Assistance publique, du pupille lui-même ou de ses amis) et les pièces contingentes, généralement témoins d’un événement malheureux (accident, délit, évasion, viol, décès prématuré).

41Pour ne pas déroger aux règles de confidentialité définies par la loi du 3 janvier 1979 et par la décision du Conseil d’État en date du 10 janvier 1996, nous avons remplacé tous les noms et prénoms par des pseudonymes respectant grossièrement leur origine, leur consonance et leur style. De même, nous avons choisi de ne pas mentionner le numéro matricule qui aurait permis d’identifier sans erreur possible l’individu cité ; grâce à cette précaution, il nous est possible de divulguer un certain nombre d’informations touchant à la vie privée des personnes [30]. Les quatre informations données pour chaque dossier permettent de situer assez précisément l’enfant. On y apprend (outre le dépôt d’archives, la cote et le sexe indiqué par le prénom) la date de naissance, la date et l’âge d’admission à l’Assistance publique, la catégorie administrative [31] et le nom de l’agence de placement.

42En tout, quatre cents dossiers ont été dépouillés. L’étude de l’arrière-pays nourricier d’Abbeville et de Romorantin totalise 217 cas d’enfants assistés, auxquels on peut ajouter 111 dossiers traités en dehors de ces deux agences ou en dehors des générations 1882, 1902 et 1922 (il s’agit pour l’essentiel des fratries, des conjoints, des camarades de travail et des pupilles dont l’itinéraire présente un intérêt particulier – élèves méritants, délinquants, soldats morts pour la France, etc.). Enfin, soixante-quatorze dossiers émanent des Assistances publiques de province.

Références bibliographiques

  • Désert, Gabriel (1976), « La grande dépression de l’agriculture », 359-382, in Histoire de la France rurale, tome III, G. Duby et A. Wallon (dir.), Seuil, coll. « Points ».
  • Fine, Agnès (1988), « Enfants et normes familiales », 436-463, in Histoire de la population française, tome III, Jacques Dupâquier (dir.), Paris, PUF.
  • Grasser, Céline (2002), « “Jeune fille en fleur” contre “good girl” : la construction d’identités féminines bourgeoises au jardin, France et Angleterre, 1820-1870 », 257-267, in Lorsque l’enfant grandit. Entre dépendance et autonomie, J.-P. Bardet, J.-N. Luc et al. (dir.), Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne.
  • Jeorger, Muriel (1987), « Enfant trouvé - enfant objet », Histoire, Économie et Société, n°3, 373-386.
  • Recueillir, accueillir. De l’Assistance publique à l’aide à l’enfance. La pouponnière Paul-Manchon à Antony, 1911-2000, Archives départementales des Hauts-de-Seine, 2000.
  • Rogers, Rebecca (2002), « Construction de la féminité bourgeoise en France au xixe siècle : éducation, normes et pratiques », 673-685, in Lorsque l’enfant grandit. Entre dépendance et autonomie, J.-P. Bardet, J.-N. Luc et al. (dir.), Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne.
  • Scot, Jean-Paul (1988), « La crise sociale des années trente en France. Tendances et contre-tendances dans les rapports sociaux », Le Mouvement social, janvier-mars, 75-101.
  • Segalen, Martine (1981), Sociologie de la famille, Paris, Armand Colin.
  • Sylvère, Antoine (1980), Toinou, le cri d’un enfant auvergnat, Paris, Plon, coll. « Terre humaine ».
  • Thébaud, Françoise (1986), Quand nos grands-mères donnaient la vie. La maternité en France dans l’entre-deux-guerres, Lyon, Presses universitaires de Lyon.
  • Thiercé, Agnès (1996), « De l’école au ménage : le temps de l’adolescence féminine dans les milieux populaires (Troisième République) », Clio, n° 4.
    http:// clio. revues. org/ document433. html
  • Verdier, Yvonne (1979), Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines ».

Date de mise en ligne : 16/06/2008

https://doi.org/10.3917/adh.114.0127

Notes

  • [1]
    Archives de la Ville de Paris (AVP), EA 3645, dossier de Germaine Pommel, née le 4 septembre 1884, admise le 22 décembre 1885 (à l’âge d’un an), abandonnée, agence d’Abbeville. La phrase date de 1906.
  • [2]
    Sur le contrôle des filles dans les milieux bourgeois, voir (Grasser, 2002) et (Rogers, 2002) ; sur le contrôle des filles dans les milieux populaires, voir (Thiercé, 1996) ; sur la surveillance des femmes par les femmes, voir (Fine, 1988, 438 et sq.).
  • [3]
    Selon l’expression de M. Jeorger (1987).
  • [4]
    AVP, EA 3130, dossier de Pauline Mers, née le 4 février 1865, admise le 18 octobre 1873 (à l’âge de huit ans), orpheline, agence d’Abbeville.
  • [5]
    Direction de l’action sociale, de l’enfance et de la santé (DASES) de la mairie de Paris, dossier de Pascale Maty, née le 1er octobre 1922, admise le 24 février 1929 (à l’âge de six ans), moralement abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [6]
    DASES, dossier de Paulette Guillaume, née le 28 août 1922, admise le 14 août 1923 (à l’âge d’un an), abandonnée, agence de Romorantin.
  • [7]
    DASES, dossier de Bernadette Artillay, née le 21 juin 1922, admise le 9 août 1928 (à l’âge de six ans), en garde, agence d’Abbeville.
  • [8]
    DASES, pièces relatives à Jeanne Legrand, trouvées dans le dossier de son frère Germain Legrand, né le 5 juillet 1902, admis le 20 septembre 1903 (à l’âge d’un an), agence de Doullens.
  • [9]
    AVP, D1X4 50, agence de Romorantin, inspection de M. Lozès (juillet 1900), exercice 1899.
  • [10]
    DASES, dossier de Liliane Wencis, née le 25 avril 1907, admise le 14 décembre 1907 (à l’âge de sept mois), abandonnée, agence de Romorantin.
  • [11]
    AVP, D1X4 54, agence d’Abbeville, inspection de M. Jalabert (juillet 1903), exercice 1902.
  • [12]
    DASES, dossier de Floriane Gauthier, née le 5 janvier 1903, admise le 14 août 1913 (à l’âge de dix ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [13]
    DASES, non coté, rapport de L. Mourier sur le service des enfants assistés, 1932.
  • [14]
    DASES, dossier de Berthe Castaneda, née le 4 septembre 1882, admise le 21 juin 1890 (à l’âge de sept ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [15]
    DASES, dossier de Mireille Sanda, née le 2 mars 1884, abandonnée, agence de Romorantin.
  • [16]
    DASES, dossier de Viviane Rœuf, née le 12 août 1905, admise le 21 avril 1913 (à l’âge de sept ans), en dépôt, agence d’Abbeville.
  • [17]
    DASES, dossier de Micheline Clayes, née le 17 juillet 1902, admise le 21 décembre 1905 (à l’âge de trois ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [18]
    DASES, dossier d’Ève Rutabeuf, née le 21 septembre 1902, admise le 4 octobre 1902 (à l’âge de deux semaines), agence de Doullens.
  • [19]
    DASES, dossier de Nadia Lubeck, née le 19 juillet 1902, admise le 7 juillet 1905 (à l’âge de trois ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [20]
    DASES, dossier de Marianne Rist, née le 7 mars 1920, admise le 22 juillet 1930 (à l’âge de dix ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [21]
    DASES, dossier de Julienne Forel, née le 21 juillet 1922, admise le 24 juillet 1922 (à l’âge de trois jours), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [22]
    Le mariage, soumis à l’appréciation du directeur d’agence ou de l’inspecteur départemental, est avalisé par le conseil de famille. « L’autorisation du conseil de famille est indispensable ; et ce n’est pas un simple avis que donne le conseil au tuteur ; c’est un consentement ou un refus qui sera définitif. » (J. Samaran, Les pupilles de l’Assistance publique et leur condition légale, thèse de doctorat de droit, Paris, Giard et Brière, 1907, p. 229).
  • [23]
    DASES, dossier de Julie Aubertin, née le 19 mars 1902, admise le 21 août 1912 (à l’âge de dix ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [24]
    DASES, dossier de Corinne Souzac, née le 8 juillet 1922, admise le 10 août 1922 (à l’âge d’un mois), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [25]
    AVP, EA 3500, dossier d’Aimée Charquet, née le 21 décembre 1882, admise le 3 janvier 1883 (à l’âge de deux semaines), abandonnée, agence de Romorantin.
  • [26]
    DASES, dossier de Michelle Koutchy, née le 24 juin 1922, admise le 4 avril 1930 (à l’âge de sept ans), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [27]
    L’Assistance publique, qui récompense financièrement les futurs mariés, dote indifféremment les deux sexes. En 1920, l’Assistance publique de la Seine attribue un total de 2 500 dots de cent à cinq cents francs. Le montant des dots varie sensiblement d’un pupille à l’autre : la stabilité, la bonne conduite pendant la minorité, la propension au travail et à l’épargne, la profession du conjoint, la moralité du nouveau ménage influent sur les décisions de l’administration.
  • [28]
    DASES, dossier de Dominique Sompart, née le 27 juillet 1902, admise le 10 août 1902 (à l’âge de deux semaines), abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [29]
    DASES, dossier de Pascale Maty, née le 1er octobre 1922, admise le 24 février 1929 (à l’âge de six ans), moralement abandonnée, agence d’Abbeville.
  • [30]
    La loi du 3 janvier 1979 sur les archives impose à la consultation des délais spéciaux. Il faut compter 60 ans pour les documents qui touchent à la vie privée des citoyens, 100 ans pour l’état civil, 120 ans à compter de la date de naissance de l’intéressé pour les dossiers personnels, 150 ans à compter de la date de naissance de l’intéressé pour les documents contenant des informations médicales. En 1996, le Conseil d’État a statué que « les dossiers des pupilles sont librement communicables au terme d’un délai de 60 ans à compter de la clôture du dossier ». Une dérogation est donc nécessaire pour les dossiers de moins de 60 ans. Le Conseil d’État a aussi édicté un certain nombre d’exceptions. Les informations d’ordre médical ne sont librement consultables qu’après un délai de 150 ans ; les documents relatifs à des affaires portées devant des juridictions et les actes de naissance ou de mariage contenus dans les dossiers ne sont librement consultables qu’après un délai de 100 ans. Enfin, le secret des origines sera « imprescriptible » quand celui-ci aura été demandé de manière expresse par l’un des parents. En principe, notre recherche (qui s’achève à la veille de la seconde guerre mondiale, juste avant les soixante ans requis par le Conseil d’État) ne nécessite aucune dérogation. Les dossiers contenant des pièces médicales et judiciaires, il a été jugé plus prudent d’en demander une pour chaque fonds. Toutes ont reçu un avis favorable.
  • [31]
    Les principales catégories administratives sont les suivantes : trouvé (T), abandonné (A), orphelin (O), moralement abandonné (MA), en dépôt (D), temporairement recueilli (TR) et en garde victime de délits (GV).

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