NOTES
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Une grande partie du matériel réuni pour cet article l’a été dans le cadre de la recherche intitulée « Colonisation, peuplement et agriculture en Asie et en Afrique aux xixe et xxe siècles : une analyse comparative » et soutenue financièrement par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique. Que cette institution trouve ici l’expression de ma gratitude. Je remercie William Gervase Clarence-Smith pour ses observations, formulées sur un texte antérieur intitulé “Colonial Settler Economies in Africa” et présenté au XIVe Congrès international d’Histoire Économique à Helsinki en août 2006, observations dont le présent texte a bénéficié. Je remercie également deux lecteurs anonymes pour leurs remarques et suggestions.
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[1]
Ce climat facilite bien évidemment les possibilités de transferts de plantes, d’animaux, mais aussi de techniques. En outre, ces nouvelles Europes sont situées au niveau de latitudes moyennes où sont enregistrées de longues journées estivales fournissant d’excellentes conditions pour la photosynthèse (Weaver, 2003, 11).
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[2]
Une caractéristique commune importante « unit » ces quatre territoires : les colons y disposent d’une représentation dans un corps législatif qui permet la défense de leurs intérêts (Mosley, 1983, 9).
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[3]
Sur cette question, voir notamment Richards, 1990, 102-118.
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[4]
Le mot latin colonus signifie cultivateur, paysan, habitant (Pervillé, 1993, 4).
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[5]
Notamment à travers l’instauration et le développement des droits de propriété. C’est un thème largement traité par Weaver, 2003.
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[6]
Il est habituel de ne considérer que la partie nord de l’Algérie qui représente un dixième seulement du territoire algérien, compte non tenu du Sahara.
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[7]
Trypanosomiase est le nom générique donné aux maladies (des parasitoses) provoquées par différentes variétés de trypanosomes (parasite protozoaire) qui incluent la trypanosomiase américaine (maladie de Chagas), celles africaines (maladie du sommeil), ainsi que les trypanosomiases animales (nagana en Afrique et surra en Asie).
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[8]
À cet égard, la densité démographique du Kenya paraît relativement élevée.
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[9]
La terminologie la plus souvent retenue pour les peuples d’Afrique du Sud d’avant l’arrivée européenne distingue deux grands groupes : les Khoisan et les populations de langues bantoues. Les Khoisan sont parfois subdivisés en deux sous-groupes : les Bushmen ou San (chasseurs-cueilleurs) et les Khoikhoi, précédemment appelés Hottentots (gardiens de troupeaux nomades), voir Feinstein, 2005, xix.
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[10]
Pour l’Algérie, la communauté juive est comptée au sein de la population européenne.
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[11]
Les calculs portent sur l’année 1960 ; ils souffrent de variations plus ou moins prononcées, parce que les historiens diffèrent sur l’effectif total de la population du Kenya et de la Rhodésie du Sud à cette date. L’estimation haute (Maddison, 2001, 330 et 333) tire vers le bas l’importance relative du peuplement européen, alors que l’estimation basse (Yudelman, 1964, 5 ; Mosley, 1983, 7) tend à valoriser la présence numérique des colons. Marks, quant à elle, estime que les colons ne furent jamais plus de 5 % en Rhodésie du Sud (Marks, 1999, 552).
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[12]
Entre 1880 et 1910, l’immigration brute en provenance des îles Britanniques explique environ 85 % de la différence des effectifs de la population européenne (mes calculs d’après Ferenczy & Willcox, 1929, 628-629 ; Feinstein, 205, 257 ; Etemad, 2000, 221). (J’arrête mon analyse à la première guerre mondiale.)
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[13]
La seule chose que l’on peut avancer concerne la Rhodésie du Sud entre 1921 et 1936. Dans ce territoire, le solde de la balance migratoire européenne explique légèrement moins de 50 % de la différence des effectifs de la population européenne entre 1921 et 1926. Entre 1926 et 1931, le solde migratoire correspond à environ 70 % de la différence des effectifs et entre 1931 et 1936, à un peu moins de 40 % (mes calculs d’après Kennedy 1987, 196-197).
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[14]
La plupart des spécialistes de l’Algérie coloniale se contentent d’indiquer que les colons possédaient environ un quart de la propriété privée. Cependant, ce calcul ne rapporte pas l’étendue de la propriété privée européenne à l’ensemble des terres de l’Algérie du Nord, mais uniquement à l’ensemble de la propriété privée européenne et indigène.
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[15]
Sur la conquête et la dépossession au xixe siècle, voir Keegan, 1996 mais aussi, pour des différentes régions de l’Afrique du Sud : Bonner, 1983 ; Crais, 1992 ; Delius, 1983 ; Guy, 1979 ; Murray, 1992 et Shillington, 1985.
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[16]
Beylick : dignité de bey ; état, gouvernement. Le bey étant un titre turc désignant un gouverneur de province.
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[17]
Habous : (équivalent maghrébin de waqf) biens de mainmorte, fondations pieuses dont les revenus servaient à l’entretien des mosquées et autres établissements religieux.
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[18]
Il s’agit d’un durcissement de la législation coloniale qui intervient à la suite de l’instauration de la IIIe République (1870) en métropole mais surtout de l’insurrection manquée de 1871. Selon Ageron (1968 I, 1), la politique qui s’ensuivit entre 1871 et 1891 « fut imposée à un peuple vaincu et […] se comprend comme telle ». En Algérie, ce changement de politique se traduisit par le retour au régime civil et l’adoption d’une politique d’assimilation à la France, notamment sur le plan politique ; les colons disposèrent alors d’une représentation parlementaire à Paris. La plupart des historiens évoquent cette période en parlant du « triomphe du colon ».
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[19]
Ministère de la Guerre, Tableau de la situation des établissements français dans l’Algérie. 1844-1845, Paris, Imprimerie royale, mai 1846, p. 222.
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[20]
À la veille de l’arrivée européenne, la présence asiatique est attestée non seulement sur l’île de Zanzibar où elle était la plus considérable, mais aussi dans des villes côtières telles Malindi ou Mombasa. Un recensement plutôt conservateur des Asiatiques en Afrique de l’Est en 1887 établit leur nombre à un peu plus de 6 000 personnes dont 533 à Mombasa, 82 à Malindi. Les Goans et les Baluchis n’ont pas été inclus dans la statistique (Gregory, 1993, 12).
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[21]
La communauté asiatique, principalement indienne, occupa en quelque sorte une strate intermédiaire dans la société (petit commerce, activité de banque, personnel du chemin de fer, employés de bureau, artisans, etc.). Les activités commerciales et bancaires, ainsi que celles de la fonction publique employaient, en 1962, les trois quarts de la population active asiatique (Gregory, 1993, 23).
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[22]
La question d’une implantation indienne dans l’agriculture, certes dans les Lowlands, ne fut pas close avant 1941 (Gregory, 1993, 242-243).
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[23]
Il est à noter que la propriété privée était un mode de possession foncière également reconnu aux Asiatiques (Berry, 2002, 642). Au contact du monde colonial, des évolutions nuancées dans les régimes fonciers africains se produisirent sous l’influence des anciens (davantage que sous l’impulsion de l’administration). Au Kenya, par exemple, dans les réserves Kikuyu, les règles coutumières tendirent à être réinterprétées de façon à limiter le nombre des héritiers (Austin, 2004, 282).
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[24]
Ce qui nous amène à préciser un point mis en évidence par Gareth Austin (2004, 278) pour l’Afrique subsaharienne : “The main institutions for appropriating economic rent involved property rights over people rather than land.”
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[25]
Elle met un soin particulier cependant à souligner la complexité du phénomène et à mettre en garde le lecteur contre les simplifications abusives : « Nous avons déjà vu que la rareté des terres agricoles est un phénomène beaucoup plus complexe que ne voudrait le faire croire la théorie traditionnelle. […] De même, le développement des règlements et des coutumes concernant la tenure du sol obéit à un processus beaucoup plus lent et compliqué que les partisans de la théorie classique ne le supposent. En fait, il semble qu’il n’y ait jamais de passage direct d’une situation dans laquelle les terres sont à la disposition de tout le monde, à celle de la propriété privée appartenant à l’exploitant, ou à un propriétaire absentéiste. » (Boserup, 1970, 135-136).
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[26]
La question du régime foncier et de la propriété indigène est excessivement complexe et reste, à de nombreux égards, peu assurée. À ma connaissance, la meilleure présentation du sujet reste celle de Ageron, 1968 I, 67-102. Voir aussi Ruedy, 1967.
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[27]
L’idée est que les indigènes ne « possédaient » la terre qu’à titre d’usufruit et à condition de payer l’impôt (le kharâdj). Ils étaient donc les usufruitiers de la collectivité musulmane (Oumma).
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[28]
William K. Hancock (1942, 23) donne en revanche la répartition spatiale (rurale et urbaine) de la population européenne (sans indication d’un critère de taille pour les villes) de la fin du xixe siècle à la veille de la seconde guerre mondiale. En 1890-1891, 65 % de la population européenne vivait en zone rurale contre 48 % en 1911 et 35 % en 1936.
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[29]
Il n’est pas possible dans le cadre de cet article de détailler la liste des mesures prises en faveur du développement de l’agriculture coloniale. Mentionnons tout de même la volonté au Kenya et en Rhodésie du Sud d’empêcher les Africains d’accéder aux cultures commerciales (pyrethrum, thé, café ou tabac).
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[30]
Ce nombre peut paraître dérisoire, – et Ch. Feinstein (2005, 51) a raison de souligner que la population servile atteint presque 4 millions d’individus aux États-Unis à la veille de la Guerre civile (soit grosso modo 35 % de la population totale) – mais rapporté à la taille de la population européenne (66 000 individus en 1832), l’effectif paraît moins ridicule.
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[31]
Ce passage s’inspire principalement de Feinstein, 2005, 55-60.
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[32]
Selon Claude Collet (1987, 269), cette décision ne concerne que les khammès travaillant sur les exploitations européennes ; en 1872, les indigènes cultivant les terres des colons furent à nouveau soumis à l’achour. On assiste dans le même temps (soit à partir des années 1870) à une aggravation de la fiscalité à l’encontre des populations indigènes (Ageron, 1968, I, 256-265).
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[33]
Les modalités du kaffir farming au Kenya (et en Rhodésie du Sud ?) ne semblent pas clairement établies : rentes en nature, sorte de métayage ou location de la terre contre achat du produit à taux fixe… Il semble qu’il y ait eu quelques variations (à ce sujet, voir Tignor, 1976, 106-7).
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[34]
Encore que les divergences ou variations au sein même de l’empire britannique ont pu être aussi, voire plus importantes que celles existant entre ces quatre territoires.
1L’histoire de l’implantation de populations européennes outre-mer est habituellement associée aux pays de peuplement européen (États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Chili, Argentine et Uruguay). Ces territoires, qualifiés par Crosby (1986) de « nouvelles Europes », accueillirent plus de 95 % des 60 à 65 millions d’Européens qui émigrèrent au-delà des mers du xve siècle au milieu du xxe siècle (Etemad, 2000, 35). L’attraction exercée par ces contrées sur les populations européennes s’explique en grande partie par leur climat tempéré [1] et par la faiblesse numérique des populations autochtones, peu organisées au plan politique, incapables de résister au refoulement et à l’extermination menés par les colons européens. De surcroît, en raison de l’isolement géographique du continent américain, les populations autochtones furent décimées par les maladies importées de l’« ancien monde », ce qui a facilité leur éviction. Il existe cependant, à une échelle plus réduite, des exemples africains d’implantation de colons européens. C’est notamment le cas au Maghreb, en Afrique australe et de l’Est.
2L’objectif de cet article est d’analyser les modalités de l’implantation européenne dans quatre colonies africaines (l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Kenya et la Rhodésie du Sud) où les Européens, bien que minoritaires, s’installèrent sur la terre et entrèrent en concurrence avec les producteurs indigènes [2]. L’argumentation centrale de cet article soutient que toute colonisation, au sens propre du terme, à savoir l’installation de colons agriculteurs, est tributaire du rapport initial « hommes/terres cultivables ». Cette hypothèse comprend donc le mot colonisation au sens premier comme « la conquête ou la colonisation de zones relativement peu peuplées, dotées de terres fertiles, de ressources biologiques, ou d’un bon potentiel de prise en charge des transferts de population, de cultures et de bétail » (Maddison, 2001, 18). De tels phénomènes de colonisation sont bien évidemment à l’œuvre en Afrique avant l’intrusion européenne. Selon John Iliffe (1995, 12), jusqu’à la fin du xxe siècle, les populations africaines poursuivirent l’objectif premier « d’augmenter au maximum le nombre des hommes et de coloniser la terre ». Ces déplacements de population se retrouvent aussi dans d’autres régions du monde, il suffit de mentionner l’Inde moghole, la Chine ou la Russie [3] ; ils accusent cependant une accélération marquée durant l’expansion européenne outre-mer, en particulier au xixe siècle.
3Il s’agit donc d’examiner à quelles conditions l’implantation des colons européens a été rendue possible dans ces territoires, qui ne présentent pas exactement les mêmes caractéristiques que les pays de peuplement européen. Cette interrogation, au centre de laquelle se loge la dimension démographique, nous invite d’abord à considérer les traits géographiques, climatiques et épidémiologiques qui distinguent ces quatre colonies, puis l’évolution démographique des populations africaine et européenne. Elle implique ensuite de mettre à jour les modalités de l’appropriation foncière et, enfin, la création d’un « marché » du travail – ou formulé autrement, d’expliquer comment une main-d’œuvre africaine a été rendue disponible pour les exploitants européens. Ce questionnement et notre hypothèse de départ permettent de signaler d’emblée une différence notable au sein de ce groupe : la Régence d’Alger se distingue des trois autres territoires considérés par une densité démographique sensiblement plus élevée à la veille de la conquête. Cette divergence, qui sera examinée ci-dessous, semble avoir eu des implications en termes de droits de propriété et engendré des politiques divergentes en matière foncière et de main-d’œuvre.
4En premier lieu, peut-on parler de colonisation, dans l’acception latine du terme [4], à propos de l’implantation européenne en Afrique du Sud, en Algérie, au Kenya et en Rhodésie du Sud ? Au point de vue du discours, sans aucun doute. Non seulement les concepts, qui servirent de soubassement idéologique à l’appropriation foncière menée par les puissances européennes, appréhendèrent ces territoires comme – du moins en grande partie –, vides d’hommes, mais ils accréditèrent aussi l’idée selon laquelle la colonisation européenne entraînerait une amélioration de l’exploitation du sol [5]. Cette dernière notion reste très malléable, pouvant, selon les circonstances, justifier la reconnaissance de droits fonciers pour les Européens, le refoulement ou la sédentarisation des populations autochtones, etc. Tournons-nous maintenant vers les facteurs objectifs.
Localisation géographique, conditions climatiques et épidémiologiques
5L’établissement de colons européens en terre africaine a été rendu possible par la localisation géographique des territoires qui les ont accueillis et leurs caractéristiques climatiques. Situées aux deux extrémités, méridionale et septentrionale, du continent, l’Afrique du Sud et l’Algérie disposent d’un climat méditerranéen sur une fraction de leur territoire. En Afrique du Sud, ce climat « tempéré-chaud » reste fortement circonscrit. Selon Feinstein (2005, 263 et 266), un tiers seulement du territoire sud-africain reçoit plus de 500 millimètres de précipitations par an (sans considération de leur répartition). Il s’agit donc avant tout d’une aire permettant l’élevage et il n’y a que trois régions de cultures intensive et semi-intensive : la bande côtière s’étirant du sud-ouest du Cap au sud-est, la côte du Natal et, enfin, une région comprise entre le nord de l’Orange Free State et le sud du Transvaal. En Algérie du Nord [6], la carte des précipitations dessine encore une fois celle des systèmes de cultures. Le territoire enregistre, du nord au sud, un abaissement relativement abrupt du volume des précipitations annuelles et présente une succession de zones culturales. Au-delà d’une centaine de kilomètres de la côte, les conditions climatiques ne permettent déjà plus qu’une culture extensive.
6Sous les tropiques, l’établissement de colons européens dans l’agriculture tempérée n’est possible qu’à certaines conditions topographiques, climatiques et épidémiologiques. D’abord, une fraction significative de la colonie doit se situer à plus de 900-1 000 mètres ; elle doit bénéficier ensuite d’une pluviométrie supérieure à 500 millimètres et, enfin, être dépourvue de la mouche tsé-tsé, agent de transmission de trypanosomiases mortelles [7], la maladie du sommeil pour l’homme et la nagana pour le bétail (Mosley, 1983). Les régions à pluviométrie supérieure à 1 000 millimètres, quant à elles, conviennent essentiellement à d’autres plantes telles que le thé, les arbres à caoutchouc, les éléis (palmiers à huile), etc. exploitées, lorsqu’elles le sont, par des Européens, le plus souvent grâce au système de plantation. Au Kenya et en Rhodésie du Sud, les Européens occupèrent donc principalement les Highlands plus sains où ils étaient à même de pratiquer une agriculture de type tempéré. Globalement, au point de vue climatique et épidémiologique, les contrées africaines permettant aux Européens de s’implanter en nombre et de pratiquer une agriculture similaire à celle de leur pays d’origine restèrent limitées.
Le contexte démographique
7Quelle était la situation sur le plan du peuplement ? À la veille de l’invasion coloniale, ces territoires africains sont dans l’ensemble peu peuplés. Les densités démographiques de l’Afrique du Sud et de la Rhodésie du Sud sont très faibles, même lorsqu’elles sont rapportées au domaine cultivable. En revanche, celles calculées pour le Kenya et l’Algérie sont plus élevées, en particulier pour le territoire nord-africain (Tableau 1). Rappelons qu’il ne s’agit là que d’ordres de grandeur grossiers, tant les données sur la taille des populations africaines sont sujettes à caution [8].
Densité démographique à la veille de la conquête coloniale, en km2 par habitants. Il s’agit d’ordres de grandeur
Densité démographique à la veille de la conquête coloniale, en km2 par habitants. Il s’agit d’ordres de grandeur
8Ensuite, il convient de considérer l’évolution en deux temps de l’effectif des populations africaines. Dans de nombreuses régions d’Afrique, l’invasion coloniale eut initialement des répercussions démographiques tragiques. En raison de la combinaison des maux (guerres, famines et maladies), la conquête fut la plus douloureusement ressentie en Afrique équatoriale où la population recula sensiblement, mais cela fut aussi le cas en Algérie. Jusqu’au début des années 1870, la population indigène y vécut un décrochage démographique (de l’ordre d’un tiers environ) en raison des fléaux évoqués ci-dessus mais aussi de vagues d’émigration consécutives à la conquête (Kateb, 2001, passim). Le même recul est observé pour le Kenya de 1900 à 1920, où la population africaine aurait diminué d’environ 35 % selon Richard D. Wolff (1974, 107). En Afrique du Sud, le phénomène paraît avoir été beaucoup plus limité dans le temps et l’espace, concernant essentiellement les Khoisan dans la région du Cap au temps de la domination hollandaise [9]. Quant à la Rhodésie du Sud, elle semble avoir été relativement épargnée et enregistra dès le début du siècle un taux de croissance élevé (Iliffe, 1995, 300). Cependant, cette surmortalité liée à la pénétration et à l’imposition de la domination coloniale demeura, à l’échelle de l’histoire des populations, passagère et fut bientôt relayée par un accroissement démographique vigoureux, qui n’atteignit certes pas les taux de croissance extrêmement élevés de la deuxième moitié du xxe siècle, mais contribua à maintenir un rapport démographique défavorable aux colons.
9En effet, et c’est le troisième point, ces territoires africains n’attirèrent pas en grand nombre les émigrants européens qui, loin de submerger les populations indigènes, restèrent fortement minoritaires. Les différences observables entre les quatre colonies doivent probablement beaucoup à la localisation géographique des colons et à la « révolution minérale » en Afrique du Sud (Tableau 2). Ainsi, en 1913 et 1938, les colons représentaient environ 20 % de la population sud-africaine et, respectivement 14,3 et 12,8 % de la population algérienne (Etemad, 2000, 264-5) [10]. Au faîte de leur présence numérique, vers 1960, les Européens du Kenya ne formaient pas plus de 1 % de la population totale, tandis que ceux de la Rhodésie du Sud en représentaient entre 5 et 7 % [11].
Effectif de la population européenne autour de l’année citée, en milliers et en pourcentage du total
Effectif de la population européenne autour de l’année citée, en milliers et en pourcentage du total
10Toutefois, ces proportions demeurent dans une certaine mesure flatteuses. En Afrique du Sud, le peuplement européen, qui n’intéressait pas beaucoup la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales (VOC), connut un essor très lent jusqu’à l’arrivée britannique au début du xixe siècle. De fait, il fallut attendre le développement de l’économie minière pour que l’immigration européenne s’accrût sensiblement et trouvât une finalité autre que le renforcement des positions britanniques sur le terrain. En Algérie, la population européenne crût un peu plus rapidement et, dans les années 1860, son effectif n’était pas loin d’atteindre celui des colons d’Afrique du Sud – 217 000 Européens en 1866 en Algérie contre 252 000 en Afrique du Sud en 1867. Par la suite, la découverte de diamants (1867) au nord-est du Cap et d’or au Transvaal (1884) dopa l’émigration à destination de l’Afrique du Sud.
11Au Kenya et en Rhodésie du Sud, la population européenne resta à la fois très limitée et ne progressa que très tardivement, au lendemain de la seconde guerre mondiale. En 1911, le peuplement européen du Kenya se montait à 3 200 individus contre près de 24 000 en Rhodésie du Sud. En 1939, il atteignait 21 000 personnes au Kenya, puis 66 000 en 1960. En Rhodésie du Sud, les Européens étaient 69 000 en 1941 et 221 000 en 1961 (Yudelman, 1964, 36 et 39 ; Kennedy, 1987, 197).
12Si l’évolution de l’effectif des populations européennes est relativement bien connue, il est en revanche beaucoup plus difficile de se faire une idée précise de la contribution des flux migratoires à la croissance des communautés européennes en Afrique, en particulier sur une base comparative. Les données sont non seulement lacunaires mais aussi peu comparables entre elles. Concernant l’Afrique du Sud, il existe trois séries chiffrées, très similaires mais pas identiques, portant sur les personnes immigrant en Afrique du Sud en provenance du Royaume-Uni ou des îles Britanniques, des années 1840 à la première guerre mondiale environ (Christopher, 1984, 3 ; Porter, 1991, 85 ; Ferenczy & Willcox, 1929, 627-629). En rapportant ces flux aux effectifs de la population européenne à quelques dates au xixe siècle, il apparaît clairement qu’une fraction de l’immigration, notamment celle en provenance d’autres pays, n’a pas été prise en compte. Selon Francis Wilson (1975, 133), à la veille de la première guerre mondiale (en 1911), les Européens résidant en Afrique du Sud mais nés à l’étranger (un peu plus de 20 % de la population européenne totale) provenaient dans 70 % des cas du Royaume-Uni. Cette proportion étant inconnue pour le xixe siècle, il est difficile de se faire une idée précise de l’apport migratoire à la croissance de la communauté européenne en Afrique du Sud. Cependant, si l’on suit Ralph Austen (1987, 159), pour la période antérieure à la révolution minérale (entre le début du xviiie siècle et 1865), ce serait l’accroissement naturel de la population européenne davantage que l’immigration qui rendrait compte du développement de la communauté des colons en Afrique du Sud. En revanche, avec le développement de l’économie minière, il est probable que l’immigration devint progressivement le principal moteur de la croissance démographique européenne (probablement après 1880) [12]. Quant au cas algérien, il offre l’image d’une évolution inverse. Kamel Kateb (2001, 171, tableau 2) a calculé que jusqu’au début du xxe siècle (1901), l’augmentation de la population européenne s’expliquait davantage par l’immigration que par la croissance naturelle et que, après cette date, l’accroissement naturel était devenu prépondérant. À ma connaissance, les données concernant le Kenya et la Rhodésie du Sud disponibles dans les recherches publiées ne permettent malheureusement pas d’effectuer une telle distinction [13].
L’emprise sur la terre
13Établir la part du domaine foncier et des terres cultivables en mains européennes dans les colonies sur une base comparative, fût-elle étroite, soulève de nombreuses difficultés d’ordre méthodologique. Pour un même territoire, les évaluations varient, les critères retenus aussi, et peu d’auteurs mentionnent clairement les étapes de leur calcul. Le plus souvent, l’on est confronté à une indication isolée qui se prête mal au jeu de la comparaison. De surcroît, un indicateur tel celui des terres agricoles ou cultivables est, par définition, sujet à variations et reste fragile pour la comparaison. Il est toutefois possible de proposer des ordres de grandeur.
14Si l’on compare l’emprise foncière des Européens à la veille de la seconde guerre mondiale, les différences sont très marquées (Tableau 3). L’ampleur de la mainmise européenne sur la terre sud-africaine (près de 90 %) contraste fortement avec le caractère réduit de la possession au Kenya (moins de 10 %). La Rhodésie du Sud (50 %) et l’Algérie du Nord (35 %) présentent, en quelque sorte, une situation intermédiaire.
Part du domaine foncier et des terres cultivables en mains européennes à la veille de la seconde guerre mondiale, en pourcentage du total. Il s’agit d’ordres de grandeur
Part du domaine foncier et des terres cultivables en mains européennes à la veille de la seconde guerre mondiale, en pourcentage du total. Il s’agit d’ordres de grandeur
15Il est vrai que le calcul effectué pour l’Algérie prend en compte l’ensemble de la propriété européenne, publique et privée. Si l’on ne tient pas compte de la fraction du domaine foncier dont l’État colonial s’était fait l’héritier et qu’il ne redistribua pas, les Européens détenaient seulement 12 % des terres de l’Algérie du Nord [14]. En outre, les terres domaniales ne semblent pas avoir été agricoles. Dans le cas du Kenya, le pourcentage retenu inclut une réserve forestière de la Couronne située sur les highlands réservés aux Européens. Sans celle-ci, le pourcentage des terres aux mains des colons chute à 6 %. En considérant ces questions méthodologiques et la diversité géographique des territoires, le calcul de la fraction des terres cultivables dans des mains européennes propose un reflet plus probant de l’emprise coloniale sur la terre. L’on peut constater qu’environ 60 % des terres cultivables en Afrique du Sud et en Rhodésie du Sud appartenaient à des Européens, contre environ 25 et 27 % respectivement au Kenya et en Algérie.
16En revanche, il reste extrêmement périlleux de calculer la part des meilleures terres accaparées par les Européens. Mes calculs, d’après Charles Feinstein (2005), permettent de proposer une estimation de 49 % pour l’Afrique du Sud. Les mesures que j’ai effectuées pour la Rhodésie du Sud à partir des données proposées par Montague Yudelman (1964, 77) l’estiment aux trois quarts (73 %). John Iliffe (1990, 106) retient, de son côté, 86 %. À ce jour, il ne m’a pas été possible de faire ce calcul pour le Kenya. Enfin, tous les spécialistes de l’Algérie soulignent, à l’instar de Daniel Lefeuvre (1997, 63), l’adéquation entre la localisation des meilleurs terres et la géographie du peuplement européen.
Saisir la terre
17L’emprise foncière ne coïncide donc pas avec l’importance absolue et relative du peuplement européen – d’autres facteurs sont à l’œuvre – mais présente une certaine cohérence avec les densités démographiques pré-coloniales. Quant aux modalités de l’appropriation foncière, elles opposent schématiquement, d’un côté, l’Afrique du Sud, le Kenya et la Rhodésie du Sud ; de l’autre, l’Algérie. En effet, même si la constitution du domaine foncier européen en Afrique du Sud fut un processus de longue durée (deux siècles et demi), alors qu’elle fut beaucoup plus brève au Kenya et en Rhodésie du Sud (une quarantaine d’années), ces trois territoires britanniques ont en commun le fait que les moyens pour acquérir la terre sont ceux que l’on retrouve généralement dans les colonies ou pays de peuplement européen : que ce soit à travers la figure du squatter ou du landhunter sur la frontière, la guerre, la signature de traités ou des achats (forcés). De surcroît, conquête et colonisation avancent plus ou moins de front ; les autorités coloniales déclarant par « droit de conquête » la propriété de toutes les terres jugées vacantes ou sans propriétaires (Berry, 2002, 641-2 ; Hailey, 1957, passim). L’État n’est pas le seul acteur, il peut être précédé des colons (Afrique du Sud) ou peut accorder des chartes à des compagnies capitalistes (Kenya et Rhodésie du Sud).
18Le cas sud-africain est particulièrement instructif dans la mesure où il nous montre combien la densité démographique, l’organisation sociale et politique et la solidité des structures économiques indigènes entravèrent plus ou moins l’appropriation foncière par les Européens et combien celle-ci fut également tributaire de la volonté politique d’un gouvernement d’en payer le prix. Ce processus peut être décomposé en trois phases. De l’édification de la base hollandaise au Cap par la Compagnie hollandaise des Indes orientales jusqu’à la fin du xviiie siècle, ce sont avant tout les colons qui procédèrent à un lent grignotage du territoire des Khoisan jusqu’à annexer une région qui s’étendait sur plus de 300 kilomètres au nord et s’arrêtait, à l’est, au voisinage de Great Fish River. Puis, du début du xixe siècle jusqu’aux découvertes de diamants (1867) et d’or (1884), les colons hollandais et britanniques s’engagèrent dans un processus de conquête et de dépossession beaucoup plus systématique, rendu en grande partie possible par le soutien des autorités britanniques. Désormais, la colonisation commençait à lorgner sur les meilleures terres des peuples bantu et se heurta aux ethnies xhosa, mieux organisées politiquement et plus solides économiquement que les Khoisan. Effectivement les tensions sur la frontière entre populations indigènes et européennes débouchèrent de plus en plus sur des conflits ou des guerres. Enfin, la perspective de développer une économie minière et les tensions impérialistes du dernier tiers du xixe siècle achevèrent de convaincre le gouvernement britannique de mobiliser les ressources nécessaires pour soumettre les royaumes ou chefferies africaines qui résistaient à la colonisation (Zulu, Pedi et al. ) [15] et d’intégrer les Républiques boers de l’Orange Free State et du Transvaal. Nous verrons par la suite l’importance que revêtit pour les Britanniques la soumission non seulement politique mais surtout économique de ces territoires.
19En Algérie, exception faite de l’anarchie des premières années consécutive à la prise d’Alger, l’appropriation du domaine foncier fut conduite par l’administration militaire et accomplie principalement après la conquête du territoire. Certes, durant et au lendemain de la conquête, la France déclara siennes les terres du beylick turc [16] dont elle estimait être le successeur, s’appropria certaines terres jugées incultes, mit la main sur les biens habous [17] (1844) et apposa le séquestre sur les terres incultes et celles des tribus qui prenaient les armes contre elle. Cependant, pour dégager les terres nécessaires au développement d’un « petit colonat agricole », l’administration française composa avec les dispositions foncières préexistantes (ou ce qu’elle en comprit) et recourut à une combinaison d’outils incluant l’expropriation, mais surtout la vérification des titres traditionnels, ainsi que l’adoption de lois unilatéralement favorables à la colonisation (Ageron, 1968, I, 67-102 ; Ruedy, 1967).
20L’objectif de ce dernier outil était l’introduction de la propriété privée (au sens romain) sur les terres des indigènes et la création d’un marché libre de la terre entre Européens et indigènes [18]. Pour y parvenir, elle choisit d’introduire des éléments de la législation française dans le droit foncier musulman et coutumier. Plusieurs lois furent adoptées (en 1873, 1887, 1899 et 1926), mais c’est la loi Warnier de 1873 qui symbolisa le mieux cette pratique : la terre fut soumise au Code civil, en particulier à l’article 815 qui stipule que « nul n’est tenu de rester dans l’indivision » (Rivet, 2002, 180). Concrètement, cela signifie qu’il suffisait qu’un chef de famille désirât vendre son bien pour entraîner parfois la licitation de toutes les terres de la tribu. Ces modifications engendrèrent dès lors des procédures extrêmement longues et permettaient généralement aux colons d’acheter des terres à bas prix. Cette politique déboucha effectivement, à la fin des années 1920, sur la constitution d’un marché libre de la terre. D’ailleurs, à quelques occasions, au xxe siècle, le solde des transactions foncières s’établit en faveur de la population indigène, entre 1918 et 1920, puis de nouveau dans les années 1950, mais sans véritablement affecter la répartition entre les deux communautés. En fin de compte, la fraction de la propriété privée aux mains des colons acquise sur le marché foncier entre Européens et indigènes avoisina 44 % (Droz, 2001, 54-55).
Politique foncière
21En Algérie, l’administration française affirma précocement sa volonté d’intercaler le colonat européen au sein du peuplement indigène : « Ce qui importe de faire dans l’intérêt bien entendu de notre domination, c’est de trouver place pour les deux éléments européen et indigène, en intercalant les Arabes dans nos lignes, et en leur assignant des cantons où ils puissent échanger leur existence précaire d’usagers contre celle de véritables propriétaires [19]. »
22Il y a donc une différence fondamentale entre la situation prévalant en Algérie et celle des autres territoires où la répartition qui émergea du processus d’appropriation foncière par la colonisation fut clairement ségrégationniste : la propriété du sol par les Européens et les Africains fut établie en fonction de zones bien distinctes, la réserve étant, comme son nom l’indique, le territoire réservé aux seules populations africaines. En Afrique du Sud, le Natives’ Land Act de 1913 (adopté après la création de l’Union sud-africaine en 1910) symbolisa l’aboutissement de ce processus de ségrégation foncière, rendant illégal, pour les Africains, l’achat ou la location de terres en dehors des réserves existantes (à l’exception du Cap). Il témoigne aussi de la volonté de faire de la politique foncière un outil du pouvoir blanc, afin de libérer la main-d’œuvre nécessaire à l’économie minière et aux exploitations agricoles européennes (voir notamment Wickins, 1981).
23Cette attitude vis-à-vis de la terre se retrouve presque telle quelle au Kenya et en Rhodésie du Sud, avec des différences de degré découlant de l’importance numérique de la population européenne, de l’importance stratégique des territoires, du rôle de l’économie minière et du lien institutionnel avec la métropole (Porter, 2004, 263). En Rhodésie du Sud, le Land Apportionment Act de 1930, qui entérina la ségrégation du sol fut lui aussi l’aboutissement d’un long processus. Jusque-là, les transactions foncières entre les deux communautés conservaient un caractère légal ; en effet, une disposition légale (the Cape clause), adoptée en 1894 sous l’insistance britannique stipulait ceci : “A native may acquire, hold, encumber and dispose of land on the same conditions as a person who is not native.” (Palmer, 1977a, 235). Effectivement, ces transactions interraciales étaient socialement proscrites et furent par conséquent limitées (Mosley, 1983, 16 ; Palmer, 1977a, 235). Pour les colons cependant, leur possibilité constituait une menace qu’ils n’eurent de cesse de combattre. C’est surtout après la première guerre mondiale et durant les années 1920 que les craintes des Européens envers la concurrence africaine s’accrurent. Par conséquent, ils voulurent pérenniser et légaliser la situation existante sur le terrain : l’occupation du high veld, les hautes steppes. La situation se décanta durant les années 1920. En 1923, les colons obtinrent que la Rhodésie du Sud devînt une colonie dotée d’un gouvernement responsable (self-governing colony) ce qui les renforça et, en 1925, une commission fut chargée de réfléchir à l’établissement d’une politique foncière distinguant des zones, à l’intérieur desquelles les transactions foncières seraient réservées aux Européens ou aux Africains, et aboutit précisément à la loi de 1930.
24Au Kenya, les ventes de terres entre colons et indigènes furent précocement interdites, en vertu de la Kenya Crown Lands Ordinance de 1902, pour prévenir l’exploitation de ces derniers. Cette « protection » des populations africaines passa aussi par la création de réserves, un secteur du marché de la terre préservé, à l’usage des seuls Africains, et une manière de maintenir partiellement les structures précoloniales. La fonction des réserves et la vision qu’en avait l’administration coloniale furent souvent ambivalentes. Les réserves purent aussi être envisagées comme des sources potentielles de main-d’œuvre pour l’agriculture européenne, à condition de leur conférer une taille minimale (Berman, 1990, 150-151 ; Palmer, 1977b, passim). Au Kenya cependant, les colons craignaient surtout la communauté indienne, politiquement organisée et numériquement plus importante qu’eux.
25En effet, si la présence asiatique (principalement indienne) en Afrique de l’Est précéda l’arrivée européenne de nombreux siècles, elle s’accrut sensiblement à partir des années 1890 avec la colonisation européenne [20]. Il y avait 23 000 Asiatiques en 1921 contre 9 700 colons. À la veille de la seconde guerre mondiale, ceux-là étaient plus de 48 000 « faisant face » à moins de 21 000 Européens. En 1962, la communauté asiatique atteignait 177 000 personnes contre 56 000 colons (Gregory, 1993, 13 ; Kennedy, 1987, 197 ; Zwanenberg & King, 1975, 14). La première vague d’immigrants asiatiques fut principalement composée de travailleurs indiens sous contrat (indentured labourers) recrutés pour la construction du chemin de fer mais, dès la fin du xixe siècle, de nombreux Indiens immigrèrent également librement [21].
26Un second facteur, cependant, explique les craintes affichées par les colons. À la fin du xixe siècle, un intérêt s’était fait jour, parmi quelques personnalités britanniques, pour attirer des colons asiatiques dans l’agriculture et, au début du xxe siècle, les autorités britanniques s’étaient ralliées à cette idée. Même si, dès 1902, un revirement d’opinion intervint et le commissaire du Protectorat de l’Afrique de l’Est (le futur Kenya) recommanda l’exclusion des Asiatiques des highlands (Gregory, 1993, 238-239), les colons européens protestèrent avec véhémence contre l’établissement des Indiens dans l’agriculture (Sorrenson, 1968, 162). La pratique d’exclure les Asiatiques des highlands fut déclarée politique officielle en 1908 par le secrétaire d’État aux Colonies et la Crown Lands Ordinance de 1915 permit, sans passer par l’inscription de mesures discriminatoires dans la loi, d’empêcher l’acquisition de terres par les Indiens dans les highlands (Gregory, 1993, 238-243 ; Sorreson, 1968, 159-175).
27La communauté européenne affichait aussi des ambitions émancipatrices à l’instar des colons de la Rhodésie du Sud. Cependant, en 1923, un White Paper portant sur la situation des Indiens au Kenya trancha : “Primarily, Kenya is an African territory, and His Majesty’s Government think it necessary definitely to record their considered opinion that the interests of the African natives must be paramount, and that if, and when, those interests and the interests of the immigrant races should conflict, the former should prevail.” (loc. cit. in Porter, 2004, 264). Cela n’empêcha pas le même document d’entériner l’idée, déjà ancienne, selon laquelle les highlands étaient le territoire des Européens et qu’il n’y avait pas lieu de les ouvrir aux Asiatiques en leur accordant des concessions de terres (Meek, 1968, 78 ; voir aussi Wolff, 1974, 94-95) [22]. En 1932 enfin, la Kenya Land Commission décréta les Africains dépourvus de droits fonciers sur les highlands (Meek, 1968, 82 ; Palmer, 1968, 41).
28Ainsi, malgré des nuances importantes entre ces trois territoires britanniques, les colons virent leur situation foncière entérinée légalement, à la veille de la première guerre mondiale en Afrique du Sud et au cours des années 1923-1932 au Kenya et en Rhodésie du Sud, indépendamment du lien institutionnel de ces territoires avec la métropole, sur lequel influa, semble-t-il, l’importance numérique des colons.
Densité démographique et droits de propriété
29D’une façon générale, les administrations coloniales se sont efforcées de s’approprier à moindre coût « leur part » du domaine foncier tout en cherchant à limiter, au sein des sociétés soumises, les changements ou les bouleversements sociaux non indispensables au bon fonctionnement des économies de colons (Berry, 2002, 642). En Algérie, souligne Jacques Berque (1958, 62), « [d]eux forces inégales se démêlent à travers cent trente ans de législation algérienne. Un instinct d’expansion immobilière et d’implantation. Le sens, plus ou moins affirmé chez l’administrateur, d’une sauvegarde du patrimoine tribal. […] Les deux tendances interfèrent dans tous les textes de l’époque ». Elles transparaissent également dans les pratiques. En Afrique du Sud, au Kenya et en Rhodésie du Sud en revanche, cet arbitrage apparaît comme figé dans l’opposition radicale qui existait entre les réserves indigènes (au droit foncier coutumier « préservé ») et les terres en mains européennes régies habituellement par la propriété privée (freehold tenure) (Austin, 2004, 281 ; Berry, 2002, 642) [23].
30Ces divergences observables dans l’appropriation et la politique foncières entre l’Algérie d’une part, et l’Afrique du Sud, le Kenya et la Rhodésie du Sud d’autre part, sont en grande partie l’émanation d’une série de facteurs (voir supra) au rang desquels la densité démographique occupe une place centrale. Les modalités de l’accès à la terre varièrent selon que le colonisateur pénétrait des régions faiblement peuplées, où les systèmes de droits fonciers coutumiers définissaient au mieux des usages (par opposition à la notion de propriété exclusive, transférable et aliénable), ou des régions plus densément peuplées aux systèmes fonciers plus complexes et mieux définis.
31À la veille de la colonisation européenne, l’Afrique subsaharienne se trouvait, d’une façon générale, en situation d’abondance de terre : cet état de « surplus de terre » signifie, au sens économique, que l’expansion de la production pouvait être contrainte par une pénurie de main-d’œuvre ou de capital mais pas de terre cultivable (Austin, 2004, 276). Elle présentait, d’autre part, une très grande variété de lois foncières et de systèmes de culture – la propriété foncière individuelle n’était d’ailleurs pas inconnue. Comme l’écrit Anthony G. Hopkins (1973, 38) : “It was the product of the scarce factor, labour, which was closely defined, whereas rights over land, which was in general an abundant resource, were less specific. Where population was dense and the period of fallow short or non-existent, as was the case with permanent cultivation, then claims on individual plots became stronger, and in these circumstances freehold tenure, pledging, and even the sale of land were recognised in customary law [24].” Cependant, d’une façon générale, les règles foncières relevaient davantage du « droit général de cultiver » que du « droit particulier » sur une parcelle définie de terre (Boserup, 1970, 136-140) et c’est bien une situation d’abondance de terre qui prévalait, dans les trois territoires britanniques qui nous intéressent, au moment de l’intrusion européenne.
32L’analyse ci-dessus renvoie directement aux travaux d’Esther Boserup, en particulier à son ouvrage fondateur de 1965, The Conditions of Agricultural Growth: the Economics of Agrarian Change under Population Pressure (cité ici dans sa version française). Elle y présente le processus d’intensification de l’agriculture comme une réponse à l’accroissement démographique : les différences entre les divers systèmes de culture sont analysées comme les conséquences de variations dans la densité démographique (Boserup, 1970, 210) et la création des droits de propriété fonciers est placée au centre du processus de changement agricole induit par la croissance démographique (Idem, 131-150) [25]. Dans le cas de l’Afrique de l’Ouest, A. G. Hopkins (1973, 34-35) suggère d’amender ce schéma en accordant aussi à la disponibilité d’engrais et à l’éventail des plantes cultivables le rôle de variables influençant la durée ou le type de jachère dans un système de culture. Un consensus semble toutefois exister actuellement à la fois pour reconnaître la puissance explicative du « processus boserupien » de création des droits de propriété fonciers et à la fois pour en souligner le caractère idéalisé (Binswanger et al., 1995, 2664 ; Federico, 2005, 172). En fin de compte, cette évolution ordonnée, et plutôt rare en histoire, est bousculée par l’irruption de populations allogènes dominatrices (Federico, 2005, 119 et 172) et/ou par l’existence de rapports de pouvoir (Binswanger et al., 1995, 2664).
33À ce titre, le cas de la Régence d’Alger, sensiblement plus peuplée que les territoires examinés précédemment, est extrêmement intéressant, puisqu’il offre une histoire foncière complexe, mêlant influences coutumières et arabo-musulmanes [26]. Contrairement à l’idée que s’en firent les premiers juristes français, l’existence d’une propriété musulmane de conquête (kharâdj) ne semble pas être attestée au début du xixe siècle (Ageron, 1968 I, 68-70 ; Ruedy 1967, 2-3) [27]. Cette notion de la possession usufruitière, progressivement abandonnée, servit pourtant de matrice à la distinction, effectuée par l’administration coloniale au milieu du xixe siècle et qui perdura tout au long de la présence française, entre la propriété privée, appelée melk, et la terre « possédée collectivement et à titre d’usufruit par les tribus », dite plus tard ‘arch (tribu) (Ageron, 1968 I, 72 ; voir aussi 69-70 & 1994, 24).
34Cette formalisation « en termes juridiques abrupts [de] catégories fuyantes de terres » (Rivet 2002, 179) pose cependant problème à plusieurs niveaux. D’une part, la partie arable ou vivifiée (appropriée par le travail) des terres dites ‘arch était divisée en parcelles, faisant l’objet d’une appropriation familiale et héréditaire, transmissible par les hommes, mais n’était pas redistribuée périodiquement. Certes une terre, laissée trop longtemps à l’abandon, retombait à l’état de terre morte (sans maître), mais il en allait de même en terre melk. Quant aux terres non cultivées, terres de parcours ou terres mortes, elles correspondaient à des communaux utilisés collectivement (Ageron, 1968 I, 72-73). D’autre part, le régime de la propriété en Algérie reposait sur l’indivision, qu’elle soit familiale ou communautaire (et non collective), caractérisée par le droit de chefâa – droit de préemption au profit des copropriétaires ayant pour but d’empêcher la vente d’une part indivise à un étranger.
35Que retenir dès lors de la situation algérienne ? Premièrement, l’existence d’une forme d’appropriation privée du sol dans la Régence d’Alger au moment du débarquement français, sa probable prédominance dans les zones de cultures intensives ou plus densément peuplées et sa vraisemblable absence des régions d’agriculture extensive (Berque, 1958, 45 et 1962, 27 ; Ruedy, 1967, 5). Deuxièmement, l’existence, à côté de la propriété melk, d’une variété de formes immobilières qui « se caractéris[ai]ent par la concurrence de la communauté d’occupants avec le droit éminent du seigneur, du dévolutaire, ou du prince » (Berque, 1962, 27). Une situation dans laquelle le droit foncier, souvent imprécis, tirait sa légitimité en grande partie de la valorisation. Enfin, même en considérant les jeux de pouvoir et l’influence arabo-musulmane, le rôle de la densité démographique comme facteur affectant les modalités de l’appropriation foncière en Algérie. Quand bien même l’administration coloniale n’eût qu’une perception confuse du droit foncier précolonial, une politique « à la sud-africaine » ne parut jamais être envisageable. La tentation de refouler la population indigène, sans parler de celle de l’exterminer (à l’image du modèle américain auquel se référaient les acteurs ou les observateurs de l’époque) ne fut jamais sérieusement envisagée par l’administration française (Ageron, 1994, 10 et 18 ; Kateb, 2001, 4).
La main-d’œuvre
36La dépendance économique des Européens à l’égard de la main-d’œuvre indigène constitue une caractéristique majeure de ces territoires africains d’implantation européenne, dans la mesure où le colon ne travaillait pas la terre lui-même. Le faible pourcentage de la population européenne active dans l’agriculture en témoigne. Au Kenya et en Rhodésie du Sud, c’est durant l’entre-deux-guerres que la fraction la plus forte de la population active coloniale fut employée dans les activités agricoles. Au Kenya, le sommet fut atteint en 1921, lorsque 36 % de la population active européenne était engagée dans l’agriculture contre 28 % en 1911 et 1931 ; en Rhodésie du Sud, le taux le plus élevé (25 %) se retrouva en 1921 et 1926 (19 % en 1914 et 1931) (Kennedy, 1987, 198-199). Je n’ai pas (encore) trouvé ces indications pour l’Afrique du Sud, mais il est probable que les pourcentages ont été supérieurs, dans la mesure où il exista des poor whites, principalement des fermiers boers du Transvaal [28]. Il n’est malheureusement pas possible de développer ici cette question. Mentionnons simplement que le nombre de ces pauvres, qu’ils aient ou non été dans les campagnes, est estimé à au moins 100 000 en 1920 et à environ 300 000 au moment de la dépression mondiale, au début des années 1930, qui frappa durement l’agriculture (Feinstein, 2005, 85). En ce qui concerne l’Algérie, l’on sait qu’à la fin de la période coloniale, en 1954, la population européenne active dans l’agriculture ne représentait plus que 9 % de la population européenne active totale (Ageron, 1979, 483).
37L’état de dépendance des Européens à l’endroit d’une main-d’œuvre bon marché se manifesta dans une situation de « surplus de terre et de pénurie de main-d’œuvre » sur laquelle s’est penché, il y a plus de trente ans, Evsey D. Domar (1970). Celui-ci a en effet démontré, et son analyse a récemment été reprise par Charles Feinstein (2005, 33) à propos du cas sud-africain, que dans des économies agricoles caractérisées par une abondance relative de terre et une pénurie de main-d’œuvre, les propriétaires de la terre sont incapables d’en tirer profit. Dans une économie à faible densité démographique, l’agriculteur dépossédé conserve la possibilité d’échapper au travail pour autrui en se déplaçant sur une autre terre et ne viendra se faire embaucher que si le salaire versé est au moins aussi élevé que ce qu’il pourrait gagner en tant qu’agriculteur indépendant. Mais le paiement d’un tel salaire laisserait au propriétaire foncier une trop faible fraction du revenu de la terre (Feinstein, 2005, 33).
38Comment les colons ont-ils remédié à cette situation ? La première réponse au dilemme de Domar reste the closure of the escape route to free land (Feinstein, 2005, 34-35). L’appropriation foncière sur une grande échelle fut l’outil privilégié pour priver les Africains de tout moyen de survie autre que la vente de leur force de travail. Elle est observable en Afrique du Sud, en Rhodésie du Sud et, dans une certaine mesure, au Kenya. En Algérie cependant, cette stratégie est difficile à déceler. S’il est manifeste que l’accélération de la dépossession foncière à partir des années 1870 exerça une nette influence sur la disponibilité de la main-d’œuvre indigène (Lützelschwab, 2006, chapitre 7), il semble périlleux, sinon erroné, d’affirmer qu’il exista une politique visant à accaparer la terre de manière à dégager une main-d’œuvre indigène pour les colons, même si un tel souhait exista probablement chez quelques-uns d’entre eux.
39D’autres outils furent développés, afin de procurer aux colons la main-d’œuvre nécessaire à l’exploitation de la terre, ainsi qu’à l’économie minière en Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, en Rhodésie du Sud : 1) intervenir de façon coercitive sur le « marché » du travail ; 2) taxer de façon différentielle ; 3) restreindre l’accès aux biens et services publics (chemin de fer ; écoles d’agriculture ; etc.) ; 4) limiter l’accès aux marchés (terre ; crédit ; produits, etc.) (Binswanger, 1995, 2673-2677). Il importe de garder à l’esprit que ces outils s’inscrivent dans une dimension historique : leur utilisation par l’administration coloniale a varié au cours du temps en fonction des développements et des changements de l’économie et de la société. Certains furent abandonnés, d’autres développés [29]. Relevons au passage que ces instruments devaient aussi permettre aux exploitants européens de concurrencer les agriculteurs indigènes. En effet, au Kenya, en 1913, la production agricole d’origine africaine contribuait grosso modo aux trois quarts des revenus d’exportation et concourait à diminuer le déficit de fonctionnement du chemin de fer (Berman, 1990, 54 et 58). De surcroît, la mise en place de l’économie coloniale (mines, plantations) au Kenya et en Rhodésie du Sud eut pour effet de procurer des débouchés à la production alimentaire des agriculteurs africains qui surent en tirer parti. Enfin, les coûts de production des exploitants européens qui s’essayèrent à la culture directe en Algérie au milieu du xixe siècle dépassaient nettement ceux des agriculteurs indigènes (Lützelschwab, 2006, 277-293).
40La deuxième réponse au dilemme de Domar fut d’intervenir sur le marché du travail. L’on retrouve, à ce sujet, une nette opposition entre, d’une part, l’Afrique du Sud, le Kenya et la Rhodésie du Sud où des mesures extrêmement coercitives furent adoptées et, d’autre part, l’Algérie qui n’eut pas besoin de recourir à tels expédients. Avant les années 1830-1840 environ, divers outils furent mobilisés en Afrique du Sud. D’abord l’esclavage. Les premiers esclaves, étrangers à la colonie, y furent introduits dès 1658 et devinrent une source de main-d’œuvre importante pour les deux activités principales de l’économie agricole du Cap, la production céréalière et la viticulture. Au moment de l’abolition de l’esclavage en 1834, leur nombre total s’élevait à 36 000 individus [30]. Les Khoikhoi, poussés par la perte d’une partie des terres nécessaires à leur mode de vie de pasteurs nomades ou, plus spécifiquement de leur accès aux sources d’eau (Feinstein, 2005, 51 ; Guelke et Shell, 1992), vinrent s’engager dans les fermes des Européens. L’on peut aussi ajouter le système des enfants engagés ou sous contrat (system of indentured child labour), introduit au Cap en 1775, avant d’être appliqué sous la forme d’un quasi-esclavage au Transvaal et dans l’Orange Free State (Feinstein, 2005, 53). Plus classiquement, le développement des plantations de cannes à sucre au Natal entraîna l’importation, en 1860, de travailleurs indiens sous contrat (indentured labourers), à l’instar de la politique adoptée dans les Indes occidentales après l’abolition de l’esclavage.
41Cependant, au xixe siècle, en l’absence de moyens de contrainte aussi coercitifs que l’esclavage, le travail forcé ou la servitude provisoire, deux autres instruments, plus modestes, furent élaborés en Afrique du Sud, puis repris au Kenya et en Rhodésie du Sud : d’une part, l’adoption de pass laws ; d’autre part, la taxation [31]. La mise en vigueur de pass laws, concernant avant tout les hommes, se fit pour deux raisons distinctes : premièrement, contrôler et limiter la liberté de mouvement de la population indigène ; en second lieu, lier les travailleurs indigènes à un employeur européen. Ce deuxième usage se répandit dans l’ensemble du territoire sud-africain. Il fut renforcé par l’adoption de Masters and Servants Acts qui firent d’une rupture de contrat un délit criminel. Le système présentait l’avantage pour les agriculteurs européens d’imposer un salaire ou des conditions de travail sans crainte de la concurrence. La première Masters and Servants Ordinance, passée en 1841, constitua à bien des égards une réponse à l’abolition de l’esclavage mais ce fut le nouveau Masters and Servants Act adopté au Cap en 1856, plus contraignant, qui servit de modèle aux lois introduites par la suite au Natal, ainsi que dans les républiques boer (Chanock, 2004, 338-364 ; Feinstein, 2005, 56-57). Le système du laissez-passer fut repris en Rhodésie du Sud (de 1902 à 1958) et au Kenya (de 1915 à 1946). Les Africains qui quittaient les réserves se virent imposer le port d’un certificat d’enregistrement (kipande) contenant leurs données personnelles et celles concernant leur travail, leur salaire et les rations reçues (Mosley 1983, 135). Pour Berman et Lonsdale, il s’agit ni plus ni moins de la clef de voûte du système des contrôles de la main-d’œuvre au Kenya. En Rhodésie du Sud, il servit avant tout dans le secteur minier.
42La taxation, sous la forme de hut and poll taxes (taxe de résidence et impôt local forfaitaire), fut également un moyen important de contrainte, appliqué indépendamment des niveaux de revenu. La première hut tax fut introduite au Natal en 1849, puis son montant fut doublé en 1875. D’abord prélevées dans les réserves ou dans les territoires accordés aux Africains, ces taxes furent étendues par la suite aux squatters qui occupaient des terres dont les colons revendiquaient la propriété, et aux populations indigènes vivant sur les terres de la Couronne (Feinstein, 2005, 55). En Rhodésie du Sud, la hut tax fut imposée dès 1894 et remplacée en 1904 par la poll tax qui doubla le montant exigé (Arrighi, 1970, 208 ; Kosmin, 1977, 274). La hut tax fut introduite au Kenya en 1901-1902 et doublée en 1914, alors que la poll tax fut levée pour la première fois en 1905. Dans ces deux territoires cependant, ces impôts frappèrent tous les indigènes sans distinction, afin simplement d’augmenter le coût de la vie. Pour payer les taxes, les Africains ne cherchèrent pas initialement un travail salarié mais accrurent la production, principalement sur les terres prises en location. Malgré les demandes réitérées des colons pour que les indigènes travaillant sur les fermes européennes ne fussent pas soumis à ces taxes, ces derniers ne furent pas privilégiés par rapport à ceux louant la terre aux Européens (Berman, 1990, 509). Les Shona de Rhodésie du Sud, quant à eux, s’efforcèrent d’augmenter les ventes de produits alimentaires et de bétail plutôt que de devenir des travailleurs migrants (Palmer, 1977a, 228).
43Rien de tel en Algérie. Dans les premières décennies de la présence française en Algérie, la politique menée par la métropole eut pour objectif l’installation de colons supposés cultiver eux-mêmes la terre et l’administration ne vit pas d’un bon œil les colons confier l’exploitation de leur lot de colonisation à la main-d’œuvre indigène. Malgré cette hostilité, il est possible de citer un exemple d’incitation fiscale pour attirer les agriculteurs indigènes sur les terres des colons. En 1849, le gouvernement général décida d’exempter des impôts arabes les indigènes employés comme métayers sur les domaines européens, y habitant une maison et travaillant sous la supervision du propriétaire ou de son directeur (Bennoune, 1988, 56). Selon Guy Pervillé (2002, 34) le ministère de la Guerre approuva, à partir de 1851, la généralisation de l’emploi de la main-d’œuvre indigène (comme métayer, khammès ou salariée) pour les récoltes ou les grands travaux de défrichement en raison de la cherté des salariés français. Il semblerait en outre qu’une décision, prise en août 1858, exemptait de l’achour (dîme coranique sur les céréales) tous les indigènes (métayers ou locataires) travaillant sur les terres des colons (Lützelschwab, 2006, 289-290) [32]. Cette explication s’applique en particulier au Constantinois, la région la plus orientale de l’Algérie ; en l’Oranie, à l’ouest, de nombreux immigrés espagnols pauvres remplirent la fonction de main-d’œuvre bon marché pour les « colons officiels », c’est-à-dire ceux dont l’immigration et l’installation dans les villages de colonisation avaient été encadrées par l’administration française (Pervillé, 2002, 34-35 ; voir aussi Jordi, 1996).
Évolution des modes d’exploitation
44Les craintes affichées par les colons en Afrique du Sud, au Kenya et en Rhodésie du Sud envers la concurrence africaine, craintes qui les avaient poussés à réclamer l’adoption d’une politique territoriale ségrégationniste allant bien au-delà de la reconnaissance de droits de propriété, s’exprimèrent également à propos des modes d’exploitation. En effet, l’ampleur des superficies foncières en mains européennes, l’impossibilité de traduire immédiatement sur le terrain cette prise de possession par une délimitation ou encore l’incapacité de la faire respecter, impliquèrent que nombre d’Africains restèrent ou s’installèrent sur des terres qui ne leur appartenaient pas ou plus (voir, par exemple, Anderson, 2002, 48-69). Plus ou moins progressivement selon les régions, les colons firent respecter leurs droits et adoptèrent divers modes d’exploitation.
45En Afrique du Sud, les propriétaires fonciers européens absentéistes ou spéculateurs avaient tendance à autoriser des agriculteurs africains à travailler leur terre en échange du paiement d’un loyer. Il s’agissait du rent tenancy aussi connu sous le nom de kaffir system. Ce mode d’exploitation qui laissait toute latitude aux cultivateurs africains mécontentait fortement les exploitants européens présents qui voyaient là un gaspillage de la main-d’œuvre indigène. Le métayage – un mode d’exploitation dans lequel le propriétaire autorisait des cultivateurs africains à travailler sa terre sous condition d’en partager les fruits et récoltes avec le propriétaire (généralement la moitié de la récolte) – présentait une alternative intéressante pour les colons absentéistes (dans la mesure où le métayer avait un intérêt direct dans la taille de la récolte) ou pour les exploitants européens qui ne disposaient pas du capital nécessaire à l’exploitation de leur domaine. Le troisième système d’exploitation, labour tenancy, établissait une relation, de type servile, entre un propriétaire qui autorisait un cultivateur africain à s’installer sur sa terre avec sa famille pour en cultiver un petit lopin et faire paître quelques bêtes, en échange de l’accomplissement d’un nombre défini de jours de travail, habituellement 90 jours payés. L’on retrouve au Kenya et en Rhodésie du Sud une situation similaire : ceux que l’historiographie nomme les squatters résidaient sur les terres des colons et en cultivaient le sol à des conditions voisines du labour tenancy sud-africain ; d’autres travaillaient dans le cadre du kaffir farming [33] (Anderson, 2004, 507 ; Mosley, 1983, 20 ; Okoth-Ogendo, 1991, 99 ; Rennie, 1978 ; Sorrenson, 1968, 94).
46Ces trois territoires connurent une évolution similaire mais légèrement décalée dans le temps. À partir de la fin du xixe siècle, en Afrique du Sud, et en particulier avec le Natives Land Act de 1913, les colons les plus entreprenants s’efforcèrent de supprimer le rent tenancy et le métayage. De 1913 à la seconde guerre mondiale, le labour tenancy devint la forme d’exploitation dominante, malgré un alourdissement de la période de travail requise (180 jours dans certains endroits) et l’adoption de squatters’ laws destinées à limiter le nombre de familles sur une parcelle d’exploitation et à mieux répartir la main-d’œuvre.
47La même évolution est observable au Kenya. La crainte d’une reconnaissance des droits des cultivateurs africains sur les White Highlands principalement entraîna l’adoption de la Resident Native Labourers Ordinance en 1918. Le kaffir farming fut rendu illégal et les squatters virent leur situation se dégrader. Leurs droits en tant qu’occupants furent supprimés et eux-mêmes condamnés à une relation de type servile. Le service exigé fut étendu à 180 jours par année (valable pour tous les hommes dès seize ans) puis à 270 jours par année en 1937 (Anderson, 2004, 507 ; Middleton, 1965, 347 ; Deiniger, 1995, 499). En Rhodésie du Sud, des mesures restrictives furent prises en 1908 (Private Locations Ordinance), afin de diminuer l’attrait des locations (notamment le kaffir farming), telles l’enregistrement obligatoire des locataires, la limitation de leur nombre par exploitation agricole – c’est l’élément central –, l’imposition de droits au propriétaire pour chaque personne engagée, droits augmentés pour les propriétaires absentéistes (Rennie, 1978, 94 ; Palmer, 1977b, 89-90 ; Mosley, 1983, 20 ; Deiniger, 1995, 509). Ces dispositions légales visaient avant tout les propriétaires européens absentéistes ainsi que les colons pauvres ne disposant pas des moyens d’exploiter leur terre.
48Durant l’entre-deux-guerres en Afrique du Sud, et durant les années 1940 au Kenya et en Rhodésie du Sud, l’intensification et la mécanisation progressive de l’agriculture conduisirent au développement du salariat dans l’agriculture mais aussi à l’éviction de nombreux tenanciers avec des répercussions politiques importantes au Kenya (rébellion Mau Mau de 1952). La mécanisation de la céréaliculture en Algérie, sur les exploitations européennes principalement, entraîna la prolétarisation d’une fraction de la population indigène. Cependant, même si le métayage et les locations reculèrent, au cours des années, en faveur du salariat, on ne légiféra pas pour influencer les modes d’exploitation et il existe des exemples de mécanisation poussée de l’agriculture dans le cadre du métayage (Lützelschwab, 2006). Une fois encore, la densité démographique, l’importance du domaine foncier en mains européennes et les modalités de l’appropriation foncière expliquent probablement l’absence de la figure du squatter en Algérie.
En guise de conclusion
49Le survol de ces colonies d’implantation européenne en Afrique aura permis de mettre en évidence trois caractéristiques majeures. Premièrement, ces régions ne présentaient pas un « potentiel de prise en charge des transferts de population, de cultures et de bétail » comparable à celui des véritables pays de peuplement européen. Les possibilités d’implantation en masse d’un colonat européen dans l’agriculture tempérée restèrent très limitées. Les variables démographique et, dans une certaine mesure, géographique expliquent en grande partie ce fait : les populations indigènes ne disparurent pas avec la conquête coloniale et parvinrent à dominer un colonat qui resta toujours minoritaire, parfois même marginal, sans connaissance préalable du milieu physique.
50Deuxièmement, l’opposition marquée en termes d’appropriation du sol, d’intervention sur le marché du travail, etc. entre l’Algérie et les trois autres territoires considérés renvoie elle aussi, en partie, à des différences de densité démographique. Si les administrations coloniales semblent avoir davantage « respecté » les droits de propriété coutumiers en Afrique sub-saharienne que dans les nouvelles Europes, ce n’est pas, dans la plupart des cas, par respect mais par pragmatisme, en raison de la présence des populations indigènes. D’ailleurs, elles ne retinrent, de l’usage indigène du sol, que ce qu’indiquaient les cultures apparentes, sans tenir compte des superficies exigées par les pratiques agricoles extensives ou itinérantes (Berry, 2002, 641-642 ; Federico, 2005, 146). À ce titre, la région du Cap ressemble davantage à la situation des pays de peuplement européen qu’au reste de l’Afrique du Sud, au Kenya ou à la Rhodésie du Sud : le colon y eut la possibilité de repousser l’indigène sans se soucier des droits fonciers préexistants, aussi peu définis fussent-ils. À l’opposé, en Algérie, l’avènement de la IIIe République entraîna l’introduction progressive des droits de propriété fonciers français. Le double objectif, contradictoire, poursuivi par les administrations coloniales, de satisfaction des besoins économiques des colons et de « préservation » de l’ordre social indigène fut donc atteint par des moyens sensiblement différents selon que l’on avait affaire à des territoires plus ou moins densément peuplés.
51Ceci dit, la prise en compte du critère de la densité démographique (à côté d’une série d’autres facteurs mentionnés ci-dessus tels que la taille de la communauté européenne, l’importance politique, stratégique ou économique de la colonie, etc.) ne doit pas occulter les différences bien réelles qui existaient entre les empires britannique et français en termes de culture administrative coloniale [34]. J’en veux pour preuve l’influence exercée par l’expérience sud-africaine sur les institutions adoptées au Kenya et en Rhodésie du Sud qui est éloquente.
52Troisièmement, l’impératif soutien de l’État. Celui-ci intervint de sa propre initiative ou sous la pression des colons ou de groupes d’intérêt en leur sein. Son action eut pour principal effet de modifier l’accès des différents groupes sociaux, européens et indigènes, aux facteurs de production (au sens large). Les bouleversements dans le domaine foncier ou les mesures coercitives adoptées à l’encontre de la main-d’œuvre indigène en sont l’illustration. Mais un autre facteur explique l’intervention de l’État. Les travaux sur les rapports de production dans l’agriculture tendent à démontrer qu’en l’absence de mécanisation, les grandes exploitations sont généralement moins efficaces que les exploitations individuelles, en raison des coûts de surveillance et des problèmes d’incitation.
53Enfin, il ne faut pas envisager les catégories sociales retenues, les Européens et les indigènes, comme étant homogènes. Les colons pauvres éprouvaient d’importantes difficultés à se maintenir sur la terre : en Algérie, à la fin de la période coloniale, ils avaient abandonné l’agriculture, alors qu’en Afrique du Sud, durant l’entre-deux-guerres, ils se replièrent de plus en plus dans les villes. De même, la population indigène n’était pas non plus homogène. En Afrique du Sud, les Africains qui réussissaient à survivre, à la fin du xixe siècle, en tant que producteurs indépendants sur les terres possédées par des Européens furent l’objet de discriminations directes et indirectes (Feinstein, 2005, 137). En Algérie, il existait une catégorie de cultivateurs indigènes fortunés, exploitant la terre selon des techniques modernes. Enfin, le soutien de l’État à l’agriculture coloniale n’impliqua pas non plus une inefficacité généralisée des colons dans la production agricole, loin de là. La situation était relativement variée et implique de désagréger ces catégories qui peuvent parfois devenir trop générales.
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Sources
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- Colonial Office (1937), An Economic Survey of the Colonial Empire, London, His Majesty’s Stationery Office.
- Hailey, W. H. Lord (1957), An African survey. Revised 1956. A study of problem arising in Africa south of the Sahara, London, New York, Toronto, Oxford University Press.
- Ministère de la Guerre (1846), Tableau de la situation des établissements français dans l’Algérie. 1844-1845, Paris, Imprimerie royale.
NOTES
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Une grande partie du matériel réuni pour cet article l’a été dans le cadre de la recherche intitulée « Colonisation, peuplement et agriculture en Asie et en Afrique aux xixe et xxe siècles : une analyse comparative » et soutenue financièrement par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique. Que cette institution trouve ici l’expression de ma gratitude. Je remercie William Gervase Clarence-Smith pour ses observations, formulées sur un texte antérieur intitulé “Colonial Settler Economies in Africa” et présenté au XIVe Congrès international d’Histoire Économique à Helsinki en août 2006, observations dont le présent texte a bénéficié. Je remercie également deux lecteurs anonymes pour leurs remarques et suggestions.
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[1]
Ce climat facilite bien évidemment les possibilités de transferts de plantes, d’animaux, mais aussi de techniques. En outre, ces nouvelles Europes sont situées au niveau de latitudes moyennes où sont enregistrées de longues journées estivales fournissant d’excellentes conditions pour la photosynthèse (Weaver, 2003, 11).
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[2]
Une caractéristique commune importante « unit » ces quatre territoires : les colons y disposent d’une représentation dans un corps législatif qui permet la défense de leurs intérêts (Mosley, 1983, 9).
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[3]
Sur cette question, voir notamment Richards, 1990, 102-118.
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[4]
Le mot latin colonus signifie cultivateur, paysan, habitant (Pervillé, 1993, 4).
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[5]
Notamment à travers l’instauration et le développement des droits de propriété. C’est un thème largement traité par Weaver, 2003.
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[6]
Il est habituel de ne considérer que la partie nord de l’Algérie qui représente un dixième seulement du territoire algérien, compte non tenu du Sahara.
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[7]
Trypanosomiase est le nom générique donné aux maladies (des parasitoses) provoquées par différentes variétés de trypanosomes (parasite protozoaire) qui incluent la trypanosomiase américaine (maladie de Chagas), celles africaines (maladie du sommeil), ainsi que les trypanosomiases animales (nagana en Afrique et surra en Asie).
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[8]
À cet égard, la densité démographique du Kenya paraît relativement élevée.
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[9]
La terminologie la plus souvent retenue pour les peuples d’Afrique du Sud d’avant l’arrivée européenne distingue deux grands groupes : les Khoisan et les populations de langues bantoues. Les Khoisan sont parfois subdivisés en deux sous-groupes : les Bushmen ou San (chasseurs-cueilleurs) et les Khoikhoi, précédemment appelés Hottentots (gardiens de troupeaux nomades), voir Feinstein, 2005, xix.
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[10]
Pour l’Algérie, la communauté juive est comptée au sein de la population européenne.
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[11]
Les calculs portent sur l’année 1960 ; ils souffrent de variations plus ou moins prononcées, parce que les historiens diffèrent sur l’effectif total de la population du Kenya et de la Rhodésie du Sud à cette date. L’estimation haute (Maddison, 2001, 330 et 333) tire vers le bas l’importance relative du peuplement européen, alors que l’estimation basse (Yudelman, 1964, 5 ; Mosley, 1983, 7) tend à valoriser la présence numérique des colons. Marks, quant à elle, estime que les colons ne furent jamais plus de 5 % en Rhodésie du Sud (Marks, 1999, 552).
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[12]
Entre 1880 et 1910, l’immigration brute en provenance des îles Britanniques explique environ 85 % de la différence des effectifs de la population européenne (mes calculs d’après Ferenczy & Willcox, 1929, 628-629 ; Feinstein, 205, 257 ; Etemad, 2000, 221). (J’arrête mon analyse à la première guerre mondiale.)
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[13]
La seule chose que l’on peut avancer concerne la Rhodésie du Sud entre 1921 et 1936. Dans ce territoire, le solde de la balance migratoire européenne explique légèrement moins de 50 % de la différence des effectifs de la population européenne entre 1921 et 1926. Entre 1926 et 1931, le solde migratoire correspond à environ 70 % de la différence des effectifs et entre 1931 et 1936, à un peu moins de 40 % (mes calculs d’après Kennedy 1987, 196-197).
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[14]
La plupart des spécialistes de l’Algérie coloniale se contentent d’indiquer que les colons possédaient environ un quart de la propriété privée. Cependant, ce calcul ne rapporte pas l’étendue de la propriété privée européenne à l’ensemble des terres de l’Algérie du Nord, mais uniquement à l’ensemble de la propriété privée européenne et indigène.
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[15]
Sur la conquête et la dépossession au xixe siècle, voir Keegan, 1996 mais aussi, pour des différentes régions de l’Afrique du Sud : Bonner, 1983 ; Crais, 1992 ; Delius, 1983 ; Guy, 1979 ; Murray, 1992 et Shillington, 1985.
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[16]
Beylick : dignité de bey ; état, gouvernement. Le bey étant un titre turc désignant un gouverneur de province.
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[17]
Habous : (équivalent maghrébin de waqf) biens de mainmorte, fondations pieuses dont les revenus servaient à l’entretien des mosquées et autres établissements religieux.
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[18]
Il s’agit d’un durcissement de la législation coloniale qui intervient à la suite de l’instauration de la IIIe République (1870) en métropole mais surtout de l’insurrection manquée de 1871. Selon Ageron (1968 I, 1), la politique qui s’ensuivit entre 1871 et 1891 « fut imposée à un peuple vaincu et […] se comprend comme telle ». En Algérie, ce changement de politique se traduisit par le retour au régime civil et l’adoption d’une politique d’assimilation à la France, notamment sur le plan politique ; les colons disposèrent alors d’une représentation parlementaire à Paris. La plupart des historiens évoquent cette période en parlant du « triomphe du colon ».
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[19]
Ministère de la Guerre, Tableau de la situation des établissements français dans l’Algérie. 1844-1845, Paris, Imprimerie royale, mai 1846, p. 222.
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[20]
À la veille de l’arrivée européenne, la présence asiatique est attestée non seulement sur l’île de Zanzibar où elle était la plus considérable, mais aussi dans des villes côtières telles Malindi ou Mombasa. Un recensement plutôt conservateur des Asiatiques en Afrique de l’Est en 1887 établit leur nombre à un peu plus de 6 000 personnes dont 533 à Mombasa, 82 à Malindi. Les Goans et les Baluchis n’ont pas été inclus dans la statistique (Gregory, 1993, 12).
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[21]
La communauté asiatique, principalement indienne, occupa en quelque sorte une strate intermédiaire dans la société (petit commerce, activité de banque, personnel du chemin de fer, employés de bureau, artisans, etc.). Les activités commerciales et bancaires, ainsi que celles de la fonction publique employaient, en 1962, les trois quarts de la population active asiatique (Gregory, 1993, 23).
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[22]
La question d’une implantation indienne dans l’agriculture, certes dans les Lowlands, ne fut pas close avant 1941 (Gregory, 1993, 242-243).
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[23]
Il est à noter que la propriété privée était un mode de possession foncière également reconnu aux Asiatiques (Berry, 2002, 642). Au contact du monde colonial, des évolutions nuancées dans les régimes fonciers africains se produisirent sous l’influence des anciens (davantage que sous l’impulsion de l’administration). Au Kenya, par exemple, dans les réserves Kikuyu, les règles coutumières tendirent à être réinterprétées de façon à limiter le nombre des héritiers (Austin, 2004, 282).
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[24]
Ce qui nous amène à préciser un point mis en évidence par Gareth Austin (2004, 278) pour l’Afrique subsaharienne : “The main institutions for appropriating economic rent involved property rights over people rather than land.”
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[25]
Elle met un soin particulier cependant à souligner la complexité du phénomène et à mettre en garde le lecteur contre les simplifications abusives : « Nous avons déjà vu que la rareté des terres agricoles est un phénomène beaucoup plus complexe que ne voudrait le faire croire la théorie traditionnelle. […] De même, le développement des règlements et des coutumes concernant la tenure du sol obéit à un processus beaucoup plus lent et compliqué que les partisans de la théorie classique ne le supposent. En fait, il semble qu’il n’y ait jamais de passage direct d’une situation dans laquelle les terres sont à la disposition de tout le monde, à celle de la propriété privée appartenant à l’exploitant, ou à un propriétaire absentéiste. » (Boserup, 1970, 135-136).
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[26]
La question du régime foncier et de la propriété indigène est excessivement complexe et reste, à de nombreux égards, peu assurée. À ma connaissance, la meilleure présentation du sujet reste celle de Ageron, 1968 I, 67-102. Voir aussi Ruedy, 1967.
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[27]
L’idée est que les indigènes ne « possédaient » la terre qu’à titre d’usufruit et à condition de payer l’impôt (le kharâdj). Ils étaient donc les usufruitiers de la collectivité musulmane (Oumma).
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[28]
William K. Hancock (1942, 23) donne en revanche la répartition spatiale (rurale et urbaine) de la population européenne (sans indication d’un critère de taille pour les villes) de la fin du xixe siècle à la veille de la seconde guerre mondiale. En 1890-1891, 65 % de la population européenne vivait en zone rurale contre 48 % en 1911 et 35 % en 1936.
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[29]
Il n’est pas possible dans le cadre de cet article de détailler la liste des mesures prises en faveur du développement de l’agriculture coloniale. Mentionnons tout de même la volonté au Kenya et en Rhodésie du Sud d’empêcher les Africains d’accéder aux cultures commerciales (pyrethrum, thé, café ou tabac).
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[30]
Ce nombre peut paraître dérisoire, – et Ch. Feinstein (2005, 51) a raison de souligner que la population servile atteint presque 4 millions d’individus aux États-Unis à la veille de la Guerre civile (soit grosso modo 35 % de la population totale) – mais rapporté à la taille de la population européenne (66 000 individus en 1832), l’effectif paraît moins ridicule.
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[31]
Ce passage s’inspire principalement de Feinstein, 2005, 55-60.
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[32]
Selon Claude Collet (1987, 269), cette décision ne concerne que les khammès travaillant sur les exploitations européennes ; en 1872, les indigènes cultivant les terres des colons furent à nouveau soumis à l’achour. On assiste dans le même temps (soit à partir des années 1870) à une aggravation de la fiscalité à l’encontre des populations indigènes (Ageron, 1968, I, 256-265).
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[33]
Les modalités du kaffir farming au Kenya (et en Rhodésie du Sud ?) ne semblent pas clairement établies : rentes en nature, sorte de métayage ou location de la terre contre achat du produit à taux fixe… Il semble qu’il y ait eu quelques variations (à ce sujet, voir Tignor, 1976, 106-7).
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[34]
Encore que les divergences ou variations au sein même de l’empire britannique ont pu être aussi, voire plus importantes que celles existant entre ces quatre territoires.