Couverture de ADH_112

Article de revue

Vieillesses au féminin et au masculin. Individus, familles et collectivité à Genève, 1816-1843

Pages 189 à 215

NOTES

  • [*]
    Ce papier a été rédigé dans le cadre du projet du Fonds national suisse de la recherche scientifique numéro 1114-068113.02.
  • [1]
    Pour une discussion plus approfondie, voir Bourdelais, 1997. Une approche similaire à la nôtre, sur des sources semblables, est par exemple celle de Alter, 1999.
  • [2]
    Sur les raisons de son peu de succès parmi les historiens francophones, voir (Bourdelais et Gourdon, 2000).
  • [3]
    Beaucoup, par exemple, accueillent des logés pour éviter une solitude physique réelle. Cf. Oris, Ritschard et Ryczkowska, 2005.
  • [4]
    « La dureté des systèmes familiaux nucléaires » (Laslett, 1988).
  • [5]
    Par exemple, parmi les femmes de 70-74 ans, elles sont 15,2 % et 12,2 % pour la deuxième période.
  • [6]
    Cela leur procurait un salaire complémentaire, si la veuve pouvait encore travailler, et dans le cas contraire, c’était à la fille que revenait la charge de nourrir et de soigner sa vieille mère (Hufton, 1995, 131). Il s’agissait certainement d’un sacrifice pour la fille, mais jusqu’à quel point il était consenti, valorisé, voire récompensé, reste objet de débat (Oris, Ochiai, 2002, 42).
  • [7]
    L’expression “familiar strangers” est empruntée à P. Baskerville (2001, 321-347).
  • [8]
    En 1837-1843, ces valeurs sont tombées à respectivement 11 et 15 %, ce qui indique un net recul de la propension à accueillir une mère, recul pour lequel nous n’avons pas d’explication évidente, hormis l’amélioration globale de la situation à Genève, déjà évoquée.
  • [9]
    59,6 % chez les 55-64 ans, 65,2 % chez les 65-74 et 59,5 % pour les âgées de 75 ans et plus durant la première période. Pour les années 1837-1843, on obtient respectivement 74,1 %, 54,3 % et 72,7 %.
  • [10]
    À notre connaissance J. Riley (1982) est le premier à avoir montré que certaines veuves étaient aisées et profitaient d’une autonomie dont elles n’auraient jamais bénéficié autrement.
  • [11]
    Voir Archives d’État de Genève (désormais AEG), Règlements de l’Hôpital Général, Archives hospitalières, Ag 5, article 11, p. 16.
  • [12]
    AEG, Délibérations de la commission de secours 1837-1845, séance du 23 août 1837, arch. Hos, Ac 8.
  • [13]
    Id., cas de Barthélémy Borel, 4 octobre 1837.
  • [14]
    Id., cas de Jean Louis Berthoud, 22 février 1837.
  • [15]
    Id., cas de la veuve Bonnet, 7 juin 1837.
  • [16]
    Voir AEG, Règlements de l’Hôpital Général, Archives hospitalières, Ag 5, article 7, p. 15.
  • [17]
    Id., article 30, p. 22.
  • [18]
    AEG, Délibérations de la commission de secours 1837-1845, séance du 23 août 1837, arch. Hos, Ac 8.
  • [19]
    AEG, Délibérations de la commission de secours 1837-1845, séance du 3 août 1837, arch. Hos, Ac 8.
  • [20]
    AEG, Revue des campagnes, diverses dates, Arch. Hos.
  • [21]
    Voir AEG, Mémorial des Séances du Grand Conseil, séance du 22 mai 1843, 1843 (tome 3), p. 326.
  • [22]
    Notamment de Moulinié.
  • [23]
    AEG, Mémorial de la constituante, p. 2719, tome 3 (1847).
  • [24]
    Id., p. 2720.
  • [25]
    AEG, Mémorial du Grand-Conseil, 26 mai 1849. 1849, vol. 2, p. 1126 sqq.

1Cette contribution à l’étude des itinéraires féminins veut explorer quelques-uns des nombreux questionnements rattachés aux phénomènes conjugués de la vieillesse et de la vulnérabilité dans les sociétés anciennes. Notre analyse est fondée sur une base de données organisée à partir du dépouillement des recensements genevois de 1816, 1822, 1828, 1831 1837 et 1843, dont nous avons extrait les quelque 12 % d’individus dont le nom commençait par la lettre B. Ce matériel fournit un vaste potentiel d’étude, qui regroupe non seulement les itinéraires des femmes âgées, mais permet aussi de les situer par rapport à l’ensemble d’une population qui, dans le cas de Genève, connaît une évolution précoce vers un régime transitionnel.

2Dans un premier temps, nous allons nous attacher à la démographie de la vieillesse dans ses dimensions structurelles classiques d’âge, de sexe et d’état matrimonial, en essayant de dévoiler l’interaction entre ces traits et un système démographique original. Le tout plaçant les femmes genevoises dans une gamme de situations spécifiques lorsqu’elles entament la dernière ligne de leur parcours de vie. Confrontés au problème délicat d’une prédétermination de l’âge auquel commence la vieillesse, nous avons renoncé à fixer un seuil, préférant considérer un processus en étudiant les individus âgés de 55 ans et plus. Avec ces derniers, souvent comparés aux plus jeunes et par ailleurs décomposés en sous-groupes (55-64 ans, 65-74 ans et 75 ans et plus), nous embrassons avec certitude l’entrée dans cette étape de l’existence, ainsi que les évolutions durant cette étape de la vie [1].

3La deuxième partie de cet article se penche sur les groupes domestiques et montre comment le système familial arrive à gérer les contraintes démographiques, à limiter la solitude dans la vieillesse. Cette analyse confirme celle de nombreux auteurs en soulignant la puissance, dans les modèles dits nucléaires, de l’idéal d’autonomie. Il marque profondément les choix et les options des personnes âgées, mais avec une différenciation sexuelle évidente. L’écho s’en répercute sur les activités déclarées, sinon exercées, par les vieux et les vieilles, que nous étudions dans une troisième section. En dérivant ainsi du démographique au familial, puis au socioprofessionnel, nous focalisons progressivement l’analyse de la vieillesse sur la question de la vulnérabilité des personnes âgées, autant comme réalité que comme construction. Dans la première moitié du xixe siècle, la stigmatisation de l’inactivité, de l’indigence, atteint son sommet socio-politique en tant que composante centrale dans la vision méritocratique du monde de la bourgeoisie triomphante. Celle de Genève, profondément calviniste, y adhère pleinement, mais bien avant les autres, elle est soumise à la pression du vieillissement qui contraint à définir un nouveau statut, un âge de la vie dans lequel l’inactivité apparaît comme un repos mérité. Lorsque l’ancienne bourgeoisie calviniste conservatrice est renversée en 1843-1846 par des membres progressistes du même groupe social, les radicaux, ces derniers vont proposer une contribution impressionnante par sa précocité à la fameuse « institutionnalisation » du cours de la vie en général, de la vieillesse en particulier. Bien qu’elle ait finalement échoué, cette tentative de réponse collective aux besoins des individus âgés nous a paru assez originale pour justifier une quatrième partie.

La population âgée dans un régime démographique complexe

4La représentation classique de la pyramide de la population genevoise, selon l’âge, le sexe et l’état matrimonial, offre une excellente entrée en matière tant la figure 1 est riche d’enseignements.

Fig. 1

Pyramide selon l’âge, le sexe et l’état matrimonial de la population de Genève, 1816-1831 (Chiffres en pour mille, échantillon des B)

Fig. 1

Pyramide selon l’âge, le sexe et l’état matrimonial de la population de Genève, 1816-1831 (Chiffres en pour mille, échantillon des B)

5Alfred Perrenoud a bien relevé les principaux traits des pyramides des âges de la fin du xviiie siècle et du début du xixe siècle en écrivant qu’ « elles possèdent en commun une forme trapue, une assise encore solide sur une base qui tend à se rétrécir sous l’influence d’une natalité fléchissante, une dissymétrie marquée due à la supériorité numérique de la population féminine » (Perrenoud, 1979, 87). Le rétrécissement à la base s’explique par le recul de la natalité, dont le taux est descendu de 30,6 %0 en 1798 à 21,5 %0 en 1816 (Perrenoud, 1979, 91). Les causes en furent la mauvaise conjoncture durant la période française, l’émigration des hommes en âge de se marier, la conscription et surtout le contrôle des naissances, précoce au sein de la société genevoise (Perrenoud, 1979, 92). En effet, la situation s’est à peine améliorée en 1837-1843 par rapport aux structures de 1816-1831, alors que la situation économique et politique a nettement changé. Les couples formés à Genève entre 1800 et 1850 ont eu 2,32 enfants en moyenne, alors qu’au début du xviiie siècle leurs ancêtres en avaient encore 6,07 (Perrenoud, 1988, 61 et 63 ; Schumacher, 2002, 64-65). Certes, la mortalité infantile était tombée à 100/130 %0 dans la première moitié du xixe siècle, cependant le renouvellement des générations était à peine atteint et, entre 1816 et 1843, moins d’un quart des Genevois avaient moins de 15 ans. Sur la figure 1, la population de Genève présente un profil original, un vieillissement à la base typique de la « modernité » néo-malthusienne qui ne s’observera guère dans le reste de l’Europe avant la fin du xixe siècle, voire le xxe.

Tab. 1

La répartition de la population genevoise selon l’âge, le sexe et la période. Genève, 1816-1843 (en N et %)

Tab. 1
Hommes Femmes 1816-1831 1837-1843 1816-1831 1837-1843 % % % % Jeunes (0-14) 23,4 19,2 23,9 22,8 Adultes (15-54) 61,1 66,3 63,8 66,6 Vieux (55 et +) 15,5 14,5 12,3 10,6 Total (%) 100 100 100 100 Total (N) 5 355 3 334 6 320 3 569

La répartition de la population genevoise selon l’âge, le sexe et la période. Genève, 1816-1843 (en N et %)

6La médiocrité des cohortes jeunes est visuellement accentuée par le bombement de la pyramide aux âges actifs. De l’ordre de deux tiers des Genevois ont entre 15 et 54 ans. Un tel gonflement, qui se marque dès 15 ans et reste évident jusqu’à 40, révèle un autre paradoxe. De 1798 à 1850, Genève est passée de 21 327 à 31 200 habitants, ce qui n’a rien de remarquable dans le contexte d’explosion urbaine qui distingue le xixe siècle, mais à peine 5 % du gain de 9 873 personnes est dû à la balance naturelle des naissances et des décès. L’immense majorité est gagnée sur des immigrants qui arrivent et repartent en masse et dont seule une minorité se stabilise (Oris, Ritschard et Ryczkowska, 2005 ; Oris et Perroux, à paraître). Mobiles et plus encore stabilisés renouvellent la composition de la population genevoise bien plus que ne le suggère la croissance démographique observée. Certes, Genève a une longue tradition d’intégration, fruit des deux Refuges protestants, celui de la Réforme au xvie siècle et celui qui suivit la révocation de l’édit de Nantes en 1685. Mais lors des refuges protestants, l’apport migratoire concernait des familles, tandis que ceux des années 1816-1843, sont essentiellement composés de personnes recherchant un emploi temporaire (“life cycle service”). De plus, la République de Genève, devenue en 1816 un canton mixte sur le plan religieux grâce à l’adjonction de 12 communes de la Savoie sarde et de 7 municipalités françaises, est contrainte – le terme n’est pas trop fort –, de s’ouvrir aux migrants catholiques (Herrmann, 2003, 259 sqq, 504 ; Oris et Perroux, à paraître).

7Indépendamment des questions religieuses, la ville ressent d’autant plus la pression migratoire que, jusqu’aux révolutions radicales des années 1840, elle reste enserrée dans un carcan de fortifications à la Vauban. C’est sans doute cet effet écologique qui explique que Genève soit l’un des très rares endroits où, au lieu de se succéder, se cumulent les contrôles anciens et nouveaux. En effet, par rapport au xviiie siècle, l’accès au mariage se restreint encore avec un âge moyen à la première union qui recule jusqu’à 28 ans pour les femmes et 30 ans pour les hommes (Ryczkowska, 2003). Que les époux soient généralement plus âgés que les épouses est un construit culturel suffisamment puissant pour dépasser l’influence du démographique. Durant toute cette période, la ville, en effet, a attiré une immigration plus féminine que masculine, qui affecte profondément le marché matrimonial. En 1816-1831, pour la cohorte des 20-24 ans, il n’y a que 70 hommes pour 100 femmes, déficit qui se maintient pour ces dernières pratiquement dans toutes les classes d’âge entre 1816 et 1831 et n’est comblé qu’aux âges élevés en 1837-1843. L’une des conséquences de ce surplus est un célibat féminin élevé, y compris définitif (Oris, Ritschard et Ryczkowska, 2005). Inversement, la proportion des hommes mariés est logiquement plus élevée dans tous les groupes d’âge à partir de 25 ans.

8Le déficit de femmes aux âges adultes a bien des effets de long terme sur la composition par état matrimonial aux âges élevés. Le tableau 2 indique sans ambiguïté que la grande particularité de Genève est la proportion élevée des veuves et des femmes célibataires, qui constituent 53,5 % de la population féminine adulte contre 42,8 % des hommes. L’écart se creuse encore chez les aînés (55 ans et +) parmi lesquels les célibataires, – et dans cette catégorie d’âge on parle de célibat définitif –, constituent 23,2 % des femmes et seulement 9,7 % des hommes.

Tab. 2

La répartition de la population genevoise selon l’état civil, l’âge et le sexe. Genève, 1816-1843

Tab. 2
Hommes Femmes âge Cél. Mariés Veufs Total Cél. Mariées Veuves Total 1816-1831 1816-1831 Jeunes (0-19) 99,6 0,3 0,1 100 99,4 0,6 0,0 100 Adultes (20-54) 41,6 56,0 2,3 100 49,4 44,0 6,6 100 Vieux (55 et +) 9,9 68,6 21,6 100 17,9 31,5 50,7 100 1837-1843 1837-1843 Jeunes (0-19) 99,9 0,0 0,1 100 99,8 0,2 0,0 100 Adultes (20-54) 42,8 55,2 2,0 100 53,5 40,7 5,8 100 Vieux (55 et +) 9,7 65,7 24,6 100 23,2 31,6 45,3 100

La répartition de la population genevoise selon l’état civil, l’âge et le sexe. Genève, 1816-1843

9Le cas des veufs et des veuves est également important à souligner. Les femmes perdent leur mari plus tôt et le veuvage est la caractéristique principale de leur fin de vie, car elles sont 45,3 % à assumer ce statut à 55 ans et plus, pour à peine 24,6 % des hommes du même groupe d’âge. Il est très commun d’observer un excédent de veuves par rapport aux veufs, mais rarement à ce point (Oris et Ochiai, 2002, 58). La figure 2 confirme les résultats obtenus grâce aux pyramides mais avec plus de précision. Le veuvage féminin est effectivement plus précoce car les pourcentages commencent à grimper déjà à partir de la 40e année (12,2 % pour 1816-1831 et 10,2 % pour 1837-1843) alors que chez les hommes la rupture ne survient que 10 ans plus tard (7,1 % entre 50 et 54 ans durant la première période). Il ressort également de la figure 2 que du côté féminin, la progression est spectaculaire, au point que les veuves constituent près de 80 % des effectifs dans la catégorie des 75 ans et plus, alors que le modèle masculin se caractérise, certes, par une montée des proportions, mais deux fois moins rapide que celle remarquée chez les femmes.

Fig. 2

L’évolution du pourcentage des veufs et des veuves selon l’âge et la période. Genève, 1816-1843

Fig. 2

L’évolution du pourcentage des veufs et des veuves selon l’âge et la période. Genève, 1816-1843

10Dans une approche démographique, il y a deux causes provoquant l’entrée dans le veuvage : l’écart d’âge entre les époux (2 ans en moyenne dans la Genève de cette époque) et la mortalité différentielle (Blom, 1991, 192). Le risque de surmortalité le plus élevé se situait pour les femmes dans les années de la reproduction alors que pour les hommes il se trouvait dans les âges avancés (Perrenoud, 1981). Quant à la sortie du veuvage, il y avait également deux possibilités, à savoir le remariage et la mort (Blom, 1991, 193). Le remariage plus fréquent chez les veufs a été largement décrit par les historiens et les démographes (Ryczkowska, 2003 ; Oris et Ochiai, 2002 ; Van Poppel, 1995 ; Blom, 1991). À Genève entre 1800 et 1845, sur 1893 unions, 11 % concernaient des veufs et seulement 4 % des veuves (Ryczkowska, 2003, 66). Les raisons du succès masculin sur le marché du remariage sont multiples (nombre d’enfants à charge ainsi que de leur âge, situation économique et sociale, traditions régionales, position de l’Église, etc.). Par conséquent, dans la Genève des années 1816-1843, le déséquilibre du marché matrimonial dû à l’immigration féminine massive ne faisait pas qu’accroître le célibat définitif des femmes mais contribuait aussi à maintenir dans le veuvage celles qui y étaient tombées.

11Au total, 14,3 % des hommes et 13,1 % des femmes sont âgés de 55 ans et plus, des valeurs qui, somme toute, n’ont rien d’exceptionnel. Certes, le tableau 1 indique que, comme pour les jeunes, le poids des adultes renforcés par l’immigration tend à minorer les vieillards, et ce plus du côté féminin que masculin. Mais il n’en reste pas moins clair que la population genevoise est vieillie à la base, pas particulièrement au sommet. Ce qui distingue Genève, c’est en outre l’importance des solitudes dans la destinée féminine : aux âges élevés, célibataires et veuves dépassent les mariées de manière impressionnante et les femmes présentent un différentiel profond, de ce point de vue, avec les hommes.

12En résumé, deux ratios instables caractérisent la démographie de la vieillesse dans la Genève de la première moitié du xixe siècle. D’abord, une masse d’actifs recrutés par immigration, qui minorent les vieux et pourraient, en termes macro-économiques, aisément les soutenir dans un système de collectivisation des charges de la vieillesse, mais qui, en son absence, dessine par le biais du rapport de masculinité sur le marché matrimonial une vieillesse féminine marquée par le célibat définitif et le veuvage. Ensuite, un rapport vieux/enfants conditionné par le vieillissement de la population genevoise à sa base, en raison de la faiblesse persistante de la natalité urbaine. De manière rare, sinon unique, malthusianisme et néo-malthusianisme coexistent et construisent une vieillesse peu soutenue, avec des structures féminines qui apparaissent spontanément plus vulnérables. Célibat, veuvage, enfant charge ou soutien, tous ces termes ne peuvent prendre sens qu’au sein des ménages. Comment, dans une ville où n’existait encore aucun hospice de vieillards, le système familial a-t-il répondu à ces défis démographiques ?

Vieillesses et familles

13Le régime démographique particulier de Genève a-t-il effectivement multiplié le nombre des vieux solitaires ou, au contraire, la société a-t-elle su s’adapter en mettant en place des stratégies familiales protégeant les personnes âgées ? Ceux-ci, d’ailleurs, souhaitaient-ils être protégés ou, au contraire, préserver le plus longtemps possible une autonomie de vie ? Dans une société où la mention d’une profession a valeur de statut, où diriger son ménage a une résonance sociale profonde, les recensements ne présentent certainement pas que des réalités d’activité ou de leadership, mais aussi des apparences sauvées. Leur lecture ne doit donc pas être trop littérale et négliger les effets de (re)construction. Nous avons procédé à trois types d’analyses qui permettent de caractériser les vieillesses féminine et masculine, selon la taille moyenne du ménage et la distribution des tailles, puis selon la typologie de Laslett. Au-delà des dimensions de nombre et de structure globale des unités domestiques, les types de cohabitation se dessinent de manière plus fine et nuancée à travers l’examen des liens de famille unissant les personnes âgées au chef de leur ménage. En particulier, la présence des enfants et leur statut matrimonial sont des éléments essentiels du débat sur autonomie et dépendance (Alter, 1999).

La taille du ménage

14L’évolution de la taille du ménage au cours de la vie d’un individu comprend trois phases, qui ont des caractéristiques différentes suivant le sexe : l’enfance, le mariage et la vieillesse. Seule la dernière nous intéresse ici (Figure 3).

Fig. 3

Taille moyenne du ménage selon le sexe et l’âge. Genève, 1816-1837

Fig. 3

Taille moyenne du ménage selon le sexe et l’âge. Genève, 1816-1837

15Chez les hommes, l’entrée dans la vieillesse est accompagnée par une légère augmentation de la taille du ménage entre leur 55e et 64e année (4,73 personnes pour les 60-64 ans), qui diminue ensuite chez les 65-69 ans (4,13), pour remonter encore une fois par la suite (4,6 habitants par ménage). En comparaison, la vieillesse des femmes se déroule dans un environnement plus restreint. À partir de leur 45e anniversaire le nombre de leurs cohabitants ne fait que diminuer (4,5 personnes chez les 45-49 ans) et atteint son niveau le plus bas, à 3,5 personnes vers 70 ans.

16La figure 3 met également en lumière les premières différences entre les deux sexes. L’entrée dans la vieillesse était accompagnée, pour tous, par la diminution du nombre de cohabitants, cependant plus rapide et plus constante dans le cas des femmes. L’âge tardif au mariage des Genevoises, mais plus précoce par rapport à leurs conjoints, est la cause de la diminution de la taille du ménage dans lequel elles vivaient durant leur vie adulte. L’écart d’âge au mariage explique également que les femmes voyaient partir leurs enfants de la maison familiale plus tôt que les hommes. Nous retrouvons les mêmes caractéristiques de la vieillesse dans d’autres parties de l’Europe. Par exemple à Cuenca, la taille moyenne du ménage descend à 2,5 personnes pour les femmes entre 65 et 69 ans et à 3 personnes pour les hommes de la même catégorie d’âge (Reher, 1997, 97). Dans le Pays de Herve, il s’agit d’environ 3,8 habitants dans le cas des femmes et de plus de 4 personnes du côté des hommes (Neven, 2003, 169).

17L’examen de la distribution des tailles de ménage enrichit ce constat et permet de mesurer la solitude. Les femmes sont 2 à 4 fois plus solitaires que les hommes (tableau 3), même si cette solitude ne concerne que 7 à 15 % des quinquagénaires, 13 à 14 % des sexagénaires, et jusqu’à 16,4 % des 75 ans et plus. L’immense majorité des femmes ne vivait pas dans un nid vide, même aux âges les plus élevés. Entre 1/5 et 1/4 évitaient de justesse la solitude en cohabitant avec une seule autre personne. Le plus grand nombre (de 44 à 53 %) vivait dans un ménage de 3 à 5 personnes.

Tab. 3

Répartition des personnes âgées de plus de 55 ans selon la taille du ménage et le sexe. Genève, 1816-1837

Tab. 3
Groupes Hommes d’âge 1 2 3-5 6-9 10 et plus Total 55-59 4,6 11,6 60,3 19,2 5,0 100 60-64 4,1 16,6 59,4 17,0 3,3 100 65-69 6,8 20,4 50,8 18,8 3,1 100 70-74 7,4 22,2 48,9 18,5 4,4 100 75 et + 4,6 20,8 53,8 16,9 4,6 100 Groupes Femmes d’âge 1 2 3-5 6-9 10 et plus Total 55-59 9,5 18,7 53,1 15,3 3,4 100 60-64 14,0 23,7 47,7 12,0 2,7 100 65-69 12,9 23,6 47,2 12,9 3,4 100 70-74 13,0 23,5 46,9 16,0 0,6 100 75 et + 16,4 19,9 43,8 17,1 2,7 100

Répartition des personnes âgées de plus de 55 ans selon la taille du ménage et le sexe. Genève, 1816-1837

La typologie de Laslett

18L’observation des données selon la typologie proposée par Hammel-Laslett (Hammel-Laslett, 1974) [2] apporte des informations complémentaires sur les spécificités de la vieillesse au sein de la société genevoise. Pour enrichir cette étude, nous avons distingué, parmi les ménages nucléaires, ceux des « couples brisés », soit les noyaux formés de veufs ou veuves vivant avec un ou des enfants.

Fig. 4a

Répartition de la population masculine selon les différents types de ménage et selon l’âge. Genève, 1816-1831

Fig. 4a

Répartition de la population masculine selon les différents types de ménage et selon l’âge. Genève, 1816-1831

Fig. 4b

Répartition de la population masculine selon les différents types de ménage et selon l’âge. Genève, 1837-1843

Fig. 4b

Répartition de la population masculine selon les différents types de ménage et selon l’âge. Genève, 1837-1843

19L’entrée dans la vieillesse des hommes s’effectue en douceur. Leurs plus grandes chances sur le marché matrimonial, incluant le remariage, et leur possibilité de garder plus longtemps une indépendance financière sont les facteurs positifs leur permettant de vivre longtemps dans des ménages nucléaires. Leur mortalité plus précoce aux âges élevés atténue encore le risque de solitude. Aux prémices de la vieillesse, autour de 55 ans, les structures nucléaires rassemblent 64 % de la population masculine entre 1816 et 1831 et même 71 % durant la seconde période. Ensuite, les pourcentages d’hommes vivant dans des ménages simples diminuent légèrement et tombent, respectivement, à 37 % et 26 % à 75 ans et plus. Cette diminution est compensée, durant les deux périodes, par l’augmentation des ménages du type complexe (17 % entre 1816 et 1831 et 23 % entre 1837 et 1843) et étendu (respectivement 13 et 7 %). Cela reflète la cohabitation croissante avec les enfants mariés ou d’autres apparentés, une thématique qui est analysée plus en détail ci-dessous. Les logés et les solitaires, plus vulnérables, constituent environ 20 % des hommes âgés de 65 à 69 ans. Leur vulnérabilité, plutôt liée à l’absence de famille proche, ne signifie pas nécessairement vivre dans un isolement total [3].

Fig. 5a

Répartition de la population féminine selon les différents types de ménage et selon l’âge. Genève, 1816-1831

Fig. 5a

Répartition de la population féminine selon les différents types de ménage et selon l’âge. Genève, 1816-1831

Fig. 5b

Répartition de la population féminine selon les différents types de ménage et selon l’âge. Genève, 1837-1843

Fig. 5b

Répartition de la population féminine selon les différents types de ménage et selon l’âge. Genève, 1837-1843

20À l’opposé, l’entrée dans la vieillesse des femmes s’accompagne d’un risque plus élevé de solitude. À partir de la 50e année, le nombre de femmes vivant dans un ménage nucléaire diminue clairement, surtout au profit des solitaires. Ces dernières constituent pour la catégorie 50-54 ans, 15,4 % de la population totale entre 1816 et 1831 et 13,3 % entre 1837 et 1843. La situation s’amplifie encore plus pour celles qui ont dépassé la soixantaine, car leur nombre a doublé dans les âges avancés ; les chiffres varient autour de 26 % durant la première période et de 28 % entre 1837 et 1843. Nous avons examiné l’état matrimonial des femmes de plus de 55 ans qui occupaient ce type de ménage et nous avons trouvé qu’il était composé à 66,3 % des veuves et à 28,8 % des célibataires. Est-ce la preuve de la nuclear hardship hypothesis[4] ? En tout cas, cela montre à quel point la vieillesse constituait pour les femmes genevoises un moment de fragilité, celles-ci se retrouvant bien plus que les hommes dans un « nid vide ».

21Malgré le poids des solitaires parmi les femmes âgées, certaines ont réussi à créer leur propre « assurance vieillesse ». Il s’agit des femmes vivant dans les structures nucléaires de « couples brisés », dont le pourcentage augmente légèrement à partir de la 50e année [5]. Dans les sociétés occidentales, avec la pratique du néolocalisme et l’absence de système collectif de soutien aux vieillards, les veuves « sacrifiaient » l’avenir de l’une de leurs filles en les retenant auprès d’elles [6]. Les calculs montrent que ce groupe se compose à 82 % de veuves âgée de 55 ans et plus. Nous notons également une légère augmentation du pourcentage des femmes vivant au sein des familles complexes, dont le poids double durant la vieillesse, mais qui ne représente encore que la moitié (environ 10 %) de celui de leurs homologues masculins vivant une situation identique de cohabitation (environ 20 %).

22L’évolution des différents types de ménage au cours de la trajectoire individuelle correspond aux modèles présentés par David Reher pour la ville de Cuenca en Espagne (Reher, 1997, 96) et par Muriel Neven pour le Pays de Herve en Belgique (Neven, 2003, 174). La mortalité différentielle selon le sexe et le veuvage plus précoce chez les femmes qui en résulte, ainsi que leurs moindres chances sur le marché du remariage, font que les vieilles femmes sont plus nombreuses à expérimenter la vie dans la solitude que leurs homologues masculins. De ce point de vue, la situation genevoise est similaire, mais plus marquée. En effet, si nous considérons que les personnes les plus vulnérables appartenaient au groupe des logés et des solitaires, entre 70 et 74 ans, plus de la moitié de la population féminine avait l’un de ces statuts, contre à peine 10 % des hommes.

Liens familiaux et cohabitations

23Dans un système familial nucléaire comme celui de Genève, les liens de parenté dans un ménage sont censés être simples et, conformément à la règle du néolocalisme, les parents ne sont pas supposés cohabiter avec les enfants mariés. Au contraire, comme l’ont souligné Chudacoff et Hareven, les aînés aspiraient, avant tout, à garder leur indépendance, ce qui leur procurait un certain mérite social (Chudacoff et Hareven, 1979, 74). Ceci était possible tant qu’ils pouvaient garder leur position en tant que chef de ménage, dans le cas des hommes, et en tant qu’épouse de ce dernier, pour les femmes.

24La position des hommes au sein des ménages est assez « confortable » au cours de leur vie. En effet, à partir de 30-54 ans ils occupent majoritairement la position de chefs de ménage. Ceux-ci constituent encore 76 % de la catégorie des 75 ans et plus entre 1816 et 1831 et 80 % entre 1837 et 1843 ! Ces chiffres indiquent que leur vieillesse n’était pas équivalente à une déchéance de statut. Cette situation se retrouve, par exemple, dans le Pays de Herve dans la deuxième moitié du xixe siècle, où 88 % des hommes ayant plus de 55 ans étaient chefs de ménage (Neven, 2003, 172). À Cuenca, dans le groupe de 65 à 69 ans, il y en avait plus de 90 % (Reher, 1997, 99). De l’autre côté de l’Atlantique, à Providence, dans le groupe de 70 à 74 ans, ils étaient à plus de 80 % (Chudacoff & Hareven, 1979, 74). De même, l’entrée dans le veuvage ne signifiait pas toujours une perte de statut domestique. Les calculs effectués uniquement pour les veufs sur nos données indiquent que, dans la catégorie des 65-74 ans, 70 % étaient toujours chefs de leur unité domestique.

25Deux autres situations ressortent du tableau 4. Premièrement, une légère augmentation du nombre des hommes vivant chez un de leurs enfants, qui, encore peu nombreux dans la catégorie des 65 à 74 ans (2 % entre 1816 et 1831 et 6 % entre 1837 et 1843), sont respectivement 13 et 10 % parmi ceux âgés de 75 et plus. Il s’agit de ceux qui ne pouvaient plus assurer leur autonomie, financièrement ou physiquement. La deuxième situation est celle des vieux résidant sous le statut d’« étranger familier » [7], donc logé. Dans la catégorie 65-74 ans, ils sont 9 % en 1816-1843 et 11 % en 1837 et 1843. Cette observation confirme les travaux de Georges Alter, qui affirme qu’« il est manifeste que, dans le passé, les vieillards préféraient déjà maintenir des ménages indépendants. » (Alter, 1999, 10). Dans le cadre de son enquête sur la ville textile belge de Verviers au xixe siècle, il constate que c’est seulement à un âge avancé que les hommes rejoignaient les ménages de leurs enfants mariés.

Tab. 4

Répartition des liens de parenté dans les ménages selon l’âge chez les hommes. Genève, 1816-1843

Tab. 4
1816-1831 Lien 0-14 15-29 30-54 55-64 65-74 75 et plus Inconnu Chef de ménage 0,1 15,1 80,5 88,8 85,6 75,7 42,9 époux 0 0,2 0,4 0,4 0,4 0 1,2 Fils 935 45,8 5,9 0,9 0 1 20,2 Père 0 0 0 0,9 1,9 12,6 0 Frère 0,2 1 0,8 0,9 1,2 1 0 Petit-fils 0,7 0 0 0 0 0 0 Beau-père 0 0,1 0,1 0 1,2 0 0 Collatéral 1 2,3 0,8 0,2 0 1,9 0 Domestique 0 2,7 1,5 0,4 0,8 1 7,1 Ouvrier 0,5 8,9 1,9 0,7 0 0 4,8 Étranger 3,8 22,9 8,1 6,7 8,9 6,8 23,8 Étudiant 0,3 1 0 0 0 0 0 Total (%) 100 100 100 100 100 100 100 Total (N) 1 167 1 504 1 645 447 257 103 84 1837-1843 Lien 0-14 15-29 30-54 55-64 65-74 75 et plus Inconnu Chef de ménage 0 17,9 78,8 86,1 79,3 80,4 30,3 Époux 0 0 0.1 0 0 0 0 Fils 93,1 32 5.2 0 0 0 6,1 Père 0 0 0,1 2,2 5,8 9,8 0 Frère 0,1 1,3 0.7 1,7 0 0 0 Petit-fils 0,3 0,1 0 0 0 0 0 Beau-père 0 0,3 0,1 0 1,7 0 0 Collatéral 1 2,3 0,8 0,2 0 1,9 0 Domestique 0 4,2 2,2 0 0,8 0 3 Ouvrier 0,5 12,1 2,1 0,9 0,8 0 12,1 Étranger 3,7 28,8 10,3 8,7 10,7 9,8 45,5 Étudiant 0,7 1,2 0 0 0 0 0 Total (%) 100 100 100 100 100 100 100 Total (N) 757 943 1 143 230 121 51 33

Répartition des liens de parenté dans les ménages selon l’âge chez les hommes. Genève, 1816-1843

Tab. 5

Répartition des liens de parenté dans les ménages selon l’âge chez les femmes. Genève, 1816-1843

Tab. 5
1816-1831 Lien 0-14 15-29 30-54 55-64 65-74 75 et plus Inconnu Chef de ménage 0,2 2,9 16,8 40 48,3 50,8 28,8 Épouse 0,1 14,3 51,7 34 25,3 13,1 22,7 Fille 90,2 38,9 8,3 1,2 0 0 21,2 Mère 0 0 0,4 2,9 5,2 13,1 0 Sœur 0,3 1 1,8 3,1 3 1,6 3 Petite-fille 0,4 0,2 0 0 0 0 0 Belle-mère 0 0,4 0,2 0,6 1,5 1,6 0 Collatéral 1,7 1,3 1,1 1,5 1,9 0,8 6,1 Domestique 0,6 29,9 12,5 4,6 1,5 1,6 10,6 Ouvrière 0,2 1 0,6 0,2 0 0 0 Étrangère 6,2 10 6,5 11,8 13,4 17,2 7,6 Étudiante 0,2 0,1 0 0 0 0 0 Total (%) 100 100 100 100 100 100 100 Total (N) 1133 1918 2060 482 269 122 66 1837-1843 Lien 0-14 15-29 30-54 55-64 65-74 75 et plus Inconnu Chef de ménage 0,1 1,9 15 45,1 51,8 75 25,9 Epouse 0 12,9 49 34 22,8 5,0 25,9 Fille 93 32 8,4 1,5 0 0 7,4 Mère 0 0 0,2 1,5 5,3 0 0 Sœur 0,1 1,2 1,3 2,9 1,8 5 7,4 Petite-fille 0,1 0 0 0 0 0 0 Belle-mère 0 0,2 0,7 1,5 1,8 2,5 0 Collatéral 0,9 1,1 1 0 0,9 0 3,7 Domestique 0,7 38,3 17 4,9 0,9 2,5 14,8 Ouvrière 0 1,3 0,8 0,5 0 0 0 Etrangère 5,1 11,2 6,6 8,3 14,9 10 14,8 Etudiante 0 0 0 0 0 0 0 Total (%) 100 100 100 100 100 100 100 Total (N) 769 1095 1219 206 114 40 27

Répartition des liens de parenté dans les ménages selon l’âge chez les femmes. Genève, 1816-1843

26Une fois encore, les caractéristiques de la vieillesse féminine diffèrent profondément. Plus elles avançaient en âge, plus le risque de devenir un chef de ménage et, en même temps, de perdre le statut d’épouse de ce chef, était grand. Durant la première période, les femmes-chefs constituent 17 % dans la catégorie 30-54 ans (15 % entre 1837 et 1843) et 48 % dans celle de 65-74 ans (52 % entre 1837 et 1843). Ce modèle correspond, dans ses grandes lignes, à celui du Pays de Herve (52,6 % pour la catégorie 55-74 ans) (Neven, 2003, 172) et de Providence (64,7 %) (Chudacoff & Hareven, 1979, 74). Ce que ce tableau ne montre pas, c’est la taille du ménage que ces femmes ont été amenées à diriger. Dans de nombreux cas, il peut s’agir de vieilles, soit occupant des « nids vides », soit habitant dans des ménages de 2 personnes, i.e. les structures considérées comme les plus fragiles. Un dernier constat d’ailleurs renforcé, si nous considérons, à l’instar de Palazzi, que les ménages dirigés par les veuves étaient également vulnérables (Palazzi, 1990, 453–454) : dans le cas de Genève, parmi les femmes-chefs âgées de 65 à 74 ans, 35 % étaient des veuves. Le même auteur souligne qu’en règle générale, la spécificité des ménages dirigés par les femmes était la rapidité de leur appauvrissement : “The households headed by women in the less wealthy classes were often found at the bottom of the economic ladder. This depended not only on the greater frequency with which such women remained head of household, but also on the rapid impoverishment which accompanied that role.” (Palazzi, 1990, 454).

27Chudacoff et Hareven ont trouvé qu’à Providence, dans la seconde moitié du siècle, “loss of independence, loosely defined as no longer holding the status of household head or spouse of head seems to have been more predominantly the experience of older women” (Chudacoff et Hareven, 1979, 74). Logiquement, dans ce cas-là, l’entrée dans le veuvage aurait dû signifier pour les femmes la perte de l’autonomie, alors que nous assistons à une augmentation de nombre des femmes se trouvant à la tête de leur ménage. Le veuvage leur laissait deux solutions, soit se joindre à la famille de l’un de leurs enfants, soit tenter de se débrouiller par leurs propres moyens. En ce qui concerne le premier cas, parmi les veuves de notre échantillon, en 1816-31, 23 % avaient le statut de « mère » chez les 55-64 ans et 29 % chez celles de plus de 75 ans [8]. Quant à la deuxième situation, la répartition des liens familiaux, calculée uniquement pour les veuves, montre qu’elles étaient majoritaires à occuper le statut de chef de famille, donc à préserver une autonomie, fut-elle miséreuse [9].

28Les résultats obtenus indiquent que les vieilles femmes, notamment les veuves, rejoignaient plus facilement les ménages de leurs enfants que les hommes et que ces derniers ne le faisaient, comme à Verviers, que lorsqu’ils n’étaient plus autonomes. Pour mettre en lumière ces caractéristiques, nous avons procédé au calcul des pourcentages des personnes âgées de 55 ans et plus vivant avec au moins un de leur enfant (Tableau 6).

Tab. 6

Répartition des 55 ans et plus cohabitant, soit avec au moins un enfant, soit avec un enfant marié selon le sexe et le statut de veuf. Genève, 1816-1843

Tab. 6
Groupes Hommes Femmes Veufs Veuves 55-64 692 706 83 264 65-74 389 417 109 239 75 et + 160 175 83 126 Vivant avec au moins un enfant 55-64 55,6 41,9 54,2 50,0 65-74 46,0 36,2 57,8 44,8 75 et + 53,1 38,3 65,1 45,2 Vivant avec un enfant marié 55-64 7,1 7,6 18,1 11,4 65-74 13,6 12,7 30,3 20,5 75 et + 21,9 14,9 27,7 19,8

Répartition des 55 ans et plus cohabitant, soit avec au moins un enfant, soit avec un enfant marié selon le sexe et le statut de veuf. Genève, 1816-1843

29L’âge tardif au mariage a permis à presque la moitié des seniors de 55-64 ans d’entrer dans la vieillesse en s’appuyant sur un de leurs rejetons, malgré leur faible fécondité. La présence d’enfants se réduit à 65-74 ans, puis remonte dès 75 ans. Dans les premières cohortes, les enfants concernés sont des « stayers » (« ceux qui restent ») (Alter et Capron, 2004), tandis qu’à 75 ans et plus, il s’agit d’une mobilité des vieillards vers les ménages de leurs enfants mariés, tendance nettement minoritaire qui concerne un maximum de 53 % parmi les hommes les plus vieux.

30Les mêmes calculs, mais concernant uniquement les veufs et les veuves, apportent quelques lumières supplémentaires (tableau 6). Après la perte du conjoint, un individu se retrouvait devant un triple choix : se débrouiller seul(e) par l’exercice d’un travail, se faire assister par sa famille, éventuellement profiter de l’une des formes de charité mises en place par la société (Hufton, 1995, 133). Les résultats indiquent que plus de la moitié des veufs et des veuves cohabitaient avec au moins un enfant célibataire (le maximum est de 65 % pour les veufs de 75 ans et plus). Bien que la cohabitation avec les enfants mariés ait été une pratique moins répandue, ils étaient également nombreux à profiter du toit d’un de leurs rejetons mariés (par exemple 30 % des veufs âgés de 65-74 ans).

31Les femmes qui ont perdu leur mari profitaient moins que leurs homologues masculins de l’aide de leurs enfants. Nous avons relevé la présence de 45-50 % de veuves vivant avec un enfant célibataire contre 54-65 % des veufs et, dans la catégorie de ceux qui ont décidé d’emménager chez un fils ou une fille mariée, les pourcentages varient entre 11 et 20 %, du côté des femmes, et entre 18 et 30 % chez les hommes.

32L’étude de l’évolution au cours des âges de la typologie de ménages de Laslett a illustré l’accentuation des différences entre les deux sexes dans la vieillesse. La situation démographique de Genève, ce mélange de malthusianisme traditionnel, de modernité néo-malthusienne et de migrations déséquilibrées, a affecté surtout les femmes. Ce sont elles qui se retrouvent dans les situations les plus précaires durant leur vieillesse car, non seulement elles expérimentent plus le célibat et le veuvage, mais encore elles sont plus souvent condamnées à vivre soit en partageant leur toit avec des étrangers, soit en expérimentant ce que Chudacoff et Hareven ont appelé le “empty nest” (Chudacoff et Hareven, 1979). Ceci dit, la réalité du différentiel de genre en matière domestique ne doit pas cacher une compensation large du démographique par les dynamiques de ménage. En effet, une minorité des femmes expéri-mentait la solitude, alors que le veuvage et le célibat attrapait le plus grand nombre d’entre elles. Ainsi, le système familial et social, même mis sous pression par un régime démographique aussi particulier que celui de Genève, dégageait plutôt efficacement des solutions au cas par cas.

Activités et statuts sociaux des personnes âgées

33La vieillesse, la solitude, la perte du conjoint étaient des facteurs de fragilité sociale, voire de vulnérabilité économique. À une époque où les assurances vieillesse n’existent pas encore et où les institutions de prise en charge des vieillards sont rares, la situation des plus âgés est difficile. Atteints de sénilité, ils ne peuvent continuer de gagner leur vie et terminer leurs dernières années dans l’indépendance et la dignité (Conrad, 1984). Afin de mettre en lumière les principales caractéristiques de leur activité économique et de leur statut social, nous avons procédé à l’analyse de la répartition des individus selon les différentes branches économiques et statuts sociaux. Dans l’étude des branches économiques, pour avoir des résultats plus significatifs, nous avons uniquement pris en compte la population active et effectué nos calculs pour l’ensemble de la période 1816-1843. Nous terminerons par un examen des taux d’activité déclarée, qui nous offre une transition vers les questions d’indigence et de gestion collective de la vieillesse.

34Au xixe siècle, les horlogers genevois, regroupés dans une structure proto-industrielle appelée la Fabrique, étaient connus pour leur production de luxe destinée surtout à l’exportation. La forte division du travail ouvrait à la main-d’œuvre féminine une multitude de petits métiers de précision. Néanmoins, la Fabrique était un milieu majoritairement masculin. Le tableau 7 montre que, chez les hommes, la transition dans la vieillesse n’avait pas beaucoup d’impact sur l’exercice des professions horlogères. Les hommes actifs dans cette branche représentaient 36 % parmi les 15-29 ans et 35,8 % dans la catégorie des 55 ans et plus. L’âge n’avait pas, non plus, d’impact négatif sur les pourcentages des actifs occupés dans les autres branches d’activité convoitées par la population masculine. Il s’agissait notamment du commerce et de la branche du textile-vêtements, qui affichent des pourcentages supérieurs à 10 dans tous les groupes d’âge. C’est dans l’artisanat et dans le bâtiment que nous pouvons remarquer une diminution du nombre des vieux ouvriers. Dans le premier cas, les pourcentages diminuent de 6 points par rapport aux 15-29 ans et de 2,6 points dans le bâtiment, ce qui n’est pas exceptionnel. Non seulement la répartition des vieux dans les différentes activités ne change guère par rapport aux autres âges de la vie, mais en plus, pour certains métiers bien spécifiques, un âge élevé peut se révéler un atout car nous remarquons une légère augmentation des pourcentages dans les activités liées à la fonction publique ou à la religion et l’enseignement (Tableau 7).

Tab. 7

La répartition de la population active dans les différentes branches économiques selon le sexe et l’âge. Genève, 1816-1843

Tab. 7
Hommes Femmes âges 15-29 30-54 55 et + 15-29 30-54 55 et + Branche Indéterminés 7,8 5,6 6,2 1,8 2,9 4,2 Agriculture 0,2 1,4 3,5 0,1 0,3 0,4 Artisans 10 7,1 4,1 0,6 1,5 1,8 Bâtiment 5,4 5,8 3 0,4 0,6 0 Fabrique 36 32,6 35,8 11 11,6 6,2 Text-vêtements 15 13 11,8 18,3 12,9 15,1 Alimentation 4,2 3,7 3,7 0,4 2,3 3,3 Transport 1,6 2,9 2,2 0 0,6 0,9 Domesticité 5 4 3,9 46,7 32 20,2 Service personnel 1,2 1 0,8 12,6 18,4 24,4 Commerce 8,3 13,6 13,2 6,2 13,6 20,9 Finances 0,5 1,7 2,2 0 0,1 0 Professions lib. 1,3 1,3 1 0 0,5 0,4 Fonction publique 1,4 3,2 4,2 0,1 0,5 0 Religion-enseign. 2 3,3 4,5 1,6 2,4 2 Total (%) 100 100 100 100 100 100 Total (N) 2 193 2 714 1 002 2 275 1 911 450

La répartition de la population active dans les différentes branches économiques selon le sexe et l’âge. Genève, 1816-1843

35La trajectoire professionnelle des femmes est tout autre. Atteindre et dépasser 55 ans s’accompagne pour beaucoup d’une « reconversion » professionnelle. La proportion des vieilles ouvrières de la Fabrique est de moitié moindre que celle des plus jeunes (11 % pour les 15 à 29 ans contre 6,2 % pour les 55 ans et plus). Dans la domesticité, majoritairement féminine, les chiffres passent de 46,7 % (15-29 ans) à 20,2 % (plus de 55 ans). Ce sont surtout les jeunes immigrées qui s’engageaient durant quelques années comme servantes. Cependant, « le mirage de la richesse et du mariage en ville est aussi générateur de solitude pour celles qui échouent. Elles sont nombreuses et connaissent alors la solitude chez les autres » (Dauphin, 1991, 522). C’est certainement cette catégorie qui apparaît dans notre tableau. Les vieilles domestiques, en même temps vieilles filles, étaient accueillies ou plutôt conservées par certaines familles pour lesquelles garder une domestique âgée à la maison était un signe de réussite sociale (Hufton, 1995, 128).

36Selon Ida Blom, la ville offrait aux veuves une multitude de stratégies les aidant à survivre. “Sewing, kniting, and washing for other people was a common source of modest income. Hawking or trading homemade and other minor products was another, selling beer and taking in lodgers a third” (Blom, 1991, 197). Plusieurs de ces métiers entrent dans la catégorie des services personnels, qu’il s’agisse des laveuses, des repasseuses, des blanchisseuses, etc. Effectivement, à Genève, ils représentent un gagne-pain pour les plus fragiles. Dans la catégorie 15-29 ans, 12,6 % des femmes relevaient de ces activités, mais la proportion était double chez les plus âgées (24,4 %). Le même phénomène touche le commerce, qui regroupait 6 % des jeunes femmes, contre 21 % des femmes de 55 ans et plus. Beaucoup de veuves, qui auparavant assistaient leur mari derrière un comptoir, prenaient en main les affaires après le décès de leur conjoint (Oris, Ritschard et Ryczkowska, 2005).

37L’exercice d’une activité professionnelle peut fournir d’autres indications, notamment sur le statut social des actifs, basé sur le métier déclaré le jour du recensement. Pour tous, l’entrée dans la vieillesse a deux conséquences sur le statut social. Premièrement, la proportion des sans qualifications (18,5 % des hommes entre 15-29 ans et 10,8 % pour les 55 et plus), des manuels qualifiés (respectivement 57,3 % et 46,8 %) et des cols blancs (10 % et 3,6 %) diminue chez les vieux. La compensation se fait du côté des classes aisées, où l’augmentation entre les deux groupes d’âge masculins est de plus de 10 points dans la petite et moyenne bourgeoisie et de 14 au sein de l’élite.

38Pour comprendre les fluctuations des activités économiques féminines et des statuts sociaux féminins durant la transition entre l’âge adulte et le vieillissement, il faut souligner deux éléments. Le premier concerne le bas de la hiérarchie sociale ; le recul de l’activité est bien plus complexe chez les femmes que chez les hommes. Le deuxième est celui des vieilles femmes appartenant à l’élite, dont le pourcentage augmente spectaculairement. Près d’un tiers des Genevoises de 55 ans et plus appartiendraient au groupe social le plus élevé (tableau 8). C’est un résultat qui n’a cependant aucune valeur littérale, car il ne s’explique que par le poids des « rentières ». Nous les rangeons au sommet de la hiérarchie sociale, ce qui n’est guère discutable avant 55 ans mais le devient au-delà. À la base, il y a dans nos données une association avec le changement d’état matrimonial à travers le passage du statut de mariée inactive « sans état » à celui de veuve rentière (Perroux, 2003, 189-215). Ceci reflète la culture contractuelle de la Genève calviniste où le contrat de mariage est d’usage courant et prévoit le devenir de l’épouse après le décès de son conjoint (Perrenoud, 1967). Dès lors, passé 55 ans, le groupe des rentières genevoises est beaucoup plus hétérogène qu’il ne tend à l’être dans d’autres contextes urbains à la même époque. Il réunit des femmes faisant partie des familles ayant le statut de bourgeois de la ville mais ne possédant pas de véritable fortune. D’autres n’avaient ni le statut ni l’activité, mais une petite fortune qui leur permettait de se déclarer rentières. Enfin se trouvent aussi dans la même catégorie les femmes possédant suffisamment de moyens financiers pour préserver une aisance jusqu’à leur mort [10]. Le problème rencontré souligne les limites de la classification sociale à partir des informations sur le statut socio-professionnel. Seule l’analyse des actes notariés permet de distinguer les rentières aisées de celles qui, certes, reçoivent des rentes, mais qui en fait n’ont guère de moyens.

Tab. 8

Répartition des Genevois dans les différentes classes sociales selon le sexe et l’âge. Genève, 1816-1843

Tab. 8
Hommes Femmes âges 0-14 15-29 30-54 55 et + Ind. 0-14 15-29 30-54 55 et + Ind. Statut soc. Sans qualif. 61,3 18,5 10,9 10,8 12,5 67,4 62,1 47,4 29,7 47,4 Cols bleus 18,2 57,3 54,7 46,8 48,6 24,2 30,4 32,2 26,9 15,8 Cols blancs 18,2 10 3,8 3,6 8,3 2,1 0,4 0,9 1,3 0 PMB 0,7 11,9 25,5 22,3 16,7 3,2 5,7 14,2 11,9 13,2 élite 1,5 2,3 5,1 16,5 13,9 3,2 1,4 5,3 30,2 23,7 Total (%) 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100 Total (N) 137 2306 2736 1134 72 95 2283 1972 629 38

Répartition des Genevois dans les différentes classes sociales selon le sexe et l’âge. Genève, 1816-1843

39De manière triviale, durant les années 1816-1843, l’activité professionnelle était la caractéristique principale du monde masculin. Tous les groupes confondus, près de 70 % des hommes ont déclaré exercer une profession contre 44 % des femmes (figure 6). L’activité chez les hommes commence tôt et atteint son maximum à partir de 20 ans ; elle reste stable (plus de 90 %) durant toutes les années de mariage et ne commence à descendre qu’à partir de 60 ans. La vieillesse se caractérise par une diminution progressive du taux d’activité. Néanmoins, dans la catégorie des 75 ans et plus, plus de la moitié des vieux ont encore déclaré une activité professionnelle.

40La courbe des femmes est plus basse et moins régulière. Les années qui précèdent le mariage sont, pour les jeunes filles, une occasion de décharger le budget familial, voire une nécessité de gagner de l’argent pour pouvoir se marier. Ainsi, leur taux d’activité augmente jusqu’à leur 24e année (69 %), qui représente le sommet, et redescend durant les premières années du mariage en atteignant 49 % entre les 35 et 39 ans. Les femmes, dont le rôle était de procréer et de s’occuper de leurs familles, arrêtaient souvent le travail déclaré après les noces. Mais la situation précaire des veuves les obligeait à reprendre rapidement une activité officielle. De fait, le taux d’activité féminin augmente à nouveau entre les 40e et 44e années (61 %). Il redescend ensuite, effet de l’âge, tout en restant plus élevé que celui des 35-39 ans, effet de la montée des veuves mais aussi de l’importance du célibat définitif. C’est à partir des âges avancés que le nombre des femmes actives diminue et passe de 53 % chez les 55-59 ans à 15,2 % chez les 70-74 ans.

Fig. 6

Taux d’activité déclarée de la population genevoise selon l’âge et le sexe. Genève 1816-1843

Fig. 6

Taux d’activité déclarée de la population genevoise selon l’âge et le sexe. Genève 1816-1843

La prise en charge des personnes âgées et invalides à Genève au xixe siècle

L’assistance traditionnelle

41Comme la plupart des cités états de l’ancien Régime, Genève dispose très tôt d’une institution, l’Hôpital Général, s’occupant tant des soins des malades que de la prise en charge des indigents. Lors de la création du canton en 1816, l’arrivée de plusieurs communes catholiques sème le trouble, car l’Hôpital est de tradition calviniste et les anciens Genevois refusent d’étendre son aide aux ressortissants des nouvelles municipalités catholiques : « Le patrimoine des anciens Genevois […] sera toujours séparé des biens de l’État. Il en sera de même pour les biens régis par les directions des divers établissements de charité qui existent dans Genève, tel que l’Hôpital » (lois éventuelles, art. III). Certaines communes de la campagne créent alors des comités locaux de bienfaisance ou des bourses des pauvres. La Fondation Tronchin (1831-1854), du nom d’une influente famille protestante, est également organisée pour suppléer au manque de secours des non-Genevois, sans distinction d’origine ou de religion. Le législateur ne commence à uniformiser les pratiques d’assistance des différentes municipalités qu’à partir de janvier 1845, quand il dote le canton d’un comité de bienfaisance.

42Les aides octroyées par l’Hôpital Général vont d’un apport ponctuel en rations de pain, voire en hardes, jusqu’à une pension en argent pouvant être mensuelle et renouvelée régulièrement (pension réglée) (Klaucke, 2002, 32-48). Le montant de la pension dépend du niveau d’infirmité et de la situation familiale, une même infirmité pouvant être prise en charge différemment selon que la personne est mariée et/ou qu’elle a des enfants à charge, sans parler de la question des mœurs. L’arbitraire dans l’octroi des aides est évident et découle d’un système fondé sur une charité méritocratique d’essence calviniste. Selon Calvin, « les biens matériels ne sont pas destinés à être méprisés ou rejetés (comme le veut l’ascétisme), mais leur destination est le service d’autrui » (Bieler, 1959, 321). C’est pourquoi le riche est surnommé par le réformateur le « ministre du pauvre » (Bieler, 1959, 323), ce qui permet à l’homme riche d’éprouver sa foi. La notion de « ministre du pauvre » implique l’existence d’une relation impersonnelle qui lie les hommes aux biens et donc une redistribution volontaire des richesses qui n’appartiennent qu’à Dieu. Ainsi, l’accumulation de richesse est condamnée par Calvin, mais il en va de même pour l’oisiveté de l’indigent.

Tab. 9

Nombre d’assistés en ville de Genève par situation familiale (1824)

Tab. 9
Statut social % N Enfants légitimes 26,3 481 veuves 14,9 273 célibataires 14,9 272 femmes mariées 13,0 238 hommes mariés 12,5 229 enfants exposés 8,9 162 veufs 5,1 94 enfants illégitimes 4,4 81 Source : Archives d’états de Genève, état nominatif et dénombrement des assistés de la ville et de la campagne en 1824, Cote arch. Hos. Ha 3

Nombre d’assistés en ville de Genève par situation familiale (1824)

43À partir de ces principes, quelques lignes directrices ont été posées pour l’octroi d’une aide. Notamment, la commission de secours prend en considération « l’âge, les infirmités, le nombre d’enfants, les ressources, la moralité, la conduite antérieure [11] ». En 1824, le nombre d’assistés pour la ville de Genève figure sur le tableau 9.

44Parmi ceux qui ont perdu leur conjoint, proportionnellement, les veuves sont moins aidées que les veufs. Dans le recensement de 1822, il y a quatre veuves pour un veuf. Or, on trouve en 1824 trois veuves à l’assistance pour un veuf. L’âge moyen n’explique pas cette différence étonnante, puisqu’en 1822, il est presque identique, de 62 ans pour les veuves contre 60 pour les veufs. Que les hommes frappés par le deuil aient été plus souvent aidés que les femmes surprend par rapport aux visions communes. Le rôle des jugements moraux portés par les élites est délicat à établir, mais, en tout état de cause, la bonne conduite était essentielle et se trouvait toujours en bonne place dans les rapports faits à la commission de secours. Par exemple, le 22 mars 1837, la demande d’assistance de la femme Barbet est « recommandée par sa conduite et les soins qu’elle a donnés à son père » [12]. Sans ce type de recommandations, la demande d’une femme mariée, même avec enfants, n’aurait que peu de chance d’aboutir. En revanche, l’ivrognerie [13] ou l’avarice [14] provoquent automatiquement un refus.

45La valeur protestante méritocratique – qui se diffuse dans toutes les bourgeoisies européennes au xviiie siècle et plus encore au xixe –, s’exprime amplement autour de la question du travail. L’incapacité d’assumer son activité professionnelle, qui touche beaucoup de personnes âgées demandeuses d’aides temporaires, est appréciée selon les mœurs. Le travail saisonnier n’est pas, par exemple, un argument retenu. Au contraire, les appréciations telles que « recommandé par le pasteur », « laborieux, raisonneur et persévérant » ouvrent des aides. En revanche, si les enfants travaillent et n’aident pas leurs parents, ceux-ci ne reçoivent aucune aide et les requérants sont en plus admonestés [15].

46À l’image de l’Église protestante (Oris et Perroux, à paraître) avec laquelle il collabore, l’Hôpital Général bénéficie d’un quadrillage étroit de la cité lui permettant d’obtenir très rapidement tous les renseignements souhaités sur les mœurs des nécessiteux. La ville et la banlieue sont divisées en secteurs où se trouvent un nombre identique d’indigents. Pour chaque secteur, un responsable est chargé de « s’enquérir avec soin de la réalité des besoins de chaque individu, de sa famille, de ses ressources, de ses mœurs, de la nature et de la qualité des secours nécessaires [16] ».

47Parmi les mesures que le règlement de l’Hôpital prévoit, la plus radicale est l’expulsion de la ville, présentée il est vrai sous des termes moins catégoriques « pour diminuer le nombre de pauvres qu’on est dans le cas de recevoir à l’Hôpital, comme aussi pour des raisons de santé ou d’économie, on a soin de placer à la campagne ceux qui sont assez valides pour y demeurer [17] ». Si ce placement ne peut se réaliser qu’avec l’accord du placé, il n’empêche que dans les faits, cette mesure s’applique surtout à des solitaires, souvent âgés, dans l’incapacité de travailler et qui posent problème par leurs mœurs à la commission de secours. La veuve B., par exemple, à qui la commission propose un placement à la campagne, reçoit une description peu flatteuse : « Elle est sale et se laisse venir de la vermine [18]. » Pratiquement, la pension octroyée par l’Hôpital était versée à une famille d’accueil des villages de la campagne, qui voyait donc arriver non seulement une nouvelle bouche à nourrir, mais surtout un nouveau revenu.

48Plusieurs cas de placements à la campagne concernent des personnes présentes dans notre échantillonnage des recensements genevois, même si, comme le confirme Réjane Klaucke, cette mesure n’a pas été d’une grande ampleur (Klaucke, 2002). Il apparaît clairement que les réticences des assistés à être placés loin de la cité constituaient la première pierre d’achoppement à ce système. Par exemple, le 3 août 1837, la commission de secours préconise un placement à la campagne pour la veuve Brunet, déjà assistée. Prévoyant un refus, les commissaires tentent de faire intervenir le pasteur pour la convaincre, en pure perte [19]. L’accent mis sur la nécessité d’une démarche au moins en partie volontaire est typique du calvinisme, et l’expression de la responsabilisation de la communauté des croyants.

49D’un autre côté, le morcellement des campagnes entre anciennes communes des mandements, protestantes, et celles dites « communes réunies », catholiques, a certainement compliqué ces placements. Le registre de la tournée des campagnes, qui fait état de la situation des indigents se trouvant hors les murs, concerne toutes les municipalités des anciens mandements protestants de Genève, mais seulement quelques villages catholiques [20].

Le tournant de la Révolution radicale

50La fondation d’un asile de vieillards à Genève a été l’une des revendications principales énoncées dans la Constitution de 1847, fruit de la révolution libérale qui a précédé ce texte de quelques mois. Dans l’historiographie genevoise, l’asile des vieillards se trouve systématiquement accolé à une liste de grands travaux publics (construction de routes, démolition des fortifications…), inscrit dans le texte fondateur de la nouvelle République pour bien marquer le début d’une ère où l’intervention directe de l’État dans l’économie n’est plus taboue.

51En fait, l’idée d’un tel établissement est antérieure de quelques années à la Constitution de 1847, puisque la première proposition date de 1843, année du dernier recensement de notre étude. Proposition individuelle du député Goetz [21], elle est appuyée par un autre élu, qui parle de « lacune dès longtemps signalée dans nos institutions [22] ». Cependant ce projet, qui visait les personnes âgées de plus de 60 ans, n’est pas repris. La question ne réapparaît que dans les débats qui entourent l’adoption de la nouvelle constitution en 1847. Et encore, cet asile n’est ajouté dans les « dispositions additionnelles » que lors du troisième et dernier débat [23], d’où la facile critique de l’ancien maire Cramer, qui trouve cet amendement « pour ainsi dire improvisé [24] ». Ce sont surtout les capacités financières de l’État à assumer un tel projet qui sont mises en doute par les conservateurs, car le libellé de la proposition est plutôt vague : « [Le gouvernement soumettra à l’examen du parlement] dans un délai de 2 ans au plus, un projet de loi sur la création d’un hôpital cantonal et d’une maison d’asile pour les vieillards. » La proposition est logiquement adoptée.

52Le débat sur la réalisation de l’asile débute le 26 mai 1849 par un discours de James Fazy, le leader révolutionnaire radical porté au pouvoir. Celui-ci légitime cet établissement uniquement par l’expérience pourtant minoritaire des vieillards placés à la campagne [25]. Surtout, Fazy a répondu aux réticences financières des conservateurs en couplant la création de cet asile avec celle d’une assurance mutuelle sur la vie26. Dans son idée, cette assurance serait réservée aux Genevois qui cotiseraient pendant 20 ans dès l’âge de 21 ans, et donnerait le droit d’accéder à l’asile dès l’âge de 60 ans. Dans la mesure où l’indigent n’aurait pas cotisé, c’est sa commune d’origine, voire un établissement public, qui pourrait prendre en charge sa pension27. La majeure partie du débat sur la création de ce premier asile pour vieillards genevois a tourné autour de l’assurance mutuelle. Cette dernière apparaît d’abord autant comme un progrès que comme un excellent moyen de contrôler les bonnes mœurs des indigents, en leur inculquant durant toute leur vie adulte le sens de l’épargne et de la responsabilité individuelle. Le projet final sera expurgé de toute limite d’âge quant à l’admission ou à la durée de cotisation.

53L’idée d’édifier un hospice réservé aux vieillards n’a rien d’originale. En revanche, l’accompagner d’un projet élaboré de mutualisation des risques incluant une définition institutionnelle de la vieillesse, dans un compromis délicat entre l’accent mis sur la responsabilité individuelle et l’évidence reconnue des devoirs collectifs, donc d’une gestion publique, est une décision qui distingue Genève. Le xixe siècle a bien sûr été traversé par d’innombrables projets et réalisations plus ou moins similaires, car les idéaux structurants étaient largement partagés par les élites du temps. Mais au-delà des initiatives privées, il faudra attendre près de 40 ans un engagement public aussi cohérent, en l’occurrence dans l’Allemagne bismarckienne (Conrad, 1984 ; Bois, 1989). Il ne faut pour autant pas exagérer la portée du projet radical genevois, qui eut bien du mal à se concrétiser, mais nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’une telle précocité n’entretient pas un simple rapport de coïncidences avec les problèmes spécifiques posés par la vieillesse dans une ville où, par ailleurs, les femmes âgées, plus encore les veuves et célibataires, celles qui – comme en attestent toutes les statistiques démographiques, familiales et socio-économiques – avaient le plus besoin d’assistance, n’en recevaient certes pas leur dû !

Conclusions

54Dans la société calviniste genevoise peut-être encore plus qu’ailleurs, l’un des trois objectifs des vieux était de garder le plus longtemps possible un travail leur procurant non seulement un minimum d’autonomie, mais également le sentiment de dignité et d’utilité sociale. Le taux d’activité masculin, le peu de changement dans les branches économiques des hommes et leur « entêtement » à garder la position du chef de ménage indiquent soit la dureté du système familial obligeant les vieux à travailler jusqu’à leur extrême limite physique, soit justement cette volonté de prouver que l’on fait encore partie de la société, que l’on ne « déchoit » pas. Le passage dans la vieillesse, pour les hommes genevois, se faisait sans grand basculement et n’impliquait pas de changements majeurs dans leur mode de vie qui, généralement, ressemblait à celui d’un adulte (Chudacoff et Hareven, 1979, 75). Leur seul moment de vulnérabilité était celui du décès de l’épouse, car pour chaque individu la mort du conjoint mettait en danger la fragile unité familiale, du point de vue économique, social et émotionnel (Van Poppel, 1995, 423). C’est le travail domestique effectué par chaque femme dans un ménage qui posait un problème « objectif » aux veufs, spécialement s’ils se retrouvaient avec de jeunes enfants. Surtout pour les plus jeunes, la solution la plus fréquente était donc le remariage qui était, nous l’avons vu, la spécificité du veuvage masculin. Il leur donnait l’opportunité de garder le plus longtemps possible une autonomie familiale (le pourcentage élevé des ménages nucléaires jusqu’à 75 et plus en atteste) et d’éviter les durs moments de solitude.

55L’objectif de cette recherche était, entre autres, de mettre en lumière non seulement les spécificités de la vieillesse féminine, mais également l’existence ou non de stratégies de survie, car si les vieillards étaient dans une situation socio-économique sinon acceptable, en tout cas endurante, nous ne pouvons pas l’affirmer dans le cas des femmes. “Demographic realities made vulnerable women more numerous than vulnerable men, and economic realities made them poorer.”(Reher, 1997, 109). Les spécificités démographiques de la ville leur enlevaient une partie de leur soutien familial et les mettaient en désavantage sur le marché du remariage, alors que la discrimination sur le marché de travail les empêchait de terminer leur vie par leurs propres moyens. Les historiens ont souligné à de multiples reprises que la cause principale du remariage féminin était économique (Blom, 1991 ; Oris et Ochiai, 2002 ; Ryczkowska, 2003 ; Van Poppel, 1995). Pour une veuve, la mort de son mari signifiait parfois une solitude physique, et souvent la précarité financière, car, même en travaillant, elle ne pouvait guère retrouver le même niveau de vie que durant le mariage (Palazzi, 1990, 454).

56Au total, à travers non pas une mais une multitude de solutions, les Genevoises âgées évitaient le plus souvent la solitude au sens strict, le “empty nest”. Mais cela n’implique nullement que leur fin de vie était assurée. Après le décès de leur conjoint, elles se retrouvaient le plus souvent à la tête d’un ménage, elles étaient plus nombreuses que les hommes à habiter dans des unités d’une ou de deux personnes, à appartenir aux groupes domestiques les plus exposées à la vulnérabilité, à avoir une activité professionnelle peu rentable… Rajoutons à cette liste, déjà longue, qu’elles étaient majoritaires, par rapport aux hommes, à expérimenter la vie en solitude (Oris, Ritschard et Ryczkowska, 2005), et que leur taux d’activité fluctuait sévèrement au fil des âges. Ce dernier point peut indiquer leur dépendance financière vis-à-vis de leur famille, mais on se doit ici de rappeler la très pertinente remarque d’Ida Blom : “Widows, more than widowers, fell back on family support. But as the families of poor widows were mostly poor themselves, family support may have been much less helpful than is usually believed.” (Blom, 1991, 197). Le même auteur a cité plusieurs villes où, effectivement, le pourcentage des veufs et des veuves secourus par leur famille n’était pas très important. Dès lors, la seule alternative était de se faire assister par les pouvoirs publics car “widows with children, and elderly widows, traditionally received poor relief, in most case outdoor relief” (Van Poppel, 1995, 424).

57La dernière partie de cette contribution a justement montré que les pouvoirs publics ont su mettre en place quelques solutions quant à la protection des plus vulnérables, mais « qu’à l’envers du bon sens », les veufs étaient plus aidés que les veuves… La description des conditions que les vieillards devaient remplir pour pouvoir bénéficier d’une quelconque assistance montre que la société genevoise avait encore bien du mal à accepter la vieillesse et ses conséquences, à la distinguer de l’indigence, à définir un statut. Mais les projets radicaux genevois de 1846-1847 révèlent en même temps une réflexion précoce sur chacun de ces points, une évolution essentielle des mentalités puisque, pour la première fois, émerge l’idée d’une inactivité légitime, d’un repos mérité en fin de vie.

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NOTES

  • [*]
    Ce papier a été rédigé dans le cadre du projet du Fonds national suisse de la recherche scientifique numéro 1114-068113.02.
  • [1]
    Pour une discussion plus approfondie, voir Bourdelais, 1997. Une approche similaire à la nôtre, sur des sources semblables, est par exemple celle de Alter, 1999.
  • [2]
    Sur les raisons de son peu de succès parmi les historiens francophones, voir (Bourdelais et Gourdon, 2000).
  • [3]
    Beaucoup, par exemple, accueillent des logés pour éviter une solitude physique réelle. Cf. Oris, Ritschard et Ryczkowska, 2005.
  • [4]
    « La dureté des systèmes familiaux nucléaires » (Laslett, 1988).
  • [5]
    Par exemple, parmi les femmes de 70-74 ans, elles sont 15,2 % et 12,2 % pour la deuxième période.
  • [6]
    Cela leur procurait un salaire complémentaire, si la veuve pouvait encore travailler, et dans le cas contraire, c’était à la fille que revenait la charge de nourrir et de soigner sa vieille mère (Hufton, 1995, 131). Il s’agissait certainement d’un sacrifice pour la fille, mais jusqu’à quel point il était consenti, valorisé, voire récompensé, reste objet de débat (Oris, Ochiai, 2002, 42).
  • [7]
    L’expression “familiar strangers” est empruntée à P. Baskerville (2001, 321-347).
  • [8]
    En 1837-1843, ces valeurs sont tombées à respectivement 11 et 15 %, ce qui indique un net recul de la propension à accueillir une mère, recul pour lequel nous n’avons pas d’explication évidente, hormis l’amélioration globale de la situation à Genève, déjà évoquée.
  • [9]
    59,6 % chez les 55-64 ans, 65,2 % chez les 65-74 et 59,5 % pour les âgées de 75 ans et plus durant la première période. Pour les années 1837-1843, on obtient respectivement 74,1 %, 54,3 % et 72,7 %.
  • [10]
    À notre connaissance J. Riley (1982) est le premier à avoir montré que certaines veuves étaient aisées et profitaient d’une autonomie dont elles n’auraient jamais bénéficié autrement.
  • [11]
    Voir Archives d’État de Genève (désormais AEG), Règlements de l’Hôpital Général, Archives hospitalières, Ag 5, article 11, p. 16.
  • [12]
    AEG, Délibérations de la commission de secours 1837-1845, séance du 23 août 1837, arch. Hos, Ac 8.
  • [13]
    Id., cas de Barthélémy Borel, 4 octobre 1837.
  • [14]
    Id., cas de Jean Louis Berthoud, 22 février 1837.
  • [15]
    Id., cas de la veuve Bonnet, 7 juin 1837.
  • [16]
    Voir AEG, Règlements de l’Hôpital Général, Archives hospitalières, Ag 5, article 7, p. 15.
  • [17]
    Id., article 30, p. 22.
  • [18]
    AEG, Délibérations de la commission de secours 1837-1845, séance du 23 août 1837, arch. Hos, Ac 8.
  • [19]
    AEG, Délibérations de la commission de secours 1837-1845, séance du 3 août 1837, arch. Hos, Ac 8.
  • [20]
    AEG, Revue des campagnes, diverses dates, Arch. Hos.
  • [21]
    Voir AEG, Mémorial des Séances du Grand Conseil, séance du 22 mai 1843, 1843 (tome 3), p. 326.
  • [22]
    Notamment de Moulinié.
  • [23]
    AEG, Mémorial de la constituante, p. 2719, tome 3 (1847).
  • [24]
    Id., p. 2720.
  • [25]
    AEG, Mémorial du Grand-Conseil, 26 mai 1849. 1849, vol. 2, p. 1126 sqq.

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