Couverture de ADH_110

Article de revue

Vulnérabilité et santé en Ouzbékistan : origine des différentiels de mortalité selon la richesse des ménages

Pages 109 à 138

Notes

  • [1]
    Il ne faut pas oublier, cependant, qu’une politique de santé publique, certes limitée, a préexisté à l’hygiénisme : ce fut le cas dans les cités italiennes suite à la terrible épidémie de peste de 1347. De plus, les Tables de la Loi contiennent des directives de santé et Hippocrate dressa les premières bases du savoir sur l’hygiène individuelle et collective. Voir P. Bourdelais, 2001, 7-10.
  • [2]
    1867 correspond à la création du guberniâ du Turkestan russe. Le général russe von Kaufmann devient le premier gouverneur général du Turkestan avec Tachkent pour capitale. Le guberniâ du Turkestan, qui dépendait du ministère de la Guerre, se transforma en kraj du Turkestan (région) à partir de 1886. Voir Fourniau, 1994, 90.
  • [3]
    Les premiers établissements de soins furent créés par les Russes à partir de 1868 (ouverture du premier lazaret militaire à Samarcande et à Tachkent qui se transformera en hôpital militaire en 1870).
  • [4]
    À l’époque où trois positions théoriques se distinguaient (théorie des miasmes, théorie contagionniste et théorie anticontagionniste), les grands développements sanitaires mis en œuvre notamment par Edwin Chadwick dans l’Angleterre du xixe siècle s’inscrivaient dans le prolongement de cette théorie des miasmes (Rosen, 1949 et 1993).
  • [5]
    Cette stratégie a d’ailleurs été récemment redécouverte par l’OMS et des spécialistes ont été envoyés à l’Institut de médecine tropicale de Samarcande.
  • [6]
    Une structure similaire est organisée à Tachkent pour le Turkestan quelques mois plus tard.
  • [7]
    Il s’agit de 6 pages insérées dans un hebdomadaire Kambaghal Dehqon (le paysan pauvre). Voir Kadyrov, 1976.
  • [8]
    La genèse de la médecine dite moderne est marquée par la révolution pastorienne avec la découverte du vaccin antirabique par Pasteur en 1885. Néanmoins, la première tentative de vaccination faite par Edward Jenner contre la variole en 1796 fut une étape décisive dans le développement de la médecine moderne et de la compréhension des maladies infectieuses, démontrée plus tard par Pasteur (Rosen, 1993 et Moulin, 1996°.
  • [9]
    Les premières mesures de santé publique ont été prises par les colons russes en 1872 : le général von Kaufman crée le poste de vaccinateur contre la variole (ospennij privivatel’). Les jeunes turkestanais étaient alors formés pour vacciner (Anonyme, 1882 ; Kadyrov, 1994).
  • [10]
    La dracunculose, filaire de Médine ou ver de Guinée, est une parasitose très invalidante.
  • [11]
    Le revenu moyen annuel par habitant est la somme dont dispose théoriquement chaque individu entrant dans la communauté nationale qu’il travaille ou non.
  • [12]
    L’épidémie de choléra de 1892 poussa les médecins du Turkestan à s’organiser par le biais de la création de sociétés de médecins de Ferghana en 1892, du Transcaspien en 1896 et de Tachkent (pour les médecins du Turkestan) en 1899.

1L’objectif de cette analyse est de comparer l’ordre de grandeur des différentiels de mortalité en Ouzbékistan, un État post-soviétique, avec ceux observés en Afrique subsaharienne. Cette comparaison permet d’analyser les similitudes et les différences entre deux situations historiques et sociales a priori très éloignées afin d’étudier l’origine des différentiels de mortalité. L’histoire coloniale de l’Ouzbékistan nous intéresse ici afin de mettre en perspective deux espaces aussi différents que l’Asie centrale et le continent africain. L’Ouzbékistan a été colonisé dès la seconde moitié du xixe siècle et le système de santé publique moderne de même que le système économique ont été importés de Russie, une situation finalement assez proche de celle vécue par l’Afrique subsaharienne où les systèmes sanitaire et économique ont été apportés par les Européens (Britanniques, Français et Portugais) à peu près au même moment. Ces deux situations fournissent une opportunité assez unique de remonter à la source des différentiels de mortalité, en contrastant la situation d’un pays anciennement soviétique avec celle des pays africains qui ont suivi pour la plupart un modèle libéral.

2Depuis près de deux siècles, les relations complexes entre la santé et la richesse font l’objet de recherches approfondies. Villermé (1830) en fut le pionnier dans une étude fondamentale consacrée à la mortalité dans la France urbaine dans laquelle il démontrait que la mortalité à Paris était étroitement liée à la pauvreté. Depuis les débuts de l’industrialisation, la vulnérabilité sociale et économique a toujours été fortement associée à de nombreux indicateurs de santé et plus spécifiquement à la mortalité. Kitagawa et Hauser (1973), dans une étude réalisée aux États-Unis, ont montré une forte relation entre le revenu et la mortalité. Cette analyse classique, basée sur 340 000 décès survenus entre mai et août 1960 correspondant au recensement de 1960, est une des rares études disponibles liant directement la mortalité et le revenu des ménages au niveau national. En effet, ce type d’étude nécessite un appariement entre deux informations collectées indépendamment (l’état civil et le recensement), ce qui est en soi difficile et souvent impossible dans de nombreux pays en raison de la confidentialité de ces données.

3La plupart des données utilisées reliant la santé et la richesse proviennent d’enquêtes spécifiques. Toutefois, dans les enquêtes démographiques qui se concentrent plus particulièrement sur la santé, le revenu n’est généralement pas mesuré, alors que dans la majorité des enquêtes à caractère économique mesurant le revenu, ce sont les indicateurs démographiques qui ne le sont pas. Une autre approche permettant d’étudier la relation entre la santé et la richesse consiste à considérer les biens possédés par les ménages au lieu du revenu. En effet, les questions portant sur les biens des ménages et leurs caractéristiques sont plus faciles à recueillir que le revenu lui-même et sont par ailleurs souvent disponibles dans de nombreuses enquêtes démographiques incluant des indicateurs de santé. De plus, les données sur les biens des ménages sont souvent considérées comme étant plus robustes que celles relatives aux revenus pour mener à bien l’analyse : elles résument l’histoire économique du ménage mieux que ne le fait le revenu courant et elles sont, de plus, indépendantes de la monnaie locale qui est sujette aux fluctuations, ce qui rend les comparaisons difficiles et délicates. La Banque Mondiale a d’ailleurs suivi cette stratégie ces dernières années. Ainsi, Filmer et Pritchett (2001) recommandent un indice simple basé sur la composante principale d’un panier de biens des ménages.

4Néanmoins, les différentiels de mortalité selon la richesse sont rarement présentés dans les enquêtes EDS (Enquête Démographique et Sanitaire) et ne sont disponibles que dans quelques enquêtes récentes. Celles-ci proposent un indice de richesse qui permet de calculer les quintiles de richesse associés à chaque ménage. Nous reprenons dans ce chapitre l’indice de richesse développé dans un article antérieur sur la pauvreté au Maroc (Garenne et Hohmann, 2003). Cet indice simple est basé sur la somme de biens modernes possédés par le ménage. Cet indice semble donner des gradients similaires aux autres en ce qui concerne les indicateurs de santé et il a l’avantage important de permettre des comparaisons dans le temps pour le même pays ainsi qu’entre les pays, alors que les indices basés sur les composantes principales sont abstraits et ne permettent que des analyses différentielles par quintiles ou percentiles dans un lieu donné et à une période donnée.

5Au cours du processus de développement normalement concomitant à la transition sanitaire, mesurée par la baisse de la mortalité, le revenu des ménages augmente, ceux-ci accumulent davantage de biens et la mortalité baisse régulièrement pour diverses raisons. Dans la catégorie la plus riche de la société, les améliorations sont plus rapides que dans les strates plus pauvres. À chaque instant on note un gradient des indicateurs de santé selon le revenu ou la richesse, et une relation statistique étroite entre la santé et la richesse. Certes, on peut remarquer des exceptions à ce schéma général pour certaines maladies, surtout celles qui sont liées aux comportements individuels, comme le tabagisme, l’obésité ou les MST (maladies sexuellement transmissibles). Toutefois, le schéma général semble prédominer à travers le monde. Par ailleurs, il faut souligner que certains pays suivent différentes stratégies de développement et ne bénéficient pas nécessairement des mêmes succès en matière économique et dans le secteur de la santé publique. Par exemple, la Chine dans les années 1960 et 1970 a connu des progrès considérables en matière de santé sans pour autant voir son revenu augmenter, de même que Cuba à la même période et de nombreux pays dits socialistes. Cette situation se retrouve parfois pour des pays qui ne sont pas d’obédience socialiste. Ainsi, le Sénégal a vu sa mortalité baisser considérablement entre 1950 et 1999 sans qu’il y ait eu une augmentation du revenu par habitant mesurée en parité de pouvoir d’achat (Enquêtes EDS et Maddison, 2003).

6Historiquement, de rapides augmentations du revenu par habitant se traduisent souvent par de plus fortes inégalités en matière de santé et cette situation a tendance à prévaloir dans le temps, à moins que des politiques publiques appropriées viennent compenser les inégalités et redistribuer les richesses vers les couches sociales les plus pauvres. On pourrait alors s’attendre à des différences majeures dans l’ordre de grandeur des gradients de santé et de richesse entre les pays suivant un modèle libéral de développement et des pays suivant un modèle socialiste.

7Les principaux déterminants de la santé et de la mortalité sont bien connus : le statut nutritionnel, la médecine préventive et curative et les comportements individuels. D’autres facteurs jouent bien entendu un rôle non négligeable comme l’écologie des maladies, les interactions complexes entre les dynamiques des maladies et les populations, mais la plupart des progrès en matière de santé et de mortalité sur le long terme peuvent s’expliquer par les quatre facteurs principaux. La nutrition a été soulignée par McKeown (1976) comme étant le facteur principal de la baisse de mortalité en Angleterre et au Pays de Galles entre 1840 et 1960. Cependant, les séries démographiques à long terme montrent clairement que le point de départ de l’augmentation de l’espérance de vie, c’est-à-dire le cœur de la transition sanitaire, se situe vers 1860, lorsque des progrès majeurs en matière d’hygiène et d’assainissement furent réalisés, lorsque la théorie des germes fut développée et que des efforts concertés furent mis en œuvre pour lutter efficacement contre les maladies infectieuses et parasitaires. L’Anglais Edwin Chadwick, créateur du General Board of Health et de la Poor Law Commission en 1834, fut l’une des principales figures du courant des réformateurs de la santé, ainsi que Louis René Villermé en France et Max von Pettenkofer en Allemagne (Rosen, 1993). Ils furent parmi les premiers à participer à l’élaboration d’un dispositif d’hygiène publique, qui inspira très vite le mouvement des hygiénistes (Sanitarians) aux États-Unis (Duffy, 1992), puis de la médecine sociale au début du xxe siècle [1]. Du point de vue démographique, Preston et van de Walle (1978) ont montré que l’assainissement mis en place dans la deuxième moitié du xixe siècle a eu des effets de cohorte à long terme sur la mortalité dans les villes françaises. De même, le contrôle du choléra vers la fin du xxe siècle apparaît comme une preuve de l’impact de l’assainissement sur le contrôle de la maladie (Duffy, 1992 ; Bourdelais, 2001).

8De nombreux progrès en matière de médecine préventive et curative ont marqué le xxe siècle, et vers 1960 la plupart des maladies infectieuses étaient bien maîtrisées dans les pays développés, avec une faible mortalité comparée au siècle précédent. Les mêmes politiques furent appliquées à travers le monde avec des succès variables et la mortalité est à présent basse dans tous les pays où la nutrition est bonne et le système de santé performant.

9Ainsi, la plupart des différentiels des indicateurs de mortalité peuvent être raisonnablement attribués à une combinaison de facteurs de base tels que la nutrition, l’hygiène, la médecine préventive et curative. L’accès différentiel aux ressources alimentaires, à l’eau et à l’assainissement, aux services de soins (préventif et curatif) sont tous susceptibles de contribuer à creuser les différences concernant la santé et en particulier les différences des indicateurs de mortalité. L’accès différentiel aux services de santé est souvent souligné dans la littérature démographique comme étant le principal facteur des différentiels de mortalité, mais il faut garder à l’esprit que les différences en terme de nutrition peuvent jouer un rôle similaire. Il s’agit là d’un point cardinal de l’argumentation développée ci-après.

10Peu d’études ont été réalisées sur les différentiels de revenu et de richesse en matière de mortalité dans les pays dits socialistes d’Europe et d’Asie, étant donné l’absence d’enquête de ménages telles que les enquêtes EDS. La plupart des informations sur les différentiels de mortalité dans ces pays sont limitées aux différences classiques selon l’âge, le sexe, le milieu de résidence (urbain et rural), et les différences régionales. Dans les pays de l’ex-Union Soviétique, des enquêtes sur le niveau de vie des ménages ont été conduites par l’Institut de Statistique (Goskomstat) durant l’époque soviétique dès le début des années 1950, mais ces enquêtes ne concernaient que des populations particulières, souvent choisies au niveau des usines, et qui n’étaient donc pas représentatives de la population générale (Popkin et al., 1997). Certaines enquêtes de budget-consommation couvraient les dépenses alimentaires, et il n’est pas exclu que le Goskomstat les ait recoupées avec des données démographiques telles que la mortalité. Cependant, nous n’avons pas la preuve que ces enquêtes auraient pu permettre d’analyser les différentiels de mortalité en fonction de la richesse. En revanche, quelques articles récents basés sur des échantillons d’enquêtes fournissent des informations sur les différences de revenus. En utilisant des données tirées d’une enquête conduite en 1992 dans 12 provinces de Chine et basée sur un large échantillon de ménages (environ 20 000), Zimmer et Kwong (2004) ont trouvé que l’épargne des ménages et les biens possédés étaient de bons prédicteurs de la perception de leur état de santé et leur perception, de l’automédication et des maladies chroniques chez les personnes âgées. Néanmoins, l’ordre de grandeur des différences reste faible et souvent non significatif en milieu rural. Au Kazakhstan, en utilisant des données agrégées au niveau régional (oblast), Becker et al. (2003) ont trouvé un effet négatif des salaires urbains sur la mortalité adulte au-delà de 60 ans et un effet négatif de la possession d’une automobile sur la mortalité adulte des plus de 30 ans. En Ouzbékistan, Ismail et Micklewright (1997) ont étudié l’anthropométrie chez l’enfant dans trois régions. Ils trouvent davantage de retard de croissance (stunting) dans la vallée de Ferghana et au Karakalpakstan qu’à Tachkent. Bien que leur étude soit limitée (N= 1 298 enfants) et pas toujours consistante avec les résultats de l’enquête EDS conduite en 2002, ils trouvent que les différences entre les milieux sont réduites lorsque l’on contrôle pour les caractéristiques de l’habitat et les biens agricoles : ce résultat constitue une indication de leur impact sur le retard de croissance des enfants.

11Les enquêtes EDS conduites en Asie centrale révèlent des différentiels de mortalité selon le milieu de résidence (urbain / rural) similaires à ceux observés en Afrique. Ainsi, la moyenne du rapport rural / urbain de la mortalité des moins de 5 ans est de 1,32 dans les cinq enquêtes EDS conduites dans les républiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizistan), ce qui est voisin du même rapport moyen rural / urbain de 1,36 pour 66 EDS conduites en Afrique subsaharienne avant 2002. Par contre, la relation avec le niveau d’instruction ne peut pas être comparée de la même manière car il y a trop peu de femmes n’ayant reçu aucune éducation ou n’ayant qu’un niveau d’éducation primaire en Asie centrale, puisque la scolarisation y est pratiquement universelle. Aucune des EDS citée ne contient de question directe sur le revenu et les différentiels de richesse en Asie centrale, même si certaines utilisent d’autres indicateurs de pauvreté comme la question qualitative « joindre les deux bouts », qui sera exploitée plus loin dans cet article.

Le processus de développement en Ouzbékistan dans une perspective comparée

Survol de l’histoire du pays

12Convoitée de tous les temps par les envahisseurs, l’Asie centrale a vu évoluer ses frontières, ses statuts politiques et ses paradigmes culturels par l’assimilation d’ethnies (Grecs, Romains, Iraniens, Turcs, Arabes, Mongols et Slaves), de langues (iranien oriental et occidental, araméen, turc, arabe, ouzbek et russe) et de religions (zoroastrisme, bouddhisme, manichéisme, islam et christianisme sous sa forme nestorienne). À partir du viiie siècle, l’islam s’impose en vainqueur dans les villes de Sogdiane et au Khorezm. La Transoxiane passe sous la domination de l’islam qui s’employa rapidement à éradiquer tout ce qui était contraire à sa doctrine dans les survivances des anciens cultes.

13L’Ouzbékistan est le pays le plus peuplé d’Asie centrale avec près de 25 millions d’habitants en 2004 et se trouve au croisement des influences culturelles occidentales et orientales en raison de sa localisation au cœur de la Route de la soie, véritable courant d’échanges jusqu’au xvie siècle, moment où les routes maritimes s’y substitueront. L’histoire de sa population est riche et complexe. L’Ouzbékistan se définit essentiellement par son appartenance à la tradition sédentaire agricole qui se caractérise par une longue tradition urbaine avec des villes-oasis comme Samarcande et Boukhara, à la différence de pays comme le Kirghizstan, le Kazakhstan, et le Turkménistan où le nomadisme pastoral était dominant, et ne s’est transformé qu’au cours de la période coloniale.

14L’Asie centrale est une région aride et continentale où les précipitations font état d’une grande variabilité interannuelle. L’Asie centrale des steppes et des déserts est bordée de piémonts humides (le bassin aralo-caspien) et de montagnes très arrosées comme notamment les Tian-Chan et le Pamir. Ce climat est évidemment très propice aux maladies tropicales ainsi qu’aux maladies parasitaires comme le paludisme, la schistosomiase, la leishmaniose et la dracunculose (rišta).

15L’expansion militaire russe en Asie centrale débute au xviiie siècle et s’achève dans le Pamir en 1895. En Ouzbékistan, la conquête russe ne dura que 20 ans, à la différence de celle du Kazakhstan qui commença en 1740 pour s’achever près d’un siècle et demi plus tard. La période de colonisation de l’Ouzbékistan qui nous intéresse ici correspond d’assez près à la première phase de colonisation de l’Afrique sub-saharienne par les puissances européennes (1880-1914). Cette première phase de colonisation par l’Empire russe dura près de 50 ans (1867 [2]-1917), et fut suivie par le processus de soviétisation, conséquence de la Révolution d’octobre 1917 en Russie. La période dite de transition (1918-1922) fut associée à une famine sévère, des migrations considérables, des révoltes (1916 et celle des Basmatchis à partir de 1918 jusqu’à la fin des années 1920), ainsi qu’à des bouleversements majeurs dans la structure sociale de la société (Buttino, 1990, 1993, 2003). Les remaniements ethniques et territoriaux considérables entrepris par Staline dans les années 1920 donneront naissance aux républiques soviétiques d’Ouzbékistan (1924), du Turkménistan (1924), du Tadjikistan (1929), du Kazakhstan (1936) et de Kirghizie (1936).

16La période soviétique durera près de 70 ans, jusqu’à la dislocation de l’Union soviétique en décembre 1991 qui permit la création de nouveaux États indépendants. Depuis l’indépendance, l’Ouzbékistan évolue dans une situation socio-économique complexe avec de nombreux problèmes résurgents de santé publique (Davis, 1998 ; Kamilov et al., 2003). Le pays est gouverné par un régime de type autoritaire dirigé par un ancien apparatchik soviétique, Islam Karimov. À la différence des autres pays colonisés en Afrique ou en Asie, les républiques anciennement soviétiques sont quasiment toutes restées gouvernées depuis l’indépendance par des anciens apparatchik, ce qui constitue un fait unique dans l’histoire des colonialismes (Ferro, 2003).

La médecine coloniale en Ouzbékistan : un enjeu politique majeur

17Au début de l’époque coloniale, la santé publique rime avec assainissement et avec les premières tentatives pour contrôler les maladies infectieuses et parasitaires. Les efforts de santé publique durant cette période furent très proches de ceux que les Européens s’étaient employés à développer dans leurs nouvelles colonies d’Afrique et d’Asie, et plus particulièrement dans les nouvelles villes. La vaccination contre la variole qui débuta en 1872 fut le premier programme de santé publique moderne au Turkestan (Anonyme, 1882), comme dans l’ensemble des pays colonisés. Le premier établissement moderne de soins fut fondé à Tachkent en 1868, il s’agissait d’un lazaret. Des structures similaires furent créées à Samarcande en 1872, à Khiva en 1873 et à Boukhara en 1891 ; au début elles ne disposaient que de 15 lits, d’un médecin et de trois infirmiers (feldshers). Les premières pharmacies du cercle (Kraj) de Turkestan ouvrirent à Boukhara en 1889-1890. En 1911, un service de consultation pour les femmes fut ouvert et en 1913 une maternité d’une capacité de 5 lits.

18Au Turkestan, le dispositif de soins allait se mettre en place rapidement pour les colons et leurs familles [3]. En effet, lorsque les Russes achevèrent la colonisation du Turkestan en 1867, ils étaient tout d’abord préoccupés par leurs militaires, leurs administrateurs et leurs familles, avant d’instaurer un dispositif de lutte contre les épidémies pour l’ensemble de la population. Cependant, la séparation des habitats russe et autochtone révèle la peur de la contagion qui hantait les esprits en l’absence de mesures hygiénistes comme cela était le cas en Afrique à la même période. Cette ségrégation spatiale allait constituer un obstacle au développement de l’aide fournie ultérieurement par les médecins russes à la population locale. Le rôle de l’environnement dans le déclenchement des maladies est alors mis en avant, les théories anti-contagionnistes (Ackerknecht, 1948) prennent leur essor. Les théories environnementales de la maladie (décrites par Aristote) prévalent encore dans la médecine occidentale jusqu’à la fin du xixe siècle, époque où les théories étiologiques pasteuriennes s’imposent. L’attribution de la fièvre et d’autres symptômes à différents facteurs environnementaux tels que la végétation, le sol, la qualité de l’air et de l’eau domine (théorie des miasmes [4]). Le fameux « péril environnemental » et la peur de la contagion par les autochtones s’expriment par la ségrégation des espaces de peuplement et de vie par les Russes qui vont s’installer dans des lieux de vie éloignés de ceux des Ouzbeks. Il s’agissait pour les autorités en place de rattraper le retard en développant de manière extensive les structures médicales. Cependant, celles-ci manquaient cruellement de matériel et la précarité des conditions de travail traduisait l’incapacité à tenir compte des réalités locales et d’appliquer un système en considération de celles-ci.

19En 1917, seuls 102 médecins étaient enregistrés pour l’ensemble du Turkestan (Kadyrov, 1976 et 1984). L’éloignement des structures et des quelques établissements de soins était souvent dissuasif pour la population locale, renforçant le rôle des guérisseurs en plus de l’autorité dont ils disposaient déjà. Les guérisseurs bénéficiaient d’une très large légitimité au sein de la communauté locale et d’une véritable autorité thérapeutique et spirituelle et à la fois. Rappelons brièvement ici qu’en Ouzbékistan précolonial, les pratiques médicales étaient celles empruntées à la médecine traditionnelle et à ses diverses influences initiales gréco-bouddhique, syro-persane et chinoise ainsi qu’à d’autres thérapies traditionnelles reposant sur différents systèmes de croyances. Le recours aux guérisseurs, aux chamans, aux bakshi ainsi qu’à d’autres signifiants apparentés au statut de chaman (falbin, folbin, falchi, palchi, palbin, palbun mais aussi parihon, porhan, porhon, variantes phonétiques du persan-tadjik parî-khwân, déterminées par les parlers vernaculaires : ouzbek, kazakh, tadjik, ouïghour, etc.) était la norme (Garrone, 2000 ; Kadyrov, 1976). Le colonisateur russe se heurta à des traditions très ancrées qu’il ne parvint pas à éradiquer complètement (Carrère d’Encausse, 1981 ; Kadyrov, 1994).

20Avec le processus de soviétisation en Asie centrale comme partout ailleurs en Union soviétique, une nouvelle configuration se dessine. Des études pionnières originales sont réalisées, comme celle de la stratégie de lutte contre la leishmaniose [5] (Abdiev et Shamgunova, 2001). Mais surtout, le système soviétique s’est attaché à mettre en place un système social égalitaire pour tous, quel que soit le milieu d’habitat (urbain ou rural), en offrant notamment à tous des soins de santé publique gratuits, en développant des stratégies systématiques de lutte contre les maladies tropicales, et en poursuivant la lutte contre les maladies infectieuses et parasitaires (Abdullaev 1991 ; Džalalova, 1972; Karasaev et Reznickij, 1965 ; Šamsiev, 1972).

21Au début des années 1920, la santé publique soviétique s’est trouvée modifiée par l’introduction d’une nouvelle spécialité de recherche et d’enseignement, l’hygiène sociale (Semaško, 1922) [social’naâ gigiena], directement inspirée par la Soziale Medizin allemande (Gross Solomon, 1990a et 1990b) et très étroitement liée au mouvement de réformes sanitaires qui eut lieu en Europe de l’Ouest au milieu du xixe siècle, notamment celui qui s’est développé en Allemagne durant la Révolution de 1848 (Rosen, 1949). En Russie soviétique, les hygiénistes ont étroitement suivi le développement de la médecine sociale enseignée en Allemagne. Ils traduisaient en russe les textes de la Soziale Pathologie d’Alfred Grotjahn, ceux d’Alfons Fischer, et prenaient le soin d’envoyer de fréquents rapports sur leurs travaux aux revues médicales allemandes. Cette nouvelle théorie donnait la priorité au contexte économique et social, écartant les déterminants biologiques dans l’explication causale de la maladie ou d’un « état » (pathologique ou non).

22Après 1930 et la révolution culturelle, la médecine sociale fut remplacée par une approche plus médicale de la santé (Gross Solomon, 1990 a, b ; Rosen, 1949, 1994 ; Semaško, 1922 ; Porter, 1999). Au début de l’époque soviétique, les politiques de santé publique sont centralisées à Moscou. Le premier Commissariat du peuple à la Santé [Narkomzdrav] est institué en 1918 [6] sous la direction de N. A. Semaško (Lekarev, 1975). Celui-ci élabore, avec Z. P. Solov’ev (Petrov, 1976) les bases théoriques de ce qui allait devenir le système de santé soviétique commun à toutes les républiques, intégrant ainsi la future RSS d’Ouzbékistan au vaste espace de l’Union. Le Narkomzdrav chercha à mobiliser l’opinion scientifique et les forces médicales afin de transformer les « mœurs locales » [byt] et créa à cet effet, dès 1919, un département sanitaire chargé de la prévention et de l’éducation en matière d’hygiène de base, la sanprosvet [sanitarnoe prosvešenie]. La prévention devint alors très rapidement l’objet de campagnes systématiques inscrites dans les conceptions de la médecine sociale de l’époque. Par exemple, en 1929, le Narkomzdrav commença à publier en langue ouzbèke son propre périodique Soglom Turmuš[7] (Pour de bonnes habitudes), destiné aux lecteurs centrasiatiques ruraux dans le contexte des premières campagnes de lutte contre l’analphabétisme en Ouzbékistan. En Asie centrale, la médecine moderne [8] fut un instrument idéal de légitimation de la colonisation russe vers la fin du xixe siècle [9] puis dans le cadre de la politique sanitaire soviétique élaborée de manière indifférenciée à toutes les républiques de l’Union. Comme dans d’autres pays colonisés, la médecine était un instrument de modernisation et des mesures plus ou moins efficaces allaient être prises prônant une véritable mission civilisatrice de lutte contre le « retard » des peuples colonisés, de l’apprentissage de l’hygiène, de la nutrition et de l’assainissement.

23Dès la création du système de santé moderne, un dispositif de formation des médecins se met en place. En 1920, une Université d’État centrasiatique (sagu) est créée à Tachkent et dispose immédiatement d’une faculté de médecine, dont la chaire d’hygiène sociale est dirigée par le professeur G. I. Dembo (Karasaev A. I., Reznickij Û. Û, 1965). Le premier institut de médicine tropicale fut fondé à Boukhara en 1924, puis transféré à Samarcande où il existe encore de nos jours. Le système de protection maternelle et infantile se met alors doucement en place (Šamsiev, 1972). Il mobilise un maximum de ressources vers la fin des années 1940 et au début des années 1950 (au moment de l’introduction des sulfamides et des antibiotiques) et son efficacité se traduit alors par une baisse impressionnante de la mortalité infantile partout en Union soviétique mais à des niveaux très différents.

24En 1932, l’éradication de la dracunculose [10] [rišta] est annoncée par le Narkomzdrav (Musabaev & Nievskij, 1967 ; Cicenin, 1974). Les mesures d’assainissement général et surtout celles des bassins [hauz], qui avaient été entamées par les Russes vers la fin du xixe siècle et reprises par le pouvoir soviétique, ont eu des conséquences durables sur d’autres maladies telles que le paludisme, sans toutefois parvenir à l’éradiquer complètement. Toutefois, le paludisme fut considérablement réduit dans les années 1950 et vers la fin de cette décennie il n’y avait plus que quelques cas sporadiques (11 cas enregistrés en 1960), comparés aux 200 000 à 700 000 cas annuels enregistrés entre 1925 et 1950 (Cicenin, 1974). À partir de 1934, une nouvelle rhétorique se profile : l’Ouzbékistan n’est plus regardé comme une république « retardée » mais « en transition » [peredovoj]. Les taux de mortalité ont entamé leur baisse, conséquence directe de la lutte engagée contre les maladies infectieuses, ce qui est caractéristique de la première phase de la transition sanitaire.

25Le système de santé soviétique a démontré ses performances durant les décennies qui suivirent sa mise en place, et les résultats en terme de santé en sont la preuve. Au cours de la période soviétique, l’amélioration de la santé de la population de l’Ouzbékistan est flagrante. Par exemple, le taux brut de mortalité passe de 34 pour 1 000 en 1920 à 8,8 pour 1 000 en 1950 (la RSS d’Ouzbékistan, 1981 [Uzbekskaâ SSR, 1981]). L’espérance de vie est estimée à 73 ans en 1970, ce qui correspond presque à celle des pays d’Europe occidentale, soit une espérance de vie bien plus élevée que les pays du tiers monde à cette époque (WHO web site). Si l’on compare avec l’Afrique subsaharienne, les principales différences ne résident pas forcément dans les programmes de santé qui sont pratiquement les mêmes à travers le monde, mais bien davantage dans la couverture de la population par ces programmes de santé et dans l’égalité d’accès au système de santé, c’est-à-dire l’accès à la médecine préventive et curative pour tous, ainsi que l’accès universel à l’eau potable, l’assainissement et l’instruction moderne (Field, 1967).

26En matière d’éducation, les succès sont tout aussi remarquables : alors que seulement 15 % de la population savait lire et écrire en 1922, l’alphabétisme devient quasiment universel en 1939. La scolarisation est obligatoire dès 1934 et l’alphabétisation se fit au départ en ouzbek. Les autorités soviétiques adoptèrent l’alphabet latin en 1928, remplaçant l’alphabet arabo-persan. Puis l’alphabet cyrillique fut adopté en 1939 de manière uniformisée afin de faciliter l’apprentissage du russe chez les turcophones (Fourniau, 1994).

Le rôle des missions

27À la différence de l’Afrique coloniale, les missions n’ont guère joué de rôle en matière sanitaire et sociale en Asie centrale (Peyrouse, 2003 et 2004). En Afrique subsaharienne, ce sont surtout les autochtones vivant à proximité des colons en milieu urbain et représentant une menace en terme de contagion qui sont pris en charge par la santé publique coloniale. En dehors des villes, où les conditions de vie sont particulièrement difficiles, les tâches sanitaires reviennent surtout aux missions religieuses, qui jouent un rôle sanitaire et social considérable. En Afrique, les missions chrétiennes ont joué un rôle majeur dans les secteurs de la santé et de l’éducation et elles restèrent les principaux acteurs en milieu rural jusqu’à la période de l’indépendance, mais avec des moyens considérablement moins importants qu’en ville (Lapeyssonie, 1988 ; Arnold, 1988).

28Au contraire, le pouvoir quasi absolu de l’État russe à l’époque coloniale, ne laisse que de très faibles possibilités pour les missions orthodoxes qui l’accompagnent, celles-ci apparaissant plutôt comme un soutien spirituel pour les colons russes venus s’installer en Asie centrale. De plus, l’Asie centrale est majoritairement musulmane et, d’un point de vue stratégique, il n’est pas question pour les autorités coloniales russes de pratiquer des conversions, ce qui aurait pu constituer un obstacle de taille à la colonisation de cet espace, au contraire de la Sibérie où la population était de faible densité et essentiellement animiste. Le poids de la culture et de la religion, mais aussi de l’organisation très féodale de la société ouzbèke nécessitait une approche subtile de la part des Russes (Vambéry, 1987 et Olufsen, 1911).

Politiques économiques

29Les disparités entre les milieux urbain et rural restent fortes en Afrique, où elles sont étroitement liées au statut socio-économique des ménages. En milieu urbain, la population a accès le plus souvent à des services de santé et des structures éducationnelles de bonne qualité et assez proches géographiquement ; elle jouit de revenus plus élevés que dans le monde rural.

30Les politiques économiques diffèrent, elles aussi, entre ces deux espaces colonisés. Même si les cultures de rentes restent dominantes en Afrique comme en Asie centrale, ainsi que l’exportation de matières premières avec une industrialisation mineure, les conditions et les modalités de ces développements diffèrent. L’agriculture en Ouzbékistan était contrôlée par l’État et l’espace agricole était organisé sur la base de fermes collectives dans lesquelles les travailleurs, les kolkhoziens, recevaient un maigre salaire mais de nombreux avantages sociaux, de même qu’ils disposaient d’un lopin duquel ils pouvaient tirer des sources de revenu. Au contraire, dans la plupart des pays africains, l’agriculture est restée privée, même si l’État contrôlait souvent les prix des principales productions exportées. Les fermiers recevaient quant à eux des revenus irréguliers qui dépendaient de la production erratique et des prix du marché international (café, coton, cacao, arachide, huile de palme, etc.). Ces fermiers africains avaient en définitive moins de possibilités de diversifier leurs rentrées et cumuler des biens que les kolkhoziens d’Ouzbékistan.

31Par ailleurs, la période soviétique en Asie centrale est associée à un revenu plus élevé et à de meilleures conditions socio-économiques qu’en Afrique. Dans une étude comparant l’Asie centrale à l’Afrique du Nord, Marcel Egrétaud (1959) montre qu’en 1953 le revenu en Ouzbékistan est bien plus élevé que dans l’Algérie coloniale. Egrétaud a tenté la comparaison en partant du revenu national pour dégager le revenu annuel moyen théorique de chaque habitant. Une commission gouvernementale d’étude, dite « Commission Maspétiol », a établi selon cette technique un document de référence sur le niveau de vie algérien pour l’année 1953 (rapport publié en 1955). Egrétaud, en se basant uniquement sur des considérations économiques (évaluation des revenus des kolkhoziens et des fermiers) souligne que le statut social des kolkhoziens d’Asie centrale est bien plus élevé que celui des fermiers nord-africains.

32Quatre kolkhozes ouzbeks (kolkhozes Sverdlov, Karl-Marx, Staline et Molotov) ont été étudiés afin d’évaluer le revenu moyen du kolkhozien ouzbek. La méthode suivie par M. Egrétaud, Ch. Bettelheim et J. Moch pour évaluer le revenu moyen du kolkhozien tient compte des diverses prestations sociales dont bénéficient les kolkhoziens (et dont ne bénéficient pas les paysans algériens), des revenus de leurs parcelles individuelles, et des salaires versés par le kolkhoze. Jules Moch (qui a visité le kolkhoze Molotov) estime le pouvoir d’achat du rouble sur cette période à 40 francs. Les revenus des parcelles et les prestations sociales sont évalués sur une base de 2 400 roubles en moyenne par an et par kolkhozien, soit 200 roubles par jour (voir Tableau 1).

Tab. 1

Évaluation du revenu moyen annuel par habitant dans la paysannerie kolkhozienne ouzbèke (années 1955-56)* et comparaison avec les résultats de la Commission Maspétiol

Tab. 1
Kolkhoz Population totale Population active Salaires distribués par le kolkhoz Revenus des parcelles et prestations sociales Total des revenus annuels (roubles) Revenu annuel par habitant (roubles) Revenu annuel par habitant (francs) Sverdlov 4 100 1 382 9 950 000 3 316 000 13 266 000 3 235 129 400 Karl-Marx 3 210 1 300 12 640 000 3 120 000 15 760 000 4 910 196 400 Molotov 1 900 850 8 600 000 2 040 000 10 640 000 5 600 224 000 Staline 4 000 1 600 11 050 000 3 840 000 14 890 000 3 722 148 880 Paysan algérien 8 500 000 6 240 000 18 000 * Tableau et données tirés de l’ouvrage de Marcel Egrétaud (1959), p. 209.

Évaluation du revenu moyen annuel par habitant dans la paysannerie kolkhozienne ouzbèke (années 1955-56)* et comparaison avec les résultats de la Commission Maspétiol

33Selon les résultats de la Commission Maspétiol, en 1953 le revenu moyen [11] algérien s’élevait à 54 000 F, le revenu moyen du paysan algérien à 18 000 F, alors que le revenu moyen français atteignait 240 000 F. De même, Paul Bairoch (1980) donne des indications similaires en calculant l’écart relatif entre les niveaux de vie de l’Europe et des colonisés passant en un siècle et demi de 1,5 pour les Européens contre 1 pour les colonisés à 5,2 contre 1 respectivement.

34De même, le statut de la femme était plus avancé en Asie centrale soviétique qu’au Maghreb, en dépit de la même obédience religieuse de ces espaces. De plus, en URSS, le processus d’intégration des élites locales fut précoce et important et, à la différence de l’Afrique, celles-ci ont pu prendre rapidement en mains le système politique après le démantèlement de l’URSS.

Analyse comparée de la relation entre richesse et mortalité en Ouzbékistan et en Afrique subsaharienne

Méthodes et données utilisées

35Les données utilisées pour effectuer l’analyse empirique de la relation entre la mortalité et la richesse sont tirées des enquêtes EDS. Deux enquêtes EDS ont été conduites en Ouzbékistan en 1996 et 2002. Elles contiennent des informations sur les richesses, la nutrition ainsi que des informations sur la survie des enfants et des adultes. Concernant les richesses, l’information est déduite des questions sur les biens et les équipements des ménages, dont la liste est reproduite dans le tableau 2. L’information sur la mortalité adulte est donnée par la survie de la mère et du père disponible dans le fichier ménage pour tous les enfants de plus de 15 ans.

Tab. 2

Liste des variables issues des enquêtes EDS utilisées pour construire l’indice de richesses

Tab. 2
Code de la variable Variable Disponibilité dans les enquêtes EDS conduites en l’Ouzbékistan Nombre d’enquêtes EDS africaines dans lesquelles les variables sont disponibles HR file IR file HV201 V113 Source d’eau potable Y 30 HV204 V115 Temps pour accéder à l’eau NA 26 HV205 V116 Type de toilettes NA 29 HV206 V119 A l’électricité Y 29 HV207 V120 A la radio Y 30 HV208 V121 A la télévision Y 28 HV209 V122 A un réfrigérateur Y 29 HV210 V123 A un vélo Y 29 HV211 V124 A un vélomoteur Y 29 HV212 V125 A une voiture/camion Y 29 HV213 V127 Type de sol (matériaux) Y 29 HV214 V128 Type de mur Y 8 HV215 V129 Type de toit Y 10 HV221 V153 A le téléphone Y 22 Nombre de questions 12 11.9 Note : Pour les enquêtes EDS africaines, le nombre moyen de questions a été calculé.

Liste des variables issues des enquêtes EDS utilisées pour construire l’indice de richesses

36Les comparaisons ont été effectuées avec 30 pays d’Afrique en se basant sur des données similaires issues des EDS (Tableau 3). Les questionnaires des EDS sont bien standardisés et utilisent le même type d’informations sur les indicateurs de richesse, la survie des enfants et des adultes. La survie des adultes était disponible dans 27 pays sur 30, de même que pour les enfants avec pour exception les trois pays pour lesquels les dernières EDS étaient de type I (conduites avant 1990) : Botswana, Burundi, Libéria (les questions sur la survie des parents ont été introduites seulement dans les EDS de type II).

Tab. 3

Liste des enquêtes EDS sélectionnées avec les tailles d’échantillons

Tab. 3
Pays Année de l’enquête EDS Nombre de ménages (indice de richesse) Nombre de naissances ( pour la mortalité <5 ans) Nombre de moins de 15 ans (pour la mortalité adulte) Asie centrale Ouzbékistan 1996 3 703 9 650 7 103 2002 4 168 11 604 8 300 Pays africains Bénin 2001 5 769 19 246 14 598 Botswana 1988 11 271 Burkina Faso 1999 5 143 22 987 16 915 Burundi 1987 11 998 Cameroun 1998 4 697 16 018 11 623 Répub. Centrafricaine 1994 5 551 17 012 12 902 Tchad 1996 6 840 26 126 18 410 Comores 1996 2 252 7 913 6 112 Côte d’Ivoire 1999 5 935 8 421 17 707 Ethiopie 2000 14 072 47 500 31 366 Gabon 2000 6 203 15 763 12 702 Ghana 1999 6 003 12 758 9 359 Guinée 1999 5 090 23 121 16 065 Kenya 1998 8 380 22 813 16 166 Libéria 1986 16 342 Madagascar 1997 7 171 22 696 16 026 Malawi 2000 14 213 41 404 29 396 Mali 2001 12 331 49 285 32 433 Mozambique 1997 9 282 26 871 19 361 Namibie 2000 6 392 14 508 13 518 Niger 1997 5 928 29 784 17 396 Nigeria 1999 7 647 23 374 16 093 Rwanda 1992 6 252 20 107 15 080 Sénégal 1997 3 528 26 366 14 774 Afrique du Sud 1998 12 247 22 756 18 924 Tanzanie 1999 3 615 11 786 8 472 Togo 1998 7 517 25 119 19 275 Ouganda 2001 7 885 24 921 19 873 Zambie 2001 7 126 23 211 17 959 Zimbabwe 1999 6 369 13 628 11 205

Liste des enquêtes EDS sélectionnées avec les tailles d’échantillons

37Un indice de richesse a été construit pour chacun des pays sélectionnés pour cette étude. La méthode de construction a été développée pour une autre étude réalisée au Maroc (Garenne et Hohmann, 2003). Cet indice est une somme de variables indicatrices, où 1 indique un bien moderne, et 0 le contraire. Le total varie entre 0 et 14, le maximum étant très rarement atteint par les ménages. Le minimum (0) décrit une situation où le ménage ne dispose d’aucun bien moderne (rien de moderne dans leur habitation, pas d’électricité, pas de radio, etc.) alors que des nombres comme 10 et plus décrivent une situation de ménages vivant pratiquement aux standards modernes. Les valeurs les plus petites désignent les foyers vivant dans la pauvreté extrême ou des ménages ayant un revenu très faible qui n’ont jamais eu accès aux biens modernes et n’ont jamais pu cumuler le moindre capital moderne, ou ceux encore qui ont tout perdu. Dès que les ménages peuvent cumuler les biens comme une radio, un toit en dur, un vélo, etc., leur indice de richesse augmente vers les valeurs plus élevées. L’indice de richesse est alors non seulement une mesure du revenu courant mais aussi du revenu passé et permet de résumer l’histoire économique du ménage.

38Quelques différences mineures ont été notées dans la liste des biens et des équipements des ménages, cependant, sans conséquence sur les résultats de l’analyse. En Ouzbékistan, 12 des 14 questions sont disponibles, car 2 manquent (la durée pour accéder à l’eau potable et le type de toilettes). Dans les pays africains, certaines différences entre les enquêtes sont apparues, surtout pour ce qui est des matériaux de construction des murs et des toits, données disponibles seulement dans une minorité de pays. Le pays dans lequel les questions manquent le plus est le Libéria (EDS de 1986). Mais en tout, le nombre moyen de questions pour l’Afrique est presque le même (11,9) que celui de l’Ouzbékistan (12). Les différences mineures n’ont guère d’importance pour cette analyse et nous verrons plus loin que l’indice de richesse moyen est de toute façon plus élevé que celui des pays africains.

39La mortalité des enfants est mesurée par la proportion d’enfants décédés chez les mères interviewées. Brass et Coale (1967) ont montré que cet indicateur est une bonne approximation de la probabilité de décéder, définie par la table de mortalité. Dans ce cas, nous avons utilisé la proportion d’enfants qui sont décédés chez toutes les femmes âgées de 15-49 ans. Il s’agit donc d’une approximation de q(10), la probabilité de décéder entre la naissance et 10 ans. Dans l’analyse multivariée, nous avons utilisé l’âge de la mère comme variable de contrôle pour améliorer la qualité de l’estimation.

40De la même manière, la mortalité des adultes est mesurée par la proportion des parents (père ou mère) décédés chez les enfants interviewés âgés de 0 à 14 ans. Cet indicateur est une approximation des probabilités de décéder pour les femmes entre 27 et 34 ans et pour les hommes entre 31 et 38 ans. Dans une première étape, nous avons considéré la survie de la mère et du père séparément. Cependant, étant donné qu’il n’y avait pas de différences marquantes dans l’amplitude des différentiels de richesse pour les deux sexes, nous avons utilisé l’indicateur des deux sexes combinés dans l’analyse finale, la mortalité adulte étant donc définie comme le décès d’au moins l’un des deux parents. Comme pour l’étude de la survie des enfants, dans l’analyse multivariée de la mortalité adulte, nous avons utilisé l’âge du répondant comme variable de contrôle pour améliorer la précision de l’estimation.

41Les différentiels absolus de mortalité sont exprimés par le niveau de mortalité (des enfants ou des adultes) selon l’indice de richesse. Les estimations ont tout d’abord été calculées pour les valeurs simples de l’indice puis par groupes de valeurs (0-1, 2-3, 4-5, 6-7, 8+). Pour effectuer l’analyse multivariée, nous avons utilisé un modèle linéaire logistique avec l’âge comme contrôle (l’âge de la mère pour la mortalité infantile, l’âge des enfants pour la mortalité des adultes) et l’indice de richesse. Cette méthode a permis d’estimer les pentes des différentiels de mortalité et de réaliser les tests statistiques nécessaires. D’autres variables de contrôle ont également été utilisées (résidence urbaine, sexe de l’enfant ou du parent), toujours sans modifier l’ordre de grandeur des différentiels.

42En plus des différentiels de mortalité selon la valeur absolue de l’indice de richesses, nous avons utilisé les différentiels de mortalité en fonction d’une échelle des richesses. L’échelle est un groupe assez simple de 5 catégories basé sur la moyenne (m) et sur l’écart-type (s) de la distribution de l’indice de richesse dont les seuils sont : m-2s, m-s, m, m+s, m+2s. Ceci permet de mesurer les différentiels de mortalité en fonction de la situation relative du ménage dans la société (et non pas en fonction du niveau absolu de pauvreté). Nous présentons également certains résultats par ratios de mortalité relative (valeur observée/valeur de base) — la valeur de base étant la valeur attendue correspondant à l’indicateur de mortalité pour un indice de richesse équivalent à 10 — qui représentent donc les ménages aisés.

43Pour l’Ouzbékistan, nous avons considéré séparément au départ les deux enquêtes, puis nous les avons regroupées afin d’améliorer la précision des estimations statistiques, étant donné qu’il n’y avait aucune différence entre les deux enquêtes concernant les différentiels de mortalité, même si la distribution des richesses et les niveaux de mortalité ont un peu changé entre 1996 et 2002.

44En ce qui concerne les pays africains, nous avons analysé séparément chacune des 30 enquêtes (27 enquêtes pour la mortalité adulte), puis nous les avons agrégées en appliquant un poids proportionnel à la population de chaque pays en 2000. Ceci fournit une estimation africaine qui représente environ 80 % des populations d’Afrique.

45En plus de ces indicateurs de mortalité, nous avons considéré les indicateurs nutritionnels. La plupart des enquêtes EDS fournissent le poids et la taille des enfants et des femmes adultes. Pour les enfants, nous avons considéré le poids pour l’âge comme un indicateur de malnutrition, car il combine le retard de croissance (stunting) et le faible poids, faible taille (wasting). Nous avons utilisé le Z-score du poids pour l’âge concernant les enfants de plus de 12 mois (12-59 mois ou 12-71 mois selon les enquêtes). Nous avons sélectionné un seuil de 12 mois étant donné que la prévalence du faible poids pour l’âge est de fait stable au-dessus d’un an alors que les fluctuations au cours de la première année sont fortes. Pour les adultes, nous avons utilisé seulement le stunting, mesuré par la valeur brute de la taille en cm pour les personnes de 18 ans et plus (18-49 ans pour les femmes et 18-59 ans pour les hommes lorsque ces données sont disponibles).

Distributions comparées des richesses

46La distribution des richesses s’avère très différente dans les deux situations (Figure 1). Les pays africains montrent une forte proportion de ménages se trouvant dans la pauvreté extrême, c’est-à-dire ne possédant pratiquement aucun bien moderne : 44,4 % des ménages ont un indice de richesse équivalent à 0 ou 1, alors que seulement 1,5 % des ménages se trouvent dans cette situation en Ouzbékistan, soit 30 fois moins. Une forte majorité (83,7 %) des ménages ouzbeks disposent d’au moins quatre biens modernes alors que seule une minorité (26,2 %) des ménages africains sont dans cette situation. La forme de la distribution est aussi différente : une cloche régulière pour l’Ouzbékistan et une distribution très étirée vers la pauvreté extrême pour l’Afrique. Dans les années 1990, l’Ouzbékistan apparaît donc dans une phase intermédiaire où les ménages disposent d’environ la moitié des biens modernes de la liste, alors que l’Afrique apparaît comme étant au début de son développement économique avec seulement une minorité de ménages disposant de biens modernes.

Fig. 1

Distribution de la richesse en Ouzbékistan et en Afrique

Fig. 1

Distribution de la richesse en Ouzbékistan et en Afrique

47La moyenne de l’indice de richesse est de 5,59 pour l’Ouzbékistan (?= 2,03) alors que cette moyenne est de moins de la moitié pour l’Afrique (m= 2,41, ?= 2,31). Les inégalités exprimées par le coefficient de variation (?/m) sont plus fortes en Afrique (CV= 0,96) qu’en Ouzbékistan (CV= 0,36). Ces différences de l’indice de richesse vont dans la même direction que les différences correspondantes de revenu par habitant mesuré par le PIB en parité de pouvoir d’achat estimé par l’OCDE pour l’année 2000 (Maddison et al., 2003) : 3 408 $ en Ouzbékistan, contre 1 143 $ pour l’Afrique subsaharienne, en dollars constants de 1995 (Tableau 4). En résumé, l’Ouzbékistan apparaît comme plus riche et avec moins d’inégalités que la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne.

Tab. 4

Indicateurs démographiques et économiques de comparaison entre l’Afrique et l’Ouzbékistan

Tab. 4
Variable Ouzbékistan Afrique sub-saharienne Population (2000) (millions) 24.3 M 653.5 M PIB-PPA (USD) en 2000 (en dollars constant 1995) 3 408 $ 1 144 $ Moyenne de l’indice de richesse (nombre de biens modernes) 5.59 2.41 % Très pauvres (Indice < 1) 1.5% 44.4% % disposant au moins de 4 biens modernes (Indice > 4) 83.7% 26.2% Mortalité des enfants (pour 1000) 75 181 Mortalité des adulte (pour 1000) 30 92 Pente de la mortalité des enfants avec l’indice de richesse (écart-type) -0.122 (0.014) -0.159 (0.002) Pente de la mortalité des adultes avec l’indice de richesse (écart-type) -0.067 (0.024) -0.074 (0.003) Sources : Population: Nations Unies, 2002; PIB-PPA: Maddison, 2003. Note : Les pentes sont calculées à l’aide d’un modèle linéaire logistique après contrôle de l’âge des répondants.

Indicateurs démographiques et économiques de comparaison entre l’Afrique et l’Ouzbékistan

Les différentiels de mortalité infantile

48Dans les deux situations (ouzbèke et africaine), les différentiels de mortalité infantile selon la richesse présentent un schéma linéaire logistique typique (Figure 2). Pour l’Afrique, après avoir ajusté à l’aide d’un modèle linéaire logistique, les variations se situent entre 241 pour 1 000 (233 pour 1 000 selon les données brutes) pour les ménages les plus pauvres (indice =0) à 48 pour 1 000 (42 pour 1 000 selon les données brutes) pour les plus aisés (indice = 12). En Ouzbékistan, le nombre de ménages se trouvant dans les deux catégories extrêmes est trop faible pour effectuer des calculs directs de mortalité. Le même modèle linéaire logistique fournit des estimations allant de 125 pour 1 000 pour ceux qui ne disposent d’aucun bien à 38 pour 1 000 pour le maximum de biens selon l’indice. Ainsi, pour le même niveau de richesses, la mortalité apparaît toujours plus faible en Ouzbékistan, environ la moitié du niveau africain pour les strates les plus pauvres, un tiers plus faible à un niveau moyen de richesse et environ 20 % plus faible pour les strates les plus élevées.

Fig. 2

Différentiels de la mortalité des enfants en Ouzbékistan et en Afrique

Fig. 2

Différentiels de la mortalité des enfants en Ouzbékistan et en Afrique

49En prenant un ratio de mortalité d’une valeur de base de 62 pour 1 000 pour l’Afrique et de 46 pour 1 000 pour l’Ouzbékistan (ce qui correspond à un indice de 10 biens), le gradient des ratios de mortalité apparaît similaire dans les deux situations : échelle de 1 à 3,8 pour l’Afrique et de 1 à 2,7 pour l’Ouzbékistan (Figure 3). Ceci indique que l’ordre de grandeur des différentiels de mortalité est voisin dans les deux situations.

Fig. 3

Différentiels de mortalité adulte en Ouzbékistan et en Afrique

figure im7

Différentiels de mortalité adulte en Ouzbékistan et en Afrique

50L’analyse multivariée permet de tester plus précisément les hypothèses des différences de gradients. La pente pour le modèle linéaire logistique est de –0,159 pour l’Afrique et de –0,122 pour l’Ouzbékistan, la différence n’étant pas significative (P= 0,757). Ceci montre que dans deux situations différentes, celle de l’Asie centrale et celle de l’Afrique, l’ordre de grandeur des différentiels de mortalité infantile selon la richesse reste similaire, même si le niveau de mortalité est toujours plus faible en Ouzbékistan à richesse égale.

Les différentiels de mortalité adulte

51La même analyse a été conduite pour la mortalité adulte. Les différentiels de mortalité adulte selon la richesse suit également un schéma linéaire logistique typique dans les deux situations, bien que le gradient soit moins prononcé que dans le cas de la mortalité des enfants (Figure 4). Pour l’Afrique, après avoir ajusté à l’aide d’un modèle linéaire logistique, l’échelle des variations oscille entre 91 pour 1 000 (109 pour 1 000 selon les données brutes) pour les ménages les plus pauvres (indice de richesses =0) à 40 pour 1000 (63 pour 1 000) pour les plus aisés (indice=12). Le schéma des différentiels de mortalité adulte est quelque peu perturbé par l’infection par VIH/sida en plus des fluctuations d’échantillonnage. Si les pays à forte séroprévalence de VIH/sida sont exclus, le schéma devient plus régulier. Toutefois, dans les pays avec de telles séroprévalences, les risques relatifs de mortalité adulte montrent deux modes : l’un pour les très pauvres et l’autre pour ceux qui se situent au-dessus de la moyenne (indice de richesse = 5-7), ce qui explique en partie les irrégularités observées lorsque les pays africains sont agrégés.

Fig. 4

Différentiels d’état nutritionnel des enfants en Ouzbékistan et en Afrique

Fig. 4

Différentiels d’état nutritionnel des enfants en Ouzbékistan et en Afrique

52Le même modèle linéaire logistique pour l’Ouzbékistan produit des estimations de 42 pour 1 000 pour ceux qui ne possèdent rien et de 19 pour 1 000 pour le maximum de biens possédés. Ici encore, comme pour la mortalité des enfants, la mortalité apparaît plus basse en Ouzbékistan à niveau égal de richesse, environ 41 % du niveau africain pour la classe la plus pauvre et environ 35 % pour les plus hauts niveaux de l’indice.

53Considérant le niveau de mortalité à une valeur de base, soit 62 pour 1 000 pour l’Afrique et 22 pour 1000 pour l’Ouzbékistan (valeurs pour un indice de richesses=10), le gradient des rapports de mortalité apparaît là encore assez similaire dans les deux situations : de 1 à 1,7 en Afrique et de 1 à 1,9 en Ouzbékistan. Ceci indique que l’amplitude des différentiels de mortalité est équivalente dans les deux situations.

54L’analyse multivariée permet aussi de tester précisément les hypothèses des différences des gradients après avoir contrôlé l’âge. La pente du modèle linéaire logistique est de –0,074 pour l’Afrique et –0,067 pour l’Ouzbékistan, la différence n’étant pas significative (P= 0,918). Ceci montre encore une fois que dans deux situations différentes comme celles de l’Asie centrale post-soviétique et l’Afrique libérale, l’ordre de grandeur des différentiels de mortalité adulte selon la richesse reste identique même si le niveau de mortalité est plus bas pour le même niveau de richesse. Cependant, si les pays africains avec des prévalences de VIH faibles avaient été sélectionnés, le niveau moyen de mortalité en Afrique aurait été de 25 % plus bas que pour l’ensemble, mais les schémas et les gradients selon la richesse auraient été identiques et toujours similaires à ceux de l’Ouzbékistan.

55Le tableau 5 résume les principales différences entre les situations : en dépit des écarts majeurs en terme de revenu, de distribution des richesses et de niveau de mortalité, le gradient en fonction de l’indice de richesses reste pratiquement le même en Ouzbékistan et en Afrique.

Tab 5

Ordre de grandeur des différentiels de mortalité selon la classe de richesse en Ouzbékistan et en Afrique

Tab 5
Ouzbékistan, 1990 (Système de santé socialiste) Pays africains, 1990 (Systèmes de santé mixtes) Classe de richesse Mortalité des enfants Mortalité des adultes Mortalité des enfants Mortalité des adultes (1) (2) (3) (4) Très bas 2.43 1.68 2.43 1.43 Bas 1.96 1.48 2.16 1.36 Moyen 1.57 1.30 1.85 1.27 Élevé 1.26 1.14 1.37 1.13 Très élevé 1.00 1.00 1.00 1.00 Source : (1-4) Calculs des auteurs d’après les enquêtes EDS. Les classes sont construites à partir de la moyenne plus ou moins un ou deux écart-type.

Ordre de grandeur des différentiels de mortalité selon la classe de richesse en Ouzbékistan et en Afrique

Différentiels en terme d’accès et d’utilisation des services aux soins

56Le fait que les différentiels soient de même ordre de grandeur est à première vue surprenant alors que l’on aurait pu s’attendre à d’importantes différences en terme d’accès au système de soins et d’utilisation du système de santé entre les deux situations. Les données empiriques fournies par le site du Bureau de Référence sur la Population du gouvernement américain (Population Reference Bureau), ainsi que par les EDS confirment que l’Ouzbékistan, comme les autres pays d’Asie centrale, ne présente pas de différentiels notables selon la richesse pour ce qui est de l’utilisation du système de santé. Une batterie d’indicateurs sont considérés ici : la contraception, les soins prénatals, les accouchements, et la couverture vaccinale : ces indicateurs sont pratiquement les mêmes pour tous les niveaux de richesse en Ouzbékistan et, de plus, les femmes ont toutes un niveau d’éducation de base quel que soit leur statut socio-économique. Au contraire en Afrique, les différences selon les mêmes indicateurs sont considérables, en terme d’accès aux soins et d’utilisation de la médecine préventive et curative, de même qu’en terme d’éducation moderne. Les risques relatifs du quintile le plus riche au plus pauvre sont toujours supérieurs à 1 : ils varient de 3,1 à 1 pour l’utilisation de la contraception moderne, de 1,6 à 1 pour les soins prénatals, de 3,0 à 1 pour les accouchements, de 1,8 à 1 pour la couverture vaccinale, et de 2,6 à 1 pour l’éducation moderne (Tableau 6). Si les différentiels de mortalité selon la richesse sont similaires dans les deux situations, ils ne peuvent donc pas s’expliquer par l’accès différentiel aux services de soins, puisqu’il n’y a pratiquement aucune différence en Ouzbékistan.

Tab. 6

Comparaison des différentiels d’utilisation des services de soins et d’éducation moderne, selon la richesse pour l’Ouzbékistan et les pays africains

Tab. 6
Ouzbékistan Afrique Indicateur Quintile le plus pauvre Quintile moyen Quintile le plus riche Quintile le plus pauvre Quintile moyen Quintile le plus riche Utilisation des services de santé % de contraception moderne 46 56 52 10 15 32 % des soins prénatals 82 79 84 49 58 77 % d’accouchements 92 99 100 25 38 74 % de couverture vaccinale 81 79 78 33 43 60 Éducation moderne % d’éducation 99 99 100 26 37 68 Source : Population Reference Bureau, 2004 - Contraception moderne : pourcentage de femmes mariées utilisant des méthodes modernes. - Soins prénatals : pourcentage de femmes enceintes ayant suivi trois visites prénatales ou plus. - Accouchement : pourcentage de naissances effectuées par un personnel médical professionnel. - Couverture vaccinale : pourcentage des enfants complètement vaccinés. - Instruction : pourcentage de femmes qui ont terminé le primaire.

Comparaison des différentiels d’utilisation des services de soins et d’éducation moderne, selon la richesse pour l’Ouzbékistan et les pays africains

Différentiels de statut nutritionnel

57Afin de tester l’hypothèse nutritionnelle, le statut nutritionnel a été tabulé en fonction du même indicateur de richesse. En Ouzbékistan comme en Afrique, ce statut montre une relation linéaire avec la richesse. Pour les enfants, la moyenne du Z-score de poids par âge chez les enfants ayant entre 12-71 mois varie de -1.04 pour les plus pauvres (indice de richesse= 0) et +0.03 (absence de stunting) pour les plus aisés (soit un indice= 12). En somme, plus la famille est pauvre, plus les enfants sont malnutris et aucune preuve de retard de croissance (stunting) et d’amaigrissement (wasting) n’est trouvée chez les plus aisés qui sont aux normes internationales. Ce gradient est similaire à celui de l’Afrique, bien que la pente soit plus forte. Pour la moyenne des pays africains, le Z-score moyen pour les plus pauvres est de -1.83 (indice= 0) et nul pour les plus aisés (+0.05). Dans les deux cas, les personnes les plus aisées, qui sont donc intégrées au système d’économie moderne et capables d’accumuler des biens, ne montrent aucun signe de malnutrition. Si la situation est pire en Afrique pour les plus pauvres, les deux pentes sont très positives (P<E-22 et E-50 respectivement), et la différence entre les deux pentes est ici statistiquement significative (P=5.2 E-7).

58De même pour les femmes adultes, la relation entre la taille et le poids est linéaire dans les deux cas. En Ouzbékistan, les femmes sont un peu plus grandes que leurs homologues africaines, mais le gradient exprimé en fonction de la richesse est le même (Figure 5). La relation linéaire prédit une taille moyenne de 158 cm chez les plus pauvres et 162 cm chez les plus aisés en Ouzbékistan, et pratiquement 1 cm de moins en Afrique (de 157 cm à 161 cm). Les deux pentes sont significatives (P=4.3 E-11 et E-50 respectivement), mais dans ce cas la différence entre les pentes n’est pas significative (P=0.754).

Fig. 5

Différentiels d’état nutritionnel des femmes adultes en Ouzbékistan et en Afrique

Fig. 5

Différentiels d’état nutritionnel des femmes adultes en Ouzbékistan et en Afrique

59Un gradient similaire a été trouvé pour les hommes en Ouzbékistan avec des valeurs se situant entre 170 et 172 cm respectivement pour les plus pauvres et les plus riches, avec une pente moins prononcée que pour les femmes, mais qui reste statistiquement significative (P=0.017). Malheureusement, nous ne disposons que de trop peu de données pour les hommes africains pour nous permettre de faire la comparaison.

60Cette analyse montre que les différentiels de mortalité selon la richesse sont parallèles aux différentiels d’état nutritionnel selon le même indicateur dans les deux situations. Les différentiels de mortalité ne sont clairement pas associés avec les différentiels d’accès et d’utilisation des services de santé dans le cas de l’Ouzbékistan, puisque la couverture sanitaire y est quasi universelle. Il semble donc bien que l’essentiel des différentiels de mortalité soit attribuable aux différentiels d’état nutritionnel dans un cas comme dans l’autre.

Discussion

61Les enquêtes EDS fournissent une opportunité exceptionnelle de conduire des analyses comparatives avec les mêmes données sur la richesse et la santé dans des situations a priori très différentes telles que celles que nous venons d’explorer en Asie centrale et en Afrique. Notre analyse montre des similitudes et des différences dans ces deux cas : il s’agit de deux espaces colonisés au cours de périodes temporelles similaires, et qui ont bénéficié de programmes de santé similaires, même si les modalités de ces programmes et la couverture de la population n’ont pas été identiques. On pourrait arguer que le temps écoulé depuis l’indépendance diffère dans les situations (25 à 40 ans en Afrique contre 10 ans en Ouzbekistan) et que les tendances en terme d’indicateurs de santé pourraient en être affectés. Cependant, la situation sanitaire actuelle au tournant du xxie siècle est davantage le résultat des efforts de santé publique réalisés au cours du xxe siècle que le fait des changements durant les dernières années. Deuxièmement, les tendances durant la période post-coloniale sont très influencées par les évolutions antérieures, même si des schémas complexes d’inversion de mortalité ont émergé en Afrique comme en Asie centrale. Nous savons peu de choses sur les situations sanitaires dans ces deux espaces au début du xxe siècle. Cependant, au vu des documents disponibles, il semble que les situations épidémiologiques et sanitaires aient eu de nombreuses similitudes, telles que les hauts niveaux de mortalité et la forte prévalence des maladies tropicales et infectieuses (Kadyrov, 1976). Les épidémies de choléra se propageaient rapidement parmi les populations et entre 1892 [12] et 1915, six épidémies de choléra ponctuèrent l’histoire de l’Asie centrale. De même, le manque d’hygiène, la mauvaise qualité de l’alimentation, l’absence de surveillance sanitaire et la faiblesse des traitements ont favorisé la multiplication des cas de tuberculose et de maladies vénériennes (Fedorov, 1927). La dracunculose [rišta] touchait à l’époque plus de 20 % de la population boukhariote (Kadyrov, 1976). La variole avait également une incidence considérable dans le Kraj à l’époque, et chaque année, quelques dizaines de milliers de personnes mouraient de cette maladie. Par ailleurs, le paludisme représentait à l’époque un véritable fléau dans cette région, et par exemple, en 1894, 9 802 personnes moururent de paludisme dans le seul district (uezd) de Tachkent.

62La particularité de l’Union soviétique, si l’on tente des analogies avec d’autres empires coloniaux, réside en ce qu’elle était un empire autant pour les habitants de Russie que pour les habitants de régions colonisées, comme ceux d’Asie centrale, et que s’y développait une volonté politique éloignée des réalités sociales permanentes (Blum, 2004). L’autonomie du social est ici très importante car elle traduit la persistance de trajectoires propres aux populations colonisées puis soviétisées qui sont parvenues malgré les fortes pressions politiques à maintenir des cadres traditionnels locaux au sein même des structures imposées par le pouvoir soviétique.

63La situation sanitaire et économique de l’Ouzbékistan reste, certes, différente de celle de l’Afrique subsaharienne. Le niveau de revenu est plus élevé, la distribution des revenus plus équitable, la nutrition meilleure, l’accès au système de soins quasi universel, le niveau d’éducation plus élevé, et le système de santé bien plus développé. Si nous avions comparé les indicateurs de santé en fonction des quintiles de richesse, comme c’est souvent le cas dans la littérature économique, nous aurions trouvé peu de différences entre les deux situations. Par exemple, la mortalité des enfants varie de 1 à 1,52 du quintile le plus aisé au plus pauvre en l’Ouzbékistan, et de 1 à 2,08 en Afrique. Ceci est vraisemblablement dû à de moindres inégalités au sein de la population, car l’indice de richesses du quintile le plus pauvre au plus aisé va de 3,0 à 6,7 en Ouzbékistan alors qu’en Afrique il s’étende de 0,0 à 5,8. Pour les adultes, la différence dans les distributions de richesses joue un rôle plus faible, et les rapports de mortalité du quintile le plus aisé au quintile le plus pauvre varie de 1 à 1,51 en Ouzbékistan, et de 1 à 1,33 en Afrique.

64Le principal résultat de cette étude réside dans la similarité des pentes de mortalité et des indicateurs nutritionnels selon la mesure absolue de la richesse. Cette analyse montre que les différentiels de mortalité restent assez similaires, ce qui signifie qu’en dépit de ses résultats performants, le système de santé publique soviétique n’a pas résolu toutes les sources de différentiels en matière de santé. Notre principal argument est de dire que ce sont des différences en terme de nutrition qui apparaissent ici. Ceci signifie que la strate la plus pauvre de la population ouzbèke bénéficie d’une éducation et d’un accès au système de santé universel et donc égalitaire, mais qu’elle reste pénalisée par une nutrition déficiente. Ce point nécessiterait une analyse plus détaillée des effets de la nutrition sur la santé en Ouzbékistan et des facteurs de risques liés au statut nutritionnel globalement et par strate ou par quintile.

65L’étude de Villermé (1830) réalisée à Paris au xixe siècle montrait des gradients de mortalité selon le statut socio-économique analogues à ceux qui sont décrits dans cette étude pour l’Asie centrale et l’Afrique subsaharienne, variant approximativement de 1 à 3 entre les plus pauvres et les plus riches. Or, à cette époque les services de santé modernes étaient inexistants, et ne pouvaient donc pas rendre compte des différentiels. En revanche, il est vraisemblable que l’état nutritionnel variait considérablement selon la richesse, et que les différentiels observés fussent aussi imputables en grande partie à la nutrition. Cette permanence apparente des gradients et de leur causalité mériterait cependant une analyse plus approfondie.

66Plusieurs indications suggèrent que la nutrition a été négligée en Ouzbékistan comparée à d’autres progrès réalisés en terme de santé publique. Le retard de croissance existe encore, et dans la EDS de 2002, 28,7 % des enfants de moins de 5 ans se situent en dessous du seuil des 2 écarts-types (contre 2,5 % dans les populations bien nutries). L’ EDS de 2002 trouve aussi une forte prévalence de l’anémie : 49,2 % des enfants de 6 à 59 mois sont anémiés (niveau d’hémoglobine<12g/dl) et 1,0 % le sont sévèrement (<7g/dl). Le goitre est encore prévalent dans le pays. Dans la même enquête, un fort gradient s’observe dans certains indicateurs de consommation alimentaire en fonction des revenus mesurés par la question « difficulté à joindre les deux bouts ? ». Comparé avec ceux qui ont un revenu plus élevé (défini par « joindre les deux bouts facilement »), les ménages plus pauvres (définis par « en grande difficulté ») mangent moins de produits laitiers, d’œufs, de viande rouge, de haricots, de pois, de noix, de grains et de légumes frais. Pour ce qui est des protéines (produits laitiers, viande rouge), le gradient de la consommation moyenne par semaine va de 1 à 2 entre les plus pauvres et les plus riches, avec une augmentation régulière dans les deux catégories intermédiaires (définies comme étant « en difficulté » et « en petite difficulté » pour joindre les deux bouts). Quelque 10 % des familles très pauvres rapportent qu’elles ont passé un jour ou plus sans manger durant les six derniers mois, comparé à 5 % pour la moyenne basse et la moyenne élevée et 3,9 % pour les familles les plus aisées. Ce gradient par classe de revenu est le gradient le plus fort de toutes les variables investiguées dans l’enquête sur la consommation de nourriture (âge, résidence urbaine, région, niveau d’éducation et ethnicité).

67La nutrition reste donc bien un problème important de santé publique au regard des documents analysés dans le système de santé en Ouzbékistan. Des documents d’archives rapportent pour de nombreuses provinces les plaintes émanant des services de santé concernant la pauvreté de l’alimentation, les faibles allocations pour se procurer de la nourriture, la faible diversité alimentaire, l’inadaptation du régime alimentaire notamment dans les hôpitaux au poids et à l’âge des malades, de même que dans les institutions telles que les sovkhozes, les kolkhozes, les écoles, les cantines, etc. Même si l’Ouzbékistan est un véritable grenier agricole produisant en abondance fruits, légumes et animaux divers, une part notable de ces productions sont exportées vers la Russie et d’autres pays, se basant souvent sur des quotas arbitraires qui ne tiennent pas compte des besoins locaux, subtilisant ainsi une partie de sa production à la population ouzbèke (Mahkamov et Romaènenko, 1976).

68Ce serait bien entendu une erreur de nier l’importance des services de santé dans la baisse de la mortalité. Aucun pays du monde n’a bénéficié d’un recul significatif de la mortalité sans un système de santé efficace et, par exemple, lorsque le système de santé a été détruit au Mozambique au cours de la guerre civile, la mortalité est retournée à une situation pré-transitionnelle (Garenne et al., 1997). En dépit de l’égalité du système de soins, il reste vraisemblable de trouver des différentiels de mortalité dus à des différentiels en terme de statut nutritionnel. Les niveaux de mortalité en Ouzbékistan correspondent à un système de santé plus équitable et plus élaboré qu’en Afrique subsaharienne et nous avons d’ailleurs vu qu’à un niveau donné de richesse, la mortalité est plus basse et le statut nutritionnel meilleur qu’en Afrique. Ceci est le fait d’un meilleur système de santé accessible à l’ensemble de la population ainsi qu’à une consommation alimentaire plus élevée.

69Les indicateurs démographiques ne montrent pas de différence évidente en terme d’utilisation des services de soins. Mais il s’agit d’un indicateur quantitatif qui pourrait cacher des différences qualitatives. Le système soviétique lui-même distinguait six sous-systèmes de soins dédiés à des sous-populations distinctes selon le statut socio-économique (Davis, 1998). Ces différences sont vraisemblablement liées à la richesse, et il se pourrait qu’une part de la corrélation observée entre la santé et la richesse reflète cette stratification sociale. Cependant, ceci ne contredit point l’argument central, car en Afrique la qualité des soins est aussi très variable en fonction des localités géographiques et du statut socio-économique, alors que l’utilisation des soins est très différente et que les gradients de mortalité restent les mêmes.

70Notre analyse statistique ne montre aucune différence dans les pentes dans le modèle linéaire logistique qui relie la richesse et la mortalité. Ceci indique que les différentiels de mortalité persistent en Ouzbékistan et sont d’amplitude comparable à ceux trouvés en Afrique. Néanmoins, pour les enfants la pente semble être un peu plus faible. Le fait que le test ne montre aucune différence significative pourrait être dû en partie à la petite taille de l’échantillon : si nous avions un échantillon plus grand, de la même taille que celui dont nous disposons pour l’Afrique et avec les mêmes schémas, la différence aurait pu devenir significative. Ceci suggère que des recherches basées sur des échantillons plus larges pourraient révéler des différences mineures en terme d’effets de la richesse sur la santé entre les deux situations. Ceci ne change pas les principales conclusions tirées de notre analyse, qui sont que les différentiels selon la richesse persistent en dépit de l’égalité de l’utilisation du système de soins et sont parallèles à ceux du statut nutritionnel.

71L’origine précise des différences nutritionnelles en Asie centrale mérite d’être analysée plus en détail. Elles sont vraisemblablement liées à la pauvreté et globalement les bas revenus sont associés à une faible diversité alimentaire et à un statut nutritionnel plus pauvre. Les données disponibles sur la consommation alimentaire indiquent que le problème a visiblement un caractère multidimensionnel. De nombreuses stratégies sont disponibles pour améliorer l’état nutritionnel chez les strates les plus pauvres. Cependant, il serait primordial de savoir si les déficiences nutritionnelles sont surtout dues à des déficits en protéines et en énergie ou en micronutriments. Par ailleurs, les modifications importantes d’accès à l’alimentation depuis la fin de l’URSS créent des dispositions particulières entraînées par l’inflation des productions disponibles, la fin des produits subventionnés par l’État, la difficulté d’accès aux marchés alimentaires qui tentent de s’inscrire dans une logique internationale ou encore la politique de quotas imposés par l’État aux entreprises agricoles. Ceci expliquerait aussi pourquoi la population revient à un régime alimentaire plus proche de celui qui prévalait avant les années 1960 : riche en féculents et en céréales mais pauvre en protéines. La manière dont l’État gère ses réserves alimentaires et sa politique agricole apparaît comme un enjeu de taille dans un pays qui subit une crise socio-économique non négligeable et où les salaires n’ont quasiment pas évolué ces dix dernières années.

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Notes

  • [1]
    Il ne faut pas oublier, cependant, qu’une politique de santé publique, certes limitée, a préexisté à l’hygiénisme : ce fut le cas dans les cités italiennes suite à la terrible épidémie de peste de 1347. De plus, les Tables de la Loi contiennent des directives de santé et Hippocrate dressa les premières bases du savoir sur l’hygiène individuelle et collective. Voir P. Bourdelais, 2001, 7-10.
  • [2]
    1867 correspond à la création du guberniâ du Turkestan russe. Le général russe von Kaufmann devient le premier gouverneur général du Turkestan avec Tachkent pour capitale. Le guberniâ du Turkestan, qui dépendait du ministère de la Guerre, se transforma en kraj du Turkestan (région) à partir de 1886. Voir Fourniau, 1994, 90.
  • [3]
    Les premiers établissements de soins furent créés par les Russes à partir de 1868 (ouverture du premier lazaret militaire à Samarcande et à Tachkent qui se transformera en hôpital militaire en 1870).
  • [4]
    À l’époque où trois positions théoriques se distinguaient (théorie des miasmes, théorie contagionniste et théorie anticontagionniste), les grands développements sanitaires mis en œuvre notamment par Edwin Chadwick dans l’Angleterre du xixe siècle s’inscrivaient dans le prolongement de cette théorie des miasmes (Rosen, 1949 et 1993).
  • [5]
    Cette stratégie a d’ailleurs été récemment redécouverte par l’OMS et des spécialistes ont été envoyés à l’Institut de médecine tropicale de Samarcande.
  • [6]
    Une structure similaire est organisée à Tachkent pour le Turkestan quelques mois plus tard.
  • [7]
    Il s’agit de 6 pages insérées dans un hebdomadaire Kambaghal Dehqon (le paysan pauvre). Voir Kadyrov, 1976.
  • [8]
    La genèse de la médecine dite moderne est marquée par la révolution pastorienne avec la découverte du vaccin antirabique par Pasteur en 1885. Néanmoins, la première tentative de vaccination faite par Edward Jenner contre la variole en 1796 fut une étape décisive dans le développement de la médecine moderne et de la compréhension des maladies infectieuses, démontrée plus tard par Pasteur (Rosen, 1993 et Moulin, 1996°.
  • [9]
    Les premières mesures de santé publique ont été prises par les colons russes en 1872 : le général von Kaufman crée le poste de vaccinateur contre la variole (ospennij privivatel’). Les jeunes turkestanais étaient alors formés pour vacciner (Anonyme, 1882 ; Kadyrov, 1994).
  • [10]
    La dracunculose, filaire de Médine ou ver de Guinée, est une parasitose très invalidante.
  • [11]
    Le revenu moyen annuel par habitant est la somme dont dispose théoriquement chaque individu entrant dans la communauté nationale qu’il travaille ou non.
  • [12]
    L’épidémie de choléra de 1892 poussa les médecins du Turkestan à s’organiser par le biais de la création de sociétés de médecins de Ferghana en 1892, du Transcaspien en 1896 et de Tachkent (pour les médecins du Turkestan) en 1899.

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