Le célèbre incipit du premier ouvrage de Paul Nizan, « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie », établit d’entrée une corrélation entre le voyage à Aden et l’entrée dans le monde adulte. Arthur Rimbaud rechercha autrefois dans cette contrée fabuleuse l’évasion dont il avait épuisé les virtualités au sein du langage poétique. Nizan, lassé de jouer le rôle du brillant sujet de l’école républicaine, opta pour la désintégration que lui promettait le séjour dans une contrée lointaine au détriment de l’agrégation qui lui ouvrait les portes d’une carrière sans relief et sans surprise.
Pourtant, ni chez l’un ni chez l’autre l’éblouissement attendu ne fut au rendez-vous. La société coloniale exporte au-delà des mers son âpreté au gain et ses mesquineries ordinaires. Pis. Sous le soleil implacable de la colonie, ces petitesses revêtent un éclat accru. La désillusion alors arbore les couleurs de l’ennui, un ennui abyssal qui ne peut, genou blessé ou non, que conduire à l’amertume du retour.
En se reportant à la correspondance de Rimbaud qui s’acharne, en dépit des difficultés et des désillusions, à démontrer qu’il existe un nouveau monde susceptible de donner forme et vie à un nouvel homme, il est loisible d’examiner les affleurements de ce mythe du nouveau monde dans le texte de Nizan. Ce voyage à Aden ne fut-il à l’origine que la conjonction de circonstances favorables et de son désir de réaliser ailleurs ce qu’à l’évidence il ne pouvait alors entreprendre ici …