Dans son introduction à Paul Nizan, intellectuel communiste, Jean-Jacques Brochier avait très justement remarqué que
l’espace, plus que le temps, est pour Nizan la donnée fondamentale du déroulement romanesque. La vie d’Antoine Bloyé, par exemple, est rythmée par les villes qu’il traverse, au hasard de ses affectations successives. La carrière et l’existence d’Antoine sont ainsi ponctuées de quelques villes qui marquent le temps.
Très souvent, dans l’œuvre romanesque de Nizan, un motif spatial devient un motif temporel. Cette interpénétration du temps et de l’espace assure la grande unité de son monde romanesque mais alimente également sa vision politique. On ne peut dissocier, dans son œuvre, le cadre spatial de l’implication idéologique des textes. En prises avec le réel, l’espace du roman, les décors n’ont jamais valeurs simplement pittoresques ; ils s’élaborent comme signes de la situation ou de l’action. Un espace orienté par des impératifs de thèse : voilà les contraintes propres à l’espace romanesque de Nizan.
Nombreux sont les critiques à avoir mis l’accent sur la dimension tragique de l’œuvre nizanienne, et l’espace romanesque d’Antoine Bloyé participe effectivement, lui aussi, à un glissement du roman vers l’univers de la tragédie.
Au tout début du roman, c’est un « mécanisme tragique » — pour reprendre les termes de Clément Rosset — qui préside à la représentation de la mort d’Antoine. Le temps chronologique est inversé, on part de la fin pour remonter vers les débuts, la représentation va de la conséquence tragique à la source tragique : la mort d’Antoine nous est exposée dès le premier chapitre et tout le reste du roman constitue sa biographie…