Couverture de ACP_009

Article de revue

Parutions

Pages 86 à 94

Notes

  • [1]
    Cet ouvrage traduit en français par E. L. Herbert, sous le titre français Le développement de la personne, est paru pour la première fois en 1968 chez Dunod.

Max Pagès. L’approche non-directive. Entretien avec Florence Giust-Desprairie

1Ayant étudié la philosophie puis la psychologie à la Sorbonne dans les années cinquante, Max Pagès a bénéficié d’un enseignement à la croisée de deux univers étanches : la psychanalyse et la psychologie expérimentale. Au terme de ses études il a débuté une analyse didactique et quelque temps plus tard, aux Etats-Unis, il a rencontré Carl Rogers – son seul maître dit-il encore aujourd’hui. C’est par ce qu’il nomme son élan créateur qu’il a été séduit. Dans cet entretien, Max Pagès insiste sur la notion d’engagement interpersonnel qui caractérise, dans la non-directivité, la relation particulière entre un psychothérapeute et son client. Certes la dimension personnaliste de l’engagement est également présente en psychanalyse mais pas aussi clairement, dit-il. Alors que l’apport de l’analyse est essentiellement d’ordre analytique (transfert, contre-transfert, etc.), dans la psychothérapie non-directive, il y va prioritairement de l’engagement dans une relation. Il est question, insiste-t-il, de l’engagement de l’autre autant que de son propre engagement dans la thérapie. Plus avant, le but de la psychothérapie est que le client s’engage dans sa propre vie. Enfin, une autre caractéristique de l’engagement dans la psychothérapie non-directive est qu’il se vit dans la dimension existentielle de l’approche. Max Pagès reprend alors les références de Martin Buber (Je-Tu) et les met en lien avec celles de Martin Heidegger (Mit-Sein).

2Dans un autre volet de cet entretien, Max Pagès rappelle que les jeunes psychosociologues ne sont plus toujours au fait de l’importance qu’a eu l’orientation non-directive dans les pratiques sociales et de formation. L’interview s’attache dès lors à montrer ce qu’apporte l’approche non-directive à la psychosociologie actuelle. L’intervenant psychosociologue, dit-il, fait généralement un pari optimiste quant au mieux à venir. Sans nier les conflits, ni les défenses, ni la violence, il parie sur le fait que ce mieux est en puissance chez le client. Il s’appuie notamment sur les forces créatrices, les forces spontanées de coopération ou de changement. Max Pagès reconnaît ainsi la notion du growth rogérien qui est à l’œuvre dans le groupe comme en chacun. Enfin, l’article met en articulation l’engagement collectif et l’engagement personnel pour en venir à parler de la notion de responsabilité. Même si nous nous confondons toujours plus ou moins avec les autres, la personne est dans le groupe, c’est chacun qui est porteur de son essentiel

3Témoin incontournable des évolutions de l’approche rogérienne depuis ses débuts en France, Max Pagès ne se déclare pas « rogérien bon-teint (sic) ». Son parcours de praticien et de chercheur se développe en s’appuyant sur les théories de la complexité, notamment avec des accents sociologiques et corporels.

4Jean-Marc Priels

5Florence Giust-Desprairie (2008)

6« Max Pagès. L’approche non-directive »

7Nouvelle revue de psychosociologie, 2, 6, pp. 245-253.

Une expérience du cancer et Cancers à la chaîne, de Marie-Louise Poeydomenge

8Marie-Louise Poeydomenge est connue pour un livre consacré à la pédagogie non-directive : L’éducation selon Carl Rogers. Les enjeux de la non-directivité, paru chez Dunod en 1984. Entre 1991 et 2004, c’est avec une intelligence lucide et un discernement sans pareil qu’elle a écrit quelques articles témoignant de son cheminement face au cancer. Elle y transmet son expérience psychologique, physique et spirituelle de la maladie. L’écriture projette son parcours sur papier, exorcise. Elle a pour but de mettre à distance, de relativiser, de tenter de libérer d’une rumination morbide. Elle a surtout permis à l’auteure, décédée en 2004, d’aller à la rencontre du mal qui la tenaillait, de décrypter un chemin de souffrance qu’elle souhaitait dépasser. « Là où est la personne authentique, là est la vraie richesse. »

9À chaque étape de sa confrontation à la maladie, au-delà de la peur (peur de souffrir, peur des métastases, etc.), les mots font part d’angoisses : angoisse suite à l’annonce et la découverte de la maladie, angoisse de la récidive, angoisse devant l’inconnu, devant chaque manifestation des symptômes, devant les traitements à venir, devant les multiples interrogations, devant les limites de la vie, face à la mort… L’angoisse du patient est légitime, est-il écrit, car la maladie déclenche des émotions profondes et déstabilisantes. Il est important de laisser se dire l’affolement ou l’abattement, la colère, la rage d’être malade, les appréhensions, les déceptions, l’impatience face aux examens demandés, etc. Une aide psychologique est, dit l’auteure, indispensable à apporter dès le moment du diagnostic. Il est essentiel que les équipes médicales, porteuses d’espoir dans la lutte, ne refusent pas le dialogue, qu’elles n’évitent pas la communication, qu’elles sécurisent, aident à faire le point et abordent chacun avec respect et sollicitude.

10Sortant de toute illusion psychologisante, ayant compris que la maladie se situe dans un autre registre que celui du psychisme – même si elle a un retentissement considérable sur celui-ci – l’auteure explique qu’il est important de ne pas confondre causes et conséquences : culpabilité, ressentiment, angoisse ou autres motifs inconscients ne provoquent pas le cancer qui lui par contre provoque bien tristesse et autres sentiments négatifs. Il est donc malvenu de prôner au patient que ses propres attitudes psychologiques sont toutes puissantes devant les mécanismes liés à la maladie. Les psychologues eux-mêmes ne peuvent pas faire en sorte que leurs méthodes psychologiques soient des outils efficaces dans la guérison de ce type de mal. L‘écoute est essentielle mais il ne suffit pas d’être écoutée, écrit-elle, pour que disparaissent la peur des traitements ni celle de la mort. Nous n’avons pas le pouvoir que nous croyons avoir sur notre organisme. La subordination du psychisme au physique est incontournable et l’influence du psychisme sur les cellules cancéreuses anarchiques est bien hypothétique. Pour l’auteure, dans la défaillance d’un corps qui échappe, d’un organisme qui déraille, l’unité de la personne dans sa réalité psychosomatique semble un leurre. La maladie, peut-on lire, révèle une dualité du corps et de la conscience. La maladie rappelle combien la conscience est incarnée et dépendante de la biochimie qui nous imprègne et qui est la clé de l’énergie vitale.

11L’auteure décrit également l’expérience de périodes de vie dans lesquelles désespoir et espoir se sont affrontés en va-et-vient, dans lesquelles découragement et profonde tristesse se sont succédés. Au gré des récidives, l’auteure décrit aussi des moments riches et heureux : périodes d’activité intense, reprise du travail, voyages lointains, rédaction d’une thèse doctorale, vie familiale, etc. Mais dans ses articles, elle fait également abondamment part de l’expérience d’un champ d’action rétréci, d’une réduction de son espace de vie et d’une modification de la relation au temps. Le temps est, écrit-elle, mutilé, émietté. La mort met la durée de vie en suspens. Elle déstructure chaque projet, habite le futur et fait disparaître l’imagination de l’avenir.

12Dans la recherche d’une instance de liberté capable d’émerger d’un psychisme dominé par les réactions biochimiques de son organisme pour l’orienter, la marge de liberté dont chacun dispose devient, lit-on, très étroite en raison de sa structure psychique, des expériences déjà vécues, de sa culture, de son environnement psychologique et social. Sensible au fait que la maladie est déstabilisante non seulement sur la personnalité du patient mais aussi sur celle de son entourage, l’auteure indique combien le cancer isole et combien les liens sociaux se distendent. L’entourage lui-même est mis à mal et démuni, et est tenté d’entériner la logique d’un corps sur lequel il a peu de prise. Solidement épaulée par ses proches, son mari, ses enfants, sa famille, fidèlement par les amis, discrètement par les collègues et voisins, l’auteure insiste alors sur les valeurs sûres de l’amitié et de l’amour conjugués sous toutes les formes.

13L’auteure termine son témoignage en relatant son expérience en entretiens de relation d’aide avec une femme médecin psychanalyste lacanienne (mais, peut-on lire, au-delà des querelles d’école, « rogérienne »… à son insu). Elle exprime qu’elle a appris, en étant attentivement écoutée, à changer de regard. Elle indique qu’elle s’est sentie prise au sérieux, comprise émotionnellement. Avec grande sensibilité, elle illustre toute la finesse des apports d’une relation de confiance, non contraignante, inconditionnellement acceptante, empreinte d’écoute empathique et de sollicitude positive. La réflexion est ici mise en regard avec les travaux de Carl Rogers. Dans cette relation d’aide, détachée de ce qui échappe au sens rationnel mais attachée à la recherche de l’acceptation de ce qui s’impose à vivre, l’auteure en vient à aborder la dimension spirituelle de l’homme. Le choix de la vie, des raisons de vivre, des moyens choisis pour supporter ou affronter la maladie relèvent, écrit-elle, de la qualité spirituelle de l’être et non de sa conscience psychologique soumise aux lois du corps. Elle indique alors, assez brièvement, combien elle a la chance de croire en un Dieu d’amour dont la présence est toujours à chercher. Il n’est alors plus seulement question de corps ou de conscience mais bien d’Esprit. Il subsiste un acte de foi, un pari au-delà de la raison et qui nous dépasse infiniment.

14Jean-Marc Priels

15Poeydomenge, M-L. (1991),

16Une expérience du cancer,

17Etudes, 74, 1, pp. 41-54.

18Poeydomenge, M-L. (2005),

19Cancers à la chaîne,

20Revue francophone de psycho-oncologie, 2, pp. 124-132.

21Poeydomenge, M-L. (2005),

22Cancers à la chaîne (seconde partie),

23Revue francophone de psycho-oncologie, 3, pp. 220-231.

Des violences invisibles, de Jean-Marc Randin

24Cet article, écrit dans l’esprit de l’Approche centrée sur la personne, aborde la question des violences sociales d’ordre institutionnel. Il exprime qu’il est des violences verbales ou physiques qui sont conscientes mais identifiables, évidentes tandis que d’autres sont moins apparentes. Il en est par ailleurs qui sont moins consciemment émises et qui sont donc d’autant plus difficiles à percevoir. Ces dernières se déploient souvent lentement, y compris sous couvert louable de bonne volonté. Dans le champ social, le travail avec l’humain est complexe et sensible. Les processus décrits par l’auteur sont violents envers les personnes autant qu’ils sont générateurs de violence institutionnelle. Les réactions premières des professionnels peuvent parfois elles-mêmes insidieusement devenir source de violence envers les personnes dont ils s’occupent. Énervement, colère, découragement, ressentiment, amertume, accumulation des charges sur les épaules d’un accompagnant méritent d’être identifiés, tant le risque qui en découle est d’aboutir à l’enfermement du résident dans une image ensuite difficile à déconstruire. La mise en place de type d’image négative envers le résident va parfois de pair avec le renforcement d’attentes envers lui, desquelles il lui devient compliqué de répondre. Cette image posée sur lui par un professionnel ou par l’environnement d’une équipe peut mener à des situations d’échec si la situation n’est pas correctement conscientisée. L’exposé d’une situation vécue en institution vient illustrer le propos de l’auteur. De telles violences cachées, peut-on comprendre, sont plus fréquentes qu’on ne l’imagine et elles méritent d’être humblement et lucidement interrogées pour être reconnues de la part des professionnels en institution. Refuser l’inacceptable peut aller de pair avec la prise en compte par le professionnel des limites de sa propre tolérance et, s’il en est ainsi, de nouveaux potentiels de changement et une satisfaction nouvelle se découvrent alors dans le travail. La responsabilité prend un sens différent et les difficultés peuvent être abordées sous un jour nouveau.

25Jean-Marc Priels

26Randin, J-M., (2008)

27Des violences invisibles

28L’observatoire, Revue d’action sociale et médico-sociale, 8, pp. 70-73.

La dimension politique des relations d’aide : la contribution de Carl Rogers, De Marcia Alves Tassinari

29Cet article propose une réflexion sur les aspects politiques de l’Approche centrée sur la personne. L’auteure, professeure de psychologie à l’Universidad Estácio de Sá est superviseur clinique et fondatrice associée du Centre de psychologie de la personne à Rio de Janeiro au Brésil. Elle a contribué par deux fois à la venue de Carl Rogers à Rio de Janeiro et a eu l’occasion de travailler avec lui au Brésil et en Angleterre.

30Dans une première partie de son article, après avoir rappelé que Carl Rogers se désignait lui-même comme un révolutionnaire tranquille mais néanmoins radical et obstiné, Marcia Alves Tassinari aborde la relation d‘aide en tant que processus relationnel promoteur de croissance et de développement des personnes en présence. L’argument essentiel mentionne alors les caractéristiques de la relation d’aide telles que Carl Rogers les a exposées dans son ouvrage daté de 1961 et intitulé « On Becoming a Person » [1]. Le texte explique ensuite le changement significatif apporté par Carl Rogers avec la notion de counseling non-directif. Cette notion, peut-on lire, « implique de faire ou penser avec l’autre (et non pas à la place de l’autre), partager (discriminer, élaborer et délibérer avec l’autre) ». Mettant en question la priorité donnée à la solution des problèmes, se tournant vers la personne qui les présente, elle a permis, peut-on lire, d’amener l’intervenant à devenir un agent social de changement. En même temps, Rogers introduisait ainsi l‘importance du rapport client-consultant comme une expérience de croissance personnelle et a montré combien le changement est à considérer comme un processus. L’auteure décrit alors les aspects essentiels de l’ancrage humaniste de la psychothérapie de Carl Rogers : confiance, valorisation de l’expérience, libération de l’élan individuel, croissance, relation interpersonnelle, etc. Enfin, elle contextualise le développement de la pensée de Rogers dans le cadre du bouleversement de l’épistémologique scientifique de son époque : « la fin des certitudes, l’ordre engendré à partir du chaos, la probabilité comme élément fondamental, l’irréversibilité du temps, et l’implication de l’homme de science/facilitateur au monde qu’il observe ».

31Dans une seconde partie de l’article, Marcia Alves Tassinari écrit que le pouvoir des personnes tel que l’entendait Carl Rogers est plus proche d’un pouvoir collaboratif (pouvoir synergique, pouvoir personnel, pouvoir intégratif) que d’un pouvoir autoritaire (pouvoir sur) dont les effets sont la domination, la subordination, la compétition, etc. Elle mentionne que les applications de l’Approche centrée sur la personne dans les domaines de l’éducation, des groupes de rencontre, des groupes communautaires, etc., sont indicateurs du fait que Carl Rogers s’efforçait de formuler des lois de base gouvernant des relations saines, valables pour tous les types de processus de développement personnel. Ces domaines d’application de l’Approche centrée sur la personne rendent, peut-on comprendre, particulièrement bien compte d’un usage du pouvoir collaboratif (ouverture, capacité à répondre, dignité, empowerment personnel, influence alternée et coopération, etc.). L’auteure évoque ensuite le fait que les conditions nécessaires et suffisantes au changement ont des implications politiques marquées, vu qu’elles n’impliquent ni contrôle, ni manipulation, chaque individu, chaque groupe, chaque communauté restant le protagoniste principal de sa vie. On peut également lire que, dans l’Approche centrée sur la personne, l’abandon pour l’intervenant des notions de diagnostic ou d’expertise a pour conséquence de l’amener d’autant plus aisément à faciliter l’émergence d’un processus créatif de développement des clients et des institutions avec lesquels il est en lien.

32Au fil de son argumentation, Marcia Alves Tassinari en vient à expliciter le travail audacieux que Carl Rogers a mené à partir de 1974 sur un plan macrosocial avec de grands groupes. L’application des connaissances accumulées jusque-là lui a permis de travailler à des situations de réduction de tensions, de résolution de conflits nationaux, internationaux, ethniques, religieux avec des groupes interculturels, avec des groupes discutant des problèmes de la paix mondiale, avec des groupes permettant à des politiques de se rencontrer au-delà des rôles sociaux. L’approche a ainsi été développée en tant que véhicule de changement social dans divers secteurs troublés du monde actuel.

33Dans une dernière partie de son article, Marcia Alves Tassinari fait part de sa propre expérience de travail. Elle illustre son propos en décrivant le cadre d’un service de garde psychologique au Brésil. Ce service, fonctionnant comme consultation d‘urgence, est promoteur de santé et permet aux personnes de construire un savoir ouvrant la possibilité de transformer la réalité. Il permet aux personnes de travailler avec les angoisses engendrées par des questions politiques et sociales.

34L’auteure conclut en invitant les praticiens de l’Approche centrée sur la personne à poursuivre l’œuvre de Carl Rogers, à devenir plus avant des agents du changement social et à faire face aux défis complexes de la société postmoderne d’aujourd’hui.

35Jean-Marc Priels

36Alves Tassinari, M., (2008)

37La dimension politique des relations d’aide : la contribution de Carl Rogers

38Nouvelle revue de psychosociologie, 2, 6, pp. 229-244.

39Membre de l’AFP-ACP et de la FF2P

40Membre de la NEAPCEPC (réseau européen ACP)


Date de mise en ligne : 01/07/2009.

https://doi.org/10.3917/acp.009.0086

Notes

  • [1]
    Cet ouvrage traduit en français par E. L. Herbert, sous le titre français Le développement de la personne, est paru pour la première fois en 1968 chez Dunod.
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