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Article de revue

La non-directivité : un concept ontologique

Pages 57 à 74

Notes

  • [1]
    Rogers, 1980 : 115
  • [2]
    Prouty, 2000 : 30-37
  • [3]
    Sartre, 1943 : 32-33
  • [4]
    Sartre, 1943 : 166
  • [5]
    Cohen, in Levinas 1987 : 5
  • [6]
    Levinas, 1987 : 132
  • [7]
    Cohen, in Levinas 1987 : 6
  • [8]
    Levinas, 2004 : 160
  • [9]
    Cohen, in Levinas 1987 : 2
  • [*]
    Note de l’auteur : le masculin s’entend dans un sens générique.
  • [10]
    Sartre, 1943 : 166
  • [11]
    Sartre, 1943 : 165
  • [12]
    Klein, 2003 : 60
  • [13]
    Kersonsky, in Levinas, 1987 : 11
  • [14]
    Levinas, 1979 : 31-32
  • [**]
    Note de l’auteur : l’hypostase signifie la nature essentielle d’un individu.
  • [***]
    Note de l’auteur : Ce terme anglais signifie « ce dont on est en train de faire intimement l’expérience ». A défaut de correspondant français, le terme anglais a été conservé. En conséquence le verbe « to experience » est traduit par expériencier.
  • [15]
    Rogers, 1780 : 207
  • [16]
    Rogers, 1951 : 29
  • [17]
    Rogers, 1961 : 76
  • [18]
    Rogers, 1961 :140-141
  • [19]
    Rogers, 1980 : 141
  • [20]
    Gendlin, 1962
  • [21]
    Kersonsky, 1935, in Levinas 1979 : 11
  • [22]
    Rogers, 1961 : 140, 150
  • [23]
    Rogers, 1951 : 97
  • [24]
    Rogers, 1961 :130
  • [25]
    Van Belle, 1980 : 45
  • [****]
    Note de l’auteur : toute donnée identificatrice a été modifiée.
  • [26]
    Levinas, 1979 : 32
  • [27]
    Rogers, 1961 : 80
  • [28]
    Schmid, 2003 : 110
  • [29]
    Schmid, 2003 : 114
  • [30]
    Schmid, 2003 : 114
  • [31]
    Rogers, 1961 : 82
  • [32]
    Rogers, 1959 : 213
  • [33]
    Rogers, 2005 : 71
  • [34]
    Schmid, 2003 :113
  • [35]
    Schmid 2003 : 112
  • [36]
    Kersonsky, in Levinas 1987 : 11
  • [37]
    Cohen, in Levinas, 1987 :12
  • [38]
    Levinas, 1979 : 32
  • [39]
    Bozarth, 2004

Prologue

1Il y a quelque vingt-cinq ans, parmi les formateurs du « Person-Centered Approach Institute-International », se trouvait un homme que je ne connaissais pas encore. Lorsque je le rencontrai, je fus impressionnée par les qualités humaines et intellectuelles qui émanaient de sa personne. Ces qualités ont influencé ma compréhension de la philosophie rogérienne ainsi que celle du concept du temps thérapeutique et me permirent de les approfondir. J’ai compris très vite que la liberté laissée au client dans la thérapie non-directive n’était pas le produit de l’indifférence ou du laisser-faire du thérapeute. Dès le début en effet, le temps thérapeutique fut l’un des sujets de discussion entre cet homme et les étudiants, et je fus frappée par l’idée que le client pouvait gérer, tout au moins partiellement, le temps de l’entretien à condition (entre autres choses bien sûr) d’avoir accès à une pendule. C’est cette idée de pendule, objet ou indicateur de temps, peu importe, qui marqua mon esprit et le mit sur la route... du temps.

2Comme les heures passaient des événements se succédèrent, dont je n’ai qu’un souvenir confus à l’exception d’un moment très précis. Ce fut certainement très bref, mais si intense qu’il me parut long. Cela se passa au cours d’un entretien de démonstration dont l’enregistrement vidéo a malheureusement été perdu. Le « client » était l’un de nos camarades étudiants qui aimait particulièrement les vaches. Quant au « thérapeute », il n’était autre que Nat Raskin, le collaborateur de Rogers qui fut la première personne à identifier l’attitude non-directive.

3Soudain, au cours de cette démonstration, le client (qui, bien entendu, avait parlé d’une vache) s’arrêta et un silence s’ensuivit. Pendant ce silence, client et thérapeute se regardèrent intensément. Après un court moment qui m’a semblé des heures, le dialogue reprit et d’autres sentiments furent exprimés par le client. À la fin de la démonstration, je fus choquée par l’intrusion de l’un des formateurs qui reprocha avec véhémence au thérapeute de ne pas avoir interrompu le silence ni d’avoir fait référence à la mère du client. Il trouva également qu’il avait été trop passif. La vidéo montra le contraire : le langage corporel du thérapeute fit ressortir qu’il écoutait son client avec attention. En effet, sa main s’agitait au bout de son bras pendant, signe de son écoute attentive. De surcroît, le client exprima sa satisfaction de l’entretien et ajouta que si sa mère avait été mentionnée il serait parti séance tenante. Ce fut ma première expérience de la non-directivité et de son action facilitatrice. À partir de ce jour, je me sentis attirée par l’attitude non-directive et je conçus beaucoup de respect et d’affection pour Nat Raskin.

4Avant d’avoir fait cette expérience, je me considérais comme un objet inanimé, exposé à des événements auxquels il me fallait trouver une solution. Après un certain temps cependant, l’idée faible et confuse commença à germer dans mon esprit que je n’étais pas ce simple objet, qu’il y avait autre chose à quoi je n’avais pas encore pensé, qui commençait à poindre dans ma conscience. Mais à l’époque je ne poussai pas plus loin mon investigation. Je conservais néanmoins le vague sentiment d’une exploration incomplète jusqu’au moment où me fut donnée l’opportunité de revenir sur cette inquisition subtile. C’est alors que je devins intriguée par le concept de la non-directivité et que celui-ci s’imposa à moi.

La non-directivité

5Le terme « non-directif » décrit une attitude du thérapeute (ou de toute autre personne centrée sur le client, quel que soit le domaine d’application). Je me suis demandée si l’expression « non-directivité » pourrait s’appliquer à un concept encore non exploré. J’avais, en effet, passé au peigne fin les index des principales œuvres de Rogers sans y trouver ce terme. Je me suis laissé dire que Rogers ne l’aimait pas du fait que, pour un certain nombre de gens qui ne s’étaient jamais donné la peine d’approfondir la théorie, il reflétait une attitude de passivité et d’indifférence de la part du thérapeute et était entaché de laisser-faire. À dire vrai, cette opinion est largement répandue en Europe au point que de parler de non-directivité, voire même d’attitude non-directive, est considéré comme un anathème par certains programmes de formation rogériens. Et pourtant, ce concept émane de l’œuvre entière de Rogers et peut être caractérisé par cet extrait de A way of Being (Une manière d’Être) : « Les individus possèdent en eux-mêmes de vastes ressources pour se comprendre et modifier leur concept de soi, leurs attitudes fondamentales et leurs comportements autodirigés (self-directed). Ils peuvent y puiser, pourvu que leur soit offert un climat d’attitudes facilitatrices définissables. » (Rogers) [1]

6Nous trouvons ici tous les éléments qui définissent l’attitude non-directive : « en eux-mêmes, concept de soi, attitudes fondamentales, comportements autodirigés ». Depuis leur naissance les individus possèdent la capacité intrinsèque de se développer par eux-mêmes.

7Ces termes conviennent, certes, à la description de l’attitude non-directive, mais ils ne définissent pas le concept philosophique de la non-directivité, qui lui-même recouvre plusieurs autres concepts que nous examinerons par la suite.

8Mais avant de m’engager dans cet examen, je désire relater ici l’expérience qui a fait avancer ma réflexion : Il y a quelques années, je travaillais à la traduction d’un article de Garry Prouty [2], intitulé : « Rogers and the Experiential Therapies : a Dissonance ? » (Rogers et les thérapies expérientielles : une dissonance ?). Cette traduction revêtait pour moi un double objectif : fournir une traduction adéquate de ce qui semblait essentiel à l’auteur, mais également faciliter du mieux que je pouvais l’appréhension du sens profond de son message par le lecteur. Chaque ligne de cet écrit me renvoyait à ces moments qui ont suivi mon observation de la démonstration de Nat Raskin pendant l’atelier décrit plus haut. Mon expérience de la non-directivité se formait à la faveur d’une succession d’instants qui m’ont fait prendre conscience de quelque chose que je connaissais à l’intérieur de moi, mais que je ne connaissais pas encore « dans ma tête ». Pour la première fois j’ai pu faire connaissance de l’existentiel en tant que tel, sans interférence d’aucune notion préconçue, et pourtant en ayant la capacité d’y penser et d’en parler. C’est ainsi que ma prise de conscience de la non-directivité en tant que concept « a pris corps ». Ce fut alors naturel d’écrire en postface à cette traduction que la non-directivité est un concept ontologique.

Qu’est-ce que l’ontologie ?

9Ontologie est un mot qui vient du grec « ontos » qui veut dire « cela », « être », « cela qui est », et « logos » qui signifie « discours ». Il date de la fin du XVIIe siècle et décrit l’étude de l’être, de l’être vivant.

10L’étude de l’être est toutefois bien plus ancienne que le nom qu’y s’y rapporte. Les philosophes de la Grèce ancienne sont parmi ceux qui se sont penchés sur la question de l’être. Parménide, de l’école d’Elée, écrivit en 500 avant J.C. que « penser et être sont la même chose ». Platon confirma cette assertion mais ajouta, selon l’Encyclopédie Universalis, « qu’il n’y a pas [seulement] qu’un Être mais beaucoup d’êtres : les Idées ». Aristote, quant à lui, introduisit l’idée de métaphysique : une science qui étudie l’Être et l’étant, et tout ce qui s’y rapporte essentiellement.

11Au cours des siècles, la question de l’être fut d’un intérêt constant en philosophie. Mais la discussion qu’elle a suscitée varia avec les époques. À l’heure actuelle nous pouvons diviser les nombreux traités d’ontologie en différentes catégories suivant des champs spécifiques. C’est ainsi que nous avons des titres comme « ontologie des sciences », « ontologie et langages », ou encore « ontologie et phénoménologie ». Parmi ces derniers, c’est « ontologie et phénoménologie » qui fit son apparition dans la deuxième partie du XIXe siècle et qui nous intéresse particulièrement ici. Suivant la chronologie que nous offre l’histoire, je citerai six philosophes qui ont laissé leurs marques dans ce qu’il est convenu d’appeler l’ontologie phénoménologique.

12Husserl, philosophe allemand (1859-1938), proposa d’abandonner la préconception philosophique des choses et de « retourner aux choses elles-mêmes ». Il orienta sa réflexion vers le problème de la corrélation du sujet et de l’objet dans l’acte de la connaissance et introduisit l’idée d’intentionnalité.

13Heidegger, autre philosophe allemand (1889-1976), fut étudiant de Husserl. Il eut pour objet de renouveler l’ontologie fondamentale. Une phénoménologie de l’existence était pour lui ce dont le problème de l’être humain avait avant tout besoin – une analyse du « Dasein » (être-là, en allemand). Les structures du Dasein – les racines ontologiques de sa temporalité – qui sont la base de l’historicité de la compréhension de l’être, trouvent leur explicitation dans la description de la vie ordinaire, dans la relation au monde et aux autres.

14Suivent trois philosophes français qui se sont abreuvés à la source phénoménologique de Husserl et Heidegger. Ils ont influencé le courant philosophique contemporain.

15Merleau-Ponty (1905-1961) rejoint Husserl dans son idée de « retourner aux choses mêmes ».

16Pour lui, la phénoménologie est le fondement d’une philosophie existentielle reposant sur l’expérience vécue, de la relation intentionnelle de la conscience au monde et aux autres.

17Sartre (1905-1961) énonce, quant à lui, un existentialisme athée. « L’être est isolé dans son être et il n’entretient aucun rapport avec ce qui n’est pas lui. Il ne connaît pas […] l’altérité […] Il est lui-même, infiniment lui-même et il s’épuise à l’être. De ce point de vue […] il échappe à la temporalité. » [3]

18Levinas (1906-1995) nous offre, au contraire, un concept de la phénoménologie qui vise l’altérité, non la totalité… Levinas relie l’altérité de l’autre à la temporalité.

19Mon intention n’est pas d’investiguer ici les différentes théories se rapportant à l’ontologie phénoménologique. Mais je suis frappée de constater que la temporalité se trouve au cœur de la plupart d’entre elles : le temps qui est, le temps qui fut, le temps qui sera. Or le temps est une question importante pour la non-directivité.

Le temps

20Lorsqu’on parle de temps, c’est l’idée de durée qui vient d’abord à l’esprit. D’une manière spécifique ou non, le temps est limité par deux dates ou deux heures ou deux minutes. Par exemple, l’été dernier (entre juillet et septembre) fut anormalement chaud ; je suis sortie faire des courses pendant deux heures (entre 2 et 4 heures) ; l’entretien dura cinq minutes (de 9 h 05 à 9 h 10). Le temps qui s’écoule peut également être ouvert à l’autre bout donnant accès au concept du temps sans fin. Toutefois, et assez extraordinairement, les notions relatives au temps incluent toujours un commencement. Il semble que la nature humaine n’accepte pas de ne pas savoir quand « cela » – quel que soit « cela » – a commencé. De nos jours, se pencher sur l’origine du monde est l’une des principales préoccupations de la science. « Que se passe-t-il après la mort ? » est également source de préoccupation pour bien des gens. Entre le commencement et la fin, et peut-être au-delà, il y a le temps. Le temps qui passe. Le temps de l’action ou de la non-action. Le temps qui stimule, ou le temps qui ennuie.

L’instant

21L’« insécable » [4] instant est cette impressionnante intemporalité de l’indescriptible solitude, parfois chaotique, qui précède toute prise de conscience avant de devenir un sentiment reconnu, existant dans la conscience. Cohen [5] dit que Levinas décrit « l’instant […] en termes de ‹ conquête › existentielle – le départ du sujet d’une existence anonyme et d’une ‹ lassitude › existentielle dont il est inéluctablement chargé ». Levinas [6] d’ajouter : « L’absolu dans la relation entre l’existant et l’existence, dans l’instant, est à la fois fait de la maîtrise de l’existant sur l’existence, mais aussi du poids de l’existence sur l’existant. » En poursuivant son analyse de l’œuvre de Levinas, Cohen [7] constate que pour Levinas « l’instant n’a ni passé ni futur, il est fragile, évanescent, muet et voit ainsi dans le passé, dans le futur, dans les horizons du monde […] un départ de lui-même ». Et Levinas [8], lui-même, de conclure : « L’altérité absolue de l’autre instant – si toutefois le temps n’est pas l’illusion d’un piétinement – ne peut se trouver dans le sujet qui est définitivement lui-même. Cette altérité ne me vient que d’autrui. »

L’autre

22À ce stade de nos considérations et pour le propos de cet article, le terme « autre » peut être appliqué à l’ «autre » qui est en moi, le « cela » se référant à « moi » en devenir. Le sujet « cela », alors anonyme, n’était pas encore considéré comme un individu. Cohen [9] nous dit que « l’itinéraire de Levinas […] nous entraîne d’une existence anonyme à l’émergence de la subjectivité, à la pratique de la subjectivité dans sa fracassante relation avec l’altérité de l’autre personne ». Il semble donc légitime de nous demander maintenant qui est l’autre ? Est-ce celui [*] qu’ennuie une solitude chaotique ? Est-ce celui dont l’existence est vide ? Est-ce celui qui, dans le flash d’un instant, entre en rapport avec lui-même, en faisant l’expérience de sortir de lui-même, expérience qui pourrait être rappelée dans l’intimité de la solitude ou dans le partage avec un autre ? Étant sorti de son passé, il entre dans le présent en vue d’un futur, appelé à devenir un passé. En sortant de lui-même, il devient l’existant maîtrisant l’existence. Il est en train de devenir, devenir un lui (ou une elle).

Dynamique temporelle

23La fulgurance, l’éclair, le flash d’un instant, illumine le présent et prépare le futur. Jean-Paul Sartre [10] dit : « Sans la succession des après, je serais tout de suite ce que je veux être, il n’y aurait plus de distance entre moi et moi. »

24À la place, il y aurait un vide. Sans la « dynamique temporelle » comme Sartre [11] appelle la succession des après qui deviennent des avants et des présents qui deviennent des futurs, le moi existant, empêché de devenir, ne serait jamais moi et demeurerait pour toujours un cela anonyme. Quel ennui ! L’ennui d’une entité non vivante, la négation de l’après. Lequel, en tant qu’entité non vivante, ne peut être le présent ni préparer le futur. Étienne Klein [12] nous avertit : « L’ennui ressemble à une pièce de monnaie […] Il a une double face […] Sur le côté pile, il est l’indice d’un manque d’être, un vide existentiel […] Sur le côté face, il offre la possibilité d’un contact ouvert sur soi. »

25Comment la dynamique temporelle est-elle créée ? Pour Kersonsky [13] traduit par Levinas et cité par Cohen, « Le temps concret vivant coule d’un instant à l’autre sans arrêt de l’un à l’autre. » La fulgurance de l’instant, qui était précédé par le présent d’avant, le passé de maintenant, éclaire le présent de l’ici et maintenant, et comme dit Lévinas [14], éclaire « un quelque chose qui est » :

26« La conscience […] est déjà ‹ hypostase › [**] ; elle se réfère à une situation où un existant se met en rapport avec son exister […] L’apparition d’un ‹ quelque chose qui est › constitue une véritable inversion au sein de l’être anonyme. L’exister est à lui… Pour qu’il puisse y avoir un existant dans cet exister anonyme, il faut qu’il puisse y avoir un départ de soi et un retour à soi, c’est-à-dire l’œuvre même de l’identité. Dans la trame infinie, sans commencement ni fin, de l’exister, [le présent] est déchirure. Il a un passé, mais sous forme de souvenir. Il a une histoire, mais il n’est pas l’histoire […] Poser l’hypostase comme le présent, [c’est] de la fonction du présent [qu’il s’agit]. Il est comme un schéma ontologique. »

L’experiencing [***]

27L’idée de l’instant va maintenant être reliée à l’idée de l’experiencing. Je limiterai ce terme à l’expérience intérieure de l’être humain existant qui prend conscience de son existence et de celle de l’autre – de l’expérience intérieure de l’existant dans le processus de maîtriser l’existence. Il s’agit du regard d’un outsider sur un processus interne.

28Si nous considérons que l’expérience est l’expression de la réalité qui tend à l’amélioration de la connaissance (qu’elle soit mentale, physique, psychologique ou autre), nous voyons que dès le début Rogers [15] a utilisé ce terme pour exprimer « la perception des rapports qu’entretiennent les faits antérieurement connus […] Ce type de phénomène nous est familier. Il se produit souvent dans la solution d’un puzzle. Ils sont tout à coup perçus dans une relation nouvelle qui fournit la solution. On parle parfois d’une expérience ‹ eurêka › à cause du flash soudain de compréhension qui l’accompagne. »

29Nat Raskin, cité par Rogers [16], évoque un « experiencing actif » des sentiments que le client exprime… Mais chez Rogers, bien qu’ici et là se trouve le terme « experiencing » utilisé en tant que substantif, comme dans l’expression « l’experiencing de l’expérience » (the experiencing of experience) [17], à ma connaissance, le concept ne semble pas avoir été considéré comme important dans son œuvre jusqu’en 1961. À cette époque il dira :

30« Gendlin a attiré mon attention sur la qualité importante de l’experiencing en tant que référent… De nouveaux sentiments sont expérienciés dans l’immédiateté et la richesse du détail, à la fois dans la relation thérapeutique et à l’extérieur. L’experiencing de ces sentiments est utilisé en tant que clair référent. » [18]

31Finalement, la description de l’experiencing par Rogers [19] fait appel au « concept de l’experiencing » tel qu’il fut formulé par Gendlin [20] en 1962 :

32« En bref, pour Gendlin, il y a dans l’organisme humain un flot d’experiencings vers lequel l’individu peut venir et revenir toujours et encore comme vers un référent pour lui permettre de découvrir la signification de ses expériences. »

33Si l’on se penche sur ce qui a été investigué jusqu’ici en ce qui concerne l’instant et l’experiencing, nous trouvons dans les deux concepts les notions de soudaineté (flash, immédiateté), de réaction corporelle, de fluidité, de continuité (flot, succession, mouvement), de départ et de retour à soi, toujours et encore, de référent et de propriété.

34On peut dire que l’experiencing est d’abord une affaire de l’instant, son apparition est immédiate et souvent implicite. Bien que la plupart du temps elle soit floue et non évidente, elle est aussi soudaine qu’un flash. Alors, comme le temps, « il coule d’un instant à l’autre, sans arrêt » [21]. Et comme le dit si bien Rogers [22] :

35« Les sentiments […] s’échappent en bulles, sourdent à la surface et […] le client n’a souvent pas conscience de ce qui l’a frappé. Et pourtant cela ne semble pas avoir eu trop d’importance car l’événement est une entité, un référent vers lequel il peut revenir toujours et encore, si cela est nécessaire, pour l’explorer davantage. »

36Lorsque quelque chose d’important se passe pour un individu au niveau émotionnel, celui-ci le ressent immédiatement, comme un coup à l’intérieur, une sorte de sensation dans le ventre, une sorte de sensation « viscérale » [23].

37L’experiencing peut sembler se relâcher, mais simplement pour persister avec une saveur différente. L’expérience qui se déroule, instant après instant, est simultanément absorbée dans un processus mental suivi d’une symbolisation floue ou claire qui se développe dans la conscience jusqu’à ce que finalement elle prenne sens. Rogers [24] relate :

38« J’en suis arrivé à apprécier ce que je pense être comme des ‹ moments de mouvement ›. [L’exploration des sentiments se poursuit jusqu’à ce que] le client trouve le mot précis qui décrit pour lui le sentiment qu’il éprouve […] C’est alors que le changement apparaît. »

39En empruntant à Van Belle [25], on peut finalement dire que l’individu « incorpore son expérience et qu’il la possède ».

Vignette

40La transcription, ci-après, d’une séance de thérapie me fut communiquée, il y a longtemps, par l’un de mes amis britanniques. Elle illustre les concepts que nous avons examinés jusqu’ici, à savoir : le vide, l’instant, la prise de conscience, la dynamique temporelle, l’experiencing, et l’autre à l’intérieur de soi.

41Le contexte dans lequel s’est déroulée cette séance de thérapie était le suivant : Maria [****] consultait un thérapeute pour ce qu’elle pensait être un problème banal. À la suite d’une mutation professionnelle de son mari, elle avait quitté Naples, sa ville d’origine, pour Nottingham, au nord de l’Angleterre, où elle habitait depuis. Elle avait été adressée à ce thérapeute par son médecin, notamment parce qu’il parlait italien. Or il ne savait rien de son passé et ne lui posa aucune question.

42Maria avait deux enfants : une fille de cinq ans déjà scolarisée et un garçon de deux ans qui devait entrer à l’école maternelle et pour lequel elle devait acheter des souliers. Or lorsqu’elle se trouvait dans le magasin, Maria perdait ses moyens – les souliers sont toujours un problème pour une Italienne – et elle ne pouvait décider quelle paire acheter. Et c’était cela, le problème banal qu’elle apportait en thérapie…

43Le thérapeute relata que, lors de la première séance, il essaya de rester ouvert à la nature du matériau qu’elle décrivait : elle semblait chercher un conseil, mais il était évident qu’il ne pouvait le lui donner. La deuxième séance se passa de la même manière que la première. Mais lorsqu’elle se présenta à la troisième avec le même dilemme, le thérapeute se sentit bloqué ; dans ce qu’elle apportait il ne ressentait pas le moindre sentiment ou image d’elle-même. Maria semblait sans émotion, sa seule préoccupation étant le choix d’une paire de souliers pour lequel elle n’avait qu’un seul critère : la qualité du cuir et la couleur. Le thérapeute sentit qu’il était de sa responsabilité de lui dire qu’il ne pouvait pas l’aider dans ce choix qui semblait lui donner tant de mal. Cependant, il fut touché par le manque apparent d’émotion de Maria et en cherchant à la rejoindre de manière empathique, il essaya de trouver un moyen de rester en contact avec elle. Alors, avec hésitation, doucement et avec bienveillance, il lui demanda :

44« Pourriez-vous me dire ce que vous ressentiez dans le magasin ? »

45La réponse partit comme une fusée. Elle avait l’air livide et dit :

46« J’ai envie de vomir, où sont les toilettes ? »

47Il lui montra le chemin. Quand elle revint, quelques minutes plus tard, elle était moins pâle. Elle s’assit plus calmement et, exténuée, elle dit :

48« Je l’ai toujours su, mais je ne pouvais pas le croire… Vous savez, j’ai déjà travaillé ça en thérapie en Italie, mais j’ai mis fin à la thérapie quand mon père a été arrêté. Je pensais que tout ça c’était fini, que maintenant je pourrais vivre normalement… Mais non, seulement maintenant… je réalise que ce n’était pas fini. »

49Longue pause et ensuite, d’une voix rapide et haletante, elle continua :

50« C’était horrible. J’ai juste vomi des bouts de chair fraîche, des bouts de ma chair… C’est horrible, je devais avoir sept ans… il me prenait sur les genoux… ses mains sous ma jupe… les doigts profondément juste là en bas… et il m’embrassait là… D’abord, j’avais un peu peur… C’était bizarre. Puis j’ai pensé « c’est mon papa, ça doit être normal pour un papa de faire comme ça avec sa petite fille »… et… je me laissais aller… j’arrivais même à y trouver du plaisir… Mais il y avait quelque chose en moi qui disait que ce n’était pas normal, alors, tout d’un coup, le plaisir cessait… jusqu’à la fois suivante… Ça dura des années, jusqu’à ce que j’aie mes règles. J’étais très jeune… à peine plus de dix ans. Parce que j’étais si jeune ma mère m’emmena chez le médecin qui m’a expliqué les choses de la vie… Je n’ai rien dit, mais ce fut comme un coup, je fus pétrifiée. Je réalisai soudain combien ce que mon père faisait était mal, combien c’était mal que j’aie eu du plaisir… et je m’arrêtai de manger… Je tombai malade et mes parents pensèrent que c’était parce que j’étais trop jeune pour avoir mes règles… Mais moi, à l’intérieur, je savais qu’on m’avait fait choisir le mal en me disant que c’était bien et ce sentiment creusait des trous comme un acide dans mon ventre. Mon papa a fait ça… Mais c’était mon papa, pouvait-il être si mauvais ? Je ne pouvais rien lui dire. Je ne pouvais rien dire ni à ma mère, ni à ma sœur, ni à mes amis… Ça ne se faisait pas… Vous savez, nous étions « una famiglia per bene » (une famille convenable)… Pas de place pour les questions… Ça a duré des années. »

51Il y eut une longue pause. Ses yeux fixaient vaguement le sol. Elle semblait descendre profondément en elle-même et chercher quelque chose… Au bout d’un moment, ses mains qu’elle avait gardées serrées sur les genoux semblèrent se décrisper et avec un soupir, elle continua d’une voix plus détendue :

52« Le moment arriva quand je dus penser à mon avenir. Maman me dit que de travailler avec des enfants serait bon pour moi. Alors j’ai choisi de faire études d’infirmières pour les bébés. Dans la formation, il y avait des cours de psychologie sociale. Pendant l’un d’entre eux je découvris ce qu’on appelait harassement sexuel et abus… et je réalisai que j’avais été abusée. Le coup fut si dur que je dus aller voir un thérapeute en urgence… Et puis… le temps passa… Je rencontrai l’homme qui devait devenir mon mari. À mon mariage, j’étais mieux, alors j’ai arrêté la thérapie… Livia est née… Clara, ma cousine, est sa marraine… on a parlé, et là… je découvris qu’elle avait également été abusée par mon père… Quel coup à nouveau ! Je dus voir à nouveau un thérapeute. Avec son soutien j’ai pu en parler à ma mère, et avec l’aide d’un travailleur social, j’ai pu avertir la police… Mon père fut envoyé en prison. »

53Les larmes coulaient maintenant sur son visage :

54« J’ai cru encore une fois que c’était terminé… Le job de mon mari a été transféré en Angleterre. Tout était nouveau… Je n’avais pas le temps de penser au passé. Marco est né… il y a deux ans… et va entrer à la maternelle. Il faut qu’il ait de bonnes chaussures. »

55Elle éclata en sanglots :

56« Maintenant, c’est seulement maintenant, je sais… c’est mon père. C’est la petite voix qui me disait que c’était mal. Mais comment ça pouvait être mal puisque c’était mon père… C’est seulement maintenant que je réalise que j’ai toujours eu de la peine à décider de ce que je devais faire… Ce fut dur de décider de mon avenir… Est-ce que Silvio, mon mari, m’aimait vraiment, est-ce que je l’aimais vraiment ? Que de questions lancinantes ? Combien ce fut difficile pour moi de choisir la maison dans laquelle nous habitons… Et toutes mes hésitations… Sans l’aide de quelqu’un (je veux dire quelqu’un qui me dise ce que je devais faire) je ne pouvais pas prendre de décision… Et maintenant c’est les souliers… les souliers qui me disent… oh ! c’est terrible. »

57Et avec des larmes de rage dans la voix :

58« Non, c’est pas les souliers… C’est les bouts de chair… c’est ma chair, c’est moi… »

59Alors, respirant profondément et un petit sourire sur les lèvres, elle dit :

60« Je vais les acheter maintenant ces souliers, vous savez… mais il faut que je me débarrasse de cette horrible sensation au-dedans de moi… »

61Avant de partir elle dit encore :

62« Merci de votre présence et merci de votre silence ! »

63Cette vignette met en lumière un flot d’expériencings instantané, chacun étant suivi d’une prise de conscience. Les caractéristiques de l’experiencing sont visibles de bout en bout. Des mots tels que « pétrifiée », « frappée », « coup » et « soudain » font ressortir l’immédiateté et la soudaineté. « Quelque chose » et « la petite voix » expriment les référents auxquels la cliente revient après un certain temps. La fluidité et la continuité sont rendues visibles par les nombreux « alors », « à nouveau », qui émaillent le récit. La répétition des mots tels que : « j’ai cru que c’était terminé », « mais », « non », « alors », met le départ de soi et le retour à soi. La prise de conscience est clairement indiquée par des expressions comme « je l’ai toujours su », « je réalisais ».

64Toutefois, ce n’est pas avant que furent prononcés les mots « ce sont des morceaux de ma chair… c’est ma chair » qu’eurent vraiment lieu la prise de conscience de Maria et l’appropriation de ses sentiments.

65« Le présent a un passé, dit Levinas [26], mais sous la forme de souvenir. Il a une histoire, mais n’est pas l’histoire ». Lorsque Maria commença sa thérapie, elle était comme le côté pile de la pièce de monnaie de Klein, un « vide existentiel » – elle avait une histoire avec laquelle elle ne pouvait pas se connecter. Son histoire commença vraiment lorsqu’elle se fut appropriée son expérience présente, son experiencing. Alors elle était en train de devenir… Elle vint en thérapie avec des questions banales – la préoccupation, en apparence dépourvue d’émotion, de choisir une paire de souliers, une histoire encore sans vie dans son présent. Peut-être a-t-elle découvert, comme le fit Mrs. Oak lors d’une séance relatée par Carl Rogers [27] : « Je suis venue ici pour résoudre des problèmes et je me trouve juste en train de faire l’expérience de moi-même. » Il ne pourrait pas y avoir de conclusion plus phénoménologiquement existentielle.

66En tant que tel, un experiencing qui porte des fruits peut être le fait de la seule personne. Mais il est non moins vrai qu’il peut encore mieux s’épanouir au sein de relations non-directives. Lorsque deux personnes sont en relation, que ce soit en thérapie ou autrement, avec l’intention de créer une relation en profondeur, elles feront toutes les deux une expérience fructueuse.

67Pour Schmid [28], « la théorie de la thérapie s’entend à la fois par développement personnel et rencontre de personne à personne. La pratique, elle, est caractérisée par la présence, c’est-à-dire une manière d’être avec le client définie à la fois par une non-directivité de principe et un regard positif inconditionnel, et par une position « contre » le client en tant que personne qui « ren-contre » l’Autre face à face […] La relation évolue du simple contact à la présence, de l’attention au co-experiencing. »

68L’exemple de la vignette nous permet d’entrer dans ce champ des relations de personne à personne et de l’explorer. Quand le thérapeute demanda à Maria comment elle se sentait dans le magasin, elle reçut comme un coup au ventre. Ainsi que cela a été dit plus haut, lorsque sur le plan émotionnel quelque chose d’important arrive à quelqu’un, la personne ressent immédiatement comme un coup à l’intérieur, une sorte de sensation viscérale. Et cette sensation viscérale qui lui était propre fit seule son chemin tout au long de la séance, au rythme qui était le sien. À la fin, Maria dit au thérapeute combien sa présence lui avait été importante. Quant à celui-ci, malgré les pauses dont certaines lui parurent longues, il ressentit que Maria s’était engagée dans un profond dialogue avec elle-même. Il est évident qu’elle connaissait son chemin ; toutefois la présence du thérapeute l’aida à l’emprunter et à le poursuivre. Toute intervention du thérapeute, quelque empathique qu’elle eût pu être, aurait soit interrompu, soit dévié le processus.

Définition du concept de la non-directivité

69Le principe de la non-directivité imprègne l’œuvre entière de Rogers, même si, comme cela a déjà été exprimé, le concept en tant que tel n’a jamais été défini. Cependant « l’attitude non-directive », comme Raskin l’a formulée en 1947, est encore utilisée pour décrire ce qui imbibe l’être du thérapeute, ce qui est à l’origine de son attitude non-directive et la guide.

70Les conditions fondamentales qui habitent le thérapeute lui permettent d’offrir sa présence au client. Il n’applique pas les conditions. Il est ces conditions et cela étant, il les offre au client. Le thérapeute répond à un appel du client, avec lui-même comme « seul outil » (Schmid) [29].

71Avec précaution, je suggérerais que la non-directivité est la capacité du thérapeute centré sur le client d’offrir au client le pouvoir de la directivité qu’il a abandonné en devenant centré sur le client. La non-directivité émane de la manière d’être du thérapeute, du déplacement naturel de la directivité du thérapeute à l’autodirectivité du client. C’est une situation positive.

72Pour Schmid [30], client et thérapeute procèdent du même « Nous ». Cette idée avait déjà été annoncée par Rogers [31] en 1961 lorsqu’il disait : « Il y a chez le thérapeute une profonde expérience du commun sous-jacent à tout homme – pourrions-nous dire de la fraternité. » On retrouve cette assertion dans la première condition du changement thérapeutique qui stipule : « pour qu’il y ait thérapie, il faut que deux personnes soient en contact » [32].

73Le thérapeute de l’exemple ci-dessus fit l’expérience de cette fraternité avec Maria, celle du blocage. Il ressentit aussi, sans savoir de quoi il s’agissait, qu’il y avait quelque chose qui couvait sous son impassibilité – il chercha comment entrer en contact avec celle qu’il avait en face, comment la ren-contrer et la comprendre. Pour ce faire, il osa poser une question. La question n’avait pas pour objet de changer Maria, ni de la diriger. C’était une manière de lui témoigner empathiquement qu’il était sensible à ce qui se passait en elle à ce moment-là. Son intention était seulement d’établir un contact avec les sentiments « qu’elle avait bien refoulés » (Rogers) [33].

74Lorsque le blocage fut dissipé, en silence il écouta Maria parler, lui donnant ainsi la possibilité de suivre son chemin : la cliente devint l’expert.

75La question qu’il lui posa n’était pas en soi indiscrète. C’était une question bienveillante qui avait pour but d’établir un contact entre un thérapeute non-directif et sa cliente en lui offrant sa propre directivité.

Conclusion

76Selon Schmid [34], « une approche est phénoménologique lorsque la direction, le mouvement va du client au thérapeute ». En thérapie, comme dans toute autre situation où une relation est engagée, la non-directivité est une sorte de réaction facilitatrice qui répond exactement aux besoins d’une approche phénoménologique. La non-directivité requiert du thérapeute (ou de l’éducateur, etc.) une manière d’être qui permette à l’autre de découvrir ses propres potentialités, de devenir directif de son existence, d’être sa manière d’être. En thérapie, la présence du thérapeute est une invitation à la présence du client. La nature ontologique de la relation est claire : « la relation passe du simple contact à la présence au co-experiencing et à l’être avec » (Schmid) [35].

77De surcroît, la non-directivité est une affaire de temps. C’est le concept ontologique d’être avec, en tant que personne en présence d’un-Autre, sur le radeau du temps-ici-et-maintenant :

78« Le temps concret vivant […] coule d’un instant à l’autre, sans arrêt de l’un à l’autre [36]. C’est l’insertion du temps de l’Autre dans le mien, qui établit l’altérité du temps véritable, qui n’est ni le temps de l’autre ni le mien [37]. C’est une fonction du présent. C’est comme un schéma ontologique. » [38]

79D’une perspective existentielle phénoménologique, on pourrait dire que la non-directivité est la qualité non-directionnelle propre à l’être humain d’être, de prendre conscience de son être, de prendre conscience de son être et de celui de l’autre, dans un même instant, dans un lieu unique. En conséquence, une réorganisation s’amorce simultanément, l’instant étant suivi d’un autre instant. Cette réorganisation appartient à l’individu ; elle a lieu à son propre rythme et suivant son aptitude du moment. C’est ce qui s’est passé pour Maria lors de la fulgurance de sa réaction à la question du thérapeute et dans les instants qui suivirent. C’est ici que le silence du thérapeute refait surface : c’était, en effet, le seul moyen de répondre à l’appel de Maria. Toute interférence ou intervention l’eut éloignée de ses sentiments. En général, une telle interférence agit comme un corps étranger dérivant le flot du changement qui s’opère. C’est un manque de respect pour la personne, pour l’autre. La personne qui ferait l’expérience d’un tel procédé serait dangereusement dépossédée de son propre processus. Comme le dit Bozarth [39] : « Non-directivité signifie directivité du client… seulement du client ».

Bibliographie

Références

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  • Klein, E. 1979, Les tactiques de chronos. Paris. Flammarion.
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  • Levinas, E. 2004. De l’existence à l’existant. Paris. Vrin.
  • Prouty G. F. 2000, Carl Rogers and experiential therapy : A dissonance ? In Person-Centred Practice : The BACPA reader. Ross-on-Wye. PCCS Books.
  • Raskin, N, J. 1947, in B. Levitt.2005. Embracing Non-directivity : Reassessing person-centred theory and Practice in the 21st century. Ross-on-Wye. PCCS Books.
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  • Schmid, P.F. 2003. The characteristics of a person-centered approach. Person-Centered and Experiential Psychotherapies, 2 (2).
  • Van Belle, H. S. 1980. Basic intent and therapeutic approach of Carl Rogers. Toronto. Wedge Publishing Foundation.

Mots-clés éditeurs : altérité, phénoménologie, attitude non-directive, ontologie

Mise en ligne 01/03/2007

https://doi.org/10.3917/acp.002.0057

Notes

  • [1]
    Rogers, 1980 : 115
  • [2]
    Prouty, 2000 : 30-37
  • [3]
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  • [4]
    Sartre, 1943 : 166
  • [5]
    Cohen, in Levinas 1987 : 5
  • [6]
    Levinas, 1987 : 132
  • [7]
    Cohen, in Levinas 1987 : 6
  • [8]
    Levinas, 2004 : 160
  • [9]
    Cohen, in Levinas 1987 : 2
  • [*]
    Note de l’auteur : le masculin s’entend dans un sens générique.
  • [10]
    Sartre, 1943 : 166
  • [11]
    Sartre, 1943 : 165
  • [12]
    Klein, 2003 : 60
  • [13]
    Kersonsky, in Levinas, 1987 : 11
  • [14]
    Levinas, 1979 : 31-32
  • [**]
    Note de l’auteur : l’hypostase signifie la nature essentielle d’un individu.
  • [***]
    Note de l’auteur : Ce terme anglais signifie « ce dont on est en train de faire intimement l’expérience ». A défaut de correspondant français, le terme anglais a été conservé. En conséquence le verbe « to experience » est traduit par expériencier.
  • [15]
    Rogers, 1780 : 207
  • [16]
    Rogers, 1951 : 29
  • [17]
    Rogers, 1961 : 76
  • [18]
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  • [19]
    Rogers, 1980 : 141
  • [20]
    Gendlin, 1962
  • [21]
    Kersonsky, 1935, in Levinas 1979 : 11
  • [22]
    Rogers, 1961 : 140, 150
  • [23]
    Rogers, 1951 : 97
  • [24]
    Rogers, 1961 :130
  • [25]
    Van Belle, 1980 : 45
  • [****]
    Note de l’auteur : toute donnée identificatrice a été modifiée.
  • [26]
    Levinas, 1979 : 32
  • [27]
    Rogers, 1961 : 80
  • [28]
    Schmid, 2003 : 110
  • [29]
    Schmid, 2003 : 114
  • [30]
    Schmid, 2003 : 114
  • [31]
    Rogers, 1961 : 82
  • [32]
    Rogers, 1959 : 213
  • [33]
    Rogers, 2005 : 71
  • [34]
    Schmid, 2003 :113
  • [35]
    Schmid 2003 : 112
  • [36]
    Kersonsky, in Levinas 1987 : 11
  • [37]
    Cohen, in Levinas, 1987 :12
  • [38]
    Levinas, 1979 : 32
  • [39]
    Bozarth, 2004
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