Notes
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[1]
URL : [www.criticalthinking.org], consulté le 17 mars 2011.
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[2]
« Dérivant du verbe grec zêtein (‹ chercher ›), la zététique désigne, au IIIe siècle avant l’ère chrétienne, le ‹ refus de toute affirmation dogmatique› (école de Pyrrhon). Utilisé par Montaigne, Viète, T. Corneille, le mot échoue dans le Littré de 1872 puis dans le Larousse de 1876 comme ‹ nuance assez originale du scepticisme : c’est le scepticisme provisoire, c’est […] considér[er] le doute comme un moyen, non comme une fin, comme un procédé préliminaire, non comme un résultat définitif ›. Le mot est finalement repris dans les années 1980 pour désigner l’enseignement critique en question. »[URL : www.zetetique.fr/index.php/dossiers/95-zetetique-definition], consulté le 18 mars 2011.
-
[3]
La filiation donnée par la pensée critique part de la maïeutique socratique jusqu’à John Dewey en passant par Pyrrhon, Thomas d’Aquin, Descartes, les Lumières, Francis Bacon… cf. Monvoisin 2007 ; [www.criticalthinking.org/aboutCT/briefHistoryCT.cfm], consulté le 18 mars 2011.
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[4]
Dorénavant, je me réfèrerai à ces titres sous la forme (titre 1, titre 2…).
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[5]
Un passage de Asking the Right Questions est révélateur. Après avoir fait le point au début du chapitre 7 sur ce qui a été fait jusqu’ici pour décrire l’argumentation, les auteurs proclament à grand renfort d’italiques : « You are now ready to make your central focus evaluation. Remember : The objective of critical reading and listening is to judge the acceptability or worth of conclusions » (2004 : 83-84).
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[6]
Autre exemple, prenant ici appui sur une métaphore transparente, tiré du titre 10 : « Our task now is to separate the ‹ fool’s gold › from the genuine gold ».
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[7]
Une abondante littérature en psychologie cognitive et sociale montre les limites de la rationalité, les biais cognitifs que nous empruntons, le recours à des heuristiques intenables rationnellement…
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[8]
URL : [www.criticalthinking.org/resources/PDF/fr-normes_intellectuelles.pdf], consulté le 17 mars 2011.
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[9]
URL : [www.fallacyfiles.org/fallfall.html], consulté le 17 mars 2011.
-
[10]
Les travaux de Marianne Doury (2003, 2006) mettent en évidence la thématisation par les débattants des normes violées à leurs yeux et stigmatisée par des accusations d’amalgame – entre autres. Les expressions telles que « cela n’a rien à voir avec le sujet » révèlent ainsi la norme de pertinence attendue entre les arguments et l’objet du débat.
-
[11]
« Tout concourt donc à nous faire penser que prétendre abandonner la vérité, sous ses élaborations philosophiques les plus sophistiquées comme sous ses formes les plus plates, a un coût proprement exorbitant. » (Engel 1998 : 79)
-
[12]
Sur ce point, on trouve des courants d’analyse qui poussent à l’engagement du chercheur-analyste. Roselyne Koren souhaite ainsi remettre en question le « silence du linguiste interprète qui s’esquive au moment de l’évaluation éthique de mises en mots inacceptables à ses yeux et/ou à ceux des normes de la société dont il fait partie » (Koren 2002 : 201, je souligne). Ma position, comme on le verra, est intermédiaire entre le silence non-interventionniste et l’engagement intégral.
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[13]
Marc Angenot semble parler plutôt de nuances de gris et s’écarte des zones blanches et noires…
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[14]
J’emploie le verbe « paraître » à dessein : un analyste n’est que rarement un expert d’un domaine. L’expertise critique que j’ai faite ici consiste à voir si l’argumentation proposée est fragile plutôt que sa vérité/fausseté. Par contraste, l’affirmation « Il n’y pas eu de génocide par l’homme de Cro-Magnon » aurait été fragile : le raisonnement par le signe n’est en effet jamais définitif et conclusif, or l’assertion imaginée ici n’exhibe pas le caractère probable de cette conclusion.
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[15]
Je fais allusion ici en filigrane à la question classique en analyse de discours de l’articulation du discours et d’un lieu social.
Voir les travaux de Dominique Maingueneau [http://dominique.maingueneau.pagesperso-orange.fr/conclusion2.html], consulté le 17 mars 2011. -
[16]
URL : [www.revue-signes.info/document.php?id=821#tocto12], consulté le 17 mars 2011.
-
[17]
Les ethnométhodologues pratiquent couramment l’exercice du breaching qui consiste précisément à provoquer une rupture des attentes, comme utiliser l’adresse « Votre Honneur » à son père…
-
[18]
Pour un exemple d’analyse interprétative comme j’entends la pratiquer, voir : [http://www.thierryherman.ch/analyses/campagne-sur-les-armes-de-pietres-arguments/].
1Good Reasoning Matters ! La découverte du titre d’un manuel américain d’initiation à l’argumentation, et plus précisément à la pensée critique (Groarke & Tindale 2004), m’a fait sourire. Ce credo exprimé sur le mode exclamatif avait une dimension excessive que j’attachai dans un premier temps à une stratégie de marketing. Mais le fossé culturel est en fait plus profond que cela. En observant un peu plus attentivement les publications qui s’inscrivent dans le courant du Critical Thinking, on constate un fourmillement de manuels correspondant à une discipline largement étudiée aux États-Unis et donnant même lieu à une fondation pour sa promotion [1]. Pour illustrer cette richesse, Jennifer Moon affirme dans son propos liminaire : « Critical thinking is considered to be central to higher levels of education or a fundamental goal of learning. […] A simple search on Google shows that critical thinking has a central role in education and this is evident in mission statement information for higher education, professional bodies and programs » (2008 : 6-7). On le voit, on n’a pas affaire à un courant mineur et méconnu, mais à une discipline qui paraît incontournable. L’avantage du Critical Thinking dépasse même le cadre de l’enseignement. Pour Robert Ennis, en effet, la discipline est essentielle à la survie de la démocratie (« essential to the survival of a democratic way of life », 1996 : xvii).
2Du côté francophone, en revanche, si la mission des Universités, selon une doxa largement répandue, est bien de promouvoir l’esprit critique, le seul courant qui se réclame ouvertement de cette ligne de pensée est le courant sceptique incarné par les zététiciens [2]. L’esprit critique est alors conçu comme un outil dont le but essentiel est de déjouer les fraudes des pseudosciences et autres charlatanismes. Mais, à ma connaissance et à cette exception près, l’esprit critique est conçu comme un bénéfice acquis par des années de formation universitaire plutôt que comme une discipline propédeutique. Il n’a rien d’aussi central et d’aussi évident que Moon semble le décrire pour la situation américaine. Odile Chenevez fait même un constat diamétralement opposé à la pratique pédagogique américaine : « On n’enseigne pas l’esprit critique, il n’existe aucune méthode d’esprit critique en cinquante leçons » (cité par Monvoisin, 2007 : 10). Quant à la désignation « pensée critique », qui serait la traduction littérale du concept, elle est encore moins répandue à première vue : les références que l’on peut trouver en effectuant une recherche sur internet renvoient le plus souvent à des travaux québécois.
3On peut donc prendre acte de ce fossé culturel et il serait possible de s’interroger sur les causes de son existence. Il y a sans doute des raisons historiques à cela. Mais le but du présent article n’est pas de proposer une enquête sociologique ou diachronique tant sur l’histoire du Critical Thinking – les ouvrages sont d’ailleurs peu diserts à ce sujet [3] – que sur les différences dans l’enseignement. Il s’agit plutôt de s’interroger, en adoptant une « perspective métathéorique » (Micheli 2009), sur la rhétorique des manuels de Critical Thinking. S’y intéresser permettra à mon sens de mesurer par contrecoup les résistances que les écoles francophones d’argumentation éprouvent à l’égard d’un regard normatif et de se demander, en fin de parcours, s’il n’y a pas moyen de traverser ce qui constitue un véritable mur épistémologique entre deux camps – mur qui, d’ailleurs, montre d’ores et déjà des signes de fragilité.
4Rappelons que les théories anglo-saxonnes de l’argumentation développent un discours ouvertement normatif. Dans cette perspective, l’école pragma-dialectique pose d’abord la nécessité d’un idéal de rationalité, « à partir duquel sera mis au point un modèle théorique de l’argumentation acceptable » (van Eemeren & Grootendorst 1996 : 10). La logique informelle, Ralph Johnson en tête, pose le problème de la même façon dans Manifest Rationality (2000) : elle souhaite définir ce qu’est une bonne argumentation et élaborer, à partir de cette définition, une théorie normative adéquate. Cette école pose donc a priori les conditions idéales d’une argumentation considérée comme bonne. À l’inverse, l’approche francophone de l’argumentation ne prend pratiquement jamais parti sur ce qu’est une bonne ou une mauvaise argumentation. Plus influencée par la linguistique que par la philosophie et la logique, elle tend même à occulter l’idée de norme pour promouvoir une approche purement descriptiviste – les représentants à l’extrême de cette position épistémologique étant sans doute les théoriciens de l’argumentation dans la langue.
5Au-delà de la caricature, le rejet massif que l’on observe dans la dernière mouture de la théorie de l’argumentation dans la langue (la théorie des blocs sémantiques) par rapport à l’argumentation classique trouve un pendant dans l’intégration d’un discours très normatif dans le Critical Thinking. Je souhaite montrer ici que si l’une des différences majeures entre les approches anglo-saxonne et francophone se situe clairement sur le rapport aux normes, le Critical Thinking, intégrant l’approche normative, cristallise cette différence : cette discipline pragmatique à forte visée propédeutique développe une rhétorique « conquérante » en livrant des promesses d’efficacité et de nécessité éducative.
6J’observerai dans un premier temps, dans certains lieux stratégiques du péritexte des ouvrages consacrés au Critical Thinking, cette rhétorique dans laquelle l’intégration des normes est naturelle. Ensuite, je tenterai de voir si ce rapport aux normes s’exerce de façon monolithique ou si l’on trouve des nuances dans la manière de « faire avec » les normes. Cette observation débouchera sur l’examen du rapport aux normes du côté francophone et par une réflexion visant à produire quelques propositions ou contre-propositions pour donner une posture véritablement critique et non dogmatique à l’analyse de l’argumentation.
Analyse péritextuelle du corpus : les promesses du Critical Thinking
7Bien que le choix soit particulièrement vaste, j’ai limité mon analyse à dix ouvrages se réclamant de près ou de plus loin du Critical Thinking. Les voici dans un ordre aléatoire [4] :
- Good Reasoning Matters ! de Leo Groarke et Christopher Tindale (2004), déjà cité, dont le sous-titre est A Constructive Approach to Critical Thinking. Ce manuel est publié aux presses universitaires d’Oxford.
- Critical Inquiry de Michael Boylan (2010), paru chez Westview et dont le sous-titre est The Process of Argument.
- Critical Thinking de Robert H. Ennis (1996). Un ouvrage paru chez Prentice Hall qui est souvent cité dans le domaine.
- Writing Logically, Thinking Critically, manuel de Sheila Cooper et Rosemary Patton (2007) paru chez Pearson.
- Critical Thinking. Reading and Writing de Sylvan Barnet et Hugo Bedau paru chez Bedford et dont la 5e édition date de 2005.
- Critical Reasoning. A Practical Introduction, 2e édition du livre d’Anne Thompson paru chez Routledge en 2002.
- Critical Thinking. An Introduction, rédigé par Alec Fisher (2001) pour les presses universitaires de Cambridge.
- The Power of Critical Thinking écrit par Lewis Vaughn, 2e édition parue en 2008 pour les presses universitaires d’Oxford.
- Critical Thinking. An Exploration of Theory and Practice, par Jennifer Moon aux éditions Routledge (2008).
- Asking the Right Questions : a Guide to Critical Thinking par M. Neil Browne et Stuart M. Keeley, dont la 9e edition date de 2009.
8L’une des premières approches que l’on peut appliquer à ce corpus consiste en l’examen du péritexte éditorial et auctorial (Lane 1992). Au-delà du titre, la quatrième de couverture, en particulier, est une composante du péritexte qui amplifie les promesses du livre, « plein[e] d’appréciations mélioratives à vocation publicitaire ou promotionnelle » (von Münchow 1995 : 98). On peut donc supposer qu’on pourra y trouver des promesses liées à l’apprentissage de ce savoir-faire qu’est le Critical Thinking.
9À l’analyse, la stratégie éditoriale mise en œuvre dans les quatrièmes de couverture consiste majoritairement à insister sur les qualités de l’ouvrage, en convoquant parfois d’élogieux témoignages d’universitaires. Tout se passe comme si le courant était déjà si connu et ses avantages si évidents que l’enjeu consistait plutôt à se distinguer desautres ouvrages sur le même sujet. Prenons pour exemple le titre?8, dont la quatrième de couverture affirme que l’ouvrage « explores the essentials of critical reasoning, argumentation, logic and argumentative essay writing while also incorporating material on important topics that most other texts leave out ». Les traces linguistiques mélioratives sont nombreuses (« essentials », « important » rien que dans cette phrase), mais font systématiquement l’apologie du livre et non de la discipline.
10Seuls trois titres font véritablement l’article de la discipline. Dans Critical Inquiry (titre?2), la quatrième de couverture commence par « This informative book is a necessary companion for anyone seeking to uncover the secret of successful persuasion ». Ce livre promet donc la découverte du secret de la persuasion : une pierre philosophale qui fleure bon le succès (successful). N’y peut-on pas lire une forme de hiatus entre la démarche analytique et éthique souvent proclamée du courant, et la démarche appliquée qui semble viser le contraire ? La promesse livrée vise à la fois à ne plus être dupe des raisonnements fallacieux et à pouvoir maîtriser un « secret » permettant de persuader. On constate une forme d’ambiguïté entre la démarche analytique défensive nécessaire pour dévoiler (« uncover ») et ne pas se laisser berner par les procédés utilisés dans la publicité ou les emails de phishing (des exemples donnés ailleurs dans cette même quatrième de couverture) et une posture offensive promettant le succès par la persuasion.
11Les deux autres textes à faire la promotion de la pensée critique insistent quant à eux sur l’absolue nécessité de devoir répondre aux multiples argumentations qui nous sont proposées. Ainsi Good Reasoning Matters ! (titre?1) se proclame « designed to develop the skills students need to respond effectively to […] messages ». À nouveau, les capacités analytiques se doublent d’une promesse d’un meilleur savoir-faire, plus efficace. Enfin, Critical Reasoning (titre?6) n’hésite pas à passer par le pathos en commençant la quatrième de couverture par l’implication de l’auditoire : « Do other people’s arguments tie you in knots ? Do you lack confidence in your ability to reason ? Do you assume that everything written in newspapers must be true ? ». On devine bien sûr que la lecture du livre permettra de modifier ces comportements qui empêchent l’homme ou la femme moderne de se réaliser pleinement. La sagesse dont on récoltera les fruits révèlera « the importance of reasoning well and of improving the reader’s skill in analysing and evaluating arguments ».
12On ne tirera pas de conclusions hâtives à partir d’un corpus aussi restreint dont seul un échantillon met en scène, dans la quatrième de couverture, le bonheur qui résultera de l’apprentissage des techniques de la pensée critique. Mais on notera d’ores et déjà l’idée sous-jacente selon laquelle la pensée critique permet non seulement de décrire les différents raisonnements, mais aussi de les juger. Les exemples cités – journaux, publicités, phishing – convoquent la nécessité de résistance par rapport aux messages envahissant notre quotidien, ainsi que la nécessité de pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie. Autrement dit, la démarche descriptive n’est qu’un palier nécessaire pour un but évaluatif qui est posé comme l’évident aboutissement du processus.
13La démarche évaluative perçue comme la seule raison d’être du courant semble découler naturellement de la posture analytique. Citons quelques exemples tirés des quatrièmes de couverture attestant cette forme du flux continu entre deux activités : « Improving the reader’s skill in analysing and evaluating arguments » (titre?6, passage déjà cité), « ability to interpret, analyse and evaluate ideas and arguments » (titre?7), « checklist useful for judging already stated ideas » (titre?3) [5], « emphasizes not just how to evaluate arguments but how to construct them » (titre?1). Dans ce dernier exemple, on voit par la construction de la phrase que la plus-value du livre est la compétence de production des arguments qui en résulte alors que la question de l’évaluation semble être un minimum nécessaire.
14Cette évidence de l’évaluation pourrait être documentée par un autre indice péritextuel : les tables des matières. Dans Critical Reasoning par exemple (titre?6), les deux premiers chapitres sont « Analysing reasoning » puis « Evaluating reasoning ». Dans Critical Thinking (Titre?7), Alec Fisher consacre la première moitié du livre à comprendre le raisonnement (« Understanding reasoning ») et l’autre moitié à évaluer (« Judging the credibility of sources », « Evaluating inferences »). Cette même disposition est offerte par Good Reasoning Matters ! (titre?1) : dès la page 133 (sur 470), le chapitre prépare l’évaluation argumentative : « Strong and Weak Arguments : Preparing for Evaluations ». Quant à Asking the Right Questions, son sommaire exhibe les « bonnes » questions évoquées par le titre, dont la moitié porte sur les sophismes ou sur la qualité des raisons appelées à légitimer un point de vue (« How good ? »). Dès la moitié du livre, l’ouvrage se préoccupe de l’évaluation des arguments avec l’idée que le langage doit être univoque, le raisonnement impeccable, les preuves fiables, les omissions involontaires. Pratiquement tous les ouvrages de la liste proposée passent par la description et le rejet des sophismes (fallacies).
15Jusqu’ici, la question de l’évaluation est une évidence. Le Critical Thinking ne s’envisage que comme une pièce de monnaie dont le revers de la description analytique s’appelle l’évaluation normative. Si cette position théorique est récurrente, sinon dogmatique, il existe cependant différentes manières d’envisager le courant de la pensée critique.
De significatives différences de perspective
16« Critical thinking is a process, the goal of which is to make reasonable decisions about what to believe and what to do », affirme Ennis dans un ouvrage qui fait autorité dans le domaine (1996 : xvii). La visée téléologique de la pensée critique constitue, dans cette perspective, une décision à prendre, au-delà de la question de l’évaluation. Or, la rhétorique est fondée sur la même finalité. Ce rapprochement entre les deux courants, marginal quand bien même Ennis est considéré comme l’un des pionniers du Critical Thinking, met en perspective deux points qui illustrent des manières divergentes d’apprécier la discipline.
17Premièrement, Ennis se situe en décalage assez net avec d’autres manuels qui proposent de s’inspirer des critères d’évaluation pour écrire ensuite des essais argumentés échappant aux critiques. Les normes passent alors d’un statut d’évaluation a posteriori vers un statut prescriptif a priori. La démarche change alors au point de dénaturer l’objet même de la pensée critique : ce n’est en effet plus tellement la pensée, voire la décision, qui est centrale dans l’application à des écrits argumentatifs.
18Deuxièmement, le critère d’évaluation fait entrer en jeu le caractère raisonnable, et non rationnel, des argumentations : la différence épistémologique est significative. On l’a vu en introduction, certains travaux prototypiques des approches normatives anglo-saxonnes se basent sur des fondements explicitement rationnels. Ils prennent appui sur des critères et des standards de rationalité à l’écart de tout calcul sur la vraisemblance des arguments livrés dans une situation donnée. La tradition de l’examen logique des arguments est encore très prégnante. Or, apprécier les arguments selon leur caractère raisonnable, c’est ancrer une évaluation pratique de l’argumentation dans un contexte de vraisemblance. En ce sens, Ennis se démarque d’autres manuels. Pour Lewis Vaughn (titre?8) par exemple, l’objet central de la pensée critique concerne la qualité de la pensée. Cette qualité est évidemment déterminante pour la conduite de l’être humain dans le monde social. Cependant, Vaughn radicalise assez vite le propos par la définition qu’il donne de la pensée critique : « The systematic evaluation or formulation of beliefs, or statements, by rational standards » (2008 : 4). D’une part, on voit la tendance déjà soulignée à passer de l’évaluation à la production des arguments, comme s’il s’agissait d’une continuité naturelle ; d’autre part, ce passage est assuré par le respect de normes (« standards ») rationnelles, hors situation d’énonciation et calcul de vraisemblance.
19À cette première opposition entre « raisonnable » et « rationnel » se superpose une autre division significative entre les arguments bons/mauvais et les arguments forts/faibles. Dans leur majorité, les travaux du courant vont introduire l’idée que des arguments sont inacceptables ou mauvais (Baggini 2008), renvoyant implicitement à un code éthique préétabli et unanimement partagé. Ainsi, Critical Reasoning (titre?6) pose frontalement le problème :
« Once we understand both the explicit and the implicit reasoning in a passage, we are in position to assess whether the reasoning is good. There are two questions involved in this assessment : 1. ‹ Are the reasons (and any unstated assumptions) true ? ›, 2.??‹ Does the main conclusion (and any intermediate conclusion) follow from the reasons given for it ? › The answer to both of these questions must be‹ yes › in order for an argument to be a good argument. »
21La dimension normative qui élève les « penseurs critiques » au rang de juges du discours est intégrée de manière non problématique [6]. La façon de présenter le problème témoigne d’une rhétorique de la simplification qui peut surprendre : une grille d’analyse avec deux questions suffirait ainsi à trancher entre de bonnes et mauvaises argumentations. Aucune réflexion n’est menée sur les raisons de considérer tel argument comme bon ou mauvais, surtout que l’appui éthique est une évidence. Ainsi « bon » ou « mauvais » argument ne doit jamais se comprendre sur le plan de l’efficacité rhétorique et sur le rapport entre l’argument et la situation de communication rhétorique. C’est par essence que l’argument est bon ou mauvais, indépendamment du contexte d’énonciation.
22D’autres manuels se montrent en revanche plus nuancés que Critical Reasoning, à l’image de Good Reasoning Matters ! :
« In evaluating arguments, we can usefully distinguish between those that are strong and those that are weak. […] We can say that a ‹ strong › argument provides evidence that should convince a reasonable audience that its conclusion should be accepted ; a ‹ weak › argument does not. […] We describe good and bad reasoning in terms of ‹ strong › and ‹ weak › arguments because the two terms indicate that the strength of an argument is not a black-and-white affair. »
24Cette prudence dans l’analyse est assez rare parmi les théoriciens du courant pour être signalée – et va à rebrousse-poil du titre dans lequel « good reasoning » est bien présent. Ce sont les mêmes auteurs qui signalent que bien des sophismes (« fallacies ») décrits comme tels se révèlent être des arguments plutôt valables dans certaines circonstances (2004 : xiv). La présence du conditionnel (« should ») dans la citation précédente ainsi que le symptomatique retour du caractère raisonnable de l’auditoire tendent à placer l’évaluation de l’argument dans une perspective proprement rhétorique. Entrent en jeu en effet l’adéquation à l’auditoire et la finalité rhétorique putative (« should convince »). On mesure alors la différence entre une approche déconnectée de la situation rhétorique, qui tend à évaluer les arguments selon une forme de « black-and-white fallacy » au nom d’une raison désincarnée, et une approche tenant compte des contraintes situationnelles, voire des faibles capacités de l’exercice de la raison dont l’homme fait preuve [7].
25Cette démarcation par rapport à la ligne dure qui consiste à rejeter tout sophisme est plutôt une exception, mais elle change considérablement la perspective, car elle introduit des zones grises dans l’argumentation sous la forme d’un continuum entre l’argument faible et l’argument fort, là où les autres travaux utilisent froidement une série de critères séparant l’inacceptable de l’acceptable.
Des normes largement implicites
26Mais quelle est cette liste de critères ? Il n’est pas facile de les trouver dans les manuels, justement parce que les critères vont de soi, sont posés comme certains, partagés, non problématiques. Globalement, l’approche s’appuie assez fortement sur les standards de la logique informelle proposés par Trudy Govier dans A Practical Study of Argument (1997) et repris par Michel Dufour en français (2008). Ce dernier convoque trois vertus pour l’argumentation : « vérité ou acceptabilité de chaque prémisse » (2008 : 128), « pertinence des prémisses » (ibid. : 133), « conclusion bien étayée » (ibid. : 139). Parfois, on le voit ici avec Dufour, les normes à l’œuvre convoquent la question de la vérité – comme si la vérité était toujours une et indivisible et comme si le langage se donnait dans un rapport de transparence avec le monde. Dans l’ouvrage de Govier cité, elle évoque l’acceptabilité des prémisses dans un rapport un peu plus complexe avec la question de la vérité. Ces normes sont clairement inspirées de la logique, mais Paul et Elder [8] proposent des standards qui renvoient plutôt à une attitude intellectuelle qu’ils clament « universelle ». Ils convoquent alors comme standards : la clarté, l’exactitude, la précision, la pertinence, la profondeur, l’ampleur, la logique, la significativité, l’équité. À l’évidence, on se situe dans une ligne très platonicienne qui « […] encourt le risque d’une rhétorique paralysée, correcte sans doute, mais mortifère et mortifiante » (Danblon 2004 : 9).
27Ces normes, bien que posées comme étant aussi naturelles et évidentes qu’universelles, cachent sous leur aspect rassurant ce qu’elles excluent, qui n’est rien de moins que le principe fondateur de la rhétorique : la capacité de susciter l’adhésion d’un auditoire particulier. Aucun manuel de Critical Thinking parmi ceux que j’ai cités ne renferme dans son index l’entrée « rhétorique ». À l’exception d’un seul (titre 9), qui mentionne le Critical Thinking comme une critique de la rhétorique, à savoir une critique contre l’usage ambigu ou fallacieux du langage. Une faute de raisonnement conduit à une sanction immédiate, indépendamment de toute situation particulière : « You should reject reasoning when the author equivocates » (Browne & Keeley 2004 : 98). Toute ressemblance avec les tables de la Loi paraît volontaire. Imposé par une instance supérieure inconnue, ce conseil, imprimé en gras, écarte toute velléité de plaidoyer contraire. Entre les deux normes qui traversent le plus souvent ces ouvrages, acceptabilité et pertinence des prémisses, le recours à l’expression équivoque, échouant sur la première, se voit octroyer une fin de non-recevoir.
28Ce bref parcours à travers différents manuels montre un rapport figé à la norme. La nécessité évaluative est pleinement assumée, mais la manière d’évaluer s’inscrit dans une rhétorique de l’évidence écrasante, en aval de toute discussion sur la nature de ces normes. Même si on se doute bien que ce n’est pas le rôle des manuels que de problématiser une question dont la complexité est évidente, l’extrême assurance affichée selon laquelle il suffit de quelques procédures simples pour trier le bon grain de l’ivraie surprend. Elle conduit assez radicalement, me semble-t-il, à ce que certains appellent « the fallacy fallacy [9] » : trouver un raisonnement fallacieux suffit à rejeter l’argument. L’hypothèse selon laquelle un argument peut être bon ou mauvais semble aller de soi dans ces manuels – à l’exception signalée de Groarke et Tindale (titre 1) qui ont, à mon sens, fait un pas décisif en parlant d’arguments « faibles ».
Intégrer les normes : de l’approche descriptive à la perspective critique
29Si l’idée d’écarter les normes est absurde sous la plume des auteurs de manuels américains, on est surpris par leur absence du côté francophone. Par exemple, dans le manuel de Ruth Amossy, L’argumentation dans le discours, la description minutieuse du système rhétorique fait l’impasse sur d’éventuelles normes du discours. En cela, cet ouvrage s’inscrit dans la suite assez évidente de « l’argumentativisme généralisé » (Micheli 2009 : 20). En effet, les approches de la théorie de l’argumentation dans la langue comme celle de la logique naturelle clament leur valeur uniquement descriptive. Le travail de Ruth Amossy s’inscrit aussi dans la suite des deux ouvrages qui ont marqué en profondeur l’étude de l’argumentation dans le champ francophone : The Uses of Argument de Stephen Toulmin et le Traité de l’argumentation de Perelman et Olbrechts-Tyteca. Or, ces deux travaux ont une volonté très descriptive et, dans leur écart par rapport à la logique formelle, évitent d’aborder la question de la validité de l’argumentation et s’affichent « comme des modèles positifs du discours rationnel » (Plantin 2009 : 59).
30Cette remarque sur l’ouvrage de Ruth Amossy n’a rien d’exceptionnel. Côté francophone, la démarche de présentation de la rhétorique s’arrête souvent, parfois explicitement, à la description des discours argumentés, comme si l’évaluation ne devait pas être au programme :
« Les recherches sur les fallacies y [en France] sont peu influentes, comme en témoigne la méconnaissance persistante de l’œuvre de Hamblin, ainsi que de celles qui s’inscrivent dans la ligne de recherche qu’il a ouverte ; méconnaissance qui, d’ailleurs, n’inhibe pas les réactions verbales négatives vis-à-vis de la théorie des fallacies. »
32Cette prudence, sinon cette méfiance, est-elle de bon aloi ? Peut-on se permettre de faire l’économie du rapport aux normes ? Telle est la question que je souhaiterais aborder dans la suite de mon propos.
33En premier lieu, je ne crois pas à un discours argumentatif pur et virginal. Induire en erreur est fréquent dans la persuasion, que ce soit volontairement (manipulation) ou non (illusion cognitive), sans compter que le régime de l’erreur et de la vérité doit aussi se repenser en fonction des situations de communication, des territorialités rhétoriques, des normes sociales. En outre, les lois de la logique et de la probabilité ne constituent qu’une des voies, peut-être même pas la plus courante, de la rationalité :
« Kahneman et Tversky, notamment, ont ainsi montré que les sujets étaient loin de respecter les lois de la logique ou des probabilités. Ils utilisent par exemple des heuristiques qui, certes, leur permettent de gagner du temps, mais qui ont tendance à produire des biais cognitifs conduisant à différentes formes d’erreurs. Par ailleurs Nisbitt et Ross ont pu mettre en évidence le recours assez systématique à des schémas (scénarios, stéréotypes) qui, eux aussi, sont susceptibles d’entraîner des biais cognitifs quasiment irrépressibles. »
35Les erreurs de raisonnement, les illusions cognitives, le recours à des heuristiques friables révèlent certes que l’idéal d’une raison désincarnée et toujours juste est inatteignable, mais aussi que la courante violation des normes ne nécessite pas l’adoption d’un discours les condamnant ou visant à les éradiquer : certaines illusions cognitives sont justement décrites comme « irrépressibles ».
36Toujours est-il que la violation des normes est descriptible, ce qui force l’analyste du discours argumenté à s’y intéresser, ne serait-ce que parce que la démarche évaluative est naturelle [10]. Comme le dit aussi Plantin : « On doit admettre que c’est une caractéristique non pas accidentelle, mais essentielle de l’argumentation que d’être évaluée » (2009 : 65), mettant en évidence que les acteurs de l’argumentation commentent de manière méta-argumentative les propositions faites en cours d’échange et écartent les argumentations captieuses. On mesure ici qu’un moyen habile de traiter des normes sans adopter une posture évaluative est de décrire leur fonctionnement par l’analyse des moments méta-argumentatifs, en observant ainsi comment les acteurs intègrent et commentent les normes. Aussi nécessaire que soit la démarche, on peut se demander s’il faut une fois de plus s’arrêter là. Si on veut aller plus loin, la question est d’une part d’imaginer comment intégrer la question des normes et des évaluations, sans dénaturer la rhétorique et la liberté de sa parole, et, d’autre part, de se positionner sur le rôle de l’analyste de discours.
37La diabolisation des paralogismes ou fallacies conduit, comme on l’a vu dans notre corpus, premièrement à un certain dogmatisme, deuxièmement à faire de l’analyste un juge sanctionnant sur la base de lois argumentatives et, troisièmement, à attribuer à la faillibilité naturelle de l’être humain une dimension morale de l’ordre de la faute. Je crois possible d’écarter résolument ces risques en adoptant une posture critique. Si l’évaluation est une « caractéristique essentielle de l’argumentation », on ne se demandera pas, dans la perspective critique que j’adopte, si telle ou telle argumentation est bonne ou mauvaise (regard moral), mais on tâchera plutôt de mesurer en quoi elle est forte ou fragile.
38Ce regard critique (qui suppose une description et une analyse de l’argumentation en contexte de profération) n’est pas seulement un changement de vocabulaire, c’est aussi passer des normes de prescription (impliquant des sanctions) à des normes de régulation. L’importance de ces deux types de normes a été relevée par Emmanuelle Danblon. À propos des maximes de Grice, elle se demande : « […] Sont-elles déontiques, au sens où elles suggéreraient que la réalité ‹ doit › correspondre à leur description ? Ou alors sont-elles régulatrices au sens où elles permettraient de modéliser une réalité décidément plus complexe ? » (Danblon 2005 : 105). Le cheminement opéré par Douglas Walton entre ses premiers travaux, dans lesquels il se livre à une analyse scholastique des fallacies, et Argumentation Schemes (2008), dans lequel il renonce au concept même de fallacy au profit de schèmes argumentatifs défaisables, illustre une évolution de l’option prescriptive à l’option régulatrice.
39Reste à savoir comment fonder la critique : c’est lancer ici un programme de recherches qui ne peut être qu’esquissé. La distinction que je propose des strates de la rhétorique (Herman à paraître) pourrait contribuer à clarifier les objets de la critique.
Les lieux d’exercice de la critique
40Je ne crois pas travestir la position aristotélicienne en la résumant ainsi : la rhétorique, amorale, doit être gouvernée par une éthique si elle ne veut pas être sophistique. Bien qu’exercice de la liberté de penser et de parler, elle ne saurait être ultralibérale, loin de toute norme et de toute régulation, sans pour autant être muselée par une série de normes déontiques a priori. Cet exercice en équilibre instable est possible. Il est même nécessaire si l’on veut préserver la possibilité de délibération.
41Trop normée a priori, la rhétorique perd sa raison d’être, sclérose la possibilité de débat accessible à chacun, rend même d’une certaine manière impossible le débat en neutralisant par avance la parole polémique, en ne le rendant accessible qu’à des personnes très formées, voire, comme l’a lu plus haut, en écartant sans discussion la parole fautive. Trop libérale, elle autorise n’importe quelle parole, remet en question n’importe quelle croyance ou vérité, fait prendre des vessies pour des lanternes et rend pareillement la discussion impossible, car condamnée à être régressive à l’infini faute d’accord sur des fondements partagés. Cette navigation entre deux eaux est la condition même d’un exercice critique.
42Dans mon approche par strates rhétoriques, je fais correspondre les normes régulatrices à chaque strate : opinion, argumentation, échange. Au niveau de l’opinion, le refus du relativisme absolu qui conduit à considérer que chaque opinion vaut une autre. Au niveau de l’argumentation, la discussion critique qui permet d’observer les argumentations faibles ou fortes, défaisables ou résistantes, le degré de vraisemblance des prémisses. Au niveau de l’échange, l’analyse des règles du jeu, les normes cadrant le débat. Pour chacun de ces points, je ne donnerai ici que quelques éléments, en renvoyant à d’autres travaux sur cette matière.
Strate de l’opinion : entre relativisme et dogmatisme
43Aristote affirme dans les Topiques que discuter de la blancheur de la neige ou de savoir s’il faut aimer ses parents ne mérite pas de réponse raisonnée. Il est des évidences sensibles ou éthiques qui ne doivent pas faire problème ; prétendre le contraire est faire preuve de folie. Cette position finalement assez saine de couper court à des spéculations oiseuses, qui suppose une défiance vis-à-vis du langage qui rend possible ce questionnement, court néanmoins le risque du dogmatisme et de la discussion critique forclose. D’un autre côté, seuls les relativistes pourraient soutenir que le négationnisme a autant droit de cité que les théories historiques concurrentes ou que le plaidoyer pour la pédophilie peut tout autant être défendu que sa condamnation :
« Le relativisme conséquent s’interdit par principe de considérer que certains jugements de valeur sont objectivement vrais et d’autres faux, que certains choix de valeurs et certaines idéologies morales sont objectivement inacceptables ou objectivement inférieurs à d’autres. »
45Toute la question philosophique de l’interprétation de la vérité (Engel 1998) entre en jeu : comment se situer entre deux naïvetés, la théorie de la vérité-correspondance et la théorie de l’évitement, sinon de l’abandon de la vérité [11] ? Sans vouloir pleinement intégrer ce débat, faute de compétence, je m’appuie sur le rationalisme critique de Karl Popper qui offre à mes yeux une réponse satisfaisante à la double impasse :
« En bref, le rationalisme critique propose un modèle de la connaissance dans lequel la justification devient un objet normatif. Cette norme doit être vue comme un principe régulateur qui permet de formuler des prédictions raisonnables (contrairement à ce que soutient le pessimisme épistémologique), bien que celles-ci demeurent à jamais discutables (contrairement à ce que soutient l’autoritarisme épistémologique). »
47Dans un tel cadre, il est possible de proposer une opinion – une théorie – qui sera toujours falsifiable et qui n’est pas déjà falsifiée. Le négationnisme a été amplement et abondamment infirmé au point que défendre cette théorie, c’est défier une norme que l’on a acceptée en tant que vérité. Ce qui, en soi, n’est pas impossible – les normes de la vérité ne sont pas immuables, si l’on songe par exemple au bouleversement produit par le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme. Mais défier de telles normes exige d’une part de le faire « depuis les valeurs de la communauté, au nom de la communauté, en tant que membre de la communauté » (Danblon 2004 : 73) ; le droit à la critique et à l’argumentation ne s’exerce pas hors les murs, montre bien Emmanuelle Danblon. D’autre part, défier ce qui est admis comme vérité suppose d’être en charge de la preuve : « Puisque c’est lui qui argumente, c’est lui qui a la charge de la preuve. Cela signifie que, dans le jeu du débat, c’est celui qui critique qui doit faire l’effort de convaincre, de gagner l’assentiment d’un auditoire, lequel adhère a priori aux normes de la société » (Danblon 2004 : 70). Enfin, on dira qu’assigner à la vérité un statut de norme régulatrice n’est pas sacraliser la vérité, mais en faire une convention collective, admise jusqu’à preuve du contraire. Cette dimension pragmatique, concrète, de la vérité à hauteur d’homme est la condition même de l’acte toujours renouvelé de persuasion :
« Si je doute du contenu positif de ‹ vérité ›, je dois voir que l’essentiel, qui subsiste, impossible à éliminer et distinct, est que les gens qui débattent prétendent chercher la vérité, affirment la vérité de leurs conclusions et en persuadent (ou non) les autres, qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de le faire. »
Strate de l’argumentation : raisonnements défaisables
49Les approches normatives se posent souvent la question de l’acceptabilité des prémisses. Ce langage de l’argumentation qu’adoptent les partisans de l’approche normative implique un jugement sur la moralité des prémisses avancées. On retrouve en fait une dimension semblable à la question de la recevabilité de l’opinion vue plus haut [12].
50Certes, l’interrogation sur les données est un point fondamental, car la donnée est censée être le point d’accord minimal sur lequel l’argumentation va se déployer pour aboutir à une conclusion nouvelle. En tant que point de départ, elle n’est pas au centre focal de l’attention, d’autant que l’accord qu’elle est censée proposer est souvent présupposé – échappant souvent à la remise en question –, un cadrage plus ou moins orienté, mobilisant des notions floues, une généralisation approximative. « Les données retenues, les notions schématisées ne forment pas encore de l’argumentation, mais c’est déjà de la stratégie persuasive – et c’est souvent un moment sournois de cette stratégie », affirme avec à-propos Marc Angenot (2008 : 149). Sur le principe, on peut être d’accord avec Van Eemeren & Grootendorst en affirmant leur règle?6 qui interdit de faussement présenter un point de départ comme admis ou de nier un point de départ admis. Mais dans les faits, comme l’explique ici Marc Angenot ou comme j’ai pu le faire à l’échelle de la narratio rhétorique (Herman 2008), l’orientation d’un point de départ en vue de l’opinion qui sera défendue est de bonne guerre. On ne peut pas faire comme si dans une intention persuasive globale, il y avait des instants privilégiés de pur essentialisme véridictionnel. Il y a déjà à ce premier niveau la possibilité de la critique non en amont par des normes de vérité ou d’acceptabilité, mais en aval, comme un élément de discussion critique. Si norme il y a, convoquer l’acceptabilité conduit à un regard normatif a priori. Pour garder la dimension d’analyse critique a posteriori, je suis tenté de parler, à l’instar de ce que l’on a vu plus haut pour les opinions défendues et selon la philosophie poppérienne, de réfutabilité des prémisses avancées. C’est justement la discussion critique a posteriori qui permet de montrer en quoi une donnée peut être réfutable.
51Sur la question du lien entre prémisse et opinion ou conclusion, l’objet majeur de l’étude des fallacies est là. Toujours en amont, on édicte une série de normes parce que l’on sait que l’usage de certaines ressources argumentatives – le recours à l’expert, pour donner un exemple – peut induire l’auditoire en erreur. Plutôt qu’une critique au cas par cas, les théories normatives envisagent d’exciser de l’argumentation tout ce qui peut tromper. Ce qui, à mon sens, conduit à considérer que nous sommes des incompétents de la critique puisqu’il faut agir avant, à l’illusion que nous pouvons être infaillibles moyennant un abandon des faiblesses rhétoriques, à un régime de la faute morale plus janséniste que jésuitique. Trois prises de position que je rejette :
« La validité argumentative est une idée régulatrice, une exigence que chacun a à l’esprit en entrant en discussion, elle est liée à l’idée que le recours à des schémas valides seul peut rapprocher de la vérité. Cependant, à cette exigence floue ne correspond pas une liste immuable en deux colonnes de formes inférentielles valides et invalides. »
53Le premier et le plus important des problèmes pour les théoriciens soucieux de déterminer les fallacies (paralogismes, sophismes) réside dans le système typologique même qui est parfaitement binaire : comme on l’a vu, l’argument est bon ou mauvais, blanc ou noir. À quelles conditions et selon quelles circonstances un appel à l’émotion est fallacieux si l’on veut bien admettre – à l’inverse des pragma-dialecticiens – que l’appel à l’émotion n’est pas en soi faux ou fallacieux ? Plusieurs théoriciens, à l’instar de Walton, Reed et Macagno (2008) ou Groarke et Tindale (2004), mettent en évidence qu’il y a trop de contextes dans lesquels les prétendus sophismes ne peuvent être considérés comme tels. Le raisonnement mis en scène par la rhétorique tient de l’essai dont on peut reconnaître les excès par le biais de différentes questions critiques. Citons encore une fois Marc Angenot, parfaitement clair :
« Aucun ou presque aucun des prétendus sophismes recensés ne sont des schémas absolument fous ou stupides, même si beaucoup ne sont pas fameux. L’évaluation en tient aux circonstances et au contexte. Un même schéma est illogique dans un cas, acceptable dans un autre. »
55L’idée selon laquelle un schéma sophistique n’est « pas fameux » selon Angenot incite à aborder la question de l’évaluation des normes par un analyste. On pourrait être tenté de substituer au paradigme binaire noir/blanc un continuum comprenant des zones grises. D’une certaine manière, c’est ce que propose Marc Angenot, tout en écartant de son vocabulaire le terme de sophisme pour parler, comme on le voit ici, de schémas argumentatifs. Ce type de continuum pose de toute manière la question des frontières : par exemple, où placer la limite entre le gris et le noir [13] ? Or, ce questionnement me semble stérile puisqu’il replace l’analyste au rang d’instance prescriptive.
56Cela conduit-il à laisser cette question à d’autres ? Non. À mes yeux, le travail de l’analyse de discours se situe sur trois plans successifs : la description, l’analyse, l’interprétation (cf. Herman 2005 et à paraître). Je crois donc que l’analyse du discours argumentatif doit pouvoir se faire de manière similaire : décrire ce que les acteurs font, analyser les schèmes argumentatifs employés, puis en interpréter la consistance – non en termes de bonne ou de mauvaise argumentation, mais en termes de force et de faiblesse, autrement dit de résistance élevée ou faible à la critique.
57À partir de la phrase « Il n’existe pas de charniers dans les sites archéologiques de l’époque de Neandertal, donc l’hypothèse du génocide par l’homme de Cro-Magnon semble peu probable », le travail descriptif mettra en évidence l’aspect argumentatif matérialisé par le connecteur DONC, ainsi que la modalisation faite par le verbe « sembler » et l’échelle de faible probabilité exprimée par le modificateur adverbial « peu » ; le travail analytique décèlera un raisonnement qui relie l’absence d’effet du génocide (charnier) à la mise en doute de l’hypothèse expliquant la disparition de Neandertal. C’est un argument par le signe (la trace ou le signe du charnier aurait été un bon indice pour accréditer l’hypothèse) qui se construit formellement sous la forme syllogistique valide du modus tollens : Si génocide, alors charnier. Or, non-charnier, donc non-génocide ; le travail interprétatif et critique mettra en évidence que la contiguïté entre un génocide et des charniers est une donnée hautement vraisemblable – non réfutée à ma connaissance –, soulignera que même invraisemblable, la théorie du génocide n’est tout de même pas exclue, tout comme la découverte possible d’un charnier dans un site qui n’est pas encore fouillé, et que le raisonnement proposé est recevable d’un point de vue logique, comme on l’a vu. En ce sens, l’argumentation me paraît forte dans la mesure où elle résiste à toute objection critique [14].
58Une telle démarche suppose que l’on puisse décrire et identifier les mouvements argumentatifs avec leurs nuances – qu’ils soient considérés traditionnellement comme sophistiques ou non – et que l’analyste puisse révéler, par l’interprétation, les points faibles de l’argumentation, dans la mesure où cela contribuera à comprendre les stratégies argumentatives et textuelles déployées par certains acteurs sociaux dans un lieu social [15], à comprendre les résistances ou l’absence de résistance manifestées par des interlocuteurs face à certaines argumentations ou encore à poser des hypothèses sur les raisons qui ont poussé un argumentant à dissimuler la faiblesse de son argumentation par la force de ses assertions. À cet égard, on peut considérer avec Catherine Kerbrat-Orecchioni que « l’analyste est un ‹ archi-interprétant ›, qui doit faire des hypothèses sur les hypothèses interprétatives effectuées pas à pas et au coup par coup par ceux qui se trouvent engagés dans la construction collective de l’interaction » [16].
Strate de l’échange : les normes du débat
59La démarche pragma-dialectique met en place plusieurs règles liées non au raisonnement, mais au cadre du débat : ne pas empêcher l’autre d’avancer des points de vue ou de mettre en question des opinions, défendre son point de vue lorsqu’on nous demande de le faire, attaquer un point de vue réellement défendu par autrui figurent parmi celles-ci. On pourrait ajouter ne pas recourir à la violence une fois votre point de vue démonté ou encore ne pas quitter le plateau de télévision si l’on remet en cause votre opinion. Ces derniers exemples montrent qu’à côté des normes du débat proprement dit, il y a des normes de communication, des normes sociales, comportementales, linguistiques qui fixent les règles que l’on attend devoir être observées.
60Mais ce sont là aussi des normes régulatrices : c’est lorsqu’un invité quitte le plateau de télévision avant le terme de l’émission que l’on prend conscience qu’une norme non contraignante était à l’œuvre [17] : l’individu étant libre de mouvement, il a effectué un choix parmi d’autres. Seulement, cette attitude met en lumière la présence invisible des règles du débat qui apparaissent, pour certaines d’entre elles, comme plus prescriptives que les règles de l’argumentation. Sans doute parce qu’on se prépare à des coups de Jarnac dans les argumentations tortueuses des uns et des autres – cela fait partie du jeu –, mais que le jeu lui-même ne prévoit pas de remise en question de fond. S’il y a débat, c’est que les prérequis liés aux règles du jeu ont été acceptés et les remettre en question paraît une violation grave. Marc Angenot relève un certain nombre de ces règles – reconnaissance de l’égalité des participants, accord sur l’existence d’un sujet, disposition à argumenter et à changer d’avis, interdiction de sortir de l’argumentatif – en montrant qu’elles constituent certes un cadre nécessaire, mais non dénué d’une forme d’angélisme : « Comme une illusion qui les auréole, il flotte autour de ces normes à la fois impératives et indécises, une forme d’idéal idyllique des relations humaines et de la discussion » (Angenot 2008 : 146).
61Ma position méthodologique sur cette question est la suivante. C’est le propre de l’analyse de discours, dont l’une des tâches est la description des genres discursifs, que d’analyser et de mettre au jour les normes du débat. Dans la description d’un dispositif médiatique, l’analyste de discours a pour tâche de décrire les conditions-cadre de l’exercice de la parole au sein d’un lieu social déterminé. De fait, plusieurs travaux qui se donnent pour objet la description de certains genres argumentatifs, comme le débat ou le talk-show, cherchent à décrire ces normes, lesquelles déterminent ce que Patrick Charaudeau décrit sous la forme d’un contrat de communication (1989). Dans un deuxième temps, l’analyse argumentative d’un discours ne doit, à mon sens, pas forcément se poser la question des normes du débat qui se trouvent à la périphérie, mais interpréter les données en fonction de ces normes supposées. C’est plutôt dans les moments de rupture (ou de breaching) qu’il devient fondamental de mettre en évidence de quelle façon les normes du débat canalisaient le propos, puisque c’est dans ces moments-là que de telles données constituent véritablement des observables. Autrement dit, c’est lorsque les acteurs thématisent dans leurs propos les règles du débat et leur violation par l’adversaire qu’il y a matière à analyse, puisqu’une matérialité communicationnelle s’est incarnée dans une matérialité linguistique, faisant des règles invisibles une réalité visible.
Conclusion
62À côté du discours extrêmement normatif et prescriptif, tel que le pratiquent les théories anglo-saxonnes de l’argumentation, et en particulier le courant du Critical Thinking, l’extrême prudence ou l’attachement viscéral à la visée descriptive de l’analyse linguistique des discours que l’on constate dans les théories francophones conduit à une double insatisfaction. La surenchère d’un côté, le silence ou presque de l’autre, au nom sans doute d’un refus bien ancré de toute forme d’interventionnisme. Constatant que les normes sont commentées et utilisées par les acteurs d’un débat, je ne peux pas évacuer cette dimension du travail de l’analyse du discours, faire comme si le regard normatif était illégitime. Mais mon rôle n’est pas non plus d’établir un répertoire de normes prescriptives. Au nom de quelle autorité ? L’enjeu est de savoir si on peut intégrer la question des normes sans renoncer à la priorité donnée à la description. Je réponds par l’affirmative dans cette contribution en considérant que ce travail est d’ordre critique – ce qui correspond au volet « interprétatif » de l’analyse de discours (cf.?Herman 2005 et Cossutta 2004). Cette critique se fonde sur la prise en compte de la réfutabilité des données, sur l’analyse de la force ou de la fragilité des arguments en dehors de toute sanction morale, mais par l’examen de schèmes argumentatifs dont certains sont par essence plus critiquables que d’autres et sur l’évidente présence des normes régulatrices agissant tant au niveau des raisonnements que dans le cadre situationnel général au sein duquel l’argumentation peut se développer. Cette position engage cependant une large réflexion théorique et méthodologique sur les façons de procéder à une analyse critique qui réponde aux exigences scientifiques, que je n’ai pu qu’effleurer ici en montrant tant la nécessité de l’interprétation qu’un attachement à une forme d’éthique scientifique [18].
63Au final, ce qui me frappe le plus dans les manuels de Critical Thinking, c’est paradoxalement l’absence d’une posture critique. Nourris de normes a priori – comme l’attestent les nombreuses pages consacrées à l’incontournable liste de fallacies –, les ouvrages émanant de ce courant commettent et reproduisent une black-and-white fallacy de la plus belle eau. J’ai voulu livrer ici quelques réflexions pour arpenter un chemin que je crois praticable, même s’il n’a rien de facile, tout en évitant les écueils de certains manuels de Critical Thinking. Même s’il n’est pas facile, ce chemin, défriché ici, me semble engager un programme de recherches et de réflexions.
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Notes
-
[1]
URL : [www.criticalthinking.org], consulté le 17 mars 2011.
-
[2]
« Dérivant du verbe grec zêtein (‹ chercher ›), la zététique désigne, au IIIe siècle avant l’ère chrétienne, le ‹ refus de toute affirmation dogmatique› (école de Pyrrhon). Utilisé par Montaigne, Viète, T. Corneille, le mot échoue dans le Littré de 1872 puis dans le Larousse de 1876 comme ‹ nuance assez originale du scepticisme : c’est le scepticisme provisoire, c’est […] considér[er] le doute comme un moyen, non comme une fin, comme un procédé préliminaire, non comme un résultat définitif ›. Le mot est finalement repris dans les années 1980 pour désigner l’enseignement critique en question. »[URL : www.zetetique.fr/index.php/dossiers/95-zetetique-definition], consulté le 18 mars 2011.
-
[3]
La filiation donnée par la pensée critique part de la maïeutique socratique jusqu’à John Dewey en passant par Pyrrhon, Thomas d’Aquin, Descartes, les Lumières, Francis Bacon… cf. Monvoisin 2007 ; [www.criticalthinking.org/aboutCT/briefHistoryCT.cfm], consulté le 18 mars 2011.
-
[4]
Dorénavant, je me réfèrerai à ces titres sous la forme (titre 1, titre 2…).
-
[5]
Un passage de Asking the Right Questions est révélateur. Après avoir fait le point au début du chapitre 7 sur ce qui a été fait jusqu’ici pour décrire l’argumentation, les auteurs proclament à grand renfort d’italiques : « You are now ready to make your central focus evaluation. Remember : The objective of critical reading and listening is to judge the acceptability or worth of conclusions » (2004 : 83-84).
-
[6]
Autre exemple, prenant ici appui sur une métaphore transparente, tiré du titre 10 : « Our task now is to separate the ‹ fool’s gold › from the genuine gold ».
-
[7]
Une abondante littérature en psychologie cognitive et sociale montre les limites de la rationalité, les biais cognitifs que nous empruntons, le recours à des heuristiques intenables rationnellement…
-
[8]
URL : [www.criticalthinking.org/resources/PDF/fr-normes_intellectuelles.pdf], consulté le 17 mars 2011.
-
[9]
URL : [www.fallacyfiles.org/fallfall.html], consulté le 17 mars 2011.
-
[10]
Les travaux de Marianne Doury (2003, 2006) mettent en évidence la thématisation par les débattants des normes violées à leurs yeux et stigmatisée par des accusations d’amalgame – entre autres. Les expressions telles que « cela n’a rien à voir avec le sujet » révèlent ainsi la norme de pertinence attendue entre les arguments et l’objet du débat.
-
[11]
« Tout concourt donc à nous faire penser que prétendre abandonner la vérité, sous ses élaborations philosophiques les plus sophistiquées comme sous ses formes les plus plates, a un coût proprement exorbitant. » (Engel 1998 : 79)
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[12]
Sur ce point, on trouve des courants d’analyse qui poussent à l’engagement du chercheur-analyste. Roselyne Koren souhaite ainsi remettre en question le « silence du linguiste interprète qui s’esquive au moment de l’évaluation éthique de mises en mots inacceptables à ses yeux et/ou à ceux des normes de la société dont il fait partie » (Koren 2002 : 201, je souligne). Ma position, comme on le verra, est intermédiaire entre le silence non-interventionniste et l’engagement intégral.
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[13]
Marc Angenot semble parler plutôt de nuances de gris et s’écarte des zones blanches et noires…
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[14]
J’emploie le verbe « paraître » à dessein : un analyste n’est que rarement un expert d’un domaine. L’expertise critique que j’ai faite ici consiste à voir si l’argumentation proposée est fragile plutôt que sa vérité/fausseté. Par contraste, l’affirmation « Il n’y pas eu de génocide par l’homme de Cro-Magnon » aurait été fragile : le raisonnement par le signe n’est en effet jamais définitif et conclusif, or l’assertion imaginée ici n’exhibe pas le caractère probable de cette conclusion.
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[15]
Je fais allusion ici en filigrane à la question classique en analyse de discours de l’articulation du discours et d’un lieu social.
Voir les travaux de Dominique Maingueneau [http://dominique.maingueneau.pagesperso-orange.fr/conclusion2.html], consulté le 17 mars 2011. -
[16]
URL : [www.revue-signes.info/document.php?id=821#tocto12], consulté le 17 mars 2011.
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[17]
Les ethnométhodologues pratiquent couramment l’exercice du breaching qui consiste précisément à provoquer une rupture des attentes, comme utiliser l’adresse « Votre Honneur » à son père…
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[18]
Pour un exemple d’analyse interprétative comme j’entends la pratiquer, voir : [http://www.thierryherman.ch/analyses/campagne-sur-les-armes-de-pietres-arguments/].