1 Cette publication fera date. Elle est remarquable. D’un format inhabituel (30 × 30 cm) qui paraît d’abord peu maniable, elle présente la fouille presque exhaustive, qui s’est étalée sur une vingtaine d’années à partir de 1988, d’un site principalement d’habitat de l’âge du Fer dans l’ouest armoricain sur la commune de Paule au lieu-dit « Camp de Saint-Symphorien » chez les Osismes, en limite orientale de leur territoire, occupé sans interruption du milieu du vie siècle av. J.-C. aux années 15 apr. J.-C., et continûment transformé, agrandi dans cet intervalle.
2 Mentionnée pour la première fois dans une note manuscrite datée du 6 décembre 1682, l’enceinte l’est à nouveau en 1884 par J. Gaultier du Mottay. Si une partie des remparts disparaissent dans la décennie 1960 avec les travaux agricoles et le remembrement, c’est le projet de construction d’une déviation de la route départementale qui est à l’origine d’une fouille dont l’intérêt fonde la première fouille programmée en 1989-1990. C’est à partir de ce moment que les vestiges, jusque-là considérés comme médiévaux, ont été attribués au second âge du Fer grâce aux fragments de céramique gauloise et d’amphores italiques mis au jour. Assez vite, les dimensions sont apparues exceptionnelles et l’objectif scientifique a été l’étude de l’enceinte et de l’habitat, afin d’inscrire la recherche dans une dynamique scientifique en cours sur l’habitat gaulois dans l’ouest de la France. Le site a été fouillé dans le cadre de plusieurs programmes triennaux et les résultats ont fait l’objet de plusieurs publications préliminaires à partir de 1997, l’une des plus connues sans doute par le public et qui a donné un rayonnement au site ayant probablement été celle des sculptures gauloises de Paule, par Y. Menez (Gallia, 56, 1999, p. 357-414, en ligne). Pour donner la mesure des fouilles et du site, pour en comprendre l’intérêt scientifique, quelques données chiffrées s’imposent : 17 années de recherche sur un site de près de 10 ha, 51 500 m2 fouillés correspondant à environ 75 % des niveaux archéologiques, 1 153 m de fossés ou de tranchées, 1 348 trous de poteaux, 116 fosses (puits, carrières ou souterrains), 35 073 tessons de céramique gauloise, 7 449 d’amphores italiques, 1 118 tessons de céramique gallo-romaine, des fusaïoles, des centaines de fragments d’objets en pierre, des creusets, des augets de sel, des scories de métallurgie, des ossements, etc. produits par une occupation continue de près de six siècles.
3 La monographie, coordonnée par Yves Menez, qui a dirigé plusieurs des campagnes de fouilles avec une équipe d’archéologues, chercheurs et spécialistes variés contributeurs à la publication présente, est exemplaire dans la méthode et dans l’expression et la présentation des résultats. Le soin mis dans l’édition révèle la maîtrise et la maturité de l’entreprise archéologique, historique et éditoriale. Il n’est pas anodin qu’Y. Menez ait soutenu en 2008 une thèse sur ce sujet. Le format se révèle idéal pour la présentation des illustrations (dessins, photographies, cartes, tableaux, restitutions 3D) car il permet d’offrir tous les types d’illustrations et de visualiser un ensemble avec des échelles différentes (par exemple p. 24-25) et un système de cartouches ou au contraire des sites différents tous mis à la même échelle (fig. 335, p. 385 pour des parallèles d’édifices gaulois comportant plusieurs corps de bâtiments encadrant une cour). L’utilisation d’une silhouette d’archéologue de 1,80 m tenant une mire de 2 m pour donner l’échelle verticale dans les coupes stratigraphiques facilite la perception des dimensions dans l’espace. Il en est de même pour les représentations en plan avec le dessin d’un archéologue en vue de dessus avec une pioche posée à côté. Tout est fait pour faciliter la compréhension du lecteur (beaux exemples p. 141-142, 193 où les aires fouillées avec trous de poteaux ont été photographiées avec les archéologues à côté ou dedans) qui trouve pas à pas ou regroupées en fin de chapitres les illustrations variées, avec un système clair de couleurs, hachures etc. qui deviennent vite familières au lecteur. Il en résulte un bel ouvrage, une somme scientifique d’une grande qualité qui illustre l’archéologie et l’histoire ancienne et montre ce que la pluridisciplinarité peut produire de meilleur.
4 L’ouvrage est constitué de douze chapitres. Après avoir présenté « Le cadre de l’intervention » (chap 1, p. 19-30), six chapitres décrivent et analysent les phases de l’évolution de l’occupation du site : « De 550 à 300 av. J.-C., le premier domaine familial (phase 1) », p. 31-75 (chap. 2, avec la contribution d’Anne Villard-le-Tiec) ; « De 300 à 250 av. J.-C., la résidence monumentale (phase 2) », p. 77-98 (chap. 3) ; « De 250 à 175 av. J.-C., la résidence fortifiée (phase 3) », p. 99-110 (chap. 4) ; « De 175 à 150 av. J.-C., l’incendie, la reconstruction et l’extension (phase 4) », p. 111-148 (chap. 5) ; « De 150 à 20 av. J.-C., la naissance d’une agglomération (phase 5) », p. 149-200 (chap. 6) ; « De 20 av. J.-C. à 15 apr. J.-C., la fin (phase 6) », p. 201-228 (chap. 7 avec les contributions de Gérard Aubin, Paul-André Besombes, Vincent Drost, William Van Andringa). Suivent les chapitres thématiques qui analysent le mobilier : « Quelques considérations sur le mobilier », p. 229-311 (chap. 8 auquel ont contribué une quinzaine de spécialistes : Barbara Armbruster, Gérard Aubin, Clémentine Barbau, Anna Baudry, Marion Berranger, Maryse Biet-Lemarquand, Karine Chanson, Sophie Coadic, Émilie Dierstein, Anne Dietrich, Bernard Gratuze, Caroline Hamon, Fanette Laubenheimer, Solenn Le Forestier, Hélène Le Nagard, Michel Pernot) ; « Quelques considérations sur l’architecture », p. 313-330 (chap. 9) ; « L’enceinte et le territoire », p. 331-353 (chap. 10, avec les contributions de Joseph Le Gall, Thierry Lorho, Patrick Naas). Deux chapitres historiques d’analyse et d’interprétation viennent clore l’ouvrage en replaçant cette résidence dans le monde septentrional et occidental : chapitre 11, « L’aristocratie du second âge du Fer et ses résidences », p. 355-378 ; chapitre 12, « Épilogue », p. 379-395. Suivent une annexe : « Nouvelle étude du “pendentif” en or de Paule », p. 396-398 (Marilou Nordez, Barbara Armbruster, Maryse Biet-Lemarquand) et la bibliographie, p. 399-412. Les titres des chapitres chronologiques suffisent à dire ici, dans le cadre d’un compte rendu, les phases de l’histoire du site. Pour donner l’envie de se plonger dans la lecture afin de comprendre les ressorts de l’enquête et de l’évolution du lieu, on se contentera de donner les conclusions qui font tout l’intérêt de cette superbe monographie. Le site de Paule s’inscrit dans l’évolution générale de l’exploitation agricole et de l’habitat telle que des fouilles ponctuelles dans le temps et l’espace l’ont montré dans l’Ouest gaulois. À une fondation agricole apparue au moment d’un réchauffement du climat aux vie-ve siècle av. J.-C. prenant progressivement possession de terroirs entretenus et bonifiés des siècles durant grâce à des outillages et des techniques culturales qui permettent de rester sur place, est associé à partir des iiie-iie siècle av. J.-C. un renouvellement de l’habitat dispersé avec une polarisation autour d’un centre abritant une famille aristocratique. Paule en est un exemple. Au iie-ier siècle ici il y a eu aussi développement de l’artisanat et présence d’entrepôts, de greniers, permettant d’abriter les surplus agricoles. Le site, fortifié, contrôle tout un réseau d’échanges, de stockage, à proximité des voies qui sont entretenues. Le chapitre 11 essaie de définir des critères d’identification d’une résidence noble, d’évaluer ce qu’il y a d’aristocratique et de passer au crible, par l’application de cette grille à une multitude de sites fouillés en Gaule et alentour, la validité des critères de classification de l’habitat rural enclos : d’abord des vestiges immobiliers (superficie, dimension des clôtures, présence de tours portières, de bâtiments d’ampleur exceptionnelle, de dispositifs de stockage de récolte, de dépendances artisanales, de sépulture riche ou d’un sanctuaire, d’une mise en scène de l’espace) ; ensuite le mobilier (des objets hors du commun, à commencer par ce qui est en céramique ; des objets en métal précieux ; des armes, des restes de harnachement, des objets liés au banquet, des témoins de pratique de la chasse : des traces d’un artisanat développé, de la statuaire, des objets liés à la toilette ou à l’écriture). L’application d’une telle grille a permis de dégager près d’une cinquantaine de sites en Gaule (48). Si presque la moitié d’entre eux répondent au critère premier de la superficie, beaucoup plus rares sont ceux qui cumulent une dizaine de critères soit la moitié. Paule, Fontenay-le-Comte (site Les Genâts), Bâtilly-en-Gâtinais (site Les Pierrères) se distinguent. Dans le cas de Paule deux faits permettent de l’interpréter comme une résidence noble : « le caractère presque immémorial de cet habitat, occupé durant près de cinq siècles ; les signes de l’importance attribuée au souvenir des défunts, qui se traduit par la construction de deux nécropoles familiales, par l’exposition de bustes des ancêtres les plus remarquables, notamment celui d’un barde ayant œuvré à la mémoire et au prestige du lignage » (p. 379). Deux nécropoles ont en effet été édifiées de part et d’autre d’une voie majeure, probablement dès le ve ou le ive siècle av. J.-C., époque à laquelle on rencontre aussi des souterrains. Les sépultures sont alors très simples et sans mobilier. Demeurés en usage pendant un siècle et demi, ces enclos funéraires désaffectés ont cependant été respectés puisqu’aucune construction n’a été établie à leur emplacement. Ce respect traduit la permanence de la mémoire par-delà des changements probables de rituels. Découverts dans la résidence et datables probablement du iie siècle av. J.-C. ou de la première moitié du ier, les quatre bustes pourraient témoigner de cette permanence du souvenir des ancêtres et de pratiques rituelles. Tous quatre ont un socle laissé brut qui pourrait témoigner du dispositif de placement sur la terre, au-dessus des ossements du défunt. L’un des bustes est sculpté avec la représentation d’une lyre, attribut des bardes dans le monde celtique. C’est le seul exemple connu actuellement en Gaule. Un tel groupe statuaire pourrait témoigner de l’existence d’une famille appartenant à l’élite dirigeante du peuple ou en tout cas du fait qu’il y eut dans ce lieu des membres de l’élite. Il vient renforcer le caractère extraordinaire de puissance et de richesse que l’ensemble des structures architecturales, la durée d’usage du lieu, jusqu’à la mise en place de l’autorité romaine, confèrent au site. Les comparaisons avec le midi de la France, la Grande Bretagne, l’Allemagne ou la Bohême confortent l’idée de l’appartenance des occupants du site de Saint Symphorien au sommet de la pyramide sociale gauloise, sans être toutefois immensément riches comparativement aux familles auxquelles durent appartenir ceux des aristocrates gaulois mentionnés par César. Ces comparaisons suggèrent des traits de solidarité familiale, de formation d’un système économique agraire avec agglomération et marché et, en changeant d’échelle, elles permettent de confronter les évolutions telles qu’elles peuvent être interprétées à la lumière des fouilles, à celles que connaît Rome en Italie aux iiie-iie siècle av. J.-C. : expansion, extension des marchés, bouleversements sociaux. Insérée dans le contexte gaulois, la fouille de Paule témoigne de la hiérarchie sociale gauloise, dans sa diversité comparable au reste du monde occidental et septentrional antique, de l’interdépendance entre habitat dispersé et agglomération, entre monde rural et monde urbain, d’une forme de perméabilité, des réseaux de relation. Resterait à comprendre – alors qu’il n’y a pas eu ici de destruction durant la phase de conquête (pas de trace archéologique révélée) – l’abandon dans les décennies qui suivent la conquête romaine, phénomène bien attesté dans l’Ouest.