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Article de revue

Organisations en situation de blocage. Turbulences culturelles : fusions et acquisitions d’organisations

Pages 28 à 48

Notes

  • [1]
    Cet article est extrait du n°63-2015 intitulé : « Vivere e pensare le organizzazioni, una ricerca possibile » de la revue italienne « Quaderni di psicologia, analisi transazionale e scienze umane ». L’article a été publié sous le titre : « Organizzazioni in stallo, turbolenze culturali : fusioni e acquisizioni organizzative ». Cette publication est le fruit d’une collaboration entre les AAT et les Quaderni di psicologia.
  • [2]
    Voir pour l’édition française : Éric BERNE, Structure et dynamique des organisations et des groupes, Editions AT, Caluire, 2005.
  • [3]
    NdR : En France, il est de tradition de traduire le concept bernien de « hunger » (faim) par « soif ». Nous avons respecté celle-ci dans la traduction.
  • [4]
    NdR : En anglais le sens de stroke est double, c’est une caresse, mais aussi un coup.

Préambule

1Dans cet article, j’étudie la fusion entre des organisations nées de la rencontre de deux entreprises, chacune avec une culture différente (…).

2La gestion des différences culturelles caractérise le travail de nombreuses entreprises d’aujourd’hui : soit dans leur rapport avec l’extérieur quand elles interviennent sur un marché toujours plus marqué par la multiculturalité, soit à l’intérieur quand cohabitent des cultures générationnelles et professionnelles distinctes. (…).Le devoir de chaque entreprise est alors de réussir à intégrer ces composantes qui tendent à fonctionner de manière autoréférentielle.

3La négociation entre des cultures différentes est un processus lent et pénible, dans lequel sont impliquées des dimensions implicites et non immédiatement visibles. (…).

Le contexte des fusions et des acquisitions

4Les fusions et acquisitions font partie d’une stratégie de développement à laquelle beaucoup d’entreprises recourent, et cela pour différents motifs. Elles fusionnent pour des raisons économiques ou pour augmenter rapidement les ressources disponibles et ainsi être plus compétitives sur leurs marchés. D’autres entreprises procèdent à une acquisition en recherchant des complémentarités ou pour acquérir rapidement un know how particulier détenu par une autre entreprise utile à leur développement. (…).

5Bien que les fusions et acquisitions (F/A) aient toujours existé, leur étude a pris de l’ampleur depuis les années 1990 avec l’accélération de ce phénomène au niveau mondial. En fait, l’histoire regorge d’exemples de processus de consolidation ou de dissolution d’un état dans un autre, ou de conquêtes de territoires voisins. Ces processus au cours desquels se redéfinissent les frontières entre des groupes humains qui étaient auparavant séparés ont également des répercussions identitaires : les personnes qui se sentaient appartenir à un système se retrouvent dès lors à vivre ou à travailler dans une « nouvelle » entité.

6Quand les F/A touchent des organisations de zones géographiques différentes, la dimension culturelle se révèle d’une importance primordiale. (…). Si auparavant on pouvait considérer que seules les multinationales possédant des filiales dans le monde entier et qui étaient impactées par les échanges mondiaux étaient concernées, aujourd’hui les choses ont changé. L’internationalisation est devenue un impératif pour les petites et moyennes entreprises pour pouvoir survivre et rester compétitif sur un secteur toujours plus agressif. Elles doivent se placer sur de nouveaux marchés mais aussi conclure des alliances avec des fournisseurs et des partenaires à un niveau international. Les fusions et les acquisitions peuvent alors être des stratégies de développement ou de survie qui ont parfois un impact profond dans la vie des entreprises et sur les personnes qui y travaillent. (…).

La contribution de l’AT

7L’intégration par fusion de deux organisations est un chemin difficile car deux niveaux sont impliqués simultanément : le niveau explicite qui concerne le plan opérationnel (comment les choses vont se passer à partir de maintenant, comment se prendront les décisions, quels processus seront mis en œuvre pour obtenir quel résultat, etc.), et le niveau privé qui concerne le domaine des besoins, de l’appartenance et de l’identité (Berne, 1963).

8Ce sont ces dimensions entrelacées qui agissent simultanément en ayant des répercussions l’une sur l’autre. (…). La contribution de l’AT à ce genre de changement réside dans sa capacité à mettre en évidence et à lire les niveaux implicites qui peuvent entraver les processus de transformation organisationnelle.

Culture organisationnelle

9Dans un article qui fait le point sur la littérature existante concernant les processus d’intégration dans les F/A, Schweiger et Very (2003) mettent en avant « la résistance culturelle » parmi les différents facteurs qui peuvent entraver ou faire échouer une intégration entre plusieurs organisations. De plus en plus, la dimension de la culture est prise en considération dans les phases qui précèdent la fusion (phase de due diligence). Et c’est également vrai dans le cas de fusions et d’acquisitions d’entreprises qui appartiennent au même secteur ou à la même culture nationale. (…).

10Les contributions de l’AT sur le thème de la culture sont nombreuses. Dans The Structure and Dynamics of organizations and groups[2], Berne affirme que « La première préoccupation de tout groupe sain est de survivre le plus longtemps possible (…). L’essence du groupe, « l’existence » qui doit être préservée, est la structure du groupe. »

11Dans son texte, Berne indique qu’une des priorités du dirigeant doit être la défense de ce qui va se passer aux frontières externes et internes du groupe. La structure devra être défendue contre les attaques sur les frontières, que Berne appelle les guerres (attaques sur la frontière externe), les révolutions (attaques sur la frontière interne majeure) et les intrigues (attaques sur la frontière interne mineure) (Ibidem, p 70).

12Si une organisation a le principal devoir de survivre et de défendre ses frontières, la culture organisationnelle va se référer à « Comment cela se fait chez nous ». Je retrouve ici la définition proposée par Edgar Schein : « La culture de l’organisation est l’ensemble cohérent des engagements fondamentaux qu’un groupe donné a inventés, découverts, développés, en apprenant à affronter ses problèmes d’adaptation externe et d’intégration interne, et qui ont fonctionné suffisamment bien de façon à être considérés comme valides, et de ce fait, dignes d’être enseignés aux membres comme le mode adéquat de percevoir, penser et sentir à propos des problèmes », (Schein, 1984, p. 396). (…).

13Schein, en évoquant dans sa définition les engagements fondamentaux, affirme que ce « Voilà comment cela se fait chez nous » est si enraciné dans l’organisation qu’il est donné comme certain par ses propres membres, même si c’est d’une certaine façon invisible. Je pense à une citation de l’anthropologue Edward T. Hall qui affirmait plusieurs années après cette contribution de Schein que « la culture cache beaucoup plus qu’elle ne révèle, et curieusement les choses qu’elle cache, elle les cache de façon plus efficace à ses propres participants » (Hall, 1959, p. 29).

14À ce propos, je trouve très appropriée la définition de la culture proposée par Michel Landaiche dans un récent article : « une odeur très particulière impossible à traduire en mots » (Landaiche, 2012, p. 238). En s’appuyant sur cette métaphore, on pourrait ajouter qu’il s’agit d’une odeur partagée avec les autres comme quelque chose d’ancien et qui possède une grande familiarité. Landaiche poursuit : « Parmi les aspects implicites présents dans les groupes et les organisations et qui déterminent leur fonctionnement, il y a la structure individuelle des membres, les attentes qu’ils ont à propos des relations de dépendance, les besoins et les désirs. ».

15Le concept de culture, comme nous sommes en train de le préciser, avec ses engagements tacites partagés, a des caractéristiques très différentes du contrat tel que le définit Berne (1966) (engagement explicite bilatéral) qui permet une conscience plus nette de l’Adulte.

16(…) Je pense que le concept de scénario culturel peut décrire la stratégie que chaque organisation a imaginée pour tenir ensemble et intégrer les besoins de l’organisation (in primis survivre) et les besoins des personnes. Cette tension est à la base de l’énergie et de la dynamique d’un groupe : une négociation continue et vitale entre groupship et membership qui alimente l’énergie de l’organisation. Cette fonction régulatrice de cette tension appartient au leader : « Le leadership est la fonction qui donne une réponse permettant d’intégrer les besoins individuels et le besoin du groupe, permettant ainsi la satisfaction de l’ensemble et celle de ses parties. Il permet à ces forces qui poussent, à la différenciation et à l’approbation, de fournir un ensemble harmonieux, une résultante positive avec un équilibre qui ne peut être que presque stationnaire » (Quaglino, 1992, p 43).

17(…) Dans ma propre expérience de consultant interculturel, j’ai eu l’occasion d’observer la façon dont la confiance dans un contexte organisationnel s’est construite sur diverses bases relatives au milieu culturel d’origine des personnes. Je retiens de cela qu’il y a bien une connotation culturelle dans la façon dont les personnes satisfont les trois soifs [3] identifiées par Berne (1961) : stimulus, structure, reconnaissance.

18Erskine et Trautmann (1996/1997) ont développé cette pensée de Berne dans la construction d’une théorie sur la motivation. Ils identifient quelques besoins relationnels importants dans un contexte organisationnel parce qu’ils promeuvent un sens de stabilité et d’appartenance nécessaire au travail en équipe. Les stratégies relationnelles et les attentes sociales sur « Comment demander et satisfaire ces besoins » varient d’un contexte culturel à un autre. (…)

19En se référant à la soif de structure, il est possible d’observer une variété d’accords sociaux qui portent sur la quantité et les contenus des rituels. Berne affirme que « la forme d’un rituel est déterminée par la tradition » (Berne, 1964, p 41). En ce qui concerne les passe-temps, je trouve toujours très intéressant d’étudier comment ils sont utilisés de façon diverse dans les modes, les temps et les lieux, selon le contexte culturel. De quoi parle-t-on avant de commencer une réunion ? Combien de temps est consacré au passe-temps avant d’entrer dans l’objet de la rencontre ? Est-il important de « passer du temps » dans des rencontres informelles en dehors de la réunion pour pouvoir créer des relations de travail où règne la confiance ?

20Quand deux organisations décident de mettre ensemble leurs propres ressources pour en faire surgir une nouvelle, il peut y avoir une confusion, une tromperie, une éviction de certaines personnes. Les individus se retrouvent privés de cette référence stable, de cette culture organisationnelle précédente qui a régulé jusqu’à ce jour les aspects intangibles et les aspects plus profonds de « l’être dans un groupe ».

Positions existentielles et stratégies d’acculturation

21Le choix de la stratégie de fusion dépend de très nombreux facteurs : du degré d’autonomie/interdépendance qu’aura la nouvelle entreprise après l’acquisition, de la fusion horizontale (entre organisations d’activité similaire) ou verticale (dans l’entreprise, avec client et fournisseur), de la différence de taille entre les deux organisations impliquées.

22Là où un haut niveau d’intégration est demandé, il est possible que, dans la nouvelle entité, on redéfinisse la totalité de l’organisation, comme le management et l’organigramme, mais aussi les systèmes de communication et de décision. Les choix effectués à ce niveau (hard) peuvent avoir un impact sur les frontières identitaires et sur la culture de l’organisation.

23L’issue de la rencontre entre deux cultures différentes est en lien avec la stratégie que les acteurs impliqués mettent en œuvre. Je trouve utile à ce propos de revisiter le modèle d’acculturation proposé par Berry (1997) qui, se référant au thème de l’identité des immigrés qui s’insèrent dans une société d’accueil, affirme que les deux dimensions identitaires (celle de l’immigré et celle de la société d’accueil) ne sont pas des polarités opposées sur un unique continuum, mais apparaissent plutôt comme deux variables indépendantes insérées dans une matrice bidimensionnelle.

24« Dans les rencontres quotidiennes, les groupes et les individus trouvent habituellement leurs stratégies [d’acculturation] sur la base de deux facteurs : le maintien culturel (jusqu’à quel point l’identité et les caractéristiques culturelles sont considérées importantes et méritent la lutte) et le contact et la participation (jusqu’à quel point les personnes devraient s’engager avec d’autres groupes culturels ou, plutôt devraient rester entre eux). Si ces facteurs sont considérés simultanément, on génère un modèle conceptuel avec quatre stratégies d’acculturation. » (Berry, 1997, p. 9)

25La puissance de ce concept théorique se trouve dans la possibilité qu’il donne à toutes les identités d’être reconnues comme ayant de la valeur. Les analystes transactionnels parlent d’Okness et de réciprocité. (…).

26Je fais l’hypothèse que chaque organisation peut aborder le processus d’intégration dans une position existentielle différente selon la contribution qui sera attribuée à son propre patrimoine organisationnel et culturel et à celui de l’autre organisation. (…).

Intégration +/+

27Si deux organisations débutent une fusion à partir d’une position existentielle +/+, elles se reconnaissent mutuellement l’intérêt et la capacité de contribuer à la constitution de la nouvelle organisation. L’intégration culturelle peut être poursuivie avec une série d’actions qui soutiennent un processus de négociation interne à différents niveaux. (…) Ce processus est guidé par un Adulte Intégré qui tient compte des instances culturelles présentes dans le Parent et dans l’Enfant de chacun des systèmes.

28Certaines organisations qui opèrent par Intégration font des enquêtes internes durant la phase de due diligence pour analyser les caractéristiques culturelles des organisations engagées afin de relever les différences et les similitudes de chaque culture. Parmi les plus couramment étudiées, il y a la dimension des valeurs en rapport avec les cultures nationales (Hofsteder - 1980), celles des styles managériaux dans la recherche de solutions (Trompenaars 1993), celles sur les styles de communication dans les organisations (Hall 1990) et pour ce qui concerne les styles de leadership, les travaux de House et al. (2002). Ces instruments permettent de faciliter une plus grande conscience de la façon dont certaines dimensions culturelles influencent les processus organisationnels, en anticipant de possibles difficultés dans la future phase d’intégration. Ces éléments peuvent être une base pour commencer un processus de négociation dans le nouveau management des processus de travail et d’évaluation.

29Une autre best practice est la redéfinition d’une nouvelle mission organisationnelle qui réussisse à intégrer la raison d’être des deux organisations impliquées, la construction d’une instance qui soit en capacité d’embrasser uniformément les deux organisations et dans laquelle tous peuvent se reconnaître. Quand Merk et Co., une des plus grandes maisons pharmaceutiques, a acquis la Medco, une entreprise spécialisée dans le service de vente de médicaments online, elle a redéfini une nouvelle mission à l’organisation en annonçant un nouvel engagement pour améliorer la qualité de vie de la communauté et en adjoignant d’excellents services à ses propres produits. (…).

Conservation +/-

30Une fusion guidée par une position existentielle +/- verra l’organisation poursuivre son propre modèle organisationnel et culturel sans interférer avec la partie opposée. Il s’agit généralement d’acquisitions d’entreprises où il est stratégique de maintenir l’autonomie organisationnelle de l’entreprise acquise dans des opérations qui n’auront qu’un très léger impact du point de vue culturel. Dans ma propre expérience, j’ai rencontré quelques entreprises acquises à des fins spéculatives par des Holding financières qui ont maintenu intacte l’organisation d’un point de vue culturel, du fait d’une absence de proximité entre l’entreprise intégrée et la nouvelle société propriétaire.

Assimilation -/+

31Au contraire, dans une stratégie de fusion et d’acquisition guidée par une position existentielle -/+, l’expérience de l’organisation faisant l’objet d’une acquisition comporte un grand changement. Il lui sera proposé - ou imposé - dans le nouveau schéma un modèle organisationnel et culturel considéré comme de valeur supérieure et avec de meilleures chances de succès, et cela en substitution d’un modèle considéré comme non fonctionnel. Les fusions en Assimilation sont généralement accompagnées par des restructurations du personnel, avec des changements importants dans le management, comme dans le secteur des procédures, des mécanismes décisionnels et des critères d’évaluation.

32Le changement du management est la porte ouverte aux changements culturels dans l’organisation entière. Pour Rosa Krausz (1993), le management a un rôle de « gardien du scénario organisationnel » : […] « le management agit comme une figure parentale avec les subordonnés, comme un modèle à suivre et comme une source des directives qui renforcera l’idéologie en action. Ce processus garantit le maintien de l’idéologie et peut être observé à travers le processus de socialisation des nouveaux employés. » (Krausz, 1993, p. 78)

33Le nouveau management définit donc les modèles et les nouvelles directives pour les personnes faisant partie de l’entreprise assimilée. Ainsi s’engage une turbulence culturelle générée par un « décalage » entre les nouvelles attentes du management sur le « Comment cela se fait chez nous » et celui des personnes de l’entreprise assimilée.

34Pour certaines personnes, cette expérience peut être particulièrement perturbante car le changement proposé porte sur les aspects implicites de la culture, celle du Parent (valeurs et engagements), et de l’Enfant (stratégies pour obtenir de la reconnaissance et des réponses à ses propres besoins).

Déculturation -/-

35La fusion ou l’acquisition de type -/- que Cartwright et Cooper (1993, pp. 65-66) appellent Déculturation, aura un impact plus fort et des risques majeurs sur la survie de l’organisation. Dans ce cas, aucune des deux cultures ne réussit à contribuer à la construction d’un nouveau système, générant ainsi un haut niveau de conflits, de confusion et d’aliénation. Cette typologie s’observe plus fréquemment dans des cas de fusion avec un rapport de force équivalent, ou avec des cultures organisationnelles très distantes et dans un mode de relation très compétitif. L’énergie de l’organisation (Berne, 1996) est dépensée dans les conflits internes en particulier dans la conduite du leadership, paralysant ainsi la capacité de l’entreprise à se consacrer à l’activité.

36C’est le cas de la fusion entre deux firmes d’automobiles, Daimler-Benz (culture organisationnelle très formelle, orientée vers la réduction des risques, et style décisionnel top-down), et Chrysler (culture organisationnelle orientée vers la créativité, vers le risque et très participative) (…). Bien qu’elles aient choisi une fusion entre pairs, ce fut en fait une compétition entre deux modèles différents. La substitution des dirigeants clés de Chrysler par ceux de Daimler-Benz et l’imposition d’un style de leadership qui reflétait la culture de Daimler, a miné la confiance des employés de Chrysler, avec pour conséquence la fuite de nombreux dirigeants et ingénieurs d’expérience (…).

Hypothèses diagnostiques pour décrire les blocages post-fusion

1 – Rigidité des frontières identitaires

37Je propose une relecture de la dynamique d’une organisation née d’une intégration entre deux réalités selon trois niveaux différents. (…).

38La fusion entre deux cultures peut avoir comme effet une augmentation de la rigidité des frontières identitaires des groupes désormais en contact. L’imago de groupe des employés se caractérise par une macro-différenciation accentuée « nous/eux ». Dans mon expérience, il n’est pas rare d’entendre des personnes, bien des années après la fusion, se définir par des phrases telles que « Moi, je suis de l’ex-entreprise X » ou alors, avec plus de nostalgie, « Chez nous, on faisait comme cela ». Cette stratégie défensive permet aux personnes de maintenir une image sociale positive, quand bien même celle-ci est en opposition avec celle de l’autre groupe. Il s’agit d’un attachement à ses propres origines qui demande à être reconnu et à pouvoir trouver place dans la nouvelle organisation. Le résultat de cette rigidification se manifeste par une faible intégration dans l’équipe de travail, des processus de communication dysfonctionnels et, au final, un excès d’énergie du groupe engagée dans les processus mineurs internes, ainsi soustraite à l’activité. (…).

2 – Turbulence culturelle

39La culture n’est pas un objet qui a une vie indépendante mais plutôt une description d’un processus communicatif et relationnel d’un groupe de personnes qui coordonnent leurs propres actions selon un schéma spécifique avec un objectif partagé. (…) L’idéologie de l’organisation est implicite comme le sont les valeurs qui sous-tendent les choix régissant les rapports entre les personnes. La stratégie relationnelle et le mode retenu comme « juste » pour demander et recevoir des caresses [4] est implicite. Il en va de même pour le mode retenu comme « correct » pour prendre des décisions et participer à une équipe de travail. La culture comme processus implicite embrasse donc une vaste gamme de dimensions qui régissent les rapports d’une organisation.

40Le fait que, dans une nouvelle organisation, on ait des attentes culturelles différentes va générer un désalignement entre divers membres. Il manquera un accord qui fasse la soudure et qui fournisse une direction partagée sur le « Comment cela se fait chez nous ». Je nomme cet état la turbulence culturelle et elle débute au moment de la naissance de la nouvelle organisation par une façon d’être ensemble qui peine à s’intégrer avec l’expérience précédente.

41Schweiger et al. (1987) comparait cette expérience à celle de la perte de l’attachement pour l’enfant : « Ce qui arrive à des milliers de travailleurs dans les entreprises rachetées est semblable à l’expérience de la perte d’attachement des enfants. Les employés s’attachent aux organisations, au travail, aux collègues, à la routine quotidienne, à la mise en œuvre de leur compétence et aux objectifs de performance et de carrière. Comme un enfant, beaucoup d’employés impliqués dans des F/A font une expérience de perte quand des attachements forts sont détruits ou changés. » (Schweiger et al, 1987, p. 1)

42Le niveau d’intensité de ce blocage est identifiable dans le vécu émotionnel des personnes. Il peut aller d’une sensation de « tromperie, d’éviction », à la fatigue d’appartenir à une « expérience dévastatrice » même des années plus tard. Parmi les conséquences de cette turbulence, on note un faible niveau de coordination entre les membres de l’organisation et une attribution de sens qui contraste avec les comportements individuels et organisationnels.

43Comme le raconte un cadre d’une grosse entreprise italienne qui a fusionné il y a une dizaine d’années avec une entreprise concurrente opérant dans le même secteur, il s’agit d’« une expérience dévastatrice… Tout a changé. Avant, j’étais reconnu. Ce que je connaissais avait de la valeur, il y avait un lien avec la personne. Je sentais que je pouvais être reconnu pour mes idées. Aujourd’hui, ce n’est plus comme ça. Pour nous, ça a été une expérience vraiment destructrice. Désormais, le mérite n’est plus reconnu, les gens ramènent leur salaire à la maison et ils ne démissionnent pas car il n’y a nulle part où aller. Ils nous ont fait faire des milliers de cours sur la résilience, sur le changement et l’innovation pour faire passer la pilule comme si tu n’étais pas adéquat à la situation, mais c’est la situation qu’ils ont créée qui est folle ».

3 – Un blocage dans la relation entre individus et organisation

44Cette turbulence peut être repérée également dans la relation qui lie l’entreprise et les individus, et en particulier à l’intersection entre le scénario de l’organisation et le scénario des personnes.

45James (1975, 1991), Jongeward (1976) et Krausz (1993) ont décrit certaines caractéristiques du scénario organisationnel. Quand un système est soumis à un fort stress, que ce soit une organisation ou un système familial, de la même façon que pour les individus, il rigidifie son comportement scénarique dans la tentative de faire front à la menace perçue. Je pense au scénario comme à une ressource qui dirige les énergies du groupe et de l’organisation pour sa propre survie, mais qui, s’exprimant sur une dimension implicite, agit au détriment d’une pensée et d’une analyse de la réalité de la part de l’Adulte.

46Dans le cas d’une fusion et d’une acquisition, cette rigidité peut être décrite comme un désaccord entre diverses instances vitales du système, de nature à générer un blocage interne. (…).

47Je définis certaines lignes de direction pour remettre en mouvement la vitalité de l’organisation, sur la base des hypothèses diagnostiques décrites.

48• Favoriser un relâchement du scénario organisationnel rigidifié par la crise pour retrouver une vitalité qui était bloquée. Le rôle du consultant sera de se proposer comme “tiers pensant” pour favoriser un dialogue entre les instances bloquées (…).

49• D’un côté, promouvoir la production de permissions de la part de l’organisation dans l’accueil, contenir et soutenir le personnel dans ce sentiment d’avoir été victime d’une tromperie, d’une éviction et, de l’autre, favoriser l’émergence des besoins de reconnaissance, d’appartenance, qui ne trouveraient pas à s’exprimer dans un contexte en situation d’échec.

50• Faciliter la reconstruction d’une trame narrative collective qui reliera l’histoire des organisations avec les défis présents et futurs.

51On parlera alors d’un travail de nature à réactualiser le message des pères fondateurs en retrouvant un lien avec leurs origines propres et en observant comment, dans certaines étapes significatives, ce Canon originel a été confirmé et revisité au cours du temps, pour une reconnaissance et une attribution de valeur et de sens, à leurs histoires et appartenances réciproques.

52• Renforcer les éléments de communauté entre les deux organisations, comme par exemple la construction d’une mission organisationnelle commune qui réussira à intégrer l’histoire et le patrimoine de chacune des organisations impliquées. La participation des salariés à ce processus leur permettra de pouvoir se reconnaître et d’appartenir au nouveau contexte, diminuant ainsi le sentiment d’aliénation.

53• Dans une phase ultérieure, quand la menace se sera atténuée, il sera possible de revisiter avec le personnel comment certains processus peuvent être appréhendés différemment selon la culture organisationnelle d’origine. En reliant les comportements organisationnels avec les cultures d’origine, on enclenche un processus de reconnaissance réciproque. C’est sur cette base qu’il sera possible de valoriser l’apport de chaque organisation à l’objectif commun, non seulement en termes de connaissance ou de technologie, mais aussi de stratégies adoptées qui enrichiront la dotation de la nouvelle organisation.

Présentation d’un cas : une fusion italo-coréenne

L’entreprise ITA

54L’entreprise ITA est une organisation italienne de type familial, spécialisée dans l’importation et la distribution de produits électroniques. (…). Présente sur le marché depuis des décennies, elle a construit sa stratégie de succès sur sa capacité à deviner les changements permanents sur le marché italien et dans la construction de solides rapports commerciaux avec les producteurs présents sur la scène internationale.

55Dans les documents de présentation de l’organisation, le fondateur est plusieurs fois cité ainsi que la stratégie utilisée par l’organisation au cours des années : « On ne s’est jamais arrêté », « succès enviables », « grande passion pour le défi », « la passion du fondateur a été tellement grande, qu’aujourd’hui encore elle nous guide ».

56Le « tellement grande, qu’encore aujourd’hui elle nous guide » est une trace de la façon dont cette stratégie de survie fondée sur le défi constitue le noyau du scénario organisationnel de l’entreprise. Je suis touché par la description qui est faite d’un lien fort avec le père fondateur décrit comme leader héroïque de ces défis. (…) La chaîne décisionnelle est courte avec des rapports directs entre le management et tout le staff. Cela donne une approche pragmatique, une flexibilité opérationnelle non standardisée et un puissant sens de la mission organisationnelle pour les membres. (…).

57“Donnez-vous du mal”, “soyez engagés”, semblent être les mots d’ordre de l’organisation ITA qui affronte ainsi les défis continus. Mais le défi le plus sérieux et le dernier fut celui qui se présenta avec la proposition d’acquisition, après une période de crise profonde du marché, contraignant l’organisation à réduire drastiquement son personnel. Une entreprise coréenne, KOR, qui avait instauré depuis des années des rapports commerciaux avec l’entreprise ITA, désira entrer sur le marché italien et décida d’ouvrir une filiale. Elle proposa l’acquisition de l’entreprise ITA avec un plan de relance qui prévoyait des nouveaux engagements et une présence agressive sur le marché. Pour ITA, avec son goût prononcé pour les défis, ce fut une nouvelle opportunité : relancer sa présence sur la scène nationale avec passion et avec une force renouvelées, possibilité pour le management de faire une expérience dans une organisation internationale et de sortir d’une crise qui avait menacé l’existence même de l’entreprise.

58Je fais l’hypothèse que l’injonction sous-jacente à cette impulsion était « N’existe pas » à laquelle Rosa Krausz associe l’attribution du héros : « Les individus reçoivent et acceptent des devoirs comportant des risques et un plan de travail pesant ; ils sont responsables des erreurs des autres » (Krusz, 1993, p. 82) (…).

L’entreprise KOR

59KOR est une grande entreprise coréenne qui produit et commercialise des composants électroniques. Dans les premières décennies de son existence, elle a opéré au niveau national pour développer ensuite son marché à un niveau mondial, d’abord dans la vente puis dans la production. L’histoire de cette entreprise est fortement intriquée avec l’histoire et la politique de la Corée. Après la guerre avec la Corée du Nord, la reprise économique sud-coréenne a été soutenue par un fort partnership entre le leader militaire Park- chung-Hee et le chaebol (conglomérats d’entreprises contrôlés par un noyau de familles coréennes proches du gouvernement). Le style de gouvernance de ces entreprises, dont l’entreprise KOR faisait partie, est caractérisé par une forte structure hiérarchique et une concentration aiguë des décisions au sommet de l’entreprise.

60Cette structure hiérarchique reflète aussi les caractéristiques de la culture confucéenne qui voit dans le respect des hiérarchies une fonction importante ET régulatrice de la vie sociale. Le terme même de “respect” doit être compris dans son acception coréenne (jon gyeong). En coréen, le mot est le même pour dire “déférence” et “révérence” ce qui reflète une vision asymétrique des rapports sociaux.

61Cette façon de comprendre le respect imprègne les relations sociales à l’intérieur de l’entreprise KOR. Le Canon actuel reflète et maintient vivante l’empreinte culturelle donnée par ses fondateurs. KOR a construit son propre succès grâce au pouvoir décisionnel concentré au sommet de l’organisation. Cette forte standardisation des processus opérationnels permet à l’organisation de pouvoir maintenir totalement le contrôle sur la totalité de la chaîne de commandement et de coordonner les priorités et les actions dans une perspective d’ensemble.

62(…)

63Les travailleurs sont récompensés à partir du moment où ils se donnent du mal pour accomplir leurs tâches même s’ils terminent tard le soir. Ils obéissent à leurs supérieurs au risque de nuire au travail d’équipe et ils maintiennent une harmonie dans les rapports, évitant ainsi les conflits et les problèmes à leurs supérieurs. (…)

64Au cours des quinze dernières années, KOR est entrée sur le marché européen en construisant un solide partnership avec des entreprises - comme ITA - qui ont pris soin de la distribution de ses produits au niveau national. Après cette première phase d’expansion et le succès rencontré sur le marché européen, KOR a décidé de consolider sa présence en ouvrant des filiales dans divers pays européens et en prévoyant diverses acquisitions.

L’acquisition et la fusion des deux organisations

65En raison de la relation client-fournisseur qui a caractérisé pendant une décennie les rapports entre KOR et ITA, la F/A devait apporter des avantages pour les deux parties. KOR avec cette opération acquérait un know-how opérationnel, une connaissance consolidée du marché italien et un réseau de vente spécialisée. Les dirigeants coréens attachés à cette filiale avaient la possibilité d’occuper une position importante dans un contexte international qui pouvait les favoriser dans le développement de leur propre carrière au sein de leur propre patrie mais aussi à l’étranger.

66Pour l’entreprise ITA, c’était une opportunité de relancer sa propre présence historique avec de nouvelles forces, sur un marché difficile qui avait mis sérieusement en jeu sa propre survie. Les dirigeants d’ITA avaient ainsi l’occasion d’occuper des positions plus importantes dans une organisation plus grande et mieux structurée.

67L’entreprise née de cette acquisition a été redessinée, de nouvelles divisions ainsi que de nouvelles fonctions ont été ouvertes (finance, marketing, etc.), une équipe managériale composée de dirigeants provenant des deux sociétés a été constituée. Un président coréen a été installé et a entrepris un programme d’investissements en Italie en triplant le personnel cadre de l’entreprise. Le plan de relance a été bâti en tenant compte des apports que chaque personne pouvait donner à la nouvelle organisation, en valorisant le rôle précédent et en lui substituant ou en ajoutant de nouvelles personnes là où cela apparaissait nécessaire. Du point de vue de la structure organisationnelle, la nouvelle filiale avait donc mis en place les ressources pour enclencher avec succès cette nouvelle phase.

68Le manager principal d’ITA était conscient qu’avec cette fusion il allait y avoir quelques difficultés pour son personnel dans le passage vers ce nouveau contexte organisationnel. Il soulignait certaines différences dans les façons de faire qui se rapportent aux aspects les plus explicites et visibles des deux cultures d’organisation : « … j’ai servi d’interface et d’amortisseur avec une culture plutôt différente. Le problème à dépasser était de faire comprendre aux travailleurs de l’ancienne ITA qu’il fallait assimiler des dynamiques de travail structurées, des modalités nouvelles dans la chaîne décisionnelle et dans les délais de réponse aux demandes ».

69Il est clair qu’il y avait bien deux modèles différents dans la manière de faire du business. ITA préférait une gestion informelle et flexible des relations avec les distributeurs du territoire, fixant des objectifs de vente et dans le même temps vérifiant pas à pas avec eux les stratégies adoptées. (…). KOR, au contraire, organisait ces relations sur un mode plus formel et standardisé, évitant les personnalisations et définissant a priori une stratégie ac des vérifications cadencées et structurées. Ceci lui permettait d’opérer sur une grande échelle, de recueillir des données standardisées et comparables et de vérifier les stratégies sur une large dimension. (…).

Trois années plus tard …

70À cette période, j’ai été contacté pour conduire un parcours de formation sur le thème de la communication interculturelle. La relation avec ce client s’est caractérisée dès le début par un long processus méthodique et très rythmé en ce qui concerne l’approbation et la planification de l’intervention, ceci en rapport avec la nécessité d’impliquer le quartier général européen et de construire un consensus autour de cette proposition. À la première rencontre, on m’a signalé que la demande de la maison-mère et du président en Italie était une intervention qui devrait concerner seulement les managers de nationalité italienne avec pour objectif de les aider dans la communication, et donc dans la relation avec le personnel coréen, au siège et à l’étranger.

71Je compris cette demande comme une stratégie d’assimilation culturelle réalisée par l’organisation pour faire face au problème posé par la multiculturalité. Face à un conflit possible entre des modèles organisationnels et culturels différents, KOR propose son propre modèle “gagnant”, qui lui a permis de connaître le succès à un large niveau. Je trouve une confirmation de mon hypothèse quand mon interlocuteur me précise que leur réalité n’est pas multiculturelle, mais “une entreprise coréenne en Italie”. Il est donc demandé au personnel italien d’apprendre le “Comment faire” et de travailler dans le style de la maison mère coréenne. Cette stratégie d’assimilation est cohérente avec certains traits de la culture d’entreprise et en particulier à la demande du « respect dû » dans les rapports avec l’autorité.

72Cette hypothèse a trouvé ultérieurement une confirmation au cours d’interviews de pré-analyse que j’ai conduites aux fins de recueillir des informations majeures sur le contexte et sur les attentes d’acteurs divers pour ce parcours de formation. Au cours de ces rencontres, j’ai prêté une attention soutenue à l’impact de la dimension plus implicite et moins visible de la culture.

73Un manager coréen a été très clair pour expliquer le sens qu’il attribue au mot respect : « Nous devons chercher à nous faire respecter par les autres, sinon nous ne serons pas à la hauteur de ce que signifie le mot respect ». Ce cadre de référence se trouve confirmé par la parole du président coréen qui, se référant aux objectifs de ce parcours, a pu déclarer qu’il “servirait à rappeler à tous que l’on se doit le respect”.

74Cette impulsion manifeste un mode de régulation des rapports sociaux différent de ceux qui ont cours chez ITA, avec des niveaux plus implicites et profonds (…).

75Dans la phase de pré-analyse, je note qu’il y a un blocage communicatif et relationnel entre le management italien et le manager coréen. Un manager italien, avec une longue expérience de travail en Asie, affirme que le parcours de formation devrait « améliorer graduellement la maturité et l’européanisation de ce qui caractérise le style coréen (…), assouplir leur mentalité rigide du fait de leur histoire ». Un autre manager italien m’a expliqué que « Les Coréens n’ont pas compris comment les choses fonctionnaient ici », et que, pour le personnel coréen, « Travailler ensemble est fondé sur une confiance qui se construit en mangeant et en se soûlant ensemble ». Un autre manager coréen a pu me dire aussi que « Les Italiens sont plus émotifs dans le business. (…) Nous, nous sommes schématiques et clairs. C’est plus efficace pour une entreprise. » (…).

76Ce processus de dévalorisation a pour fonction de sauvegarder le cadre de référence de chacun et de maintenir les frontières identitaires menacées. La demande des Italiens d’européaniser le style de management coréen, ou des Coréens d’enseigner aux Italiens comment on travaille, décrit bien le désir que des deux côtés soit reconnu leur professionnalisme et le succès de leur propre modèle qu’ils sentent menacé dans la rencontre avec l’autre.

Le blocage organisationnel

77La nouvelle filiale fait donc face à des turbulences sur les frontières internes du groupe avec une grande partie de l’énergie dédiée aux intrigues. Sur le plan dynamique, j’observe un blocage dans le rapport entre l’organisation elle-même et les travailleurs, en particulier pour les Italiens avec un scénario culturel très différent de celui proposé par la maison-mère. (…)

78L’impact du processus d’acquisition a généré une menace au niveau des frontières identitaires des deux populations de l’entreprise. (…).

79La filiale comme système se trouve bloquée dans cette impasse qui s’articule à un niveau profondément identitaire, ralentissant toute possibilité de mise en œuvre d’un changement.

80Un exemple emblématique de cette impasse se trouve dans la demande de formation qui, de fait, n’est pas de l’ordre d’un changement ou d’une transformation mais plutôt d’un maintien du statu quo, comme s’ils me demandaient : « Expliquez-leur quoi faire pour que je puisse rester comme j’ai toujours été ici ».

81L’entreprise, dans cette phase, réussit à suppléer à ce blocage grâce au succès rencontré par ses produits sur le marché et le personnel parvient à obtenir ainsi une certaine forme de reconnaissance. Mais le prix à payer est de devoir renoncer aux besoins profonds de confiance et de collaboration au sein des groupes de travail. Pour contribuer à une sortie de ce blocage, un processus de coaching pourra fournir certaines permissions présentes dans la culture coréenne, comme la tolérance de l’incertitude, la patience et l’évitement des conflits, et favoriser le partage de certains besoins réciproques (…).

82En démarrant un processus d’écoute et de négociation et en renforçant les éléments de communauté du groupe, mon hypothèse a été de pouvoir construire une base partagée et de favoriser un lien entre les personnes, à partir d’une position qui permette de pouvoir regarder les différences internes au groupe avec une sensation moindre de menace, libérant les énergies du groupe sur d’autres fronts et favorisant ainsi un travail d’équipe plus efficace.

Conclusion

83La stratégie d’assimilation utilisée dans cette fusion a, sans aucun doute, une série d’avantages. Elle propose un modèle « sûr », une référence à quoi pouvoir se fier et favorise un sentiment de sécurité pour une partie de l’organisation. Pour autant, les forces de résistance sont tout aussi certaines et sont alimentées par la réponse au niveau de la structure individuelle des personnes ayant fait l’objet d’une acquisition.

84On parle de résistances qui vont bien au-delà de l’engagement des personnes. Toutes les personnes qu’il m’a été donné de rencontrer dans cette entreprise sont profondément passionnées par leur travail et donnent le meilleur d’elles-mêmes en croyant en leur propre organisation. Mais la proposition, avec force, d’une stratégie « gagnante » provoque un blocage interne, mettant en danger le patrimoine de compétences et de motivation dont l’organisation est dotée.

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Date de mise en ligne : 23/06/2017.

https://doi.org/10.3917/aatc.159.0028

Notes

  • [1]
    Cet article est extrait du n°63-2015 intitulé : « Vivere e pensare le organizzazioni, una ricerca possibile » de la revue italienne « Quaderni di psicologia, analisi transazionale e scienze umane ». L’article a été publié sous le titre : « Organizzazioni in stallo, turbolenze culturali : fusioni e acquisizioni organizzative ». Cette publication est le fruit d’une collaboration entre les AAT et les Quaderni di psicologia.
  • [2]
    Voir pour l’édition française : Éric BERNE, Structure et dynamique des organisations et des groupes, Editions AT, Caluire, 2005.
  • [3]
    NdR : En France, il est de tradition de traduire le concept bernien de « hunger » (faim) par « soif ». Nous avons respecté celle-ci dans la traduction.
  • [4]
    NdR : En anglais le sens de stroke est double, c’est une caresse, mais aussi un coup.
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