Note
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Le texte de Liselotte Fassbind-Kech est paru initialement sous le titre : “La consulenza come Caccia al tesoro” dans les “Quaderni di Psicologia Analisi Transazionale e scienze umane” n° 57/2012 qui est la revue de l’Associazione Italiana di Analisi Transazionale. Il a été ensuite publié sous le titre : « Counseling as a Treasure Hunt » dans le TAJ Volume 43 Number 1 en 2013.(À ce titre, il figure dans ce numéro des AAT avec l’autorisation gracieuse du TAJ et de l’ITAA). Enfin, il a été repris en 2016 dans l’ouvrage de Nora Borris « Einblicke in transaktionsanalytische Beratung » DGTA Edition en 2016.
1Sur Wikipédia, il y a plus de 50 termes faisant référence au conseil, du conseil de carrière au conseil de famille, jusqu’à des types de conseil moins connus comme le conseil biblique, génétique et écologique. En général, le conseil est orienté soit sur un objectif (par exemple, trouver une stratégie d’investissement optimale), soit sur un point personnel (par exemple, se réorienter lors d’une période de changement dans la vie). Dans certains cas, on peut demander à une personne de recourir au conseil (par exemple, sur un ordre de justice).
2Plus souvent, cependant, les personnes recherchent un conseil sur la base de la perception de leurs besoins. Qu’il soit volontaire ou mandaté, le conseil est entrepris dans l’objectif d’améliorer la situation personnelle ou professionnelle actuelle d’une personne.
3Les analystes transactionnels conseillers vont définir un contrat avec le client, précisant le degré, les objectifs et la durée du conseil ainsi que la manière d’en vérifier le résultat.
Modèles en conseil
4Nous trouvons les premiers modèles de conseil dans l’Antiquité. Par exemple, L’Éthique à Nicomaque d’Aristote (2001) était conçu comme un guide pour une bonne vie. Il enseignait que vivre une vie heureuse s’appuie sur bios theoretikos et bios praktikos. Bios theoretikos concerne la vie de l’esprit, l’usage de la raison pour obtenir la connaissance des vérités fondamentales et l’acquisition de la sagesse (p. 251-253). Bios praktikos, la vie pratique, fait référence à un usage optimal de la raison en relation avec l’action dans le monde, ce qui veut dire l’utilisation de l’intelligence et des talents en lien avec les valeurs éthiques (p. 529). Le but du guide d’Aristote est proche du but de la vie qu’Éric Berne (1964) décrit quand il parle d’autonomie, « qui se traduit par l’acquisition ou la redécouverte de trois capacités : conscience, spontanéité et intimité » (p. 158).
Définition du conseil
5Comme déjà mentionné, les conseillers professionnels formulent leurs objectifs individuellement avec chaque client. En même temps, ils sont guidés par les définitions de leurs associations professionnelles nationales ou internationales qui définissent le cadre de référence pour le conseil. Comme exemple, je cite la définition du conseil de l’Association Européenne d’Analyse Transactionnelle (EATA) (2008) :
Le Conseil en AT est une activité professionnelle dans le cadre d’une relation contractuelle. Le processus de conseil permet aux clients ou aux systèmes clients de développer leur conscience, leurs options et leur savoir-faire pour la gestion des problèmes et le développement des personnes dans leur vie quotidienne, par l’amélioration de leurs points forts et de leurs ressources. Il vise à accroître leur autonomie en relation avec leur entourage social, professionnel et culturel.
Le champ du conseil est choisi par les professionnels qui travaillent dans les champs de pratique socio-psychologique et culturel. En voici quelques exemples parmi d’autres : travail social, santé, travail pastoral, prévention, médiation, facilitation du processus, travail interculturel, activités humanitaires.
7En accord avec cette définition, les conseillers sont encouragés à aider leurs clients à développer leur conscience d’eux-mêmes et leurs capacités et à utiliser et renforcer leurs propres ressources dans ce but. Je vois cela comme la tâche principale du conseiller, que j’envisage comme un engagement dans une chasse au trésor excitante.
8Dans sa philosophie de base de l’analyse transactionnelle, Berne (1961) a postulé « que chaque personne est capable de penser » (p. 33). À partir de la définition du conseil par l’EATA citée plus haut, je déduis que la philosophie du conseil en analyse transactionnelle commence par l’hypothèse qu’au-delà de la capacité à penser, chaque personne possède aussi une malle au trésor de ressources supplémentaires.
9Les compétences de base du conseil par l’EATA (2008, Section 5, p. 3-6) énoncent les connaissances, l’attitude et les compétences attendues d’un analyste transactionnel certifié dans ce champ pour être en mesure de travailler avec des standards professionnels élevés. Cela inclut :
- COMPÉTENCES FONDAMENTALES : CAPACITÉS INTERDISCIPLINAIRES
- 1.1. COMPÉTENCE QUANT À SOI-MÊME
- 1.2. COMPÉTENCE SOCIALE
- 1.3. COMPÉTENCE TECHNIQUE
- COMPÉTENCES POUR LE CONSEIL : CAPACITÉS PROFESSIONNELLES SPÉCIFIQUES
- 2.1. CONNAISSANCE ET COMPRÉHENSION DU CHAMP D’APPLICATION
- 2.2. ÉVALUATION
- 2.3. FORMULATION ET PRÉSENTATION DE LA NOTION DE « CONSEIL »
- 2.4. MISE EN PLACE ET PRÉSERVATION DE LA RELATION DE CONSEIL
- 2.5. ANALYSE DE LA RELATION DE CONSEIL
- 2.6. TRAVAILLER AVEC DES CONTRATS DE CONSEIL
- 2.7. PLANIFICATION ET MISE EN OEUVRE DES INTERVENTIONS
- 2.8. SE CENTRER SUR LES RESSOURCES
- 2.9. GESTION DES CRISES
- 2.10. GÉRER LA QUALITÉ DE SA PRATIQUE ET SON DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL
Mettre l’accent sur les ressources
10Pendant leur formation, les conseillers développent toutes les compétences mentionnées plus haut. Les conseillers certifiés en analyse transactionnelle (CTA) montrent leur maîtrise du champ au moment de leurs examens écrit et oral. Même si je pense que toutes les compétences citées sont des atouts importants des conseillers, je pense que se centrer sur les ressources (# 8) est essentiel. Ceci est pour moi comme une chasse au trésor qui peut être une amélioration de la vie pour mes clients et pour moi-même.
11En se centrant sur les ressources, le conseiller doit
- pouvoir tirer profit des points forts du client en tant qu’agent du changement et
- repérer chez le client et dans le système client les ressources existantes et les intégrer dans le processus de conseil ;
- avoir une connaissance opératoire des autres personnes ou institutions ressources présentes dans le voisinage qui pourraient soutenir le client ou auxquelles celui-ci pourrait être envoyé, y compris dans les domaines médical, psychiatrique, psychothérapeutique et autres (section 5, 2.8 manuel de la formation et des examens).
12Je trouve particulièrement intéressant de voir toute la vie du client avec l’objectif d’identifier et de développer ses ressources. Le cadre temporel pour cela peut concerner le passé (jusqu’à la naissance ou même au-delà, vers les ancêtres de la personne), aussi bien que l’avenir (le chemin vers la mort ou au-delà, selon les perspectives du client et son idée de ce qui arrive après la mort).
13Plus loin, je parle de quelques ressources que je classe sur un axe temporel montré Figure 1. Je donne aussi un exemple de mon travail avec chaque ressource.
Ressources sur l’Axe du Temps
Ressources sur l’Axe du Temps
Ressources du présent
14Je commence par les ressources du présent parce qu’elles sont là et disponibles. La « chasse » consiste simplement à les reconnaître et à les utiliser. Chaque conseiller/ère professionnel/le a ses propres techniques et se concentre sur les ressources qu’il/elle considère comme particulièrement précieuses.
15Dans les paragraphes suivants, je suis attentive à certaines d’entre elles que je considère comme spécialement importantes.
Le corps comme le premier trésor à disposition
16Stephen Porges (2009/2010), professeur de psychiatrie et de biomédecine, décrivit la corrélation étroite entre les sensations viscérales et les fibres prosociales du système nerveux autonome (p. 15). Il écrivit que les afférences viscérales – la réception par le cerveau des signaux venant du corps – influencent nos réactions à l’environnement. Nous avons tous expérimenté ce que nous pourrions appeler la réaction des « tripes » quand nous savons que quelque chose n’est pas juste sans savoir ce qui n’est pas juste. Explorer les réactions instinctives des clients est donc un outil pour qu’ils améliorent leur contact avec eux-mêmes et pour renforcer la confiance en leurs propres sensations.
17Le psycho-neuro-immunologiste Joachim Bauer (2002) écrivit : « Les connexions entre notre expérience corporelle et les objets du monde extérieur sont particulièrement significatives dans une perspective psychosomatique ». Le rapprochement des signaux entre la sphère intime du corps et le monde extérieur a lieu dans le gyrus cingulaire du système limbique, la zone « du sens de soi et de l’estime de soi » (p. 76). J’ai souvent remarqué que les clients commencent à se regarder avec estime s’ils prennent du temps pour explorer leurs sensations corporelles.
18Indépendamment de divers énoncés scientifiques, je fais l’expérience que le conseil est particulièrement efficace quand j’intègre les réactions corporelles, de telle manière que je travaille à la fois sur le plan cognitif, émotionnel et sensoriel (cf. exemples de cas 4,5 et 6).
La sécurité : une ressource puissante
19Couramment, les clients se tournent vers les conseillers quand ils font l’expérience d’un défi ou d’un besoin ou quand ils sont envoyés par des organisations qui offrent un soutien pour des gens qui traversent des circonstances de vie difficile. Les conseillers peuvent par conséquent supposer que leurs clients ne sont pas dans un état détendu. En fait, les personnes qui viennent chez des conseillers se sentent vraisemblablement stressés, ceci à divers degrés. Dans un environnement perçu comme dangereux, le corps répond par de multiples réactions physiques. Le système nerveux autonome passe de systèmes affectifs plus récents sur le plan phylogénétique, ceux qui permettent des stratégies orientées socialement, aux réponses archaïques, combat, fuite et figement. Le cortex préfrontal avec sa capacité à gérer les processus de pensée complexe est altéré dans sa fonction. Une fois que les conseillers sont attentifs à ces processus physiques, involontaires et donc non influencés consciemment, cela devient évident qu’ils doivent d’abord et avant tout permettre aux clients d’expérimenter le plus haut degré de sécurité possible sur le moment.
20L’analyse transactionnelle met à disposition des outils utiles pour promouvoir le sentiment de sécurité, en réduisant les niveaux de stress. Dans mon travail, j’encourage l’attitude fondamentale « Je suis OK, Tu es OK » et je fournis une structure qui permet au client de savoir ce qui l’attend. Chaque analyste transactionnel en conseil utilise l’analyse transactionnelle comme une ressource de base dans sa « chasse au trésor ».
21Si les conseillers ont intégré leurs capacités professionnelles, ils ont un libre accès aux composantes sociales du système nerveux autonome. Les muscles du visage et du cou seront détendus, ce qui veut dire que le/la client/e peut s’orienter sur l’expression du conseiller et sur la modulation de sa voix (Porges, 2009/2010, p. 86). En analyse transactionnelle, nous nous référons à ce phénomène comme le niveau psychologique des transactions, perçu et valorisé indépendamment de la communication sociale.
22La sécurité est aussi encouragée par la situation de conseil elle-même qui offre en soi un calendrier de temps fixé à l’avance et le même lieu à chaque fois, idéalement sans interruption ou bruit irritant. En plus, les conseillers formés utilisent des techniques qui aident le client à établir le sens de la relation et, en même temps, à moduler l’intensité de la relation. Par exemple, permettre explicitement ou implicitement au client d’avoir un contact visuel ou de l’éviter peut donner de la place à son expérience, et peut être un paramètre permettant au conseiller d’évaluer l’aisance du client à entrer en relation et/ou d’évaluer le niveau d’activation du réflexe de fuite de la personne (voir le réflexe de fuite, plus loin). Je dis à mes clients qu’il est parfois confortable d’avoir la possibilité de vagabonder avec les yeux quand ils choisissent la position de leur chaise, ce qui offre la liberté du mouvement de l’œil comme trésor potentiel.
Exemple de cas 1
23M. A. a été envoyé en conseil par son médecin qui était aussi son ami. Le médecin m’a dit que son ami souffrait de sévères phobies. Il ne voulait pas voir un psychothérapeute mais était prêt à voir un conseiller s’il était sûr que celui-ci ne porterait pas une blouse blanche et s’il lui permettait de porter son trousseau de clés dans la main. J’acceptai avec réticence de le voir pour un premier entretien. La première transaction de M. A fut de me demander où étaient les toilettes. Avec cette question, il prit soin de son besoin de s’orienter. Disant que ce serait une réussite s’il pouvait rester dans la pièce pendant une heure, il se donna lui-même la permission de partir s’il en sentait le besoin. Avec toutes ces conditions, il établit pour lui-même le meilleur degré possible de sécurité dans l’instant. Le félicitant pour ces mesures de protection, je pris soin de ma propre sécurité en lui demandant quelle serait la pire situation qui pourrait arriver pendant notre rencontre. Il me dit qu’il pourrait soit vomir, soit quitter la pièce. J’étais sûre que je pouvais gérer ces deux possibilités et nous nous mîmes d’accord sur le fait que nous allions tous les deux être ok. En fait, M. A précisa à la fin que ses mesures de protection et mon accord lui avaient permis de se sentir suffisamment en sécurité pour s’engager dans ce premier entretien et pour le gérer.
Utilisation de l’état du moi Adulte : un trésor spécial en conseil
24Une fois que le conseiller a réussi à établir le meilleur climat possible de sécurité et de confort, le conseil est déjà sur une bonne voie de réussite. À ce stade, les clients devraient avoir accès à leur capacité de penser ainsi qu’à leurs propres perceptions corporelles et à leurs sentiments. Cela veut dire, en analyse transactionnelle, avoir accès à l’état du moi Adulte (Berne, 1966/1994, p. 220) et c’est la ressource la plus puissante dans le processus de conseil.
Exemple de cas 2
25Lors du premier entretien, je demandai à Madame B. : « Que désirez-vous savoir de moi ? » (Cornell, 1986, p. 5). Plutôt que de répondre à ma question, elle dit : « Je veux que vous connaissiez ma situation ». Avec cela, elle commença à me parler, toute agitée, de ses difficultés et de son incapacité à les gérer. Sa redéfinition (Schiff, Schiff, and Schiff, 1975, p. 291-292) de ma question me permit de faire l’hypothèse que l’état du moi Adulte n’avait pas le pouvoir exécutif à ce moment-là (Berne, 1961, pp. 20-25). Ainsi, je ne la confrontai pas mais j’exprimai de l’empathie pour sa situation et je la félicitai d’avoir été capable de la gérer depuis pas mal de temps. Plutôt que d’accepter le stroke, elle redéfinit à nouveau en me disant qu’elle n’était pas capable de gérer cela mais le faisait « comme ça ». J’invitai Madame B. à se regarder avec la perspective d’une meilleure amie. Passant de sa propre conscience à la perspective d’une amie lui permit de voir ses mérites de façon réaliste et d’activer son état du moi Adulte. Je l’invitai alors à tenir compte de ses réactions corporelles en gardant à l’esprit ses mérites. Se concentrer sur ses réactions corporelles, dans l’ici et maintenant, permet d’avoir accès à l’état du moi Adulte. Dès que son état du moi Adulte eut le pouvoir exécutif, Madame B. découvrit deux ressources : ses mérites et la possibilité d’utiliser la conscience de son corps pour se détendre.
26Cet exemple montre comment le conseiller peut aider les clients à se faire confiance et comment il peut juger la nature des difficultés auxquels ils font face. Ils se perçoivent encore comme manquant de ressources pour surmonter la situation parce qu’ils sont habitués à se définir en fonction de leurs frustrations, de leurs besoins insatisfaits et/ou des lacunes de leur développement. Ainsi, ils continuent de percevoir le monde et eux-mêmes à partir d’une attitude « Je ne suis pas OK, Tu es OK » ou à partir de la position défensive « Je suis OK, Tu n’es pas OK ».
Réponse de fuite
27Au début du conseil, les clients se sentent souvent tendus et insécurisés, parce qu’ils ne savent pas à quoi s’attendre. Ils peuvent exprimer leur insécurité clairement ou paraître réticents. Si le conseiller valide leur insécurité et leur peur ou leur réticence comme des mécanismes de défense naturels et les encourage à prendre au sérieux ces signaux, ils verront que la réponse de fuite, qui est la base de leur comportement actuel, est normale et valable. Alors, les clients apprennent que la réponse de fuite ne reflète pas de lâcheté, mais constitue plutôt un réflexe de survie archaïque et plein de sens et qu’il s’agit de percevoir et de déterminer de manière autonome si, pour gérer une situation donnée, il est préférable de fuir ou de renoncer et à quel moment.
Exemple de cas 3
28M. A., le premier client mentionné plus haut, parla de sa réponse de fuite quand il dit que ce serait un succès s’il pouvait rester dans la pièce pendant une heure. Dès qu’il fut assis, je lui demandai de me décrire comment il percevait sa réponse de fuite et comment il l’évaluerait sur une échelle de 1 à 10. Il décrivit cela comme une agitation dans ses jambes, particulièrement dans ses pieds et dit qu’il l’évaluerait presque à 10. Je lui demandai de s’imaginer marchant et de laisser ses pieds suivre leurs sensations comme s’il marchait. Dans l’intervalle, j’expliquai la fonction naturelle du désir de fuir comme un réflexe de survie dans une situation dangereuse. Après quelque temps, il réalisa que l’agitation avait diminué à un niveau gérable de 4. Il apprit que marcher ou même imaginer marcher ou courir est un outil précieux qu’il pouvait utiliser pour se calmer.
Réponse de combat
29Les clients peuvent apparaître agressifs envers le conseiller dans certaines situations ou exprimer de l’agressivité envers des personnes ou des situations. Comme la réponse de fuite, l’agressivité ou la réponse de combat résultent d’une impulsion dans le tronc cérébral qui était, à l’origine, au service de la sécurité et de la survie. Si les conseillers valident cette énergie, les clients prennent alors conscience de l’agressivité comme ressource.
Exemple de cas 4
30Mme C., mère célibataire avec 2 enfants adolescents, me dit qu’à la place d’insister d’un ton ferme sur ce qu’elle voulait que ses enfants fassent, elle se laissait entraîner dans des crises à perdre son sang-froid, ce qui était inefficace et la laissait en colère contre elle-même. Comme je lui demandai de situer la colère sur son corps, elle sentit la pression sur sa mâchoire. Permettant à cette pression de devenir plus forte et de se faire entendre, elle fit le lien avec le geste menaçant d’un prédateur plein de puissance.
31Comprenant la force archaïque et vitale de ce geste, Mme C. s’assigna elle-même d’expérimenter chaque jour le pouvoir de ce geste. Elle intégra cette ressource dans son comportement avec ses enfants et remarqua avec étonnement leurs nouvelles réactions.
Signification de la réponse de figement
32Les personnes traumatisées font l’expérience de l’activation de zones vagales amyéliniques du système nerveux autonome dans les situations qui apparaissent ou sont réellement dangereuses (Porges, 2009/2010, p. 86). L’un des effets de l’activation de ces neurones est une immobilité totale ou partielle. Les clients décrivent un état de dissociation et une incapacité à percevoir leur corps. Dans les situations de stress aigu, le figement ne protège pas seulement la personne d’une douleur physique, mais aussi d’une surcharge cardio-vasculaire (p. 277). Si les clients reconnaissent ce mécanisme protecteur comme une ressource qui a été utile une fois, alors ils peuvent apprendre à mieux éviter les dangers courants et de façon plus réaliste. De cette façon, ils peuvent se protéger du danger au moment où ils le perçoivent.
Exemple de cas 5
33Mme C., déjà mentionnée, dit que, parfois, spécialement avec des figures d’autorité telles que son patron, elle se sent figée au lieu de s’affirmer (par ex. pour demander un meilleur salaire). Quand je lui demandai de localiser cette perception de figement sur son corps, elle fut incapable de le faire et dit qu’elle n’avait aucune sensation. Je lui demandai comment elle expérimentait le fait de « ne pas avoir de sensations », elle parla « d’engourdissement ». En explorant les divers degrés d’engourdissement de son corps, elle fut capable de repérer une pointe de colère sous l’engourdissement. En réalisant qu’elle était actuellement en sécurité et en comprenant la fonction protectrice archaïque du figement, Mme C. fut capable de rejouer la situation avec son patron, en étant consciente de sa capacité de mouvement et de sa capacité à se protéger. Elle fut ainsi capable de faire la demande d’un salaire plus élevé.
La relation entre le conseiller et le client : un trésor vital
34Les conseillers sont formés à utiliser la conscience de leurs propres sensations corporelles comme un outil pour reconnaître les phénomènes de transfert. Hargaden et Sills (2002) ont écrit : « Pour nous, la relation transférentielle est indissociable de toute relation. C’est une part de la manière dont nous co-créons la relation entre les autres et nous-mêmes » (p. 46).
35Bauer (2007) écrivit :
« Dans une perspective neurobiologique, nous sommes essentiellement des créatures sociales tournées vers la résonance et la coopération. Il semble que l’élément central de toute motivation soit de trouver ou de pourvoir à une reconnaissance interpersonnelle, à une validité, à de l’attention. Les systèmes de motivation se désactivent quand il n’y a pas de prise en charge sociale possible, et ils s’activent quand c’est l’opposé, quand la reconnaissance ou l’amour sont en jeu. »
37L’attitude de base « Je suis ok, Tu es ok » maintenue par les conseillers en analyse transactionnelle offre les conditions optimales pour donner aux clients des strokes perceptibles et acceptables de telle façon qu’ils puissent continuer à développer une attitude de reconnaissance pour eux-mêmes et pour les autres et ainsi être motivés et capables de progresser dans leur développement.
Étude de cas 6
38Mme D. a traversé une phase de dépression profonde. Pendant plusieurs rencontres, elle est apparue si figée que j’ai parfois douté de ma capacité à gérer la situation comme conseillère. Elle était en traitement chez un psychiatre et elle voyait son médecin de temps en temps. Elle disait qu’elle y allait juste pour avoir ses médicaments mais qu’elle ne les voyait pas comme des personnes de confiance. Elle s’opposait à toutes les propositions que je lui faisais de voir des professionnels spécialisés et je ne pouvais que l’aider à structurer ses journées. Elle était souvent convaincue qu’il n’y aurait pas de sortie du tunnel. Malgré tout, j’avais le profond sentiment qu’elle serait capable de traverser cette phase et je le lui disais souvent. Quand elle en fut sortie, elle me dit que la principale ressource pendant cette période sombre avait été ma confiance qu’elle pourrait gérer et dépasser finalement sa dépression. La solidité de notre relation professionnelle fut le socle qui lui permit progressivement de sortir de sa dépression.
Les émotions : un trésor bien connu
39Il y a beaucoup de livres et d’articles sur les émotions dans la littérature de l’analyse transactionnelle, parlant de leur valeur et de leur fonction. Les analystes transactionnels sont donc bien formés à travailler avec les émotions et à les voir comme un trésor qu’ils recherchent. En fait, Berne (1996/1994) a dit que « les émotions créent toujours une stimulation à une action constructive dans la mesure où la personne active son état du moi Adulte » (p. 309). L’article de Cornell et Hine (1999) « La fonction cognitive et sociale des émotions : un modèle pour la formation des conseillers » offre un modèle théorique et des illustrations techniques pour travailler avec les processus émotionnels dans le contexte d’un contrat en conseil.
Ressources du passé
40En accédant aux ressources du passé, les clients peuvent changer leurs perspectives sur le monde, sur eux-mêmes et sur les autres ainsi que leur identité dans le sens d’une affirmation de soi. Les conseillers sont souvent réticents à travailler avec le passé des clients parce que cela peut conduire la personne à régresser spontanément, le travail régressif étant du ressort de la psychothérapie. Cependant, une telle réticence peut conduire les conseillers à manquer l’occasion de découvrir les ressources des différentes périodes de la vie et de les utiliser judicieusement.
Expériences de réussite antérieure : une chasse au trésor aisée
41Chaque conseiller connaît bien le fait de demander aux clients s’ils ont vécu des situations similaires ou des défis qu’ils ont pu maîtriser. Cette question conduit en général les clients à comprendre facilement comment ils ont dépassé le problème à ce moment-là et comment ils pourraient appliquer les mêmes ressources à la situation actuelle. Le risque est qu’en passant rapidement à une solution dans le présent, les clients ne se réfèrent pas assez à la solution du passé. Il en résulte que leur système de motivation n’est pas complètement mobilisé. Trouver une solution trop vite peut conduire les clients à développer des options actuelles seulement de manière cognitive, manquant ainsi l’opportunité d’accrocher une motivation d’ordre émotionnel. Explorer une situation antérieure en profondeur, avec ses composantes émotionnelles, permet aux clients de reconnaître la valeur des solutions trouvées dans des circonstances difficiles. Que la personne ait supporté la situation et qu’elle ait été créative et active pour trouver des solutions, ces deux faits méritent reconnaissance.
Exemple de cas 7
42M. E, politicien et homme d’affaires accompli, se sentait stressé quand il devait signer quelque chose en public. Son bras devenait raide et il ne pouvait signer qu’avec difficulté. Nous avons d’abord cherché des expériences d’échec, de honte ou autres… Rien ne semblait attirer son attention ou le concerner. Quand je lui demandai de penser à un moment où il avait pu signer en public, il se rappela qu’un jour d’école, on lui avait demandé d’écrire un poème au tableau. Je lui demandai d’être conscient de ses émotions et des sensations de son corps, en s’imaginant debout devant le tableau. Il parla avec plaisir de l’aisance qu’il ressentait dans son épaule et dans son bras et quand dans son imagination, il signa le poème avec son nom au-dessous du nom du poète, il rit et dit : « C’est exactement ça que je veux ». À ma surprise, quand il vint la fois suivante, il parla de sa nouvelle aisance et de son plaisir grandissant à signer son nom en public.
Les ressources du scénario : Le trésor est dans l’histoire
43Dans son discours d’introduction à la table ronde de la conférence d’analyse transactionnelle à Prague en 2010, Maria Teresa Tosi parla de la vision narrative du scénario.
Le rôle du conseiller est d’être cet écoutant. Il ou elle peut influencer l’histoire en aidant le client à envisager une nouvelle perspective, en développant l’histoire plus loin, d’une manière qui se concentre sur les ressources plus que sur les limites. Les drivers, par exemple, peuvent être vus comme limitants ou comme ressources pour développer des qualités. Les personnes qui ont un driver « Sois Parfait » développent souvent un sens pointu de la qualité, qui est utile dans les situations où la qualité est essentielle. Voir cette ressource, plutôt que l’incapacité à être parfait, permet au client d’avoir une attitude plus généreuse envers lui-même.À la base, la vision narrative suggère que la personne a besoin d’une histoire pour définir son identité propre. La vie est construite et reconstruite à travers les histoires que nous racontons sur nous-mêmes et sur nos relations. Les histoires aident les gens à intégrer et à donner du sens à leurs expériences. Quand les gens racontent des histoires, ils le font toujours avec une personne qui écoute – à l’intérieur ou à l’extérieur, dans la réalité ou le fantasme – quelqu’un qui influence le développement de cette histoire.
Exemple de cas 8
44Mme F., une jeune femme, se sentait tellement angoissée chaque fois qu’un collègue ou que son patron lui donnait une nouvelle instruction qu’elle était tout juste capable d’entendre ou d’enregistrer ce qu’elle devait faire. Elle me parla de son anxiété de ne pas être capable d’être assez performante. Quand je lui parlai des drivers, elle me dit : « C’est exactement cela. J’ai besoin d’être parfaite pour faire partie de l’équipe ». Avec cela, elle révéla une part essentielle de son histoire. Quand elle put reconnaître qu’elle avait de très hauts standards et qu’elle avait déjà réussi à gérer une nouvelle tâche, elle commença à se sentir fière de son sens de la qualité. Elle comprit qu’elle était appréciée comme membre de l’équipe et se donna à elle-même la permission d’appartenir, même si elle avait encore à apprendre certaines parties de son travail. Elle construisit sa nouvelle histoire et elle fut alors capable d’entendre les autres lui donner de nouvelles instructions.
Validation des stratégies de survie : découvrir le trésor
45Le conseil peut amener les clients à se rappeler les expériences difficiles de l’enfance et de l’adolescence et il permet d’expérimenter les sentiments actuels qui surviennent suite à ces expériences passées, comme le chagrin ou la colère.
46Les sentiments actuels sont la base pour valider les compétences de l’enfant à vivre la situation.
47Un enfant qui a reçu peu d’affection de sa famille, par exemple, aura été créatif, à la fois, pour chercher l’affection chez des amis, pour survivre avec le manque ou pour créer son propre monde. Ce sont des acquisitions dignes de reconnaissance. En validant ces réalisations colossales, le client peut développer un meilleur respect de lui-même. « La perception physique de cette nouvelle attitude de respect déclenche le système motivationnel de la personne et conduit à la libération de neurotransmetteurs comme la dopamine, les opiacés endogènes et l’ocytocine. Les trois donnent une sensation de bien-être et mettent l’organisme dans un état de concentration physique et psychologique et de disposition à l’action » (Bauer, 2007, p. 28-31). Par conséquent, nous pouvons conclure que toute validation des stratégies de survie ou des injustices surmontées, sert à soutenir les personnes dans leur capacité à créer de nouvelles stratégies, à mettre en pratique un nouveau comportement et de ce fait, à expérimenter de nouvelles validations.
Exemple de cas 9
48M.G. qui avait 80 ans, voulait se préparer à mourir en paix. Il choisit explicitement le conseil plutôt que la thérapie parce que, dit-il, «je ne veux pas retraverser ma vie, je veux simplement trouver la paix».
49Il était d’accord pour regarder sa vie d’en haut, «comme un pilote» (il avait un petit avion, ce qui fut une ressource formidable pour son objectif). Il voyait un garçon placé dans une ferme pour travailler. Il le sentit seul mais prit conscience que le garçon avait un ami formidable, le chien du fermier, à qui il pouvait confier tous ses soucis. Il vit aussi la femme du laitier, toujours agréable avec lui quand il devait porter le lait tôt le matin. Il vit son professeur qui disait ne pas voir quand il s’endormait quand il était épuisé à l’école, et il vit la merveilleuse capacité du garçon à construire son propre monde fantastique. Voyant tout cela depuis sa perspective de pilote, il commença à sentir beaucoup d’amour et d’appréciation pour lui-même comme enfant. Son amertume sembla se dissiper. Quand je lui demandai de noter ses réactions corporelles, il dit qu’il se sentait chaud à l’intérieur et moins tendu qu’avant. En quelques rencontres, non seulement M. G. trouva la paix pour se préparer à mourir mais reçut aussi une nouvelle qualité de vie.
Les ancêtres : à la recherche des trésors oubliés
50Berne (1972) expliqua sa pensée de la « parade familiale » (p. 329) et donna un exemple dans lequel cinq générations étaient liées par la même injonction. English (1969) décrivit l’« épiscénario transgénérationnel » dans lequel la « patate chaude » est transmise de génération en génération. Berne et English ont fait tous les deux références aux aspects limitants des dynamiques transgénérationnelles, mais je suis convaincue que les ancêtres ont bien plus à transmettre que ces restrictions. Nous avons simplement à changer de perspective et à regarder les trésors qu’ils ont à offrir plutôt que de se concentrer sur leurs limites. Les grands-parents et les proches peuvent avoir joué un rôle important dans la vie des clients, à la fois en leur donnant de l’attention, à la fois comme modèle s’ils ont pu gérer leur propre destin. Même les histoires de la famille transmises aux clients peuvent devenir des ressources. La conscience d’appartenir à un groupe de gens qui vécut les défis de la vie avec courage, persévérance, créativité, et/ou amour de la vie, permet la reconnaissance des origines du client et ainsi peut activer son système motivationnel.
Exemple de cas 10
51Mme H. est venue en conseil parce qu’elle se sentait fatiguée et apathique. Son fils venait juste de quitter la maison et sa fille voulait partir aussi. Elle avait une bonne opinion d’elle-même, de son histoire et de sa famille et elle disait : « Les femmes de ma famille semblent vivre des vies rétrécies. Elles travaillent seulement à prendre soin des enfants ». Je lui demandai ce qu’elle savait de sa mère et de sa grand-mère. Elle dit : « Ma mère était plutôt occupée avec son activité. Ma grand-mère était très solide, elle semblait n’avoir aucune émotion. Elle a dû quitter sa ferme et prendre soin de ses enfants toute seule, parce que son mari mourut jeune. Mon arrière-grand-mère s’est occupée de sa grande famille et de sa ferme seule, son mari étant parti à la guerre ». Nous installâmes une chaise pour chacune de ces ancêtres. Les regardant, Mme H. fut impressionnée de voir comment ces femmes avaient été fortes et ce qu’elles avaient accompli. Elle dit : « Ouah, pour moi, c’est comme une lignée de femmes extraordinairement puissantes. » Quand elle reconnut faire partie de leur descendance, elle commença à se sentir fière et elle se redressa. Elle dit : « Je me sens connectée à ces femmes, comme si je pouvais me connecter à leur force. » Après cette expérience, elle put regarder en avant de manière positive, développer des idées pour son avenir et même s’engager dans une nouvelle formation pour son travail.
Ressources du futur
52Les visées d’avenir sont des sources de motivation et de force. Selon Hüther (2006), plus les modèles d’activation sensorielle se propagent à d’autres zones du cerveau, surpassant le modèle d’activation normalement généré pour cette zone, plus ils sont puissants. C’est particulièrement le cas quand l’activation se propage aux zones les plus anciennes, les plus profondes du cerveau, celles qui sont responsables de la régulation des fonctions corporelles. Si une image est associée à une expérience émotionnelle, des modèles d’activation se produisent dans les zones associées du cerveau et sont reliés aux zones limbiques subcorticales qui sont rattachées de près à la régulation des fonctions corporelles (p. 87).
53En pratique, la théorie de Hüther signifie que, plus l’attention du conseiller vise la prise de conscience des réponses à la fois physiques et émotionnelles qui concerne sa perspective d’avenir, plus il permet au client de faire les pas nécessaires pour la concrétiser. En même temps, le client change sa perception de lui-même. Au lieu d’être coincé dans l’apathie ou la passivité, il peut se percevoir lui-même comme capable d’avoir un but et de passer les étapes pour l’atteindre. La validation de ce processus libère encore plus de dopamine, ce qui l’aide à établir et à activer les démarches concrètes qui sont nécessaires à la réalisation de sa perspective.
La vision d’une nouvelle identité : construire un nouveau trésor
54Beaucoup de personnes se rappellent avoir rêvé, petits, de devenir pilote, chercheur, médecin, etc. Pour certains, cette vision d’une identité future les motivait suffisamment pour traverser les étapes nécessaires à la réalisation de leur rêve. Parfois, les clients présentent une autre ressource en disant : « J’ai envie de… » ou « J’aimerais être comme… » ou « D’autres font… facilement… ». Ces réflexions expriment une envie d’être comme quelqu’un d’autre ou d’avoir certaines caractéristiques. Visualiser ces traits de caractère peut démarrer un processus qui permet au client de vivre son rêve ou d’adopter les caractères de la personne enviée.
Exemple de cas 11
55C’est avec beaucoup de respect que je me souviens de Mme I., 85 ans, qui m’apparut fatiguée physiquement et émotionnellement. Elle se vivait comme toujours dans l’attente : attendant que le temps passe, attendant l’arrivée de sa femme de ménage, attendant le repas et attendant surtout de mourir. Comme exemple de la manière dont elle passait ses jours, elle dit qu’elle regardait à la télévision le mariage du Prince William d’Angleterre et de Kate Middleton. Mme. I. était heureuse de voir la Reine Elizabeth qui avait à peu près son âge et qui marchait sur le tapis rouge en acceptant avec grâce les honneurs de tous. Alors elle parla de sa propre vie où elle avait reçu peu d’« honneurs ». À un moment, elle dit : « J’aurais bien aimé recevoir quelques honneurs dans ma vie ». Je lui proposai d’imaginer ce qui serait différent si elle commençait à vivre un peu « royalement » maintenant. Elle réfléchit un moment et commença à décrire sa vie avec un regard royal. Construisant la vision d’une autre manière de vivre, elle commença à explorer ses réactions corporelles, ses émotions et même une nouvelle posture. Elle prit assez de temps pour donner à son corps, à son système nerveux et à son cerveau la possibilité de s’ajuster et ainsi elle atteignit finalement une nouvelle perception d’elle-même qui intégrait l’image de la reine. Mme I. décida de cesser d’attendre plus longtemps et de commencer tout de suite à vivre sa propre royauté. Mettant son chapeau, elle dit : « Mon chapeau ne sert plus à cacher mes cheveux épars mais il devient le symbole de ma propre royauté ». Elle sortit avec les mêmes cannes qu’avant, mais elles étaient devenues des moyens non pas de supporter son poids mais de marcher avec une attitude et une posture redressées.
Vision du problème résolu : le trésor est dans la perspective
56L’art du conseiller centré sur l’objectif est d’éveiller les fantasmes des clients de telle façon qu’ils puissent voir les possibilités de changement et ainsi avancer vers le changement (Bamberger, 2010, p. 25). De Shazer a créé pour cela un outil qu’il appelle « la question – miracle » (De Shazer cité par Bamberger, 2010, p. 11). Il demande au client : « Imaginez qu’un matin vous vous réveillez en ne sachant pas qu’un miracle s’est produit et que tous vos problèmes ont disparu. Vous ne savez pas encore que ce miracle a eu lieu pendant votre sommeil. Comment allez-vous réaliser cela pendant la journée ? Qu’est-ce qui serait différent ? Que feriez-vous d’une autre façon ? Que feriez-vous que vous ne faites pas d’habitude ? »
57En pensant à la manière dont apparaît la situation une fois que la chose est maîtrisée ou que le problème est résolu, le cerveau est stimulé vers une stabilisation neuronale de l’information consciente ou inconsciente. Pour être évoquée consciemment, l’image interne de la situation, de la direction de l’action et du résultat attendu doit être déjà représentée dans le cerveau sous la forme d’un modèle d’activation neuronale spécifique. Par conséquent, nous pouvons seulement penser à une chose et l’imaginer si nous en avons déjà fait l’expérience ou si nous l’avons ancrée comme une image interne dans le cerveau (Hüther, 2006, p. 86). Ainsi, en élaborant une vision du problème déjà résolu, nous donnons un accès à des ressources dont la personne n’est que partiellement consciente.
Exemple de cas 12
58M. J., 40 ans, spécialiste de la technologie Internet, était pris entre le plaisir qu’il trouvait dans son travail et son désir de chercher un nouveau travail avec un autre patron. Lui demandant ce qui serait différent si le problème était résolu, il dit : « J’aurais du plaisir dans mon travail et ne me tourmenterais pas après le travail en me demandant comment j’aurais dû réagir différemment avec mon patron ». Quand je lui demandai ce qu’il ferait à la place de se tourmenter, il fut perdu un moment. Puis il dit : « J’oserais probablement dire à mon patron ce que je veux et ce que je ne veux pas, plutôt que d’être simplement performant ». Lui demandant comment réagissait son corps et comment il se sentait avec cette perspective, il réalisa le changement dans sa position physique et il prit conscience d’un mélange de sentiments de joie et de colère. Il découvrit le plaisir d’être capable d’affronter son patron et reconnut la colère qu’il ressentait face à lui. Il comprit qu’il pouvait utiliser la force de la colère dans un sens positif. Par un jeu de rôles, il fut en mesure d’ajuster sa colère de façon à devenir clair et affirmé. La fois suivante, il décrivit avec plaisir la réaction de son patron qu’il avait perçue comme pleine de respect.
À l’horizon de la vie : le trésor de la sagesse acquise
59Une autre ressource précieuse en lien avec le futur est de faire imaginer aux clients leur anniversaire dans un âge avancé ou dans quelques années et de les faire raconter à leurs invités l’histoire de leur vie. L’histoire comprend à la fois leur situation présente et les différentes étapes qu’ils ont franchies pour arriver à célébrer leur anniversaire de manière si joyeuse. Cette façon de visualiser son chemin de vie futur permet rétrospectivement au client de considérer une situation de challenge avec la perspective d’une vie vécue positivement. Cela permet au cortex pré-frontal de penser clairement et d’éveiller le cerveau limbique avec les émotions correspondantes. Plus cette image peut être reliée à des perceptions corporelles et à des émotions, plus il est probable que le système de connexions neuronales ainsi créé permettra de nouvelles pensées, sentiments et comportements.
Exemple de cas 13
60Pour l’un de mes clients, le vieil âge n’était pas 80 ans mais 35. M. K manquait d’énergie pour préparer sa licence. Il me dit qu’il ne voyait pas la nécessité d’apprendre autant de détails qui seraient inutiles pour sa carrière professionnelle. Je lui demandai ce qu’il désirait obtenir dans sa vie et il dit :
61« Vous savez, la vie est difficile et incertaine et je n’ai pas l’idée de comment ce sera et ce qu’elle sera ». Cependant il était prêt à imaginer ce que seraient ses 35 ans. Ce qui était sûr, c’est qu’il voulait fêter son anniversaire avec ses amis, sa femme et ses 3 enfants et un chien. Il savait qu’il aurait une voiture de sport pour lui et une autre voiture pour la famille. Il s’imaginait vivre dans une maison. Chaque matin, il irait marcher avec le chien et commencerait une journée bien remplie de haut cadre dans une grande entreprise. Percevant ses réactions corporelles et ses émotions avec cette vision du futur, il réalisa qu’il se sentait ravi. Plus il passa du temps à explorer ses sensations, plus la vitalité envahit son corps. Avec un appétit de vie grandissant, il se sentit motivé pour dépasser les difficultés pour obtenir son diplôme comme première étape vers sa vision de l’avenir.
62Et même, cette vision l’aida à atteindre le niveau de manière excellente.
Au-delà de la mort : un trésor à trouver ?
63Il n’y a pas que les personnes religieuses qui ont des croyances personnelles ou des hypothèses sur ce qui vient après la mort. Des gens croient en la réincarnation, d’autres au néant, d’autres en une vie au ciel ou en enfer, etc. Notre système de croyances peut être une source d’espoir, d’angoisse ou de peur de la vie et de la mort. En Suisse où je vis, beaucoup d’adultes se souviennent que les prêtres et les sœurs leur disaient que les pécheurs doivent souffrir dans l’éternité et qu’il y a un Dieu qui voit tout, même nos pensées. Il me semble que ces menaces conduisaient les enfants à se voir dans une position «Je ne suis pas ok, Vous êtes ok», et les rendaient constamment anxieux de faire quelque chose de faux. Bien que ces personnes devenues adultes aient pu développer leur propre opinion sur la religion, l’élastique (Kupfer & Haimowitz, 1971) les fait glisser vers des sentiments archaïques, surtout en cas de stress.
Exemple de cas 14
64Mme L., femme séduisante d’une quarantaine d’années, était bouleversée quand elle pensait à ses 50 ans. Elle paniquait de se voir dans le miroir et de trouver une nouvelle ride. Elle interprétait les rides comme les signes d’une mort imminente et l’approche rapide de ses 50 ans lui signifiait la fin de sa vie.
65En explorant l’origine de sa panique, elle se souvint de la panique qu’elle ressentait à l’église après la communion. Elle savait que c’était impossible pour elle de demeurer dans la situation de pureté de la communion. Quand je l’interrogeai sur ses croyances, elle expliqua : « Je ne sais si ce Dieu est un Dieu bon ou un Dieu vengeur. Ils m’ont toujours donné ce double message d’un bon Père qui nous aime si fort qu’il donna son Fils pour nous, pécheurs et d’un autre côté, d’un Dieu de vengeance qui nous punit pour nos péchés. Je ne suis pas encore arrivée à une opinion personnelle sur ce point ». Je l’invitai à penser à ses propres enfants et à ce qu’elle faisait quand ils faisaient quelque chose de faux. Après un moment, elle dit : « Je ne cesse pas de les aimer, pour autant ils doivent porter les conséquences de leurs actes ». Quand je lui demandai quelles conséquences elle devait assumer pour ce qu’elle avait fait dans la vie, elle répondit : « Oh, je devrais probablement assumer quelques erreurs, de la même manière que mes enfants. Parfois, ça a été très ardu pour eux. Ma fille m’a dit une fois que les punitions étaient justes, parce que, d’une certaine manière, elles faisaient réparation. Je devrais peut-être commencer à voir ma relation à Dieu de manière plus adulte. Je suis en mesure d’affronter mes erreurs et je pense que je peux Le regarder dans les yeux, même si je devine que « Le regarder dans les yeux » est une phrase humaine, assez enfantine ». Mme L. commença à changer son image de l’au-delà et, pendant qu’elle ajustait son mode de communication avec Dieu, elle commença à penser à la célébration de son 50e anniversaire et s’offrit un soin du visage pour peau mature.
Conclusion
66Hargaden et Sills (2002) voient « la thérapie comme un voyage de découverte, qui peut donc conduire au-delà des limites du contrat thérapeutique initial » (p. 32). Je vois aussi le conseil comme un voyage de découverte qui peut conduire à une richesse méconnue ou inattendue. Gardant la perspective de Hargaden et Sills, nous pouvons définir la tâche du conseiller comme servant de guide pour ce voyage à la découverte des ressources, ou comme servant de tuteur pour la chasse au trésor.
67L’une de mes clientes décrivit une fois ainsi son expérience du conseil : «Vous écoutez ce que je vous dis des défis de ma vie quotidienne et vous m’aidez à apprécier ma pensée, mes sentiments et mon comportement. D’une manière intéressante, cette approche me permet de me sentir mieux, d’être plus généreuse avec moi-même et d’essayer de nouveaux comportements».
68J’ai été maintes et maintes fois inspirée par la puissance des ressources de mes clients, qui les rend capables de développer leur qualité de vie. Être témoin de ce processus garde vivantes ma motivation et ma passion pour la chasse au trésor. Je sais que la plupart de mes collègues partagent cette passion pour le métier de conseiller et se réjouissent d’être représentatifs d’une profession qui nécessite de l’engagement, qui mérite le respect et qui offre diversité et satisfaction.
Bibliographie
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Note
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[1]
Le texte de Liselotte Fassbind-Kech est paru initialement sous le titre : “La consulenza come Caccia al tesoro” dans les “Quaderni di Psicologia Analisi Transazionale e scienze umane” n° 57/2012 qui est la revue de l’Associazione Italiana di Analisi Transazionale. Il a été ensuite publié sous le titre : « Counseling as a Treasure Hunt » dans le TAJ Volume 43 Number 1 en 2013.(À ce titre, il figure dans ce numéro des AAT avec l’autorisation gracieuse du TAJ et de l’ITAA). Enfin, il a été repris en 2016 dans l’ouvrage de Nora Borris « Einblicke in transaktionsanalytische Beratung » DGTA Edition en 2016.