Couverture de AATC_147

Article de revue

Coaching et développement des organisations

Pages 3 à 14

Notes et références

  • [1]
    Merci à Hugues Lesot, PTSTA-O, et à François Vergonjeanne, CTA-E, pour l’incitation à développer ma pensée sur ce thème.
  • [2]
    Eric Berne : Structure et dynamique des groupes et des Organisations – Editions d’AT 2005
  • [3]
    Bernd Schmid : Transactional analysis and social roles, Growth and change of Organizations ; ITAA 2006
  • [4]
    Daniel Chernet : Coacher avec l’analyse transactionnelle – Eyrolles – 2009, p 1
  • [5]
    Eric Berne – Des jeux et des hommes – Stock – 1967, p 193.
  • [6]
    Dans le cadre de la psychothérapie, on pourrait dire qu’il s’agit d’un patient désigné. Dans le champ organisation, cela s’approche du bouc émissaire.
  • [7]
    Eric Berne, ibid. p 92.
  • [8]
    Voir à ce propos l’article de Nelly Micholt : Distance psychologique et interventions en groupe, AAT, 73, 1995.
  • [9]
    Vous êtes vendeur, le saviez-vous ? Pearson éditeur, 2013.
  • [10]
    L’opération de soulignement a été identifiée par Carlo Moïso, elle consiste à dire avec simplicité ce que l’on observe dans la situation, à donner du feed-back et à demander à la personne si elle a conscience de ce qui est décrit et ce qu’elle compte ou peut faire face à la situation. Pour Carlo Moïso, cette opération se distingue de la confrontation, qui nécessite un contrat clarifié.

Réussir un coaching

1Dans le champ organisation, l’analyse transactionnelle permet d’étudier et de proposer des options face aux difficultés concrètes rencontrées par les organisations. Un coach formé à ce cadre de référence utilisera les outils et concepts, d’une part, pour développer une relation de qualité avec le coaché et, d’autre part, pour lui permettre d’identifier le dysfonctionnement, d’analyser ses causes et conséquences. Il recherchera dans plusieurs niveaux logiques les hypothèses explicatives les plus intéressantes de la situation ayant conduit à la demande de coaching. Plusieurs concepts et outd’analyse transactionnelle permettent d’éclairer le contexte professionnel d’un coaching et peuvent accompagner le coach dans sa réflexion. La théorie des groupes et des organisations d’Eric Berne [2] et la théorie des rôles de Bernd Schmid [3] sont deux références utiles. Les différents concepts et les points de focalisation qui y sont développés peuvent tous être utiles dans un coaching, en lien ou en complément des concepts classiques de l’analyse transactionnelle. Ils permettent au coach, avec l’appui de son expérience, de développer un regard élargi sur ses accompagnements et particulièrement de développer sa réflexion sur les liens entre le coaching et le développement des organisations.

2Il y a quelques années, cherchant à donner ma propre définition du métier de coach, j’écrivais : « Etre coach professionnel, c’est accompagner une personne, dans un cadre contractuel, pour lui permettre de mettre en œuvre ses capacités, d’atteindre ses objectifs, de donner forme et corps à ses envies. C’est lui permettre d’identifier ses désirs et ses visions, ses compétences et ses valeurs pour fonder ses propres décisions. » Et, pour donner une image plus analogique, s’adressant à une autre forme d’intelligence de mes lecteurs, je leur proposais « C’est aussi accompagner la personne de là où elle croit être à là où elle veut être. » [4] Depuis, je conserverais sans doute cette image en ajoutant « dans un contexte professionnel donné », et ce petit ajout ferait la différence, particulièrement lorsqu’il s’agit d’évaluer la réussite d’un coaching, de mettre en évidence ses limites et d’élaborer des stratégies d’accompagnement.

3Dans de nombreuses organisations, le coaching est employé pour permettre le développement professionnel des managers, au service d’une politique managériale établie. Dans ces organisations, le résultat attendu du coaching réside dans l’appropriation par la personne accompagnée de son rôle, l’adéquation de ses comportements aux attentes de rôle portant sur son poste, l’acquisition de l’étiquette et de la culture technique spécifique à ce poste. C’est le cas, par exemple, lors de l’accompagnement d’un manager dans une nouvelle mission, lors de la prise de nouvelles responsabilités. Dans ces situations, le coaching est réussi lorsque la personne incarne son rôle, en conformité avec ses propres caractéristiques et reçoit des signes de reconnaissance indiquant qu’elle le fait d’une manière acceptable dans la culture de l’organisation. C’est le cas aussi lorsqu’un dirigeant, conscient de ses besoins et de ses limites, demande un accompagnement pour lui-même. L’accompagnement sous forme de coaching répond alors pleinement aux besoins de la personne et de l’organisation à laquelle elle appartient. Un coaching réussi dans sa composante relationnelle et dans l’autonomisation du client, pourra mettre en évidence des problématiques plus profondes de l’organisation, que celle-ci pourra reprendre ou non pour sa croissance. L’organisation organise le retour d’information sur le système de management. Elle demande à la personne coachée de donner son point de vue sur les organisations, les modes managériaux et intègre ces données dans le plan de développement. L’organisation bouge dès que le leader effectif s’empare de la problématique, partage sa définition et les options avec la personne qui la pose.

4Pour les organisations les plus avancées, qui ont conscience de la nécessité de fournir à chaque manager un contexte permettant la performance et la coopération, le coaching est désormais vu comme un moyen, une prestation de service. Il constitue avec la formation, le mentoring, le tutorat, le co-développement, les démarches « qualité de vie au travail »… les outils du développement managérial. Tout ceci étant intégré dans le cadre plus global de la responsabilité sociétale des entreprises, avec sa dimension sociale de respect des hommes, de prévention des risques pour la santé des salariés et de développement des potentiels professionnels.

Le développement de l’autonomie du client comme indicateur de la réussite du coaching

5La mesure de la réussite d’un coaching comporte une première dimension contractuelle : l’atteinte des objectifs tels qu’ils étaient posés dans le contrat, au terme d’un processus d’élaboration impliquant l’Adulte du client. Il s’agit d’accompagner le coaché dans le développement de son autonomie professionnelle, dans la mise en œuvre des actions qui lui permettront de remplir son rôle. Cette manière de voir est centrée sur le coaché, comme client unique de la mission de coaching.

6L’objectif de l’accompagnement est de permettre au client de retrouver des degrés de liberté dans son action, de prendre des options adaptatives positives par rapport à son environnement (Adulte), de définir ce qu’il est prêt ou non à accepter pour appartenir, de développer sa capacité d’affirmation. Les interventions du coach visent l’autonomie du client. Pour Eric Berne [5], « l’accession à l’autonomie se manifeste par la libération ou le recouvrement de trois facultés : la conscience, la spontanéité, l’intimité. » La conscience, se manifeste par la conscience de soi, la conscience de l’autre, la conscience du monde (des situations) et la conscience des relations entre ces éléments.

7• Le développement de la conscience de soi permettra au coaché d’être plus conscient de ses capacités, de ses limites, de ses désirs, de ses valeurs, de ses besoins. Il développera un regard sur sa capacité à être en relation, son style, sa personnalité. Il éclairera en partie ses zones d’ombre (méconnaissances, contaminations, croyances limitantes) et pourra mieux se définir par lui-même, au-delà de ce que son environnement lui renvoie.

8• La conscience de l’autre porte sur une meilleure appréciation de ses ressources, de ses limites, de ses désirs, de ses comportements, de sa manière de comprendre et d’analyser les situations, de réagir au stress. Elle nécessite pour le coaché d’observer plus finement comment ses collaborateurs, ses pairs ou son responsable réagissent à ses actions, aux messages qu’il exprime, à ses attitudes.

9• La conscience du monde amène à porter un regard plus complet sur les situations, leurs multiples causes et conséquences, les différents niveaux logiques d’analyse…

Impact sur la culture de l’entreprise

10Le développement de sa conscience amène le coaché à apprécier les situations au travers de son éthique et de son cadre de référence personnels – cet élément s’observe dès que le niveau de stress diminue, que les peurs et colères éventuelles sont gérées ou moins actives. Avec le développement de sa conscience, le coaché va mettre en évidence les dysfonctionnements de l’organisation, au-delà de ses propres difficultés à tenir son rôle, avec un regard Adulte, il pourra sortir des revendications de l’Enfant Adapté rebelle ou de la suradaptation. En développant sa spontanéité et sa capacité d’intimité (que, dans les organisations, je préfère nommer proximité relationnelle), il pourra modifier ses relations avec son équipe, avec son propre manager et réintroduire le besoin de changement dans le développement managérial. Ainsi, le coaching devient une caisse de résonance des besoins d’évolution de l’organisation. Lorsque l’organisation est dans une relation d’okness avec le coaching, elle organise le retour d’information sur le système de management, comme nous l’avons vu plus haut.

11Dans ces situations, l’analyse, prenant en compte le coaché et la personne morale (qui finance l’action) comme client du coaching, met en évidence que les objectifs et l’impact de leur réussite, appartiennent à 4 dimensions interdépendantes de développement :

  • autonomie professionnelle de la personne coachée,
  • position de vie Ok-Ok, dans ses relations avec son manager,
  • position de vie Ok-Ok, avec les personnes qu’elle encadre,
  • culture et performance de l’organisation, en lien avec ses enjeux (pérennité, performance, respect des personnes par exemple).

12Ces quatre dimensions permettent au coach et à son client d’évaluer les changements apportés dans la durée de l’accompagnement. Vu du côté du coaché, la réussite peut être rapportée à la qualité du processus d’accompagnement, qui sera venu conforter l’Enfant, par la bienveillance, la patience, l’humour, la distance du coach avec les situations vécues, sa capacité d’écoute. Elle sera également en lien avec la réussite des actions nouvelles qu’il aura pu mettre en œuvre, l’évolution de son niveau de stress, les options qui ont émergé dans l’accompagnement, sa capacité à prendre des décisions, à s’affirmer. Le coaché peut également mesurer l’impact des modifications de ses comportements sur son équipe telles que : développement des signes de reconnaissance donnés et reçus, stabilité émotionnelle, délégation, diminution du sur-contrôle, développement de la proximité relationnelle dans les réunions, développement de la coopération. Il est plus rare que, d’une manière spontanée, il s’intéresse à l’impact de l’accompagnement sur la culture d’entreprise et sa performance et c’est l’art du coach de le ramener à cette évaluation.

Lorsque la culture n’est pas propice

13Lorsque les pratiques de coaching sont récentes, non intégrées, que le leadership de l’organisation ne s’est pas suffisamment interrogé sur le sens de ce type d’intervention, ou bien n’a pas développé une culture managériale visant au bien-être des personnes (lorsqu’ils sont gérés, ces différents éléments constituent une indication du développement managérial de l’organisation, avec d’autres qui ne concernent pas directement le coaching), il existe des risques de mésusage du coaching. Deux risques principaux peuvent être mis en évidence : l’instrumentalisation et le renforcement des processus managériaux dysfonctionnels. La manière dont l’organisation va utiliser le coaching (expression de la demande, contractualisation, accompagnement de la démarche) sera significative de son développement organisationnel.

Le risque d’instrumentalisation et les contrats cachés

14Le risque principal que court le coach, lorsqu’il est peu averti du contexte de la demande, est le risque d’être instrumentalisé et de confirmer une croyance défavorable pour la culture de l’entreprise et sa croissance. Dans ce cas, le coaching est considéré sous son simple angle utilitaire, avec une intention, un agenda caché qui ne correspond pas à l’aspect éthique et efficient du coaching. Ces modalités d’instrumentalisation ne sont pas conscientes dans la plupart des cas, elles relèvent de dynamiques inconscientes de l’organisation, qui traduisent des éléments de sa culture managériale. Les révéler permet parfois de faire progresser les pratiques managériales de manière importante.

15Dans ma pratique de superviseur, j’ai identifié différentes formes d’instrumentalisation :

16• « La psychologisation ». Elle vise à reporter tous les problèmes du système et des modèles de management sur les personnes en les désignant comme responsables des dysfonctionnements [6] et à faire porter sur elles la pression de la résolution. Dans de nombreux coachings prescrits, la demande de changement est portée par le supérieur hiérarchique (ou quelquefois le DRH, en relais du supérieur hiérarchique) et non directement par la personne qui en sera le bénéficiaire. Dans ce cas, la demande originelle est souvent élaborée en creux : le manager manque de puissance, manque d’autorité, n’exerce pas complètement son leadership, n’affirme pas sa personnalité. Il ne répond pas aux attentes de son N+1, quelquefois de l’équipe ou du client. Ses comportements sont jugés comme inadéquats, impliquant que c’est à elle, et souvent à elle seule, de changer. La personne est considérée comme responsable de ce qui lui arrive. Or, si la personne désignée a sans doute une accroche scénarique, elle réagit à une difficulté posée par le contexte. Les causes sont le plus souvent multifactorielles et concernent : la culture, les modes de fonctionnement de l’organisation, la pression exercée par les hiérarchiques, la pression des actionnaires, les changements de cap et les réorganisations non assimilées, les consignes contradictoires… Cette attribution à une personne de la responsabilité de problématiques bien plus systémiques et complexes, sans accompagner un changement du contexte pour qu’elle puisse mettre en œuvre de nouveaux comportements, risque de contribuer à un maintien en l’état du problème. La responsabilité conjointe des leaders, de l’appareil, sur les modalités de fonctionnement de l’organisation et l’atteinte des résultats est méconnue. Cette méconnaissance porte, par exemple, sur l’existence et l’importance des jeux institutionnels, sur la nécessité d’un canon clarifié, sur la nécessité de gestion des processus et d’interventions lors du non-respect des règles établies.

17• « L’hygiénisme ». Dans ce cas, le coaching est réservé aux personnes en souffrance, juste avant ou lors d’un burn-out ou d’une crise identitaire majeure. Les personnes coachées sont celles qui sont jugées fragiles. Dans cette mairie d’une grande ville, le coaching n’est proposé qu’aux personnes en difficulté, avec une forte pression pour qu’elles résolvent « leur » problème. Elles sont ainsi désignées aux yeux de leurs pairs comme « celles qui ne vont pas bien ».

18• « Retenez-moi ou je le vire » ou « Epée de Damoclès » décrit les coachings prescrits, avec comme indication faite au coach, « On lui paye un coaching, c’est sa dernière chance ». Ce qui met sur le coach une pression importante lorsqu’il accepte la mission, et peut l’amener à exercer lui-même une pression de changement sur le coaché.

19• « L’alibi » est la variante, où le coach n’est pas informé du risque de licenciement de la personne, et où le coaching permet à la fin de montrer à la personne accompagnée que l’entreprise a fait ce qui était nécessaire pour l’aider (la dernière chance) et que malgré cela, elle n’est pas au rendez-vous. L’organisation utilise alors le coaching pour ne pas faire face à son obligation d’adaptation de la structure individuelle à la structure organisationnelle. [7]

20• « Faites-le changer » consiste pour le N+1 à se dédouaner de l’amélioration de la relation avec son collaborateur, en lui proposant un coaching. Le coach devient ainsi le porteur de l’objectif qui devrait rester la propriété du manager et de son N+1.

21• « Poussez-le vers la porte » consiste à demander au coach d’aider la personne à identifier que la meilleure option pour elle est de quitter l’entreprise.

22• « Le secret » consiste à donner des informations confidentielles sur le coaché, avec interdiction pour le coach de les divulguer dans un premier temps. Ce qui risque de modifier sa relation à la personne accompagnée.

23• « Dites-moi ce que vous en pensez », au contraire, est une demande d’information, généralement de jugement sur la personne accompagnée sous couvert de prendre soin de la relation, de s’intéresser avec sincérité à la personne. Il s’agit d’une intrusion dans la relation de coaching.

24• « Ça ne marchera pas » consiste à ne pas formuler la demande de changement grandiose ou irréaliste, en donnant des objectifs limités à la mission, dans l’objectif caché de montrer que la dépense réalisée pour le coaching ou le type d’intervention n’est pas efficace. Lorsque les coaches sont pris dans ce contrat caché, la réunion de clôture commence souvent par une expression du N+1 mettant en cause le peu de résultats obtenus.

25Même si l’accompagnement est efficace pour la personne accompagnée, et c’est souvent le cas, au travers de la prise de recul possible, du regard neuf apporté sur la situation, de la posture du coach, le coaching a peu d’impact sur la personne morale elle-même.

Le renforcement des dynamiques négatives de management

26L’instrumentalisation modifie la relation de coaching et enrichit des dynamiques négatives de management. Certaines modalités de définition de l’objectif ou du contrat contribuent à les renforcer. Les processus de management ont des dynamiques négatives lorsqu’ils ne permettent pas le développement de l’autonomie des personnes, mais contribuent au renforcement de leur système scénarique et d’une position de vie non Ok. Parmi les plus importants :

27• La suradaptation : la définition des objectifs de changement ne vient pas de la personne accompagnée, mais de son hiérarchique. Au-delà de l’évaluation et du feed-back, dont chacun a besoin pour sa croissance, des jugements sont émis sur les comportements de la personne, son attitude, par des transactions Parent – Enfant renforçant l’Enfant Adapté Soumis. La personne accompagnée accepte les objectifs sans se les approprier, le contrat est établi dans la suradaptation, avec un Adulte contaminé.

28• L’inadéquation : le sentiment d’inadéquation est au cœur de la vie de l’entreprise, dans la relation que la personne entretient avec le travail, avec les jugements extérieurs, avec la perfection, avec le désir de plaire. Chacun veut réussir et faire bien les choses ; lorsque le système ne permet pas de répondre à ces besoins, la personne peut reporter contre elle-même l’insatisfaction qu’elle ressent et se sentir inadéquate. De plus, tout jugement sur le travail d’une personne, sur ses comportements, sur ses attitudes, sur ses résultats, proféré sans bienveillance, peut devenir l’agent d’un sentiment d’inadéquation. Le fait d’être « désigné » pour un coaching peut générer ce sentiment.

29• La déresponsabilisation du leadership : la manière de décrire la difficulté rencontrée par le coaché est pauvre, souvent psychologisée. Les objectifs de changement ne sont portés que par le manager accompagné, n’incitant pas le N+1 à réfléchir à ce qu’il doit mettre en place pour aider son collaborateur à pleinement remplir son rôle. Ceci renforce le sentiment de solitude du coaché et augmente ses difficultés à coopérer. La pratique du contrat tripartite peut renforcer la suradaptation et la déresponsabilisation du leader, en mettant l’accent sur les objectifs de changement de la personne accompagnée à l’exclusion du contexte permettant l’expression de ces changements.

30• La frustration : le coaching met en évidence les difficultés vécues par la personne accompagnée, leur donne un sens nouveau, amène à l’expression de nouveaux besoins, faisant vivre de la frustration. Cela se produit lorsque la rigidité du système et des liens hiérarchiques ne permet pas l’expression de ces besoins et la mise en pratique de nouveaux comportements. Mais aussi, lorsque la pression de changement ne permet pas de mesurer l’efficacité de certaines actions, qui, pour être visible demande davantage de temps. Enfin, cette frustration augmente lorsque le processus de coaching est dévalorisé : « C’est pas le monde des Bisounours », « Les émotions, garde-les pour ton coach, ici, on bosse », ou que les propositions nouvelles du coaché sont refusées.

Accompagner l’intégration du coaching dans la culture managériale

31Toutes les situations d’instrumentalisation ou de renforcement des dynamiques négatives de management ne conduisent pas à des jeux psychologiques entre le coach et l’organisation ou entre le coaché et son N+1, mais elles dévoilent des modes de fonctionnement répétitifs limitant la puissance de l’organisation, sa capacité à générer de la coopération, à affronter les difficultés et à progresser. Elles ne proviennent pas de manipulations en conscience, mais trouvent leur origine dans des jeux institutionnels, des jeux de pouvoir, des croyances sur le management, des manifestations de stress… montrant un investissement insuffisant de l’Adulte organisationnel (culture technique) et d’une étiquette protectrice des personnes (Parent organisationnel), pour le développement de sa performance managériale.

La responsabilité du coach : maintenir une position de vie Ok-Ok, vis-à-vis de la personne morale

32Il peut être difficile pour le coach de rester puissant, lorsqu’il a des enjeux accrochés (conserver un client habituel, trouver des missions, réaliser une première mission de coaching…) ou lorsqu’il n’est plus dans une position de vie Ok-Ok, envers la personne morale et son représentant. Cela peut se produire lorsqu’il doit faire face à la sensation d’être instrumentalisé, à une demande de rupture de la confidentialité ou lorsque le coaché montre une réelle souffrance. Le maintien de sa position de vie Ok-Ok vis-à-vis de la personne morale est néanmoins nécessaire pour permettre de conserver une neutralité et une distance aidante. [8]

33Plusieurs moyens font partie de l’hygiène du coach et lui permettent de maintenir ou de redévelopper sa position de vie Ok-Ok vis–à-vis de la personne morale :

34• Conserver un regard positif sur les organisations et les autoriser à changer. Ce que l’organisation vit aujourd’hui est le résultat de son histoire, de sa culture forgée par les évènements et les décisions adéquates et inadéquates prises par des leaders au fil du temps. Elle a fait face à de nombreuses difficultés depuis sa création, a su évoluer et elle vivra encore beaucoup d’évolutions. Le leadership de l’organisation a lui-même ses limites, est dans des méconnaissances, manque d’information et peut prendre des décisions adéquates.

35• Traiter ses élastiques et ses timbres en supervision et en thérapie. Chaque coach a pu vivre des souffrances lors de ses expériences avec les organisations. Ces expériences ont modelé son regard sur le fonctionnement des groupes. Les croyances qu’il a développées et les émotions anciennes conservées diminuent l’investissement de son Adulte.

36• Ne pas rester seul face au problème. La supervision, les conversations avec des pairs permettent de trouver des options et de relativiser son point de vue.

37• Se rappeler que chaque comportement a une intention positive, prendre conscience que la plupart des comportements visent à traiter des difficultés qui ne sont pas clairement définies, à éviter la confrontation à un problème qui paraît insoluble (grandiosité).

38• Lorsque le comportement apparaît ouvertement manipulatoire, réfléchir à sa propre sécurité relationnelle (protection) et peut-être rompre la relation si le message n’est pas entendu (permission).

39• Penser à la manière positive dont on pourra traiter le problème, au bénéfice conjoint du coach, du coaché, de la personne morale. Identifier les protections nécessaires pour éviter de renforcer les processus managériaux négatifs.

40• Développer sa curiosité pour explorer l’origine de la demande ou du comportement qui paraît non acceptable, dans la relation au représentant de la personne morale. Apprendre à connaître son interlocuteur, ses intentions, ses désirs et sa vision du monde. Cette attitude permet souvent d’être plus influent que l’intervention directe de confrontation. Comme le dit Daniel Pink [9], un consultant et journaliste américain, avoir la capacité de se décentrer et de s’accorder à l’autre (en anglais « attunement ») permet d’influencer : « influencer commence par choisir la perspective des autres et non par pousser la sienne ».

41C’est en conservant sa position de vie Ok-Ok que le coach pourra prévenir le risque d’instrumentalisation en repositionnant avec le représentant de la grande puissance les usages du coaching, en soulignant [10] les points complexes de la demande, en analysant les différentes branches du contrat triangulaire. C’est dans l’exploration du contrat triangulaire qu’il pourra aider l’organisation à intégrer le coaching dans sa culture managériale. Il pourra ainsi développer une conversation et aider l’organisation à clarifier ses points de vue sur :

  • les objectifs managériaux, la manière dont les leaders de l’organisation souhaitent que soient encadrés les professionnels, les comportements attendus et sanctionnés,
  • les objectifs de développement managérial, les dispositifs d’accompagnement des managers, dans leur réussite et lorsqu’ils rencontrent des difficultés,
  • l’habitude et les modalités d’appel au coaching, les modalités d’appel à la médiation ou à d’autres formes d’intervention,
  • les relations entre le coach et l’organisation, garantissant la confidentialité des situations personnelles,
  • la nécessité d’ajustement d’imago et de travail en coopération entre le coaché et son N+1 pour la réussite des changements, préalablement au coaching ou pendant la durée de l’action,
  • l’importance d’accompagner le processus de coaching au sein de l’entreprise, la qualité de la communication sur ce thème.

42C’est bien au moment où le coach est en contact avec le représentant de la grande puissance, c’est-à-dire lors de l’expression de la demande de coaching, qu’il aura accès à la personne (le représentant de la personne morale) qui pourra le mieux réfléchir à l’intégration du coaching dans les pratiques managériales et en identifier les limites et les bienfaits. Il permettra ainsi aux organisations de poursuivre leur développement managérial, conduisant à une attitude d’Okness envers le coaching et les personnes qui en bénéficient.

Notes et références

  • [1]
    Merci à Hugues Lesot, PTSTA-O, et à François Vergonjeanne, CTA-E, pour l’incitation à développer ma pensée sur ce thème.
  • [2]
    Eric Berne : Structure et dynamique des groupes et des Organisations – Editions d’AT 2005
  • [3]
    Bernd Schmid : Transactional analysis and social roles, Growth and change of Organizations ; ITAA 2006
  • [4]
    Daniel Chernet : Coacher avec l’analyse transactionnelle – Eyrolles – 2009, p 1
  • [5]
    Eric Berne – Des jeux et des hommes – Stock – 1967, p 193.
  • [6]
    Dans le cadre de la psychothérapie, on pourrait dire qu’il s’agit d’un patient désigné. Dans le champ organisation, cela s’approche du bouc émissaire.
  • [7]
    Eric Berne, ibid. p 92.
  • [8]
    Voir à ce propos l’article de Nelly Micholt : Distance psychologique et interventions en groupe, AAT, 73, 1995.
  • [9]
    Vous êtes vendeur, le saviez-vous ? Pearson éditeur, 2013.
  • [10]
    L’opération de soulignement a été identifiée par Carlo Moïso, elle consiste à dire avec simplicité ce que l’on observe dans la situation, à donner du feed-back et à demander à la personne si elle a conscience de ce qui est décrit et ce qu’elle compte ou peut faire face à la situation. Pour Carlo Moïso, cette opération se distingue de la confrontation, qui nécessite un contrat clarifié.
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