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Article de revue

Les systèmes de scénario en miroir : un outil pour les superviseurs en formation

Pages 1 à 16

Notes

  • [*]
    Traduit et reproduit avec l’autorisation de l’auteur et de l’I.T.A.A. Paru dans le T.A.J., 39, 4, 2009, pp. 305-314 : « The comparative script system: a tool for developing supervisors ». © I.T.A.A. (Tous droits réservés).
  • [1]
    N.d.T. : En anglais : The comparative script system, que nous avons choisi de traduire par "Les systèmes de scénario en miroir", de préférence à la traduction littérale qui aurait été : Système comparatif de scénario. SILLS, C.,& SALTERS, D., The comparative script system. ITA News, 31, 1991, pp. 1-15.
  • [2]
    LAPWORTH, P., SILLS, C.,&FISH, S., Integration in counselling and psychotherapy: Finding a personal approach. Sage, 2001.
  • [3]
    SILLS, C.,&SALTERS, D., art. cité (n. 1).
  • [4]
    BERNE, E., Analyse transactionnelle et psychothérapie (orig. 1961). Payot, 1997.
  • [5]
    N.d.T. : Les auteurs jouent sur les mots mother et other en écrivant : (m)other.
  • [6]
    BOLLAS, C., The shadow of the object: Psychoanalysis of the unthought known. Columbia University Press, 1987.
  • [7]
    CLARKSON, P., Transactional analysis psychotherapy: An integrated approach. Routledge, 1992. MAZZETTI, M., Supervision in transactional analysis: An operational model. T.A.J., 37, 2007, pp. 93-103.
  • [8]
    WARE, P., Types de personnalité et plan thérapeutique (orig. T.A.J. 1983). A.A.T., 28, 1983, pp. 156-165. C.A.T., 4, pp. 264-273.
  • [9]
    ERSKINE, R.G., Supervision for psychotherapy: Models for professional development. T.A.J., 12, 1982, pp. 314-321. MAZZETTI, M., art. cité (n. 7). SILLS, C., Developmental stages of the psychotherapy trainee. Supervision course presented at Metanoia Institute, London, 1985.
  • [10]
    KORZYBSKI, A., Science and sanity: An introduction to non-Aristotelian systems and general semantics. Institute of General Semantics, 1933.

1Les systèmes de scénario en miroir [1] ont été conçus à l’origine pour intégrer les différentes "écoles" d’analyse transactionnelle afin d’enrichir le diagnostic et le plan de traitement en thérapie. Ils ont également été pensés comme un cadre de travail pour la réflexion et l’auto-supervision. Par la suite, ils ont été développés à la fois comme un cadre de travail conceptuel et une procédure stratégique pour l’intégration en psychothérapie [2]. Dans cet article, nous décrivons brièvement les systèmes de scénario en miroir et les présentons comme un outil de supervision dans trois domaines importants.

2Premièrement, les superviseurs sont souvent amenés à aider les thérapeutes à gérer une somme importante d’informations sur le client, la situation et l’interaction dans le cabinet de consultation. Les thérapeutes trouvent souvent difficile d’organiser ces données, ainsi que leurs pensées et leurs émotions, de manière à pouvoir formuler les problématiques clés. Les systèmes de scénario en miroir offrent un cadre de travail qui décrit les deux arcs : celui du passé et du présent et celui des vécus internes et externes.

3Deuxièmement, en lien avec la dynamique de transfert et de contretransfert, les superviseurs en formation se plaignent souvent qu’il n’existe pas de manière claire de décrire la relation co-créée afin que la théorie soit reliée de façon pragmatique à la pratique tout en restant dynamique. Pour nous, les systèmes de scénario en miroir peuvent offrir une aide théorique et pratique efficace pour représenter le champ relationnel entre le praticien et le client.

4Troisièmement, une autre problématique habituelle chez les superviseurs débutants est de définir les paramètres du champ de la supervision : qu’est-ce qui est permis et qu’est-ce qui ne l’est pas pendant les séances de supervision ? Ils se demandent souvent s’il est approprié de traiter du matériau personnel apporté par le supervisé ou si c’est du domaine qui n’appartient qu’à la thérapie. Le superviseur peut-il nommer ouvertement, voire même confronter les problématiques scénariques du professionnel lorsqu’elles émergent comme un résultat du travail thérapeutique ?

5Nous pensons qu’une question importante dans la formation des superviseurs est de définir une frontière claire entre supervision et thérapie. Nous sommes conscients que la supervision peut avoir (et a effectivement souvent) un effet thérapeutique pour le supervisé, mais ce n’est pas le but de la supervision et cela ne doit pas être recherché par le superviseur. Cela fait partie de la responsabilité du superviseur d’aider à identifier et à prendre conscience de la façon dont les schémas répétitifs personnels du thérapeute peuvent affecter ou être affectés par la séance de thérapie, avec pour but d’améliorer le service au patient et de développer les compétences et la compréhension du supervisé. Cependant, ce n’est pas le rôle du superviseur que de traiter des questions scénariques dans le but direct d’opérer des changements à un niveau scénarique.

6Dans nos pratiques, nous sommes d’avis de bien différencier le cadre de la supervision de celui de la thérapie, ce qui inclut aussi d’éviter la double relation qui serait d’être à la fois superviseur et thérapeute, même dans des cadres différents, avec la même personne. Ces frontières claires permettent d’encourager le professionnalisme et de protéger les supervisés contre de potentiels dommages qui naîtraient d’une relation qui tente d’être thérapeutique mais également normative, éducative et évaluative.

7En même temps, nous pensons que les émotions, les sensations et les réponses irrationnelles constituent certainement de la matière pour la supervision et une source riche de renseignements pour le thérapeute, que ce soit à propos de la relation thérapeutique ou de la sphère du client. Être à l’écoute de ses vécus internes pendant le travail professionnel en tant qu’analyste transactionnel (quels que soient les différents champs d’application) est crucial. Les systèmes de scénario en miroir offrent une manière d’identifier clairement une frontière entre ce qui appartient au champ relationnel de la pratique et les liens possibles vers des questions scénariques plus anciennes, qui sont du domaine de la thérapie.

Les systèmes de scénario en miroir

8Le modèle des systèmes de scénario en miroir est avant tout une carte dynamique qui décrit la façon dont les êtres humains, depuis leur enfance, développent leur personnalité et apprennent à être dans le monde. C’est un modèle visuel et, alors que nous avons besoin de beaucoup de mots pour le raconter à l’écrit, le lecteur peut aller à la figure 1 et voir immédiatement comment il fonctionne. Il repose sur le fait que les êtres humains sont des créatures faiseuses-de-sens. Nous donnons du sens aux expériences qui sont le résultat d’une interaction entre nos besoins, émotions et désirs dans la relation, et un monde qui y répond plus ou moins bien. Et le sens que nous donnons peut être conscient, au sens cognitif, ou bien peut constituer un protocole inconscient : adaptations viscérales, émotionnelles et musculaires au moment où nous développons nos manières d’être au monde avec les autres. L’analyse transactionnelle a beaucoup de façons de décrire ces formes les plus anciennes de donner du sens : décisions précoces, schémas relationnels, principes organisateurs, croyances scénariques, positions de vie ou cadre de référence : en fait, l’écriture du scénario. Les systèmes de scénario en miroir sont une carte qui montre la façon dont le scénario se forme, se joue et se maintient. La première fonction du modèle [3] était de comparer et intégrer les différentes théories et écoles d’analyse transactionnelle, c’est pourquoi nous l’avions appelé Script comparative system.

9En conséquence de cette fabrication précoce de sens, nous autres humains développons des manières habituelles d’organiser nos relations ; dans nos vies de tous les jours, nous réagissons avec des émotions, des pensées et des comportements qui renforcent et maintiennent nos tentatives les plus anciennes de donner du sens. Les systèmes de scénario en miroir représentent ce processus dans un cycle qui se répète avec quatre parties, comme indiqué à la figure 1.

Figure 1

Les systèmes de scénario en miroir

Figure 1

Les systèmes de scénario en miroir

10La partie A regroupe les expériences et les répétitions originelles. Elle représente l’expérience précoce de développement de l’enfant : le protocole d’origine et les palimpsestes ultérieurs [4] qui sont créés par la culture, la famille ou le hasard ainsi que les bénéfices des jeux psychologiques qui créent un écho à la scène originelle. Cette partie comprend les relations les plus précoces entre l’enfant et la mère/les autres [5] et aussi les incidents spécifiques ou les situations particulières à la vie de cet enfant.

11La partie B est la fabrication du sens qui émerge si les expériences en A se produisent assez souvent ou sont suffisamment fortes. Les parties A et B appartiennent au passé. Elles représentent l’écriture du scénario.

12Les parties C et D décrivent le processus de l’ici et maintenant. La partie C est un processus interne : penser, ressentir, sentir et imaginer, qui sont les réponses habituelles aux stimuli et aux événements actuels parce qu’elles émergent de la fabrication du sens. En analyse transactionnelle, nous parlons de méconnaissance, grandiosité, désordres de la pensée, sentiments parasites et sentiments transférentiels. Les schémas anciens sont particulièrement intenses lorsqu’un stimulus identique à celui de A est revécu.

13La partie D, qui est la conséquence en termes de manifestations externes, représente le comportement de l’individu basé sur des croyances et des processus internes.

14Le comportement risque de favoriser une répétition de l’événement en A. Le comportement peut être étudié en utilisant le triangle dramatique, l’analyse transactionnelle proprement dite, les comportements de passivité etc. Les parties C et D constituent à elles deux la « vitrine racket » du système racket. Le modèle dans son ensemble indique clairement le déroulement du scénario, la mise en acte d’un jeu psychologique.

Le cycle en action : quelques exemples

15Ce modèle est en fait un cycle d’apprentissage. Il peut être soit positif soit négatif.

16Par exemple, un enfant, Ben, apprend à lire sur les genoux de son père, tout en regardant avec lui les images et en épelant les mots. Papa est un homme qui prend beaucoup de plaisir à lire et à découvrir, et il se réjouit devant le plaisir que son fils a à apprendre. Ben fait l’expérience de se sentir intelligent, aimé et stimulé (partie A : l’expérience précoce). Il en vient à "savoir" qu’apprendre est amusant et gratifiant, et que son parent adoré l’encourage et le soutien (B). Lorsque plus tard, à la maternelle, il se trouve devant la table des livres recouverte d’un tas de nouveaux livres pleins de couleurs, il se sent tout excité et s’attend à les comprendre. Il s’attend aussi à recevoir le soutien du professeur : la figure parentale du moment (C). Il lit et aime ça, et demande de l’aide lorsqu’il en a besoin et se réjouit de cette capacité. Adolescent et, plus tard, adulte, il continue selon ce schéma. Il dévore les livres et intègre ses lectures dans son métier de professeur, en expérimentant des théories et des techniques (D). Ce faisant, il a favorisé de façon régulière une répétition de son expérience en A.

17Bien que ce système s’auto-renforce de par sa nature, ce n’est pas un système fermé. Cela signifie que les individus peuvent assimiler de nouvelles informations et, par conséquent, renouveler en permanence leurs croyances (Partie B) à la lumière de nouvelles expériences. Par exemple, après plusieurs tentatives devant un manuel d’ingénierie, Ben en conclut que tous les apprentissages ne sont pas passionnants ou agréables pour lui et il choisit d’approfondir son étude de la littérature anglaise. Cette capacité de renouvellement est le signe d’un apprentissage sain. Alors les croyances sur soi, les autres et le monde que l’on trouve dans la partie B, sont changées ou modifiées, ce qui amène un changement dans le schéma des réponses internes (C), et un nouveau comportement (D), ce qui crée de nouvelles expériences en A.

18Pour autant, en tant qu’analystes transactionnels, nous pouvons avoir besoin de nous concentrer sur les éléments pathologiques des modes d’apprentissage d’une personne, et la façon dont son système scénarique de pensée, émotions et comportement se ferme, ce qui lie l’énergie et limite tout nouvel apprentissage ou toute nouvelle option. C’est ce qui se passe lorsque les réponses de l’environnement sont inadéquates ou inappropriées aux besoins de l’enfant. Par exemple, la mère de Kanda ne l’autorisait pas à jouer dans la rue avec les autres enfants, et il se rappelle être assis à la fenêtre à les regarder jouer au foot ou à Chat Perché (partie A). Il se rappelle qu’il pensait : « Les autres s’amusent énormément, mais à moi il n’arrive jamais rien » (partie B). Plus tard, à l’école, lorsqu’il sera convié par le professeur à passer une audition pour la pièce de l’école, il se sentira déprimé et résigné, et croira qu’il n’a aucune chance d’obtenir un rôle (partie C). En conséquence, il ne participera pas aux auditions et finira par regarder les autres prendre plaisir à répéter (A) et il pensera : « Les autres s’amusent énormément ». Adulte, Kanda passe ses heures de loisir à lire le journal et à regarder la télévision. Il envie fréquemment les gens dont on parle dans le journal et ceux qu’il voit à la télé, ainsi que ses amis qui semblent avoir des vies bien plus passionnantes (voir fig. 2).

Figure 2

Système scénarique de Kanda

Figure 2

Système scénarique de Kanda

19Rappelons encore une fois que l’expérience précoce en A implique l’interaction entre l’environnement, les émotions, les sensations et les besoins de l’enfant. La façon dont tout cela est géré a un effet important sur le type d’expérience qui pourra être intégrée de façon saine dans un cadre de référence réaliste. Lorsque les sentiments ou l’expérience affective corporelle est réprimée, soit parce que l’enfant la vit comme impossible à contenir ou en réaction à un environnement qui ne valide pas ou qui répond négativement, le risque est bien plus grand pour la personne de développer un système fermé.

Autres utilisations du modèle

20Les systèmes de scénario en miroir peut aussi être utilisé pour réfléchir à différentes approches ou interventions thérapeutiques. Beaucoup, si ce n’est la plupart des thérapeutes et des conseillers, donnent au client la possibilité de « raconter leur histoire » (partie A). En se focalisant sur la partie B, le thérapeute peut mettre l’accent sur l’identification de croyances scénariques et la remise en question d’hypothèses. Ou bien, dans la partie C, en travaillant dans le transfert, le thérapeute peut aider les clients à devenir conscients de leur « connu impensé » [6], c’est-à-dire des schémas relationnels inconscients, qui émergent entre eux dans l’espace relationnel. Ou bien, le thérapeute peut décider de rester fermement dans le présent, ne laissant pas passer les méconnaissances qui se révèlent dans les transactions de redéfinition et les comportements de passivité et ainsi de suite.

Les système de scénario en miroir en supervision

21Nous présentons à présent un développement des systèmes de scénario en miroir qui aborde les trois plus importantes difficultés rencontrées en supervision que nous avons décrites plus haut.

22Identifier les problématiques clés. D’abord, le modèle peut être utilisé, en supervision ou en auto-supervision, comme un outil pour identifier les problématiques clés du client [7]. Le superviseur et le supervisé peuvent tracer le modèle et, en se renseignant de façon appropriée, remplir peu à peu les parties (qui représentent les zones du psychisme et de la vie du client) en prenant soin de voir là où se situent les manques et en soulevant des questions sur de possibles pistes inexplorées. Cela peut être aidant pour clarifier les hypothèses et la vue d’ensemble du cas. En fonction des approches particulières des supervisés, ils choisiront de se concentrer sur certaines parties plutôt que d’autres, mais il y a des chances qu’ils s’aperçoivent que leur travail les amène naturellement d’une partie à l’autre jusqu’au point de départ en suivant le processus de leur client. Si le thérapeute et le client sont "coincés" à un moment donné, il peut être aidant d’utiliser les portes de la thérapie de Ware [8], pour identifier la capacité du client à accéder aux différentes parties. Une autre façon de faire pour le thérapeute est simplement d’intervenir au niveau du comportement, de la narration, des croyances ou des pensées/émotions ici et maintenant pour découvrir ce qui est le plus utile pour le client à ce moment-là.

23Le modèle aide également à identifier les problématiques clés pour le développement professionnel du supervisé. En l’utilisant avec plusieurs clients, un thérapeute peut découvrir une zone qui n’avait pas été identifiée auparavant pour son propre développement, comme par exemple reconnaître qu’il ou elle a, sans raison, tendance à travailler dans une partie au détriment d’une autre. Principalement dans une formation à long terme (par exemple, la préparation d’un trainee pour les examens de Certification en analyse transactionnelle), le superviseur peut utiliser cet outil pour aider le supervisé à devenir conscient de cette tendance et de ses axes de développement.

24Comprendre le champ relationnel. Les systèmes de scénario en miroir peut aussi être utile pour décrire le champ relationnel entre les supervisés et leurs clients en représentant l’interaction des dynamiques co-créées ainsi que des schémas répétitifs habituels de chaque participant. La figure 3 montre deux cycles, l’un représentant le client et l’autre le supervisé. Les deux personnes possèdent une partie "ailleurs et autrefois" et une partie centrée sur le présent au sein de laquelle ils échangent leurs expériences actuelles.

Figure 3

Dresser la carte du champ de la thérapie

Figure 3

Dresser la carte du champ de la thérapie

25Nous devons ajouter que, afin de réaliser une illustration en deux dimensions, deux ajustements ont été effectués. Tout d’abord, les systèmes ont été tournés pour présenter désormais deux moitiés verticales. Ensuite, le cercle de gauche, qui représente le processus du supervisé, a été retourné pour que les deux cercles soient en miroir.

26Comme nous venons de le décrire, pendant la supervision, nous pouvons aider les supervisés à remplir les quatre parties du cercle du client et, à l’aide de questions appropriées, le côté droit (partie C et D) de leur propre cercle pour les aider à devenir conscients de leurs vécus internes pertinents pendant la séance, de leurs comportements et de la façon dont ils sont reliés aux vécus internes et aux comportements de leurs clients. Le côté gauche du supervisé reste vide.

27Reconnaître la frontière professionnelle. Le côté gauche du cercle du supervisé est cependant très important, et le superviseur doit faire preuve de sensibilité lorsqu’il l’aborde. Parce qu’il se réfère aux questions personnelles du thérapeute, à ses expériences passées et à de possibles appareils scénariques, le superviseur doit éviter de l’aborder de façon directe afin de respecter la frontière entre thérapie et supervision. En même temps, il est essentiel de ne pas la méconnaître ; en fait, sa relation à l’expérience du thérapeute doit être mise à jour. C’est seulement comme cela que l’on peut apprécier et utiliser en thérapie les subtilités d’une co-création en train de se faire. En traçant le côté gauche du diagramme, le superviseur le prend en compte ; en le laissant vide, le superviseur donne comme modèle le respect de sa frontière.

28Dans la figure 4, le champ relationnel est tracé comme un vecteur bilatéral (la flèche a deux pointes), dont la taille varie pour symboliser l’intensité et l’impact de la dynamique transférentielle et contre-transférentielle.

Figure 4

Le champ relationnel

Figure 4

Le champ relationnel

Les systèmes de scénario en miroir en pratique

29C as n°1 : le tout jeune débutant. Niccolò est un jeune collègue qui vient juste de commencer sa formation. Le superviseur a la chance de lui donner sa première supervision deux jours après sa première séance de thérapie avec son premier client : un vrai débutant !

30Dans le groupe de formation, Niccolò commence à parler de cette séance : après 20 minutes, et malgré des questions de la part de ses pairs, la seule information que le groupe et le superviseur sont arrivés à obtenir, c’est que c’est un homme, entre 20 et 70 ans, qui habite dans un village. D’autre part, ils en ont appris beaucoup sur le vécu subjectif de Niccolò pendant la séance : il était très anxieux, il avait peur de ne pouvoir aider le patient, avec en prime un fort dialogue interne critique. Le superviseur a tracé deux cercles, et les a remplis avec toutes les données apportées jusqu’à ce moment. Ils avaient beaucoup de renseignements pour la partie C (vécu interne) et D (comportement) dans le cercle du thérapeute ; quelques uns pour la partie D (comportement) dans le cercle du client, et pratiquement rien d’autre. Le vécu interne du thérapeute était principalement de l’anxiété, un sentiment d’inadéquation, la peur d’être un mauvais thérapeute et de l’insécurité. Il disait avoir posé beaucoup de questions mais n’arrivait pas à se souvenir des réponses (partie D). C’est le comportement du client qui allait donner des réponses à ces questions.

31Comme indiqué dans la figure 5, plusieurs parties demeuraient vides d’informations, et le champ relationnel (représenté par la petite flèche à deux pointes) paraissait bien faible. Cette image n’est pas inhabituelle dans les premiers temps de la pratique, où les trainees se concentrent souvent plus sur des expériences internes non contre-transférentielles. Autrement dit, ils sont préoccupés par leur dialogue interne et leur besoin de saisir leur nouveau rôle [9].

Figure 5

La première rencontre en thérapie de Niccolò

Figure 5

La première rencontre en thérapie de Niccolò

32La représentation des cercles a permis au trainee de prendre conscience de ses vécus internes et de la façon dont ils envahissaient le champ relationnel et la rencontre avec le client. À ce stade, le superviseur l’invita à avoir de la curiosité pour l’homme qui était venu dans son cabinet et Niccolò, pour la première fois pendant la séance de supervision, se centra vraiment sur son client. Il découvrit qu’il en savait beaucoup sur lui : il avait 61 ans, était jeune retraité, et avait déménagé d’une grande ville vers son village d’origine où, ces dernières années, pendant les week-ends et les vacances, il avait fondé et dirigé une petite école de musique au sein du centre culturel de la ville. À sa retraite, il avait espéré travailler à temps plein dans l’association, mais la nouvelle mairie avait supprimé les subventions pour ses activités.

33Tout en parlant, Niccolò a compris que son client éprouvait beaucoup de tristesse à ce sujet et était peut-être même déprimé après la perte, en même temps, de son métier et de son activité culturelle. Il a été ému par cet homme. Le superviseur a demandé alors au trainee s’il aimait la musique : « Oui, beaucoup. Avant l’université, j’étais à l’École de musique et je jouais très bien du piano », « Eh bien alors, vous avez beaucoup de choses à partager ! ». La supervision s’est terminée de façon positive et Niccolò a attendu avec impatience la séance suivante avec son client.

34On le voit, les systèmes de scénario en miroir ont aidé le trainee à se centrer sur la relation avec le client et à s’éloigner de son propre dialogue interne. En même temps, il a pris conscience des implications de la partie gauche de son cercle (parties A et B), qui était toujours vide. Il a commencé à faire le lien entre ce qui s’était passé pendant la séance de thérapie et ses propres schémas répétitifs anciens et a décidé d’en parler avec son propre thérapeute.

35Cas n°2 : superviseurs de trainees. Sofia et Alice sont deux trainees expérimentées et membres d’un groupe de formation pour Analyste Transactionnel Enseignant et Superviseur Provisoire (P.T.S.T.A.). Toutes deux sont des thérapeutes confirmées et de bons superviseurs et sont à l’aise avec l’utilisation des systèmes de scénario en miroir. À l’intérieur du groupe de formation, elles ont de la supervision de pairs. Alice apporte un cas et Sofia est le superviseur.

36Alice commence : « Je veux comprendre ce qui s’est passé lors d’une séance que j’ai eue avec une nouvelle cliente, une jeune fille de 20 ans avec un grave trouble de l’alimentation. Dès qu’elle a dit : "Docteur, est-ce que vous pensez que je peux être guérie ?", j’ai ressenti une forte anxiété et je me suis sentie coincée ».

37Sofia a tracé les cercles. Elle a posé des questions sur le comportement de la cliente, puis sur le vécu interne d’Alice, son anxiété et son sentiment d’être coincée, qui l’ont amenée à poser beaucoup de questions fermées et inutiles sur la situation de la cliente. À l’évidence, le champ relationnel était intense et Alice en était très consciente (fig 6).

Figure 6

Un champ relationnel intense et envahissant

Figure 6

Un champ relationnel intense et envahissant

38Les deux collègues se sont soigneusement mises en quête d’informations pour compléter le système scénarique de la cliente. Avec l’aide du superviseur, Alice a réfléchi sur ce que pouvait recouvrir la question de la cliente. Elle a compris la vie faite de dépendance que la cliente menait, en prenant en compte les informations qu’elle avait sur des symbioses de premier et de second ordre qui avaient été installées avec sa mère pendant l’enfance et qui avaient continué jusqu’à ce jour (partie A). Elle a réfléchi sur le manque de frontières dans la famille de sa cliente et a fait des hypothèses quant aux injonctions principales les plus probables et les décisions précoces du scénario de la jeune femme (B). Alice a pu formuler une hypothèse sur le vécu interne actuel de la cliente : probablement un grand besoin que quelqu’un prenne soin d’elle, pense pour elle et la prenne en charge (fig. 7).

Figure 7

La carte du scénario de la cliente

Figure 7

La carte du scénario de la cliente

39À ce stade, Alice a compris pourquoi elle avait été anxieuse ; elle avait perçu l’accroche symbiotique de la cliente sur elle et cela lui faisait peur. C’est la raison pour laquelle elle s’était comportée d’une manière qui mettait de la distance avec la cliente tout en la prenant pourtant en charge. Lorsque la cliente avait utilisé le mot "docteur", cela avait déclenché chez Alice comme une forme médicale de modèle de thérapie dans lequel le "médecin" fait le tour du problème par ses questions et prescrit ensuite les médicaments ! Elle avait collé à l’urgence du besoin de la cliente et, dans la supervision, elle s’était autorisée à découvrir son empathie pour les vécus internes de sa cliente et leur signification.

40Avec l’aide du superviseur, Alice a identifié les étapes qu’elle pourrait suivre pour aider sa cliente. Juste avant la fin de la supervision, faisant preuve de compétence, le superviseur a voulu ajouter quelque chose :

41Sofia : Et il y a aussi, bien entendu, une partie gauche à ton cercle. Alice : Ah oui (avec un rire contrit). Je me suis rendu compte de certaines choses. Je pense qu’il y a un parallèle avec quelqu’un que je connais très, très bien ! Il faut que je lui parle. Et ça pourrait être une bonne idée d’en parler aussi avec ma thérapeute !

42Il est clair qu’Alice avait fait une prise de conscience ; son "ailleurs / autrefois" n’a pas été abordé pendant la supervision, mais on ne l’a pas non plus méconnu. La supervision a très probablement eu un effet thérapeutique sur elle, même si ce n’était pas le but de la séance et cela n’a pas été plus loin. La frontière entre ce qui est une affaire de supervision et ce qui relève de la thérapie a été renforcée.

43Cas n°3 : niveaux de complexité. Les clients apportent leurs schémas répétitifs relationnels les plus anciens à l’intérieur du cabinet de consultation, partie inextricable de leur sens de soi. Ce sens du soi-avec-l’autre est amené non verbalement au thérapeute par le transfert comme une impression ou un sentiment et est reçu dans le contre-transfert sous la forme d’un sentiment, d’une humeur ou d’une image. Cette situation peut aussi être comprise à l’intérieur du modèle.

44Par exemple, une supervisée, Isa, a tracé les deux cercles et les a regardés d’un air abattu. Lors de sa dernière supervision, elle avait décrit la façon dont son client, Kanda, avait accompli son scénario, à savoir être isolé et exclu. Elle avait reconnu de quelle façon il l’avait très fortement entraînée à avoir peu d’attentes à son égard et comment elle avait failli ne pas confronter son comportement de passivité au moment où elle avait ressenti un léger sentiment d’ennui à l’intérieur d’elle. Suite à une supervision, elle avait changé ce comportement de passivité et Kanda commençait maintenant à prendre sa vie en main. Alors, pourquoi se sentait-elle aussi lasse et sans énergie ? Il y avait autre chose. Elle a décrit son vécu interne : du vide, de l’ennui et aucune émotion. Elle a tenté de décrire ce qui s’était passé dans le cabinet de consultation, mais elle s’est rendue compte qu’elle ne pouvait pas vraiment s’en souvenir. Le superviseur a invité le groupe à penser et à ressentir cet espace relationnel sans vie et il a invité Isa à imaginer quelle sorte de vécu elle et son client étaient en train de créer dans la partie A. Est-ce que cela pouvait faire écho avec un protocole des plus archaïques ?

45Isa a commencé à parler du début de la vie de Kanda. Il était le fils unique d’une mère défaillante qui souffrait d’une grave dépression postnatale. L’expérience la plus ancienne dont il se souvenait, c’était les journées interminables passées dans le silence, seul avec elle dans une chambre lugubre, d’où il pouvait apercevoir les autres enfants dans la rue. Maman s’asseyait en silence et sans bouger pendant des heures, ne s’extirpant de sa chaise que pour lui préparer quelque chose pour dîner, et ensuite retournant à sa chaise ou à son lit. Kanda passait son temps à fixer les motifs du papier peint délavé. C’était ça, l’expérience la plus ancienne de Kanda (partie A). L’impression qu’il avait de son environnement et de lui-même, c’était celle d’un désert lourd et déprimant (partie B). Il l’avait transportée avec lui tout au long de sa vie et l’avait reproduite dans ses relations(C). Le comportement de Kanda dans le cabinet de consultation était plutôt en retrait, avec peu d’affects (partie D) et sa thérapeute, de même, se sentait abattue et sans énergie quand elle était avec lui, presque comme si elle était en train de devenir la mère dépressive. Elle trouvait aussi difficile de s’intéresser à lui. Le danger était réel de reproduire la relation ancienne (partie A). Même si, plus tard dans sa vie, Kanda avait développé beaucoup d’autres façons d’être, que l’on pouvait représenter sur les systèmes de scénario, sa "couche" la plus fondamentale, c’était cette expérience inconsciente et préverbale. Le superviseur a invité Isa à s’asseoir et à écouter le groupe partager ses propres sentiments, sensations et images qui avaient été évoquées par l’histoire de Kanda. Peu à peu, Isa s’est sentie revivre. Elle a ressenti une énorme peine pour Kanda et s’est rendu compte qu’elle savait qu’elle pourrait rapporter ça à son cabinet de consultation.

46Ses parties A et B à elle étaient, bien sûr, toujours vides. Mais elle a commencé à partager avec ses collègues un peu de sa propre histoire avec une mère malade. Elle a pleuré et a su qu’elle avait pas mal de choses à apporter à sa thérapeute (fig. 8).

Figure 8

Un schéma relationnel implicite

Figure 8

Un schéma relationnel implicite

Conclusion

47Utilisé comme cadre de travail pour rassembler des données, les systèmes de scénario en miroir peuvent s’avérer un outil extrêmement utile pour intégrer la théorie, faire des hypothèses et mettre en place un plan de traitement. De plus, ils peuvent se concevoir comme une carte pour mettre en évidence le champ relationnel pour une exploration en profondeur. Mais, selon la phrase célèbre de Korzybski [10], « la carte n’est pas le territoire ». Tout le travail qui consiste à vouloir explorer le champ co-créé se fait à l’intérieur des personnes, pas en dehors d’elles sur un dessin. Les systèmes de scénario en miroir fournissent le cadre ou le contenant pour le travail, favorisant le processus tout au long de l’exploration faite par le supervisé. Ils rendent compte des processus inconscients des deux protagonistes de la relation thérapeutique tout en respectant la frontière de la thérapie personnelle du supervisé. Pour conclure, à notre avis, l’utilisation des systèmes de scénario en miroir peut favoriser et aider le développement d’une théorie et d’une pratique de supervision spécifique en analyse transactionnelle, qui soit capable d’intégrer plusieurs aspects différents de nos cadres de référence théoriques en un système cohérent et efficace.


Date de mise en ligne : 19/02/2014.

https://doi.org/10.3917/aatc.141.0001

Notes

  • [*]
    Traduit et reproduit avec l’autorisation de l’auteur et de l’I.T.A.A. Paru dans le T.A.J., 39, 4, 2009, pp. 305-314 : « The comparative script system: a tool for developing supervisors ». © I.T.A.A. (Tous droits réservés).
  • [1]
    N.d.T. : En anglais : The comparative script system, que nous avons choisi de traduire par "Les systèmes de scénario en miroir", de préférence à la traduction littérale qui aurait été : Système comparatif de scénario. SILLS, C.,& SALTERS, D., The comparative script system. ITA News, 31, 1991, pp. 1-15.
  • [2]
    LAPWORTH, P., SILLS, C.,&FISH, S., Integration in counselling and psychotherapy: Finding a personal approach. Sage, 2001.
  • [3]
    SILLS, C.,&SALTERS, D., art. cité (n. 1).
  • [4]
    BERNE, E., Analyse transactionnelle et psychothérapie (orig. 1961). Payot, 1997.
  • [5]
    N.d.T. : Les auteurs jouent sur les mots mother et other en écrivant : (m)other.
  • [6]
    BOLLAS, C., The shadow of the object: Psychoanalysis of the unthought known. Columbia University Press, 1987.
  • [7]
    CLARKSON, P., Transactional analysis psychotherapy: An integrated approach. Routledge, 1992. MAZZETTI, M., Supervision in transactional analysis: An operational model. T.A.J., 37, 2007, pp. 93-103.
  • [8]
    WARE, P., Types de personnalité et plan thérapeutique (orig. T.A.J. 1983). A.A.T., 28, 1983, pp. 156-165. C.A.T., 4, pp. 264-273.
  • [9]
    ERSKINE, R.G., Supervision for psychotherapy: Models for professional development. T.A.J., 12, 1982, pp. 314-321. MAZZETTI, M., art. cité (n. 7). SILLS, C., Developmental stages of the psychotherapy trainee. Supervision course presented at Metanoia Institute, London, 1985.
  • [10]
    KORZYBSKI, A., Science and sanity: An introduction to non-Aristotelian systems and general semantics. Institute of General Semantics, 1933.
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