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Article de revue

Les 3C, boussole de l'inattendu : Contact, Cadre, Contrat

Pages 1 à 8

Notes et références

  • [1]
    ECKSTEIN, K., Danse avec la douleur, L’art-thérapie dans la prise en charge du patient souffrant de douleur chronique. Dans : Souffrance, maladie et soins, ouvrage collectif, Editions Masson, 2007.
  • [2]
    Cité par LECLERC, C., dans : Comprendre et construire les groupes, Editions Chronique Sociale - Les Presses de l’Université de Laval, 2000.
  • [3]
    WARE, P., Types de personnalité et plan thérapeutique, A.A.T., 28, 1983, pp. 156-165. C.A.T., 4, pp. 264-273.
  • [4]
    ANZIEU, D., chapitre 4. Dans : le groupe et l’inconscient, Editions Dunod, Paris 1999.

Introduction

1L’inattendu, l’imprévisible et l’imprévu se produisent inévitablement dans un groupe, tout autant que l’attendu, le prévisible et le prévu.

2Ainsi, un formateur relate : au cours d’une formation dans une administration, il est 14h30 quand une participante ouvre son panier, sort une serviette qu’elle pose sur la table, un sac de légumes et un éplucheur. Elle se met à éplucher ses légumes. Le formateur est tellement surpris qu’il ne peut que lui demander : « Vous épluchez vos légumes… comment cela se fait ? » Et elle de répondre : « Ça fait vingt ans que c’est ainsi : le matin avant de venir au travail, je passe au marché et à 14h30, où que je sois, je les épluche, ça me fait gagner du temps pour mon repas du soir. Vous comprenez, je prends le train et arrive tard chez moi. Alors si je veux manger pour 19h. Mais continuez, ça ne m’empêche pas de suivre ce que vous dites ».

3J’ai moi-même un souvenir de formation, à l’époque où le téléphone portable venait d’être commercialisé et où seuls quelques "privilégiés" en disposaient. En fin de journée, alors que je faisais un exposé, un téléphone portable sonne. La participante décroche et commence à tenir tout haut une conversation avec son mari… puis très rapidement, traverse la salle et va jusqu’à la fenêtre qu’elle ouvre. Nous comprenons que son mari est devant la porte du centre de formation. Elle continue la conversation au téléphone avec son mari comme si de rien n’était. Tous, participants comme moi, étions interloqués. Et elle, belle méconnaissance, ne s’est rendu compte de rien ! Au moment où elle a raccroché, nous avons bien sûr régulé ce temps inattendu.

4Au démarrage d’un groupe, les 3C offrent une bonne base pour orienter le flux et les forces qui en résultent, en particulier devant de l’inédit, de l’inattendu. Car si on ne prévoit pas l’événement, on peut prévoir les processus, c’est-à-dire « Qu’est-ce qu’on fait quand il se passe quelque chose d’inédit dans un groupe, qui nous met en difficulté ou simplement nous surprend ? ». C’est ce que Berne appelait les « procédures d’amendement » qui impliquent d’avoir analysé le risque. Ainsi, dans tout groupe, il convient de se demander : la procédure d’amendement existe-elle ? Et au minimum : quand il y a un événement inédit, qui est habilité à décider de ce qu’on fait ?

Contact, cadre et contrat

5Tel un trépied dont chacun des pieds gagne à être actif si l’on veut (s’)offrir la stabilité de l’assise, à la fois permissive, protectrice et puissante, les 3C permettent de maintenir la place de tiers au-delà de ce qui peut se passer sur le plan humain, offre une visibilité anticipatrice, ou plutôt sert en quelque sorte de boussole.

Fig. 1
Fig. 1

Le contact sert à développer la cohésion

6Comment l’intervenant favorise-t-il le contact, lien, alliance et relations avec les personnes en toute circonstance ? Comment favorise-t-on l’adoption mutuelle ? Eckstein [1] rappelle que le groupe représente dans son expression la plus primitive « un substitut maternel : une matrice au sein de laquelle chaque membre du groupe se sent en sécurité, relié aux autres et avec un fort sentiment d’appartenance avec les autres ».

7Le contact donne une place à chacun et donc favorise le vivre ensemble, crée la confiance, installe et développe la communication et l’expression des avis, des demandes, des émotions et des besoins, développe les processus de collaboration et de participation et favorise la solidarité. La boucle du contact telle que la développe Ginger en Gestalt, peut permettre à l’intervenant de porter son attention aux différents temps du contact, depuis le pré-contact jusqu’au post-contact.

Fig. 2

La boucle du contact, selon Serge Ginger

Fig. 2

La boucle du contact, selon Serge Ginger

-1. Ce qu’il se passe avant la rencontre (beaucoup de projections)
-2. Comment on se rencontre (ici aussi, beaucoup de projections)
-3. Full contact (là, intimité, régulation…)
-4. Moment où on se quitte (comment on se sépare sans couper)
-5. Ensuite, ce qu’on va faire

Le cadre sert à développer la cohérence

8Une définition du cadre s’impose, dans la mesure où j’ai observé que, parfois, certains élèves en analyse transactionnelle peuvent confondre le cadre et le contrat. Le cadre, si l’on se réfère au dictionnaire, est le contexte d’une action quelconque, l’ensemble des limites et des interdits dont disposent les acteurs pour mener leur action.

9Je considère le cadre comme un ensemble d’éléments significatifs (des déterminants) qui définissent le contexte, l’espace et le temps dans lequel se déroule l’action. Le cadre définit des règles qui priment sur celles que se mettraient naturellement les acteurs de la situation. Ainsi, dans le cas d’un groupe thérapeutique, le cadre permet par exemple un espace balisé pour le parentage, que ne permet pas la relation naturelle entre personnes. Plus largement, en cas de crise, la règle économique d’un pays est de laisser filer le déficit budgétaire et la commission européenne pour les États qui en sont membres impose une méta-règle qui est de limiter le déficit par pays.

10Le cadre est toutefois fédéré à la loi et le rappeler a toute son importance car, par exemple, le cadre d’une école peut prévoir de confisquer un téléphone portable d’un élève s’il sonne et de le conserver jusqu’aux vacances scolaires suivantes. Or, la loi interdit la détention du bien d’autrui : un téléphone portable peut être mis en dépôt pour éviter son usage durant les cours mais doit être remis à l’élève à la sortie des cours.

11Plus pratiquement, dans un groupe, grâce au cadre posé, chacun connaît ce qu’il doit faire (et comment), ce qu’il ne peut pas faire, ainsi que les conséquences de ses actes (pour soi et pour le groupe). Le cadre crée un climat de sécurité, offre les balises pour pouvoir remplir la mission du groupe : quelle est la structure ? Quels sont les codes ? Quelles sont les règles ? Etc. c’est-à-dire tous les vecteurs qui bordent l’angoisse tout en laissant place à ce qu’elle s’exprime.

12Le groupe étant aussi, selon Anzieu [2], un appui important à la différenciation et à l’individuation, le cadre met du tiers : il crée un espace et un temps dans lequel ces processus peuvent s’exprimer. Il permet aussi de contenir les pressions, les dysfonctionnements et les résistances internes et externes.

Le contrat sert à développer l’efficacité du groupe et la réalisation de la mission du groupe

13Quel est l’objet de nos rencontres ? À quoi nous engageons-nous mutuellement ? Quel est notre objectif commun ? Qu’est-ce qui est négociable entre nous ? Quelles sont les procédures d’amendement du contrat bernien ? Etc. C’est dire que se plaindre d’une difficulté, formuler une demande explicite ou non, passer une commande d’aide (par exemple, démarrer une psychothérapie ou une formation ou une intervention) n’est pas encore un contrat. En effet, que l’on parle, comme les analystes transactionnels, de "contrat d’objectif" ou, dans le monde juridique, de "mandat", le contrat suppose un engagement explicite d’une personne ou d’un groupe de personnes et ceci, dans le but d’atteindre un objectif négocié, réaliste et réalisable dans un cadre spécifique et spécifié. Un contrat est donc un engagement bilatéral (tripartite parfois, multipartite parfois aussi), négocié de bonne foi, à un moment donné et pour une durée déterminée, dans un cadre préexistant.

14Lorsque l’on parle d’objectif négocié, la zone négociable est évidemment plus ou moins grande selon le cadre dans lequel s’inscrit le contrat. Prenons trois exemples. Lorsqu’il s’agit d’un objectif thérapeutique, l’espace de négociation de l’objectif est relativement libre et surtout large. Par contre, lorsqu’il s’agit d’un contrat d’objectif à l’école ou dans le cadre d’un mandat judiciaire, seule une part est négociable. À l’école, la négociation de l’enseignant et de la classe peut porter sur les modalités ou sur des objectifs spécifiques liés à l’apprentissage mais les programmes sont définis et la loi définit l’obligation scolaire. Quand je suis mandatée en tant qu’expert judiciaire par le tribunal pour une expertise pédo-psychologique et familiale (ceci concerne des familles en séparation conjugale conflictuelle), l’objectif est défini par le juge en accord avec les parties et leurs conseils : renseigner le juge en vue d’une mesure décisionnelle éclairée. La mission consiste à entendre les parties et l’enfant individuellement dans le respect du code judiciaire (la manière dont il convient de procéder est donc définie par la loi sur l’expertise) et ensuite à ouvrir un espace de conciliation et de négociation permettant aux parties de développer un esprit de collaboration au bénéfice de l’enfant. C’est à l’intérieur de cet espace que le contrat d’objectif a toute sa place.

15Notons que les pratiques et l’environnement (y compris économique) de chacun pouvant évoluer, le cadre peut aussi être amené à évoluer et un changement de cadre peut avoir une incidence sur le contrat lui-même et le mode d’entrée en contact. C’est pourquoi, par exemple, il existe pour les contrats de formation des analystes transactionnels, tant pour le formateur que pour le candidat, la possibilité de rompre le contrat ou de ne pas le reconduire. L’E.A.T.A. prévoit aussi que le candidat puisse, si nécessaire, changer de formateur, à la condition que ce soit fait de manière OK-OK.

L’influence des portes d’entrée de l’intervenant

16L’expérience m’a montré que la porte d’entrée privilégiée du professionnel a un impact sur la zone première où il porte son attention. Je croise ici les apports de Paul Ware [3] en termes de portes et la notion de centres d’intelligence développés dans l’approche de l’ennéagramme. C’est pourquoi les portes, communément appelées "sentiment", "pensée" ou "comportement" chez Paul Ware sont dénommées ici "affective", "mentale" et "instinctive".

17Ainsi, les personnalités dont la porte d’entrée préférentielle est affective (sentiment), qui ont tendance à percevoir le monde à travers le filtre de l’intelligence affective et à donner prépondérance à la reconnaissance, ont tendance à porter leur attention prioritairement sur le contact, privilégiant l’établissement du lien et de l’alliance, attentifs à l’humeur et aux besoins de chacun, manifestant plus d’empathie que de confrontation, et associant, dans un second temps, cadre et contrat.

18Les personnalités dont la porte privilégiée est mentale (pensée), enclines à acquérir une sécurité par un processus cérébral qui permet d’analyser, d’envisager, d’anticiper, d’imaginer… et, par là, à tenter de maîtriser des situations potentiellement douloureuses, posent plutôt d’abord leur attention sur le cadre, y associant ensuite le contrat et le lien.

19Et les personnalités dont la porte privilégiée est instinctive (comportement), se centrent plus volontiers d’abord sur la tâche, les stratégies qui consolident les positions de chacun et diminuent l’inconfort : elles portent un intérêt prioritaire au contrat, le cadre et le lien étant ensuite mis au service de l’action.

En cours d’action

20En cours d’action, les 3C permettent l’accompagnement de ce qui advient. Ils constituent une sorte de carte routière sur laquelle plusieurs itinéraires sont possibles. On en prévoit un pour arriver à destination mais, en fonction des imprévus de la route, on peut changer de chemin. Ainsi, par exemple, prenons un groupe, de travail, de formation, de thérapie… En cours de séance, une personne fait un malaise cardiaque. Est-ce que l’intervenant reste sur l’axe du cadre ou sur celui du contrat ? Non bien sûr. Il intervient pour porter secours à la personne mais ensuite, il fera retour au cadre et au contrat.

21Une jeune formatrice apporte en supervision une situation qui s’est produite durant les deux premiers jours de formation qu’elle conduisait. Après le déjeuner, alors qu’elle revenait avec une participante vers la salle, celle-ci prévient qu’elle s’éloigne pour prendre une communication téléphonique. Elle arrive du coup en retard, entre dans la salle alors que la formation a repris, en pleurant, traverse la salle et va se mettre derrière le tableau papier pour chuchoter à la formatrice que l’appel de sa sœur lui annonçait la tentative de suicide d’un proche. Et qu’elle partait immédiatement. Sans attendre, elle retraverse la pièce, ramasse ses affaires et quitte la pièce. La formatrice l’accompagne jusqu’à la sortie sans rien dire, puis revient, reprend la formation, essaye de relancer mais, dit-elle, « ça ne marche pas, les participants chuchotent puis parlent entre eux, jusqu’à ce qu’une personne dise "On doit en parler" et c’est ce qu’ils font ». La formatrice souhaite réfléchir en supervision sur ce qu’elle aurait pu faire d’autre et, nous basant sur les 3C, elle comprend vite par elle-même qu’il s’agissait de traiter la préoccupation de processus avant de reprendre le contenu de formation, qu’elle aurait pu revenir au cadre pour dire à la participante « OK que tu partes, mais avant tu t’assieds un instant et tu annonces les choses au groupe », et ensuite revenir au contact pour vectoriser les émotions et l’insécurité qui s’est transmise au groupe avant de revenir à l’objet du contrat, c’est-à-dire la suite de la formation.

Fig. 3

Les 3C au cœur de l’action

Fig. 3

Les 3C au cœur de l’action

Nous n’avons pas le contrôle de tout ce qui arrive, mais nous avons le contrôle sur ce que nous en faisons.

22C’était il y a quelques années, un matin, j’arrive dans une école pour y conduire trois jours sur la gestion de la violence. Les professeurs et la direction m’attendent devant l’école qui a été incendiée pendant la nuit et est en cendres. Ensemble, nous nous rendons dans une autre institution qui nous hébergera en urgence pour démarrer la formation. Nous commençons par un travail de debriefing indispensable vu les événements, l’ampleur du traumatisme pour ces enseignants qui ont tout perdu. Ce debriefing est indispensable pour assurer du lien, apaiser les émotions et réguler. Il n’était pas prévu au programme de la formation et pourtant bien en lien avec le contrat : l’objet de la formation étant de développer ses compétences face aux situations violentes.

3C et illusion groupale

23Les 3C sont aussi de bons appuis pour l’intervenant lorsqu’il s’agit d’accompagner, voire de confronter l’illusion groupale. En effet, dans les étapes de développement du groupe, il arrive fréquemment que le groupe devienne pour les participants un objet transitionnel, tel que Winnicott en parlait, en ce sens qu’il est à la fois un élément réel extérieur à eux et un écran de projection. Tantôt, le groupe rappelle aux participants la classe d’école ou le groupe familial à table, tantôt, il s’en dégage une illusion groupale, comme en parle Anzieu [4]. Celle-ci se manifeste lors des moments de joie parasite et de symbiose collective, quand l’ensemble des participants du groupe s’appuient sur le fait que se sentant bien, ils forment un « bon groupe ».

Conclusion

24Toute situation donne lieu à une articulation particulière du cadre, du contrat et des modes de contact entre les personnes. L’inattendu peut venir de la personne, du groupe ou de l’environnement mais il peut aussi venir de l’intervenant lui-même, soit conséquence d’une méconnaissance, soit d’une décision d’offrir une stimulation délibérée qui surprend le scénario personnel ou groupal. Puisqu’on ne peut pas tout prévoir, prévoyons ce qu’on peut prévoir et soyons prêt à l’inattendu. « Agir pour le meilleur, se préparer au pire et accueillir ce qui vient » dit le proverbe.


Date de mise en ligne : 18/02/2014

https://doi.org/10.3917/aatc.134.0001

Notes et références

  • [1]
    ECKSTEIN, K., Danse avec la douleur, L’art-thérapie dans la prise en charge du patient souffrant de douleur chronique. Dans : Souffrance, maladie et soins, ouvrage collectif, Editions Masson, 2007.
  • [2]
    Cité par LECLERC, C., dans : Comprendre et construire les groupes, Editions Chronique Sociale - Les Presses de l’Université de Laval, 2000.
  • [3]
    WARE, P., Types de personnalité et plan thérapeutique, A.A.T., 28, 1983, pp. 156-165. C.A.T., 4, pp. 264-273.
  • [4]
    ANZIEU, D., chapitre 4. Dans : le groupe et l’inconscient, Editions Dunod, Paris 1999.

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