En 1768, quand Bernardin de Saint-Pierre – le célèbre auteur de Paul et Virginie – se rendit à l’île Maurice, il séjourna à proximité du mont emblématique que les Mauriciens appellent le Morne Brabant. Il écrivit à ce propos :
« Il y a quelques années que quarante d’entre eux s’étaient retirés sur le Morne, où ils avaient fait des plantations ; on voulut les forcer, mais plutôt que de se rendre, ils se précipitèrent tous dans la mer. » [Bernardin de Saint-Pierre, [1773] 1840, p. 72]
Cette image d’esclaves se jetant dans l’océan depuis le sommet du Morne refit surface dans l’histoire de l’île en 1835, à l’occasion de l’abolition de l’esclavage. Dans l’imaginaire mauricien, un groupe d’esclaves aurait commis un suicide collectif pour avoir confondu les soldats venus leur annoncer leur liberté recouvrée avec des chasseurs de primes en quête de fugitifs. Aucune preuve historique ne vient étayer cette histoire de suicide de masse ; une explication possible serait que le mythe (ou la réalité) rapporté par Bernardin de Saint-Pierre lors de la génération précédente ait survécu dans la mémoire populaire. L’affirmation selon laquelle des esclaves se seraient jetés dans l’océan dans les années 1760 (à l’époque où Bernardin de Saint-Pierre visita l’île) ou en 1835 (lors de l’émancipation des esclaves mauriciens) ne sera peut-être jamais confirmée de façon satisfaisante aux yeux des chercheurs, mais il n’en demeure pas moins que ce dramatique incident est resté pendant plusieurs générations une image marquante du marronnage mauricien…