Si la littérature est une préoccupation majeure de Lukács depuis ses premiers écrits, la question du réalisme ne devient centrale qu’au tournant des années 1930. Lukács réside en Union soviétique entre 1933 et 1944, puis en Hongrie socialiste. Ses écrits sur le réalisme s’inscrivent ainsi dans l’histoire, ouverte dès la fin des années 1920, de l’élaboration du « réalisme socialiste » qui reçoit une formulation officielle à l’occasion du premier congrès des écrivains soviétiques de 1934 et fait ensuite l’objet de divers remodelages. De ces nombreuses années d’activité théorique résulte une importante masse de textes publiés ; mais ces travaux restent dans l’ombre de la Théorie du roman de 1916, texte antérieur à la découverte du marxisme par Lukács et qui bénéficie aujourd’hui d’une certaine reconnaissance universitaire.
Une partie seulement de ces textes est disponible en traduction française, mais ce n’est pas là le plus grand obstacle qui s’est opposé et s’oppose encore à leur réception. Cet obstacle, le voici : il est difficile de définir la façon dont les écrits de Lukács s’insèrent dans la constitution et l’évolution de la doctrine officielle du réalisme socialiste. En ce sens, l’étude de ces textes requiert de résister à deux types de positions interprétatives, la première étant d’y voir le développement immanent d’une pensée qui se saisirait des syntagmes officiels pour y injecter un contenu absolument singulier et susceptible d’être analysé isolément, et la seconde, de les réduire à l’expression de l’orthodoxie soviétique, en refusant de leur accorder une originalité théorique ainsi qu’un intérêt autre qu’historique et documentaire…